Un nuage néo-fasciste plane au-dessus des frontières entre la Grèce et la Turquie

Chronologie de la situation aux frontières

12 mars 2020 par Eva Betavatzi


L’école One happy family accueillant des personnes migrantes à Lesbos. L’incendie a été provoqué par un groupe néo-fasciste.

L’Europe vit une période sombre, la situation aux frontières entre la Grèce et la Turquie en atteste. Les discours se multiplient et l’heure est à la confusion. Chacun.e apporte « son soutien » à l’une ou l’autre partie « victime », tantôt de la dictature d’Erdogan, tantôt d’une prétendue « invasion » de personnes migrantes, tantôt d’une folie humaine déjà installée depuis bien trop longtemps. Une folie humaine qui est restée dans l’ombre des préoccupations grâce à un gros chèque que l’Union européenne s’est accordée à verser à Erdogan. Six milliards d’euros, c’est le montant reçu par la Turquie à la suite de l’accord signé entre son État et l’UE en 2016. Six milliards d’euros, c’est le prix que l’Europe de « l’Union » a payé pour son incapacité à exprimer son refus « d’accueillir » des personnes en exil. Des personnes qui fuient les nombreuses guerres et conflits qui sévissent dans leur pays, résultat de l’impérialisme des puissants (Trump, Assad, Poutine pour ne nommer que quelques-uns des grands responsables de ces tragédies). Six milliards d’euros c’est bien plus que ce que l’UE n’aurait accepté de rembourser à la Grèce sur les intérêts de sa dette. Dépenser pour refouler des personnes extrêmement vulnérables, oui, annuler la dette illégitime de la Grèce pour éviter le massacre social, non. On ne peut plus clairement résumer les politiques de l’UE.



Nulle question de « place disponible à l’accueil », nulle question « d’origine », que ces personnes migrantes viennent de Syrie, de Palestine, d’Irak, d’Afghanistan ou d’ailleurs peu importe, il s’agit de créer une Europe de l’investissement vide de sens et pleine d’argent, vide de gens et pleine de morts.

Les mots ne sont pas encore assez durs et la colère est légitime.

La Grèce est devenue aujourd’hui un territoire de toutes les batailles. Des personnes tentent de sauver ce qu’il reste de notre humanité, en sauvant des vies aux larges des côtes grecques et turques tandis que d’autres se lancent dans une croisade contre l’« étranger » et ses « allié.e.s ». La police anti-émeute grecque (MAT), chargée de canons à eau, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes, avait été envoyée par bateaux par ordre du gouvernement à la fin février sur les îles de la mer Egée contre la population locale en colère d’apprendre la réquisition par le gouvernement de leurs petites propriétés (terrains) pour la construction de nouveaux centres fermés. Ce même gouvernement avait annoncé quelques jours plus tôt son plan en trois points : construire de nouveaux centres fermés pour 20.000 demandeurs et demandeuses d’asile (alors que les camps comptent au total plus de 40.000 personnes aujourd’hui), renforcer les frontières physiques, refuser presque automatiquement les potentielles nouvelles demandes d’asile. S’en sont suivies des images de guerre civile – des affrontements violents ont éclatés entre la population et les autorités locales et la police de l’État - qui laissaient présager le pire.

Photo issue d’une vidéo qui a été mise en circulation par une militante sur les réseaux sociaux

Les partis néo-fascistes d’Europe n’ont pas manqué d’y voir une opportunité à leur propagande raciste et hypocrite. Le 10 mars dernier, le parti flamand Vlaams Belang organisait un rassemblement devant l’ambassade de Turquie à Bruxelles pour soutenir les grec.que.s qui « résistent avec vigueur » au « déboulement » des milliers de personnes migrantes envoyées par le « dictateur turc Erdogan ». Il se vantait d’être le seul parti « solidaire au peuple grec » ! Ce discours écœurant a été lu sur les réseaux sociaux par au moins des centaines de sympathisant.e.s dont des grec.que.s qui remerciaient le Vlaams Belang de son soutien au pays ! À l’heure où le peuple grec luttait pour sa survie contre les mesures d’austérité imposées par la Troïka, le Vlaams Belang tenait un discours radicalement opposé.

