Du 3 au 8 juillet 2006, les bus et taxis du Congo ont suivi une grève exceptionnelle en réaction à l’augmentation des prix du carburant. Pourtant, ils n’étaient pas les seuls menacés. Lorsque le carburant augmente, c’est la population entière qui souffre encore un peu plus : toutes les dépenses de transport, de nourriture, de charbon, de pétrole, etc. augmentent car tout est transporté par camions, bus... Les populations doivent donc remercier ces bus et taxis d’avoir lancé cette résistance.
L’APASH, Association pour une Alternative au Service de l’Humanité, est membre du réseau CADTM au Congo. Elle nous a fait parvenir une déclaration qu’elle a rédigée et signée avec 11 autres associations le 27 juin 2006. La déclaration met l’accent sur la nécessité pour la société civile de pousser le gouvernement à résister au FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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qui impose une augmentation du tarif de l’essence à la pompe, totalement injustifiée.
Le gouvernement avait décidé d’augmenter les prix du carburant parce que le FMI ordonnait au Congo de couper la subvention qu’il octroie à la CORAF (entreprise publique productrice de l’essence vendue à la pompe) depuis des années et de faire maintenant payer par les consommateurs, donc la population, le prix réel du litre d’essence, qui est beaucoup trop élevé pour les revenus et salaires des Congolais.
C’est une politique générale : le FMI impose aux pays endettés depuis des dizaines d’années une interdiction des subventions, c’est-à-dire des aides que donne l’Etat à certains secteurs de produits (agricoles, essence, pain...) ou de services (écoles, hôpitaux, électricité...) pour qu’ils restent à des prix qui évitent à la population de sombrer dans la misère totale. Cette exigence, incluse au départ dans les Plans d’Ajustement Structurel, maintenue par les conditions de l’Initiative PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
, sera peut-être aussi confortée par les accords en négociations à l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
, tout à fait défavorables aux pays en développement et surtout à leur population.
Le Congo, souverain, avait choisi d’aider (« subvention ») la CORAF (entreprise publique productrice de l’essence vendue à la pompe) afin de maintenir le carburant à un prix accessible pour la survie de la population. C’est ce qu’a rappelé le Président Sassou Nguesso dans sa déclaration du 13 juin 2006 reprise dans « La Semaine Africaine » du 16 juin : « Pour que la raffinerie ne s’arrête pas, il faut que le gouvernement fasse la subvention. Quelque part, il faut toujours avoir la possibilité de faire ces subventions-là : ce que les partenaires du Fonds monétaire et de la Banque Mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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n’acceptent pas, parce qu’ils considèrent cela comme de la mauvaise gestion. » Aider son peuple serait donc de la « mauvaise gestion » !
Le Congo n’est pas obligé d’obéir à cet ordre du FMI. Le Congo donne déjà 38 à 40% de son budget au FMI pour rembourser sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, dette augmentée année après année par le simple jeu des intérêts et retards de paiement et non par augmentation des prêts. Il n’a donc pas à sacrifier encore un peu plus son budget et sa population pour donner au FMI les milliards de cette subvention vitale pour la population.
Les associations Solidaires et APASH, associations du réseau CADTM, tentent depuis 2 ans de coordonner leurs actions
Action Actions Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales. au Congo Brazzaville. Solidaires étant essentiellement basée à Pointe-Noire et APASH à Brazzaville, cette collaboration est rendue difficile par les conditions de vie dans le pays (coupures de courant, coût des communications téléphoniques, absence d’internet à domicile et lenteur de la connexion...) mais surtout par la distance entre les deux villes (510km), ralliées surtout par avion ou éventuellement par train une fois par semaine mais dans des conditions extrêmes et en traversant des zones non sécurisées. Le coût du voyage par avion étant celui du salaire d’un enseignant, le voyage ne peut que rarement être envisagé. De ce fait, organiser une action nationale se révèle lent et compliqué. Cependant, les deux associations ont décidé de faire des actions conjointes (conférences, émissions...), dans le cadre des Journées d’information sur les politiques de la Banque mondiale et du FMI du 14 au 20 septembre 2006 et ont initié leur collaboration par une action contre l’augmentation des prix du carburant décrétée par le gouvernement congolais sur injonction du FMI. En effet, le Congo a été sommé de cesser sa subvention à la raffinerie nationale afin de rembourser ses arriérés au FMI, conséquence de l’accession du pays au « point de décision » de l’Initiative PPTE en mai 2006. Ainsi, alors que les chauffeurs de taxi des deux villes se mettaient en grève, les deux associations ont communiqué quotidiennement par mail et participé à des réunions simultanées afin de coordonner l’action avec 33 autres associations réunies au sein d’un collectif informel [1] diffusant les mêmes documents à Brazzaville et à Pointe-Noire. |
Source : Les Autres Voix de la Planète n°32.
[1] collectifcarburant chez yahoo.fr
26 janvier 2021, par Isabelle Likouka , Victor Nzuzi , Attac-Togo , Ndongo Samba Sylla , Milan Rivié , Aboubacar Issa , Oudy Diallo
28 septembre 2005, par Isabelle Likouka
27 mars 2004, par Damien Millet , Isabelle Likouka
24 décembre 2003, par Damien Millet , Isabelle Likouka