Série : Comprendre ce qui s’est passé en Grèce en 2015 quand l’espoir venait d’Athènes
27 mars par Eric Toussaint

Mr Yanis VAROUFAKIS et Mr Jeroen DIJSSELBLOEM, Président de l’Eurogroupe en 2015. EU Council Eurozone, Flickr, CC, https://www.flickr.com/photos/92227533@N07/16901679904
Dans cette partie, nous nous concentrerons sur les premiers jours du gouvernement Tsipras, durant lesquels Varoufakis s’est empressé de mettre en œuvre sa stratégie de négociation avec les créanciers européens. Nous verrons que cette stratégie était vouée à l’échec, car Varoufakis se refusait à entrer dans une confrontation avec la BCE, qui, elle, avait décidé d’asphyxier la Grèce dès le 4 février 2015. Et les propositions qu’il a mis en avant allaient, sur des points essentiels comme la dette, à l’encontre du programme de Syriza sans pour autant rencontrer le soutien des dirigeants européens.
Un gouvernement issu de la gauche radicale qui proposait des solutions libérales classiques pour résoudre cette crise (Yanis Varoufakis)
Yanis Varoufakis raconte qu’au cours des derniers jours de la campagne électorale de janvier 2015, Alexis Tsipras a reçu un message envoyé par Jörg Asmussen [1], un conseiller de la direction du SPD, membre de la grande coalition dirigée par Angela Merkel. Il se proposait pour aider un futur gouvernement Syriza dans les prochaines négociations avec les institutions européennes. Il indiquait qu’il serait possible de prolonger le mémorandum en cours afin de donner au gouvernement le temps de poursuivre la voie des réformes prévues par le mémorandum de la Troïka et d’arriver à un nouvel accord.
Jörg Asmussen recommandait à Tsipras et à son équipe de chercher à collaborer avec Thomas Wieser (social-démocrate autrichien), qui jouait un rôle clé dans l’Eurogroupe et pouvait constituer un allié du gouvernement grec lors des futures négociations. Le courriel de Jorg Asmussen comprenait une pièce jointe rédigée par Thomas Wieser. Tsipras et Varoufakis ont ainsi appris que, selon Thomas Wieser, la BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
ne comptait pas reverser à la Grèce les profits réalisés sur les titres grecs qu’elle détenait, et ce, en contradiction avec les promesses faites en 2012 [2]. Le montant auquel la Grèce avait droit et qu’elle ne recevrait pas s’élevait à un peu moins de 2 milliards €, ce qui constitue une somme considérable pour un pays de la taille de la Grèce. Cela correspondait à l’estimation du coût total des mesures humanitaires que Syriza avait promis de réaliser (voir l’encadré sur le Programme de Thessalonique). Ils apprenaient également de manière officieuse que la Troïka ne verserait aucune des sommes encore promises dans le cadre du 2e mémorandum qui arrivait à échéance le 28 février 2015. Il s’agissait de versements que le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
Cliquez pour plus de détails.
et le FESF étaient censés réaliser avant la fin du 2e mémorandum [3]. L’avertissement était donc très clair : la Troïka prévoyait d’asphyxier financièrement le futur gouvernement dirigé par Syriza.
Dans ce document reçu avant les élections, Thomas Wieser présentait comme une occasion à saisir, le fait de prolonger le 2e mémorandum pendant une période à déterminer. Varoufakis a envoyé une réponse en insistant pour que la somme due à la Grèce sous la forme des bénéfices réalisés par la BCE sur les titres grecs soit bel et bien versée. Cependant, selon Varoufakis, la perspective de prolonger le mémorandum au-delà du 28 février constituait une option à concrétiser. Or c’était en contradiction totale avec un des engagements principaux pris par Syriza lors de la campagne électorale : mettre fin au mémorandum dès les premiers jours du gouvernement.
Ensuite les évènements s’accélèrent. Les élections du 25 janvier 2015 sont remportées par Syriza. Le gouvernement Syriza – ANEL se met en place le 27 janvier. Varoufakis ne prend pas la peine de décrire la composition du gouvernement et se concentre sur quelques points qui le concernent directement. Il indique qu’il a eu une première difficulté avec Alexis Tsipras : Varoufakis souhaitait que ses alliés, Euclide Tsakalotos [4] et George Stathakis [5], soient désignés aux deux postes ministériels directement reliés au ministère des Finances. Or Tsipras avait décidé de désigner à l’un de ces deux postes Panagiotis Lafazanis, dirigeant de la plateforme de gauche au sein de Syriza, partisan de la suspension unilatérale du remboursement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et favorable à la préparation de la sortie de l’euro. Varoufakis écrit : « Lafazanis à la tête du ministère du Redressement productif. C’était une catastrophe ». Il poursuit : « Avec Lafazanis à la tête d’un ministère aussi important et Euclide – qui approuvait notre pacte – hors du gouvernement, ma stratégie de négociation était carrément mise à mal. » [6]. Selon Varoufakis, Tsipras a refusé de déboulonner Lafazanis en avançant l’argument suivant : « J’ai besoin de Lafazanis au gouvernement, à la tête d’un ministère économique, pour éviter qu’il nous emmerde de l’extérieur. Si je lui retire son poste alors qu’on prête serment demain, il sera encore plus remonté contre moi. La Plateforme de gauche sera vent debout contre nous. » [7]
Pour rappel, par la suite, Lafazanis s’est opposé à la capitulation de juillet 2015, a démissionné comme ministre, en tant que député a voté contre le 3e mémorandum, a quitté Syriza avec une vingtaine de députés et de nombreux militants pour constituer Unité populaire, une nouvelle organisation politique.
Finalement, Varoufakis a convaincu Tsipras de proposer à Tsakalotos le poste de vice-ministre des Affaires étrangères chargé des questions économiques, de manière à ce qu’il puisse participer aux négociations avec les créanciers et à tous les déplacements à Bruxelles.