Les clarifications qui suivent ne sont certainement pas adressées aux sympathisant.e.s de ce parti fasciste, mais elles nous ont semblé utiles car l’heure est à la confusion et au choc. Les déclarations officielles des États se contredisent et les médias relaient leur propagande au service du pouvoir qu’ils défendent. La confusion est également créée de toute pièce par l’assemblage de mots tels que « invasion », « attaque programmée », « protection des frontières », et en criminalisant les principales victimes de cette situation dramatique, les personnes migrantes. La liste des évènements cités plus bas n’est pas exhaustive et ne prétend pas l’être, elle reprend dans les grandes lignes ce qu’il se passe en Grèce depuis le début de l’année. Le silence médiatique en Europe occidentale est aberrant.

 Janvier 2020 – le gouvernement grec annonce ses premières intentions

La Grèce veut ériger une frontière flottante sur la mer pour limiter l’arrivée des personnes migrantes. Le 29 janvier, le Ministère de la Défense lance un appel d’offre (notez bien la marchandisation de la crise) pour installer un mur flottant en mer Égée pour un budget estimé à 500.000 euros. Ce montant est tout aussi ridicule que l’étendue du projet (voir carte plus bas). Il s’agit bien d’annoncer la couleur : la crise sera privatisée et bénéficiera à certains entrepreneurs.

Sur cette photo, vous pouvez voir la taille réelle d’un barrage de 2 700 mètres par rapport à l’île de Lesbos”, écrit Chios News. Crédit : Google Maps / ChiosNews.com [1]

 Début février 2020 – montée des attaques néo-fascistes

Aube Dorée s’attaque aux ONG et aux personnes migrantes sur les îles du Nord-Est de la mer Égée. Un groupe de jeunes cagoulés armés de bâtons entrent de force de maison en maison pour vérifier la présence de personnes migrantes ou solidaires. Une maison abandonnée, souvent occupée par des demandeurs et demandeuses d’asile, est incendiée le 4 février. Heureusement les trois occupant.e.s ont pu partir à temps.

Des étudiant.e.s de Lesbos organisent une manifestation antifasciste dans le chef-lieu de l’île et sont ensuite attaqué.e.s dans un café par des personnes portant des casques et armées de battes.

Le 10 février, le porte-parole du gouvernement Stelios Petsas annonce la publication d’une loi autorisant le ministère de l’immigration et de l’asile à réquisitionner des propriétés et des terrains « pour des raisons d’intérêt public et de gestion de crise », le but étant de construire de nouveaux centres fermés à Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos d’ici l’été. Les autorités locales de Lesbos et Chios réagissent en voulant d’abord imposer des contre-mesures puis en coupant le dialogue avec Athènes.

 Fin février 2020 – des affrontements proches d’un début de pré-guerre civile

Le 24 février, des affrontements entre la police anti-émeute et les habitant.e.s et autorités locales de Chios et Lesbos éclatent et durent plusieurs jours. Gaz lacrymogènes et grenades explosives sont tirés par la police anti-émeute alors que les résident.e.s des îles lancent des pierres et parfois des cocktails molotovs. Beaucoup de personnes âgées se trouvent parmi elleux, femmes et hommes, ainsi que des popes (prêtres orthodoxe grecs).

