Une histoire de l’endettement des banques slovènes

16 mars 2016 par Chiara Filoni


La crise de la dette publique en Slovénie, comme dans le reste des pays de la périphérie européenne, a son origine dans le secteur privé, et en particulier celui des banques, destinataires privilégiées d’un flux constant de prêts provenant des banques étrangères. C’est à partir du début des années 2000 que ce phénomène, qui approfondira plus généralement la dépendance économique des pays dits « périphériques » de l’Union européenne, se vérifie avec une intensité sans égale. Comme ailleurs en Europe, l’endettement (privé) des banques se révèlera être la première cause d’endettement (public) pour le pays.



En 1995, la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique slovène atteint 18,3 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
et jusqu’à 2004 ce niveau ne dépasse jamais 30%, tandis que la partie externe de la dette publique reste toujours inférieure à 10% en moyenne, pour les mêmes années. C’est la période dite de pré-crise ou de croissance basée sur l’accumulation interne (1995-2004) qui privilégie le capital domestique sur le capital étranger. L’État maintient le contrôle dans des secteurs clés de l’économie. Les trois plus grandes banques par exemple, Nova Ljubljanska Banka (NLB), Nova Kreditna Banka Maribor (NKBM) et Abanka, sont possédées par l’État. [1]

L’entrée de la Slovénie dans l’Union européenne en 2004 encourage un flux de crédit sans précédent qui confluent directement dans les entreprises domestiques, en particulier dans le secteur de la construction, en expansion. C’est la période dite de croissance via l’endettement (2004-2008), où les banques ont accès a des crédits faciles depuis l’étranger, grâce à la convergence de deux phénomènes : la baisse des taux d’intérêts dans l’Eurozone et l’augmentation de ces derniers en Slovénie. En 2005, la dette privée des entreprises s’élevait à 101% du PIB, en 2010 elle était déjà passée à 144%. Entre 2004 et 2008, la dette externe des banques slovènes augmente de 13 milliards d’euros.

Du côté de la demande, ce phénomène fut alimenté par une plus grande liquidité Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
à disposition de certains emprunteurs slovènes (riches familles et entreprises), enrichis grâce à la précédente période de croissance et à l’augmentation des prix de l’immobilier. Les mêmes riches qui désormais commencent à remplacer leurs dépôts bancaires par des titres et des investissements plus rentables, mais aussi plus risqués, en faisant diminuer les épargnes domestiques. [2]

La troisième période, encore en cours, commence en 2008 avec l’explosion de la crise financière en Europe. Entre 2008 et 2013, la Slovénie perd plus de 9 points de PIB à cause de la crise qui s’abat sur le pays, l’un des plus touchés de l’Eurozone. [3] Dans la seule année 2009, le PIB par habitant baisse de 7,9 % (le plus gros déclin de l’UE après les pays baltes), tandis que les exportations diminuent de 16,1% dans la même année. Les entreprises sont au bord de la faillite et les bilans des banques (leurs préteurs) se retrouvent en conséquence dans le rouge. Suite à cette brusque contraction en 2009, l’économie se rétablit un peu en 2010 et 2011, pour retomber ensuite dans une seconde récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. en 2012. [4]

Le boom du crédit facile depuis l’étranger avait été facilité par l’adoption de l’euro : l’entrée dans la zone euro ne permettait plus à la Slovénie de dévaluer sa monnaie afin de maintenir les exportations compétitives. Le seul moyen pour maintenir la croissance était donc la dépendance des prêts à bon marché depuis l’étranger. [5]

En même temps, l’État slovène et la Banque de Slovénie (BS) avaient également facilité la prolifération de dettes du secteur privé et permis une diminution du flux de revenus dans les caisses publiques. Des mesures, visant à couper la taxation pour les détenteurs de capitaux et les plus riches, avaient déjà été adoptées à partir de la période pré-crise, tandis que l’expansion du crédit fut favorisée par l’adoption de nouveaux standards internationaux, [6] considérablement moins sévères que les précédents standards slovènes en ce qui concerne les prérequis sur les réserves bancaires.
Les grandes entreprises y gagnent des bénéfices non négligeables, tandis qu’une bulle dans le secteur de l’immobilier explose. [7]

Lors de l’éclatement de la crise, les banques slovènes n’étaient plus capable d’honorer leurs engagements vis-à-vis des banques étrangères. Les obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
des banques slovènes envers les banques étrangères passent de 16 milliards en 2008, à seulement 4,5 milliards en 2014.
Une bonne partie de la différence fut couverte par l’État slovène. Selon Maja Breznik et Rastko Močnik, les recapitalisations bancaires ont coûté à l’État 5,2 milliards d’euros, auxquels il faut rajouter 1,5 milliard supplémentaire de transfert de créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). douteuses à la BAMC, « The bank asset management company », la nouvelle bad bank Bad bank Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté.  [8] créée en 2013.

En 5 ans, entre 2007 et 2012, les deux plus grandes banques slovènes, NLB et NKBM, furent recapitalisées à plusieurs reprises, en soutenant indirectement la recapitalisation de la banque belge KBC, qui détenait près d’un tiers des parts de NLB.