Il met en évidence ce qu’il appelle le cabinet de guerre (il semble que ce soit le terme qui était utilisé aussi par Tsipras et ceux qui en faisaient partie), c’est-à-dire le cercle des ministres et des responsables directement reliés à la stratégie de Tsipras. Voici ce que dit Varoufakis, de ce cabinet de guerre : « Lorsque ses membres se trouvaient en Grèce plutôt qu’à Bruxelles ou ailleurs, le cabinet de guerre se réunissait tous les jours. En faisaient partie Alexis Tsipras, le vice-Premier ministre Dragasakis, l’alter ego d’Alexis, Nikos Pappas, moi-même, Euclide Tsakalotos et Spyros Sagias, le secrétaire de cabinet. Se joignaient souvent à nous Chouliarakis, président du Conseil des économistes, et Gabriel Sakellaridis, le porte-parole du gouvernement » [8].
On voit clairement avec le témoignage de Varoufakis qu’un noyau informel contrôlé par Tsipras-Pappas-Dragasakis prenait les décisions clés sans consulter le gouvernement, sans consulter le groupe parlementaire et sans consulter la direction de Syriza.
Yanis Varoufakis explique que dans les trois premiers jours de ses fonctions comme ministre, il s’est attelé à organiser la direction de son ministère, mettre au travail son équipe de collaborateurs, estimer les liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
dont le gouvernement disposait pour le paiement de la dette et le fonctionnement de l’État (paiement des retraites et des salaires des fonctionnaires publics…). La réponse qu’on lui a fournie sur cette dernière question était la suivante : entre 11 jours et 5 semaines.
Yanis Varoufakis explique également que son ministère avait été largement affaibli par la Troïka : trois services qui lui étaient reliés échappaient en partie au pouvoir du ministre : l’organisme qui était chargé de la recapitalisation des banques privées (le FHSF), l’organisme chargé de la privatisation (le TAIPED) et l’administration des recettes fiscales qui avait à sa tête une directrice provenant du privé.
Il ajoute qu’il s’est rendu compte le 30 janvier que Dragasakis et Tsipras avaient pris la décision d’affaiblir un peu plus son ministère en lui retirant toute compétence concernant les banques. Alors qu’il affirme dans son livre qu’il avait obtenu l’accord de Tsipras-Pappas et Dragasakis pour proposer aux créanciers européens de prendre possession des banques grecques, il accepte d’abandonner ce projet dès le début de ses fonctions. Voici comment il relate cet épisode : « Le dernier sujet de notre réunion nocturne était les banques grecques. Je leur ai demandé des idées pour préparer la confrontation qui aurait lieu le jour où je soumettrais ma proposition pour les « européaniser » en les rattachant à l’UE. Quand soudain Wassily [Kafouros] [9] m’a interrompu.
– Les carottes sont cuites, Yánis, dit-il en me tendant un arrêté arrivé dans la soirée.
Il venait du bureau du vice-Premier ministre et était dûment cacheté par le secrétariat du cabinet. L’arrêté stipulait que la juridiction de tout ce qui concernait les banques avait été déplacée du ministère des Finances au bureau du vice-Premier ministre.
– Ne me dis pas que je ne t’avais pas prévenu, m’a lancé Wassily. Dragasakis prend ses copains banquiers sous son aile pour les protéger des mecs comme toi.
Il avait sans doute raison, hélas, mais je n’avais pas le choix, sinon d’accorder le bénéfice du doute à Dragasakis. » [10]
Comme je l’ai déjà souligné clairement, cette proposition de transfert des banques aux créanciers européens était inacceptable du point de vue des intérêts du peuple grec. Mais il est frappant de constater que Varoufakis, qui avait fait de cette question une des six conditions sine qua non pour accepter de devenir ministre des Finances, y a renoncé sans combattre dès les premiers jours de son ministère. Ce fut le début d’une longue suite de renonciations de la part de Varoufakis, y compris par rapport à sa stratégie de négociation dont j’ai déjà montré les insuffisances et les incohérences.
Yanis Varoufakis explique qu’avec ses collaborateurs il a planché sur plusieurs projets très concrets. Certains sont tout à fait intéressants : la possibilité de mettre en place un système parallèle de paiement en cas d’affrontement avec les créanciers, la remise en cause d’une décision du gouvernement antérieur de développer les jeux de hasard pour augmenter les recettes publiques, certains dispositifs pour lutter contre la grande fraude fiscale… D’autres projets étaient cependant plus que douteux, voire tout à fait inadmissibles. Il s’agit notamment d’un projet d’amnistie fiscale que Varoufakis présente de la manière suivante : « Je devais également annoncer que dans les quinze jours à venir, le site du ministère des Finances ouvrirait un portail sur lequel tout citoyen pourrait officiellement enregistrer des revenus jamais déclarés jusqu’ici pour les années 2010-2014. Seuls 15 % de ces sommes seraient requis à titre d’arriérés fiscaux, payables par carte de crédit ou sur Internet. En échange, le payeur aurait un reçu électronique qui lui garantirait l’immunité contre toute poursuite pour fraude antérieure [11] ».
Cette initiative est d’autant plus scandaleuse qu’elle s’accompagnait d’une autre proposition visant à « débusquer les centaines de milliers d’opérations de petites fraudes et infliger un traitement de choc à la société grecque pour corriger ses mœurs » [12].
Le 30 janvier, à Athènes, la conférence de presse qui a suivi la première rencontre de Varoufakis avec Jeroen Dijsselbloem, le ministre socialiste hollandais qui présidait l’Eurogroupe à l’époque, a largement contribué à donner une image très radicale de Varoufakis dans l’opinion grecque et étrangère. Toutes les télévisions du monde ont montré l’affrontement théâtral entre Varoufakis et Dijsselbloem. Yanis Varoufakis apparaît comme un rebelle face à un Dijsselbloem arrogant et manifestement grossier dans son rapport à un ministre auquel il rendait visite.