La colère des habitant.e.s s’exprime pour plusieurs raisons. D’un côté, iels refusent l’expropriation de leurs terrains pour la construction de nouveaux centres fermés. Ensuite iels sont opposé.e.s à la construction de nouveaux centres, les centres existants étant déjà insalubres, surpeuplés, inhumains même, rien de surprenant à s’y opposer. Mais là encore il y a différentes réalités, certain.e.s s’opposent à l’accueil des personnes migrantes tout court, alors que d’autres s’opposent aux centres fermés comme solution d’accueil et demande à ce que les frontières ouvrent et que chacun.e puisse aller où iel veut. Enfin, certain.e.s dénoncent le fait que le gouvernement leur impose la « charge » de l’accueil et refuse de mieux la répartir sur l’ensemble du territoire. Ce que l’Union européenne fait à la Grèce, le gouvernement grec le fait à l’intérieur du pays : repousser les migrant.e.s aux frontières. Les habitant.e.s de Chios, Lesbos, Samos, Leros et Kos se sentent abandonné.e.s par le pouvoir central. Il y a aussi le fait que les économies de ces îles sont largement basées sur le tourisme et que les habitant.e.s craignent une baisse d’attractivité touristique. Pour toutes ces raisons il serait absolument erroné de penser que les habitant.e.s qui affrontent la police anti-émeute envoyée par le gouvernement central soient racistes et qu’iels agissent de la sorte pour cette seule raison, si elle en est une.

Stelios Petsas, le porte-parole du gouvernement, tente une réponse aux accusations des habitant.e.s des îles du Nord-est de la mer Égée qui dénoncent l’autoritarisme du gouvernement central et son refus de construire des centres fermés pour personnes migrantes à l’intérieur du territoire de la Grèce continentale en prétendant que le gouvernement grec serait contraint de planifier ces centres sur des îles à cause des dangers du coronavirus.

Pendant ce temps, les violences policières ne font qu’accroître la colère de la population locale, qui a organisé une grève générale les 25 et 26 février soutenue par une grande majorité d’habitant.e.s. La forêt de Diavolorema située sur l’île de Chios prend feu à cause de fusées éclairantes lancées par la police selon des témoignages de personnes se trouvant sur place. Six autres incendies sont déclarés sur les îles de Chios et Lesvos.

Le même jour à Chios, des policiers anti-émeutes sont « victimes » d’une attaque dans leur hôtel par des groupes de personnes. Six policiers sont blessés, 12 personnes arrêtées. À Lesbos, la situation est loin d’être calme, 46 policiers blessés et menacés par des groupes armés de fusils selon le quotidien Ethnos et divers quotidiens locaux. Une centaine de véhicules auraient été détruits par la police selon le quotidien ERT.

Pendant ce temps, des bulldozers envoyés eux aussi par le gouvernement grec tentent de commencer le terrassement pour l’installation des nouveaux centres fermés mais sont bloqués par des groupes d’habitant.e.s qui s’opposent à la construction de ces nouveaux centres.

Les syndicats de police finissent par demander que les forces déployées sur Lesbos et Chios soient évacuées. C’est à partir de jeudi 27 février que les policiers et tout l’attirail qui les accompagnait, machines et autres équipements, commencent à quitter les îles, embarqués par des ferrys en service spécial.

En Grèce continentale, la tension monte, notamment à Evros, à la frontière dite terrestre entre la Grèce et la Turquie. Des personnes en grand nombre tentent de passer la frontière ayant entendu qu’elles seraient ouvertes. Des familles, enfants, femmes et hommes se retrouvent finalement coincées dans la zone tampon, ni turque, ni grecque, et sont attaquées par les forces de police grecques qui n’hésitent pas à envoyer entre autres des gaz lacrymogènes sur la foule. Des habitants de la région viennent en renfort contre « l’arrivée » de personnes en plein exil, épuisées et sans autre alternative, certains à l’aide de leurs tracteurs ou autres outils.

Au même moment, des navires de Frontex, des gardes-côtes grecs et des hélicoptères des forces armées augmentent leurs patrouilles pour arrêter des personnes migrantes.

Le 29 février, 17 personnes migrantes sont arrêtées pour avoir tenté de traverser le frontière qui sépare la Turquie et la Grèce, et sont condamnées à trois ans et demi de prison alors que cela est illégal. Des dizaines d’autres arrestations ont lieu le même jour et plus tard.