La dette de l’État slovène augmente donc de plus de 6,7 milliards entre 2011 et 2014. L’État slovène entreprend le transfert de crédits douteux en 2012, malgré l’alarme de différents économistes sur les coûts de ce transfert : les directives concernant la création de la bad bank étaient claires sur le fait que le but de cette création n’était pas le rétablissement des banques, mais la vente des actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
toxiques afin de nettoyer leur bilan, pour qu’elles puissent reprendre leurs activités. Les banques furent obligées par la loi, à vendre au moins 10% de leur capital, et la bad bank, qui compte dans son portfolio à la fois des crédits douteux et des crédits sains, crée les conditions pour que ces derniers deviennent à leur tour tout aussi douteux.
À la fin 2013, le montant des créances douteuses s’élevait à 8 milliards d’euros. De ce montant, 3,3 milliards ont été injectés dans la bad bank en échange de bonds garantis par l’État.

Comme si cela ne suffisait pas, une autre partie de la dette externe est en train d’être payée avec la vente à l’étranger d’actifs (dont des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
d’entreprises en faillite), utilisés comme collatéraux pour les crédits non payés. Par conséquence, les banques contribuent de manière substantielle au processus de privatisation progressive et de liquidation du patrimoine du pays. En 3 ans, de 2012 à 2015, trois gouvernements se succèdent à cause de crises politiques et personne, sauf le gouvernement de Lenka Bratušek, ne renonce à l’austérité. Le nouveau gouvernement de Miro Cerar, actuellement premier ministre de la Slovénie, continue à appliquer des politiques de privatisations et d’austérité au nom du paiement de la dette.

Selon Franček Drenovec, [9] déjà lors de la période de pré-crise, les gouvernements ont appliqué des réformes fiscales en faveur des détenteurs de capitaux et des plus riches. Jusqu’à 2008, les conséquences de ce manque à gagner pour l’État (qui signifie pour ce dernier, nécessité d’emprunter) s’élevaient à 650 millions d’euros par an, ce qui équivaut à 1,7 % du PIB. Aujourd’hui, la tendance s’accélère encore et atteint le seuil de 2,5 % du PIB.

Voilà le deuxième grand facteur d’accumulation de la dette publique, après le coût des sauvetages bancaires. Ces derniers ont coûté à l’État plus de 15 % du PIB, tandis que le coût total du manque à gagner à cause des réformes fiscales s’élève à 14 % du PIB.

Jusqu’à quand continuerons-nous à payer pour leur crise ?

L’économie-dette slovène en quelques chiffres [10]

En % du PIB EN chiffres absolus
Dette publique slovène 1995 18% 2,9 milliards
Dette publique slovène 2015 83,5% 36 milliards d’euros
Taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
sur la dette publique en 2014
3,3% 1,5 milliard
Montant des créances douteuses fin 2013 18% 8 milliards d’euros
Coût total de la recapitalisation des banques 15,8% 6,7 milliards d’euros de dettes pour l’État
Coupes dans la taxation des couches les plus riches 14% 5,1 milliards d’euros

Notes

[1Pistotnik A., Živčič L., Impact of international finance and other institutions on key policies in Slovenia, March 2015, publication disponible sur http://www.sinteza.co/wp-content/uploads/2015/11/07-Pri-re%C5%A1evanju-krize-smo-poslu%C5%A1ali-le-tuje-akterje-%C5%A0TUDIJA-aa.pdf

[2Furlan S., Slovenia : Drowed in debt after ten years of Eu membership, 16 December 2015, disponible sur http://cadtm.org/Slovenia-Drowned-in-debt-after-ten

[3La Slovénie est entrée dans la zone euro en 2007.

[5Živković A., The future lasts a long time : a short history of European integration in the exYugoslavia, 25 octobre 2013, disponible sur LeftEast : http://www.criticatac.ro/lefteast/the-future-lasts-a-long-time-a-short-history-of-european-integration-in-the-ex-yugoslavia-2

[6Il s’agit de normes internationales d’information financière (NIIF), plus connues sous leur nom anglais d’International Financial Reporting Standards (IFRS), sont des normes comptables, destinées aux entreprises cotées ou faisant appel à des investisseurs afin d’harmoniser la présentation et la clarté de leurs états financiers. Elles remplacent progressivement divers standards nationaux concernant les normes comptables.

[7Idem 4

[8Breznik M., Močnik R., Who owes whom ? dans Furlan S., Slovenia : Drowed in debt after ten years of Eu membership, 16 December 2015, disponible sur http://cadtm.org/Slovenia-Drowned-in-debt-after-ten

[9Drenovec F., Formation of the public debt in Slovenia, in Furlan S., Slovenia : Drowed in debt after ten years of Eu membership, 16 December 2015, disponible sur http://cadtm.org/Slovenia-Drowned-in-debt-after-ten

[10Les chiffres pas présentés dans le texte sont pris du site de la Banque mondiale

Autres articles en français de Chiara Filoni (58)

0 | 10 | 20 | 30 | 40 | 50