Varoufakis relate la scène de la manière suivante : À la fin de la conférence de presse du 30 janvier à Athènes, Jeroen Dijsselbloem “a bondi sur ses pieds pour sortir, furibond, mais j’ai réussi à le bloquer en lui tendant la main. Surpris par mon geste, comme il était obligé de passer devant moi, il l’a serrée maladroitement mais sans s’arrêter. Les photographes ont adoré : la séquence montre un Président d’Eurogroupe malotrus qui me bouscule avant de me serrer la main comme il se doit. » Il poursuit : « Cette conférence a fait date. Désormais les rues d’Athènes ne seraient plus les mêmes, en tout cas pour moi. Tous, chauffeurs de taxi, bourgeois propres sur eux, femmes âgées, écoliers, policiers, pères de famille conservateurs, nationalistes, récalcitrants de la gauche de la gauche – une société entière dont la fierté et la dignité avaient été vilipendées par la servilité du gouvernement précédent – m’arrêtaient dans la rue pour me remercier de ces quelques minutes. [13] »
Les médias dominants ont attaqué Varoufakis, mais le comportement des représentants de la Troïka s’apparentait tellement à celui de dignitaires étrangers se comportant en terrain conquis et incapables de supporter le moindre signe de résistance que Varoufakis est apparu comme le symbole d’un gouvernement anticonformiste qui résiste à l’injustice des puissants. Pourtant, cette image ne reflétait aucunement la stratégie effectivement adoptée par Varoufakis, notamment en ce qui concernait ses désaccords déjà mentionnés relatifs au programme de Thessalonique.
Le programme de Thessalonique, présenté en septembre 2014, promettait de mettre fin au second mémorandum et de le remplacer par un plan de reconstruction nationale, d’obtenir un effacement de la plus grande partie de la dette publique, de rompre avec l’austérité, de rendre au peuple grec la jouissance d’une série de droits sociaux, de rétablir largement les salaires et les retraites dans l’état préexistant au mémorandum de 2010, de mettre fin aux privatisations, de prendre le contrôle des banques, de créer une banque publique de développement, de réduire les dettes des ménages à bas revenus à l’égard de l’État et des banques privées, de créer 300 000 emplois, de faire revivre la démocratie (voir l’Encadré : Extraits du programme de Thessalonique).
Comme on l’a vu, Varoufakis était opposé à ce programme et il le déclare haut et fort dans son livre.
Il affirme avoir accepté le poste de ministre à la condition de pouvoir mettre en œuvre six mesures économiques prioritaires. Pour rappel, voici ses six priorités : « La restructuration de la dette vient en premier lieu (sans réduction du stock de la dette
Stock de la dette
Montant total des dettes.
alors que le programme de Thessalonique affirme qu’il faut un effacement de la plus grande partie de la dette publique, NDLR). Deuxièmement, un excédent primaire ne dépassant pas 1,5 % du revenu national et pas de nouvelles mesures d’austérité. Troisièmement, des réductions d’ampleur des impôts des sociétés. Quatrièmement, des privatisations stratégiques avec conditions préservant les droits du travail et relance des investissements. Cinquièmement, la création d’une banque de développement qui utiliserait les actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
publics restant comme caution pour générer de l’investissement de l’intérieur, et dont les dividendes seraient canalisés dans les fonds de pension
Fonds de pension
Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers.
publics. Sixièmement, une politique de transfert des actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
et de la gestion des banques à l’UE (…). [14] »
Parmi ces six priorités, seules la deuxième et la cinquième coïncident avec le programme de Thessalonique. Or ces deux priorités ont été abandonnées dès l’accord du 20 février 2015 (voir plus loin).
Extraits du programme de Thessalonique présenté par Alexis Tsipras en septembre 2014 (13 septembre 2014)
A. Mesures pour remédier à la crise humanitaire
B. Mesures pour relancer l’économie
C. Plan de reprise de l’emploi
D. Interventions pour la reconstruction institutionnelle et démocratique de l’État
|
Contrairement à l’image caricaturale présentée par les médias dominants et par les gouvernements des pays créanciers, Varoufakis, comme négociateur principal, a fait des propositions très modérées à la Troïka, propositions qui étaient très clairement en retrait par rapport au programme de Thessalonique, certaines d’entre elles étaient clairement en contradiction avec le programme. Il a assuré à ses interlocuteurs que le gouvernement grec ne demandait pas une réduction du stock de la dette. Il proposait que les créances détenues par la Troïka sous différentes formes soient transformées en créances de plus longue durée permettant au gouvernement de réduire la part du budget consacrée au remboursement annuel.
Yanis Varoufakis n’a pas non plus remis en question la légitimité ou la légalité des créances réclamées à la Grèce – ce qui est très grave. Il n’a pas mis en avant le droit et la volonté du gouvernement grec de réaliser un audit des dettes de la Grèce. Dans son livre, il n’y a pas un mot sur la commission d’audit mise en place par la présidente du parlement grec Zoé Konstantopoulou. Pas un seul mot. S’il n’en parle pas, ce n’est pas que cette initiative soit passée inaperçue en Grèce, au contraire elle a fait beaucoup de bruit. Il a choisi de faire le silence complet sur cette importante initiative car elle ne rentrait pas du tout dans sa vision de la négociation. Nous reviendrons sur cela au chapitre 9.
Yanis Varoufakis a proposé à la Troïka d’aménager une partie du mémorandum en cours en le prolongeant et en adaptant certaines des mesures prévues. Il a affirmé de manière répétée que 70 % des mesures prévues par le mémorandum étaient acceptables. Il a ajouté que certaines mesures qui devaient encore être appliquées étaient positives mais que 30 % du mémorandum devaient être remplacés par d’autres mesures ayant un effet neutre sur le budget, c’est-à-dire que les mesures nouvelles et notamment celles prévues pour faire face à la crise humanitaire n’augmenteraient pas le déficit prévu par le gouvernement Samaras car elles seraient contrebalancées par des revenus supplémentaires ou par des réductions de dépenses dans certains domaines. Varoufakis a de même affirmé que le gouvernement qu’il représentait ne reviendrait pas sur les privatisations qui avaient été réalisées depuis 2010 et qu’en plus certaines privatisations supplémentaires étaient tout à fait envisageables du moment que le prix de vente soit suffisamment élevé et que les acquéreurs respectent les droits des travailleurs.