Les porte-paroles grec et turc font des déclarations à tour de rôle. Omer Celik, le porte-parole du gouvernement turc accuse l’Europe de ne pas avoir respecté l’accord signé en 2016, tandis que le Ministre turc des affaires étrangères met en lien la situation à Idlib (frontière turco-syrienne) avec l’arrivée de personnes migrantes en Grèce. Il est assez évident que la Turquie dispose d’un levier important pour faire du chantage à l’Union européenne.

Charles Michel, président du Conseil européen, s’exprime quant à lui en faveur du renforcement des frontières de l’UE, faisant référence aux frontières grecques et bulgares. Merkel se prononce positivement à la demande d’Erdogan de recevoir plus d’argent de la part de l’UE mais de nombreux dirigeants européens n’y sont pas favorables. La question de comment répondre aux pressions d’Erdogan et de son gouvernement ne font pas l’unanimité en Europe.

 Mars 2020 – les violences politiques et physiques conduisent à la mort de personnes migrantes

Le ton monte entre les gouvernements grecs et turcs. Stelios Petsas accuse la Turquie de « trafiquant » et prononce un discours qui alimente la haine nationaliste et xénophobe, déjà bien installée. C’est sur ce ton que le gouvernement grec annonce le renforcement de ses interventions aux frontières et sa décision de suspendre l’asile pendant une période d’un mois (ou d’un an selon les sources), ce qui est interdit en vertu du droit d’asile international. L’article 78.3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est invoqué pour justifier cette décision.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, exprime son soutien total à la Grèce et à la Bulgarie et remercie la Grèce d’être « le bouclier de l’Europe en ces temps difficiles ». Elle assume donc de laisser mourir – voire de tuer activement – de nombreuses personnes (tout en alimentant les raisons de leur migration par ailleurs), et utilise un langage guerrier pour des hommes, femmes et enfants en exil. Elle promet 350 millions d’euros à la Grèce alors que la chancelière allemande Angela Merkel décide finalement de donner 32 millions d’euros à la Turquie pour « empêcher les migrations incontrôlées » (sic). Un hélicoptère et 20 policiers allemands sont également envoyés en Grèce pour renforcer Frontex. La présidente de la Commission européenne finit par demander à la Turquie de repousser les personnes migrantes loin de la frontière grecque. On ne peut passer à côté de l’hypocrisie qui caractérise les discours des dirigeants européens pour « résoudre » cette grave crise de l’accueil puisque leurs choix montrent au contraire qu’il n’est pas question de résoudre quoi que ce soit. Cette « crise » ne sera pas « résolue » de sitôt.

L’ONU quant à elle se contente de rappeler que la Grèce n’a pas le droit de refuser une demande d’asile.

Il y a pire, ce 2 mars, l’armée grecque a fait usage de vraies munitions le long de la rivière d’Evros. Des attaques violentes sont perpétrées par des milices – encouragées par cette violence d’État raciste – contre des bateaux de personnes migrantes, elles sont repoussées et mises en danger, tandis que des journalistes et des personnes solidaires sont attaquées. Des centres d’accueil désertés par les ONG, sont brûlés par des fascistes grecs et étrangers. En effet des groupes fascistes allemands et autrichiens tentent de se faire passer pour des reporters, mais sont vite démasqués par la population locale qui n’a pas manqué d’exprimer son mécontentement radical à leur présence. Le mouvement « Identitäre Bewegung Deutschland » était notamment présent.

Le même jour, un petit garçon est retrouvé mort au large de Lesbos après le naufrage de l’embarcation où il se trouvait. Le bateau aurait été renversé par les personnes à bord pour déclencher une opération de sauvetage selon les garde-côtes grecs. Les garde-côtes prétendent ce qu’ils veulent, il n’en reste pas moins qu’il est de la responsabilité des gouvernements grec et européens de protéger ces personnes vulnérables plutôt que de les inciter à prendre le risque de se noyer pour être secourues.

Les demandeurs et demandeuses d’asile à Moria se retrouvent dans des conditions toujours plus sordides.