Yanis Varoufakis a également affirmé que le salut de la Grèce était conditionné par son maintien dans la zone euro. Et il s’est bien gardé de mettre en avant, face à ses interlocuteurs, la partie du programme de Syriza qui impliquait que l’État grec prenne le contrôle des banques privées grecques alors qu’il en était l’actionnaire principal et en avait supporté les pertes jusqu’ici.
Certes, si Varoufakis a affirmé à plusieurs reprises au début de son mandat que la Troïka n’avait pas de légitimité démocratique et que le gouvernement ne collaborerait pas avec elle, à la lecture de son livre, on se rend compte très vite qu’en pratique, il a accepté le maintien de la Troïka. Celle-ci n’a disparu qu’au niveau du discours officiel. La seule concession que la Troïka a faite a consisté à accepter qu’on fasse semblant qu’elle n’existait plus. En réalité, elle a continué à fonctionner et ce de manière implacable et tangible. Yanis Varoufakis montre qu’elle était présente à tous les moments clés de la négociation et des prises de décision. Elle n’a jamais cessé d’exister ou d’agir.
Yanis Varoufakis décrit bien à quel point la dette constituait un fardeau insupportable. Il écrit que, quelques jours avant les élections, il avait calculé le montant qu’il était prévu de rembourser au cours de l’année 2015. Je le cite : « J’ai découvert que pour la seule année 2015 l’État grec aurait besoin de 42,4 milliards d’euros pour « rouler » sa dette, soit 24 % du revenu national. Même en admettant que la troïka débourse ce que stipulait le second renflouement, il nous manquerait 12 milliards. Pour la Grèce, privée de la possibilité d’emprunter à des investisseurs privés, avec des caisses vides et une population exsangue, payer ses dettes se résumait à une chose : piller ce qui restait dans les réserves des fonds de pension, des municipalités, des hôpitaux et des établissements publics tout en mendiant à la troïka des emprunts colossaux, puis s’engager à pressuriser les retraités, les municipalités, les hôpitaux et les établissements publics encore un peu, tout ça pour rendre ses sous à la troïka. Seule une lobotomie aurait pu me persuader que cette solution était dans l’intérêt de notre peuple. » [51] Plus loin, il revient sur le sujet à l’occasion de sa première rencontre avec le président de l’Eurogroupe le 30 janvier à Athènes lors de laquelle il lui rappelle que « les remboursements prévus pour la seule année 2015 représentent 45 % de la totalité des impôts que le gouvernement espère percevoir ». [52]
Le problème, c’est qu’en s’engageant le 20 février à poursuivre le remboursement intégral de la dette selon le calendrier prévu jusqu’au 30 juin 2015, il a accepté une situation pire que l’enfer décrit plus haut puisque les créanciers ne se sont pas engagés à réaliser le moindre versement. Or il fallait rembourser 7 milliards d’euros d’ici la fin juin 2015... Cette somme de 7 milliards est à comparer avec le coût estimé de l’ensemble des mesures humanitaires promises dans le programme de Thessalonique qui s’élevait à 2 milliards pour l’ensemble de l’année 2015. En réalité, à cause du paiement de la dette, selon mon estimation personnelle, le gouvernement de Tsipras n’a pas dépensé plus de 200 millions d’euros en matière de réponse à la crise humanitaire entre février et juin 2015, ce qui était tout à fait insuffisant. Cela indique très clairement, qu’en acceptant de poursuivre les remboursements sans avoir la garantie de recevoir de l’argent frais de la part des créanciers, la situation ne pouvait être que pire pour le peuple grec. Cela impliquait aussi que le deuxième mémorandum devrait être suivi par un troisième mémorandum afin que les créanciers accordent de nouveaux prêts qui serviraient à rembourser les anciens.
Yanis Varoufakis a beau affirmer qu’une autre issue était possible, celle-ci était tout à fait chimérique car basée sur le fait que les créanciers pourraient être convaincus, par la simple discussion, de permettre à la Grèce de mettre fin aux aspects les plus antisociaux des politiques d’austérité, de la libérer du carcan du mémorandum et de lui permettre de réduire fortement les montants à rembourser au cours de l’année 2015 (sans toucher au stock total). Cela ne tenait pas debout.
La réunion du 30 janvier entre Varoufakis et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, indiquait très clairement que celui-ci refusait de prendre en compte le mandat donné par le peuple grec au gouvernement de Tsipras. Il refusait de remplacer le mémorandum par un nouvel accord, il refusait même de modifier ce mémorandum. Il indiquait clairement que la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne pourrait empêcher les banques grecques d’avoir accès normalement aux liquidités.
Afin de tenter de modifier la situation et de trouver des appuis, Varoufakis décide d’aller à la rencontre des dirigeants français et italiens (les deux gouvernements étaient « socialistes » et censés soutenir le gouvernement grec dans sa volonté de desserrer l’étau de l’austérité imposée par la Commission européenne), des dirigeants britanniques qui menaient à ce moment-là une politique de relance économique au prix d’un déficit fiscal grandissant. Ensuite, il se rendrait à Francfort pour rencontrer la direction de la BCE afin d’essayer de l’amadouer. Et enfin il irait à Berlin.
Avant d’entamer son périple, il participe à une rencontre avec le trio Tsipras-Pappas et Dragasakis. Il obtient le feu vert pour ne pas demander un effacement de dette aux dirigeants qu’il va rencontrer. Il obtient aussi leur accord pour ne pas invoquer de droit moral à un allègement de dette. Ce faisant, Varoufakis renonçait à un argument fondamental pour convaincre l’opinion publique internationale et mettre en difficulté les créanciers sur un de leurs principaux points faibles.