Muhammad Al Arab, 22 ans, réfugié syrien, est tué par le feu à la frontière terrestre avec la Turquie. Le groupe d’investigation Forensic Architecture, connu notamment pour ses très sérieuses enquêtes sur les morts de Pavlos Fyssas et Zak Kostopoulos, démontre que Muhammad Al-Arab est touché par une balle provenant des forces de l’ordre grec. Ce qui est immédiatement démenti par le porte-parole du gouvernement dénonçant qu’il s’agit d’une propagande turque. Quelques médias internationaux reprennent l’information mais les médias locaux ont tous opté pour le silence.

Et puis, il y a quelques jours, on apprend le décès tragique de Muhammad Gulzar, deuxième victime des gardes-frontières grecs. Il a été tué à la frontière d’Evros, atteint lui aussi par une balle des autorités grecques.

De leur côté, 75 ONG appellent les dirigeants de l’UE à réagir face à la situation. En attendant, des personnes continuent de se noyer dans la mer Égée, des corps sont retrouvés déshydratés, gelés et/ou méconnaissables, alors que d’autres meurent dans les camps de la honte de l’UE et dans les prisons européennes hors de l’Europe.

Le 2 mars encore, des garde-côtes grecs sont filmés alors qu’ils tiraient sur des bateaux transportant des personnes migrantes. Le lendemain, plusieurs ONG annoncent la suspension de leurs activités en réaction aux nombreuses attaques fascistes dont elles sont victimes.

Quelques jours plus tard, des mobilisations importantes sont organisées à Athènes et dans d’autres villes grecques contre la montée de la xénophobie et de la haine. L’ouverture des frontières et la solidarité avec les réfugiés étaient leurs principales revendications.

Á la vue des réactions vives de toutes parts, le gouvernement grec s’enfonce encore plus dans sa politique de haine en proposant que des camps fermés soient construits, non pas sur les 5 îles évoquées plus haut, mais sur des îles désertes. Cela renvoie aux pages les plus noires de l’histoire de la Grèce et notamment aux camps de concentration qui avaient été mis en place pour les résistant.e.s pendant et après la guerre civile et lors de la dictature des colonels.

Le 8 mars, « One happy family », une école pour personnes réfugiées et migrantes sans distinction, située à Lesbos, est incendiée par un groupe néo-fasciste. Elle se trouvait entre les camps de Kara Tepe et Moria. C’était un lieu où des repas étaient servis et où des cours de langue étaient donnés.

Depuis juillet 2019, les personnes demandeuses d’asile, ainsi que les enfants dont les parents sont en situation jugée « irrégulière » par l’État, n’ont plus accès au système de santé public. Malgré cela, le gouvernement a annoncé l’expulsion ce 13 mars du plus grand dispensaire social grec Helliniko qui a déjà soigné gratuitement et sans sélection des milliers de patient.e.s. L’expulsion est programmée pour permettre au promoteur Lambda Development d’exploiter ce terrain et d’y construire des tours. Nous nous opposons radicalement à cette expulsion. Jeudi 12 mars, un rassemblement devant le consulat grec à Bruxelles est prévu pour réclamer l’annulation de l’expulsion de ce dispensaire social.

Par ailleurs, le procès contre Aube Dorée devrait toucher à sa fin prochainement mais la procureure de la République, Adamantia Oikonomou, ne serait pas en faveur de reconnaître le parti néo-nazi comme une organisation criminelle. Si Aube Dorée échappe à cette accusation, ce serait extrêmement grave dans le contexte actuel car le parti bénéficierait d’un remboursement de quelques millions d’euros, de l’argent bloqué le temps du procès. Le retour du parti néo-nazi, dans le contexte actuel et avec tous ces moyens, pourrait être un coup fatal à ce qui reste de démocratie dans le pays.

 La question migratoire est loin d’être le seul enjeu

Il serait faux de voir derrière cette situation tragique l’unique retour en force des extrêmes droites et du fascisme en général. Cette crise en cache malheureusement bien d’autres : sociales, économiques et géostratégiques.

L’enseignement, la santé, le logement sont des droits fondamentaux dont une grande partie de la population grecque est toujours privées aujourd’hui – ainsi que leurs voisin.e.s turc.que.s. Les pensions, les salaires et les aides sociales (pour ce qu’il en reste) sont trop bas alors que le coût de la vie augmente. Le gouvernement grec profite de la situation aux frontières pour garder sous silence l’ampleur de la crise sociale et sa propre incapacité et son manque de volonté à la résoudre. Il décide de pointer du doigt les personnes migrantes comme tant de gouvernements le font ailleurs.

D’un autre côté, la Grèce veut relancer un accord militaire avec les USA et renforcer sa coopération avec la France pour s’assurer un soutien contre la Turquie qui, par son accord signé avec la Libye (qui ignore l’existence du territoire grec entre les deux pays), montre qu’elle n’en a que faire de ses frontières avec la Grèce et Chypre. Le gouvernement turc est en effet trop préoccupé de trouver un moyen de tirer profit du gaz naturel et des réserves de pétrole qui se trouvent dans les territoires maritimes chypriotes (dans la partie Sud) au même titre que les compagnies italiennes et françaises qui sont déjà là (ENI et Total entre autres).

Au travers des quelques éléments relatés dans cette brève chronologie apparaît au grand jour le rôle des gouvernements d’Erdogan et de Mitsotakis qui utilisent tous deux cette situation pour attiser la haine de l’étranger. Cela leur permet de créer un effet de choc. Il ne serait pas surprenant de voir après ça l’État grec exiger des mesures économiques encore plus catastrophiques pour la population. Il y a encore trop de résistances en Grèce, et les investisseurs en sont très probablement encore préoccupés. D’un autre côté c’est le rôle réel de l’Union européenne qui, nous l’espérons, est une nouvelle fois rendu plus apparent. En effet, ce sont les multinationales des pays centraux de l’Union qui profitent le plus de cette situation de crise continue (la preuve en est l‘exploitation du gaz naturel et l’achat de la plupart des aéroports de Grèce par des compagnies allemandes), alors que les dirigeants européens se contentent de prononcer des discours d’une mollesse et d’une hypocrisie sans pareil malgré les conséquences meurtrières.

Les personnes migrantes apparaissent elles comme des « pions » sur l’échiquier politique de tous ces dirigeants qui n’en ont que faire des vies humaines. Il s’agit d’installer un rapport de forces entre un pays faible qui n’a qu’un semblant d’appartenance à une Union qui ne cesse de l’ignorer, en réalité de le noyer, et une puissance mondiale, faible elle aussi mais pour d’autres raisons, qui profite du contexte de crise à ses frontières pour étendre son hégémonie. Les deux gouvernements, grec et turc, sont tous deux des gouvernements d’extrême droite. Nous nous opposons fermement à leurs lignes politiques qu’elles soient économiques, sociales, militaires ou géostratégiques. Ce que nous exigeons ce sont des frontières ouvertes, que les personnes migrantes passent sur le continent et que de là elles aillent où elles veulent ! Des milliers de vies humaines sont détruites à cause de rapports de pouvoir entre puissances impérialistes, mais aussi à cause d’une volonté de préserver à tout prix des rapports de domination et de hiérarchisation tant entre territoires qu’au sein même de nos sociétés. Il est plus que temps d’arrêter de se tromper d’ennemi. Il faut un cessez-le-feu durable, général et inconditionné car pendant ce temps, les massacres, bombardements et gazage de la population syrienne continuent. En attendant, le droit d’asile doit être respecté à tout prix avec des points d’accueil et de soins humains. Enfin, rappelons que le droit d’asile moderne est né du « plus jamais ça » après le génocide nazi.

Merci à Loïc Decamp, Jérémie Cravatte, Renaud Duterme et Gilles Grégoire pour leurs relectures et suggestions précieuses.


Quelques sources :


Eva Betavatzi

CADTM Belgique.

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