Yanis Varoufakis reconnaît que cet accord passé en secret avec le trio s’opposait à l’orientation officielle de Syriza : « la position de Syriza était très claire : le parti exigeait ni plus ni moins qu’un effacement inconditionnel de la dette. La moitié des membres voulaient toujours une décote unilatérale de la majeure partie de la dette, la plupart n’imaginaient même pas l’idée d’un échange de dettes, or seul un pacte verbal fragile me liait au trio dirigeant. » [53]
En adoptant cette position, Varoufakis allait en toute conscience à la fois à l’encontre du programme sur lequel Syriza avait été porté au gouvernement et à l’encontre de la volonté des militants de Syriza.
A partir du 1er février 2015, six jours après le début du gouvernement, Varoufakis entame donc son premier tour d’Europe en tant que ministre. Il est accompagné d’Euclide Tsakalotos. Le dimanche 1er février, à Paris, Varoufakis a un agenda marathon : une réunion officielle avec Michel Sapin, ministre français des Finances, une autre avec Emmanuel Macron, ministre français de l’Économie, ainsi que quatre réunions officieuses avec Poul Thomsen, directeur adjoint du FMI chargé du département Europe, Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Benoît Cœuré, numéro deux de la BCE, et avec le chef du cabinet de François Hollande. Le lundi 2 février, à Londres, Varoufakis est reçu à Downing Street par George Osborne, le Premier ministre conservateur britannique, avant de donner une conférence devant deux cents financiers invités par la Deutsche Bank. Mardi 3 février, Varoufakis, se rend à Rome, pour rencontrer le ministre des Finances italien, Pier Carlo Padoan. Enfin, le mercredi 4 février, il a rendez-vous à Francfort avec Mario Draghi et les membres du Conseil exécutif de la BCE.
Yanis Varoufakis présente chaque fois sa proposition concernant un échange de dettes sans effacement ou réduction du volume [54]. Il précise également aux représentants des milieux financiers que le gouvernement payera rubis sur ongle la dette due au secteur privé (environ 15 % de la dette grecque étaient détenus par des investisseurs privés – banquiers grecs ou étrangers, fonds d’investissements, fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
, etc.).
Dans son livre, Varoufakis montre l’hypocrisie d’une série de dirigeants qu’il rencontre. Michel Sapin semble remporter la palme de la duplicité : en privé, il se montre favorable à la proposition de Varoufakis, à l’échange de dettes, à un aménagement important du mémorandum, à la solidarité avec le gouvernement grec, par contre lors de la conférence de presse, il adopte une toute autre posture.
En privé : « Michel (Sapin) m’a répondu comme un vrai compagnon d’armes : – La réussite de votre gouvernement sera notre réussite. Il est important que nous changions l’Europe ensemble et que nous remplacions cette rigueur obsessionnelle par un agenda pro-croissance. La Grèce en a besoin. La France en a besoin. L’Europe en a besoin. J’en ai profité pour mettre en avant les points-clés de la Modeste Proposition. La BCE pouvait restructurer une partie de la dette de la zone euro sans décotes et sans demander à l’Allemagne de payer pour les autres ni de garantir la dette publique des pays de la périphérie. (…). Michel m’a écouté attentivement jusqu’au bout avant d’affirmer que c’était la bonne voie pour l’Europe. » [55]
Lors de la conférence de presse, cependant, changement de ton : selon Michel Sapin, le gouvernement grec devait respecter ses obligations vis-à-vis des créanciers, Tsipras devait appliquer les accords signés par les gouvernements antérieurs.
Selon Varoufakis, lors de son contact privé avec le Commissaire Pierre Moscovici, celui-ci s’est comporté comme dans une discussion entre camarades disposés à unir leurs forces pour changer l’Europe [56]. Varoufakis constatera très vite qu’en réalité, Moscovici n’agit pas en allié du gouvernement grec. Notons aussi que Varoufakis ne manque pas, tout au long du livre, d’être élogieux à propos d’Emmanuel Macron, alors ministre français de l’Économie.
Le premier contact avec Benoît Cœuré, membre de la direction de la BCE, est tout à fait révélateur. Celui-ci a tout de suite demandé à Varoufakis si le gouvernement grec avait vraiment l’intention d’appliquer une décote sur les titres grecs que l’institution de Francfort détenait. Cette question pressante d’un dirigeant de la BCE montre que la direction de celle-ci craignait au plus haut point que la Grèce réduise la valeur des titres grecs qu’elle détenait. C’était parfaitement faisable et Varoufakis en avait parlé publiquement à plusieurs reprises avant de devenir ministre. Les titres grecs détenus par la BCE étaient toujours sous juridiction grecque car ils dataient des années 2010-2011. La BCE les avait achetés à environ 70 % de leur valeur et se faisait rembourser à 100 %, de même qu’elle faisait payer des taux d’intérêts tout à fait abusifs. Des titres équivalents détenus notamment par les fonds de pension publics grecs avaient subi un haircut de 53 % en mars 2012 tandis que la BCE avait refusé qu’on lui applique cette réduction. Le gouvernement grec aurait donc eu le droit moral et le droit tout court pleinement de son côté s’il avait appliqué une décote. On verra par la suite que, finalement, le gouvernement grec ne passera jamais à l’action sur ce dossier alors qu’il aurait dû le faire et qu’il aurait pu vaincre.
Au cours de la réunion entre Poul Thomsen et Varoufakis, le dirigeant du FMI pour l’Europe a expliqué qu’il était favorable à l’annulation de la dette de la Grèce à l’égard des quatorze États de la zone euro qui s’élevait à 53 milliards €. Alors que Varoufakis mettait en avant son projet d’échange de dettes sans effacement, Thomsen a déclaré : « Mais ce n’est pas assez. Il faut tout de suite annuler une partie de votre dette. Pas d’échanges, pas de dates limites. Vous retirez 53 milliards et vous les effacez. » [57] Il faut souligner que, de manière répétée, le FMI a fait des déclarations qui servaient à enfumer le gouvernement grec et l’opinion publique. Dire à Varoufakis qu’il fallait annuler 53 milliards de dettes bilatérales n’engageait en rien le FMI à concéder lui-même une réduction. C’était une diversion qui a été utilisée à de nombreuses reprises. De toute manière, le FMI, indépendamment de ces déclarations, a toujours exigé de la Grèce la poursuite des réformes néolibérales brutales.
À Londres, devant un parterre de banquiers et de responsables de fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. , Varoufakis explique que les créanciers privés n’ont rien à craindre. Il reprend la thèse de la faillite de l’État grec en 2010 qui plaît beaucoup aux milieux financiers car cela leur permet de concentrer l’attention sur la crise des finances publiques. Il explique à la City de Londres : « c’est vrai, notre gouvernement était divisé. Certains étaient en faveur du Grexit et ne voulaient pas négocier avec l’UE ni avec le FMI, convaincus qu’il n’en ressortirait rien. Mais il y avait les autres, nous, entourant le Premier ministre, dont le but était d’obtenir une solution négociée dans la zone euro. Attention, dis-je pour ajouter une note positive, cette division n’affecterait pas les négociations qui seraient menées par ma garde rapprochée. Nos collègues pro-Grexit ne nous barreraient pas la route, ils seraient patients, car nous étions déterminés à leur prouver qu’un accord viable était possible. A partir du moment où les créanciers officiels de la Grèce étaient prêts à signer un accord avantageux pour les deux parties, le monde de la finance n’avait rien à craindre de mes camarades de la Plateforme de gauche qui gouvernaient à mes côtés. » [58] À plusieurs reprises, Varoufakis a fait passer le message selon lequel la majorité du gouvernement adoptait une position tout à fait raisonnable, qui devait être soutenue car elle permettait de neutraliser, tant à l’intérieur du gouvernement que dans Syriza, ce qu’il considérait comme une extrême-gauche irresponsable. Varoufakis est absolument certain qu’il a convaincu son public : « Comme je l’avais fait remarquer aux financiers de la City (…), la gravité de la crise de l’euro se mesurait à ce paradoxe : c’était un gouvernement issu de la gauche radicale qui proposait des solutions libérales classiques pour résoudre cette crise. » [59]
Dans la soirée du 2 février, Varoufakis dîne avec deux de ses importants soutiens internationaux : le conservateur Lord Lamont et l’ex-spécialiste de la thérapie du choc, Jeffrey Sachs. « Au moment du café et des digestifs, je me disais que pour une fois j’avais peut-être réussi à faire passer le message. Financiers de Londres, politiciens Tory, journalistes d’influence, anciens membres du FMI, tous avaient l’air de comprendre mon point de vue. » [60] Il se félicite d’avoir rassuré les marchés car, le lendemain de son voyage à Londres : « Non seulement la bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). avait augmenté de 11,2 %, mais les actions des banques avaient augmenté de plus de 20 % » [61].
Lors de son passage à Rome où il a rencontré le ministre des Finances italien, celui-ci lui apprend qu’il a réussi à amadouer le gouvernement allemand et notamment Schaüble en faisant adopter une réforme du code du travail malgré les protestations sociales. « Autrement dit, diminuer les droits des salariés, et permettre aux entreprises d’en débaucher certains avec peu ou pas d’indemnités, et d’en embaucher d’autres avec des salaires plus bas et moins de protections sociales. Le jour où Pier Carlo Padoan avait réussi à faire voter la législation voulue au parlement, qui avait coûté cher au gouvernement Renzi, le ministre allemand était devenu beaucoup plus conciliant avec lui. – Pourquoi est-ce que vous ne tenteriez pas le même genre de tactique ? me dit-il. – Je vais y réfléchir. Je vous remercie pour le tuyau [62]. »
Finalement, c’est à cela que conduira la stratégie adoptée par Tsipras et Varoufakis. Dans la déclaration du ministre « socialiste » italien, il y a une profonde vérité. La logique suivie par les dirigeants européens consiste effectivement à infliger un recul profond des droits des travailleurs et une baisse des salaires de manière à ce que les produits européens soient plus compétitifs sur le marché mondial face à la Chine et aux autres grands exportateurs de produits manufacturés et de services. Le sort qui est infligé à la Grèce fait partie de cette stratégie et Varoufakis n’a pas voulu comprendre cela et s’y opposer radicalement. L’énorme dette grecque constitue fondamentalement l’arme utilisée par les créanciers publics pour faire de la Grèce un exemple de ce qu’il en coûte de prétendre résister au rouleau compresseur néolibéral et, bien sûr, pour imposer aux travailleurs grecs une réduction brutale de leurs droits.
Le 4 février à Francfort, Varoufakis est reçu par des dirigeants de la BCE : Mario Draghi, président de l’institution, et trois membres du directoire – le Français Benoît Cœuré, l’Allemande Sabine Lautenschläger et le Belge Peter Praet. Yanis Varoufakis est toujours accompagné d’Euclide Tsakalotos.
Mario Draghi annonce que le conseil des gouverneurs de l’institution monétaire de la zone euro déciderait probablement dans l’après-midi de couper l’accès des banques grecques aux liquidités que la BCE leur octroie. Comme l’écrit Varoufakis : « Il s’agissait d’un acte d’agression explicite et parfaitement calculé. » [63].
Cela mérite une explication. La Banque centrale européenne fournit des liquidités aux banques de la zone euro. Pour avoir accès à ces liquidités, les banques (qu’elles soient publiques ou privées) doivent déposer des titres financiers qui constituent une garantie. C’est ce qu’on appelle des collatéraux. Elles peuvent déposer différents types de collatéraux : des titres de dettes publiques, des obligations d’entreprises privées, etc. La Banque centrale européenne peut estimer que les banques d’un pays membre de la zone euro ne présentent pas suffisamment de garanties car elles sont en très mauvaise santé ou parce que les titres qu’elles proposent en garantie ne sont pas d’assez bonne qualité. Dans ce cas, elle leur ferme l’accès au crédit. Cela provoque évidemment un sentiment d’insécurité et les déposants, pour se protéger, retirent de manière plus ou moins rapide leurs dépôts.
Il reste une bouée de sauvetage pour les banques du pays concerné : demander à la banque centrale de leur pays de leur donner accès aux liquidités d’urgence. C’est la seule solution, et elle est coûteuse : la banque centrale du pays n’est autorisée à octroyer des liquidités d’urgence qu’en faisant payer aux banques une prime de risque Prime de risque Quand des emprunts sont accordés, les créanciers tiennent compte de la situation économique du débiteur pour fixer le taux d’intérêt. Un éventuel risque pour le débiteur de ne pas pouvoir honorer ses remboursements entraîne une hausse des taux d’intérêt pratiqués à son encontre. De la sorte, le créancier perçoit des intérêts plus élevés, censés le dédommager du risque pris en accordant ce prêt. . De plus, le volume des liquidités d’urgence est limité et il est adapté chaque semaine. Lorsqu’une situation s’est dégradée d’une manière telle qu’un pays doit avoir recours aux liquidités d’urgence pour se financer, la direction de la banque centrale du pays concerné se réunit chaque fin de semaine, le vendredi, et décide du volume de liquidités d’urgence qu’elle octroiera la semaine suivante aux banques sur la base d’une analyse de leur situation. Le volume est fixé en accord avec la Banque centrale européenne, qui a le pouvoir de limiter le volume autorisé. Plus grave : à tout moment, la Banque centrale européenne peut donner l’ordre à la banque centrale du pays d’arrêter d’octroyer les liquidités d’urgence. Dans ce cas, le gouvernement est amené à dire aux banques de fermer leurs portes. C’est ce qui est arrivé fin juin 2015 quand la BCE, afin d’influencer le vote des Grecs lors du référendum convoqué pour le 5 juillet, a décidé de mettre fin aux liquidités d’urgence. Cela a contraint le gouvernement grec à décider le dimanche 28 juin 2015 de ne pas ouvrir les portes des banques grecques le lundi 29 juin [64].
Revenons au 4 février 2015. La décision de fermer l’accès des banques grecques aux liquidités octroyées par la BCE faisait clairement partie d’une stratégie très agressive et rapide de déstabilisation du gouvernement grec. Cette stratégie avait été engagée avant même que les élections n’aient lieu. En effet, fin décembre 2014, alors que le gouvernement grec convoque des élections anticipées pour le 25 janvier 2015, le directeur de la banque de Grèce, Stournaras, ex-ami de Varoufakis, tient délibérément des propos qui alimentent les inquiétudes des déposants grecs. Yanis Stournaras, en coordination avec Samaras, cherche ainsi à influencer le choix des Grecs afin qu’ils votent en faveur du maintien des conservateurs de Nouvelle Démocratie au gouvernement après le 25 janvier. En conséquence de cela, les retraits de dépôts s’accélèrent à un rythme rapide [65]. Antonis Samaras mène une campagne sur le thème : « si vous votez pour Syriza, les relations avec Bruxelles vont se dégrader, la BCE va couper les liquidités, le chaos est au coin de la rue ». Malgré ce chantage, les Grecs ont porté Syriza au gouvernement mais Stournaras est resté le directeur de la Banque de Grèce – il est le plénipotentiaire de Draghi en Grèce et des dirigeants européens opposés à Syriza [66]. Le gouvernement de Tsipras aurait dû remplacer le directeur de la Banque de Grèce – il ne l’a pas fait, et l’on verra plus loin que Varoufakis explique que c’est lui-même qui a convaincu Tsipras de laisser Stournaras en place.
Déjà en 2014, Varoufakis avait affirmé qu’il ne serait pas nécessaire de remplacer Stournaras si Syriza arrivait au gouvernement. Varoufakis raconte un dialogue qui a eu lieu en juin 2014 au cours d’une réunion avec Tsipras, Pappas, Dragasakis, Tsakalotos et Stathakis :
« – Pensez-vous que ce soit un hasard que le Premier ministre ait transféré Stournaras des Finances à la tête de la Banque centrale ? je leur ai demandé. C’est évidemment une nomination étudiée au cas où vous emportez les élections. A ce point-là, Alexis était déchaîné. – La première chose que je ferai en tant que Premier ministre, lança-t-il, ça sera d’exiger sa démission. Je le virerai à coups de pieds au cul s’il le faut. Pappas, lui, avait des solutions encore plus radicales. De mon côté, je leur ai dit qu’on se fichait de savoir qui gouvernerait la Banque centrale » [67]
Une deuxième citation de Varoufakis montre qu’il a conseillé à Tsipras de ne pas déboulonner Stournaras : « Alexis n’arrêtait pas de me dire qu’une de ses priorités serait de lui retirer ce poste. Le pire, c’est que je lui conseillais d’être prudent et diplomate parce qu’il ne pouvait pas débaucher le gouverneur de la Banque centrale sans affronter le Comité exécutif de la BCE. Comme je contenais la fureur d’Alexis contre Stournaras, la direction de Syriza en avait conclu que j’étais très bien disposé vis-à-vis de l’enfant chéri de la troïka à Athènes. » [68]
.
La BCE décide le 4 février 2015 d’augmenter immédiatement la pression sur le gouvernement Tsipras en prenant des mesures extrêmes. Il ne s’agit pas d’une pression morale ou d’un chantage, mais d’un acte d’agression en bonne et due forme, comme le souligne Varoufakis dans le passage cité.
En effet les effets d’une telle décision sont immédiats. Premièrement, les banques grecques ont dû payer nettement plus cher l’accès au crédit de la banque centrale et donc leur santé financière s’est dégradée. Deuxièmement, le financement à court terme de l’État grec a été rendu plus difficile. En effet, avec les liquidités octroyées par la banque centrale, les banques grecques achetaient des titres à court terme (c’est-à-dire des titres à moins d’un an) émis par le Trésor public grec, ce qui permettait de financer le budget de l’État grec (vu que celui-ci, en vertu des traités européens et des statuts de la BCE, ne peut pas emprunter directement à la banque centrale). Or, puisque la BCE limitait l’accès aux liquidités pour les banques grecques, celles-ci achetaient moins de titres et exigeaient des rendements plus élevés, augmentant pour l’État le coût de ses emprunts.
Ainsi, en réduisant les liquidités des banques grecques et en rendant le coût de financement plus élevé, la BCE rendait plus difficile la tâche du Trésor grec de se financer auprès des banques grecques [69]. Or, le financement privé extérieur était coupé ou extrêmement difficile à obtenir, d’une part, et d’autre part, comme on l’a vu, la BCE avait fait savoir qu’elle ne reverserait pas les bénéfices qu’elle avait promis de reverser à la Grèce (il s’agissait de 2 milliards d’euros qui auraient dû être versé en 2015). Là aussi, il s’agissait d’une décision purement politique. En effet en 2014, la BCE avait reversé une partie des bénéfices au gouvernement Samaras malgré le fait que celui-ci était en retard dans l’application du 2e mémorandum. Comme indiqué au début de ce chapitre, avant même que le gouvernement Tsipras ne sorte des urnes, des émissaires de l’Eurogroupe et de la BCE avaient fait savoir que les 2 milliards promis pour 2015 ne seraient pas versés.
Enfin, puisque la banque centrale européenne considère que les titres publics perdent de leur qualité car la situation des banques comme de l’État s’aggrave, elle affirme que la situation se détériore, ce qui augmente les retraits de dépôts bancaires et ce qui rend encore plus difficile l’accès de l’État au financement.
Ajoutons une preuve supplémentaire du caractère politique et agressif de la décision de la BCE de couper les liquidités normales aux banques grecques. Comme indiqué plus haut, la BCE peut estimer que la situation des banques d’un pays justifie qu’il convient de ne plus leur prêter de l’argent sous la forme de liquidités et qu’il faut mettre en place un plan de sauvetage, par exemple en injectant des capitaux (ce qui a été fait via les différents mémorandums). Le problème pour la BCE, c’est qu’en juin 2014, toutes les banques grecques avaient réussi les tests auxquels l’autorité européenne de régulation et la BCE les avaient soumis. Il est clair que le bulletin de santé des banques grecques avait été volontairement surévalué par la BCE afin de venir en aide au gouvernement de Samaras qui venait de perdre les élections européennes face à Syriza. Ce qui est certain, c’est que la santé des banques était très mauvaise, que ce soit en 2009, en 2014 ou en 2015. Mais il est tout aussi clair que la BCE n’a feint de s’en apercevoir que quelques jours après la mise en place du gouvernement de Tsipras. Il s’agissait de toute évidence d’un choix purement politique.
Le 4 février 2015 au matin, comment répond Varoufakis à l’annonce de la fermeture probable de l’accès aux liquidités normales qu’il présente dans son livre comme un acte d’agression parfaitement prémédité ? Il adopte un ton de grande modération. C’est surréaliste.
Voici ce qu’il dit : « J’ai répondu que je respectais profondément le combat qu’il livrait pour défendre l’euro, tout en suivant la charte et les règles de sa banque. C’était un exercice d’équilibre délicat, qui avait permis aux politiciens européens de se reprendre et de réagir à la crise avec clairvoyance, en surmontant les contraintes impossibles de la BCE. (...) – Malheureusement, dis-je, les politiciens n’ont pas su profiter du temps que vous leur avez offert, c’est bien ça ? (...) Vous avez accompli un travail impressionnant pour préserver à la fois la cohésion de la zone euro et la place de la Grèce au sein de cette zone, surtout l’été 2012. Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour vous demander de continuer dans le même sens pendant quelques mois encore, afin que nous, politiciens, ayons un temps et un espace monétaire suffisants pour signer un accord viable entre la Grèce et l’Eurogroupe. » [70]
Yanis Varoufakis n’a pas un mot sur l’attitude brutale de la BCE depuis 2010. Il ne dit rien des profits scandaleux réalisés par la BCE suite au rachat des titres grecs entre 2010 et 2012. Au contraire, Varoufakis félicite la direction de la BCE pour son travail impressionnant. Il poursuit en proposant son plan d’échange de titres qui permet d’éviter de réduire la valeur des titres grecs détenus par la BCE.
Mario Draghi refuse cette proposition et ne se laisse pas amadouer par le discours de Varoufakis. Il lui reproche d’avoir évoqué, à plusieurs reprises, la possibilité d’une décote unilatérale des titres grecs détenus par la BCE (on a expliqué de quoi il retournait au début de cette partie). Varoufakis lui répond : « – Non seulement je n’imposerai pas de décote unilatérale à ces obligations, mais ça ne me viendrait même pas à l’idée – si vous ne fermez pas nos banques. » [71]
Comment Draghi pouvait-il interpréter cela ? Logiquement, il pouvait se dire la chose suivante : « je viens d’annoncer à Varoufakis que cet après-midi, on va retirer l’accès aux liquidités normales et celui-ci ne me menace pas d’une réaction. Il essaye de me convaincre de ne pas prendre cette mesure et me propose de prolonger la durée du mémorandum en cours afin de mettre au point un accord sur un échange de dettes et un aménagement du mémorandum. Je lui ai répondu que je n’en voulais pas. Et quand je lui dis que c’est regrettable qu’il ait déclaré à certaines occasions que la Grèce pourrait appliquer une décote unilatérale sur les titres grecs que je détiens (et qui procurent à mon institution des profits très élevés), il me répond qu’il n’imagine en aucun cas appliquer une telle décote sauf si je fermais carrément les banques grecques. Conclusion : cet après-midi on peut prendre la décision de fermer l’accès des banques grecques aux liquidités normales sans risque d’une réaction forte du gouvernement grec. En prenant cette décision, je renforce la pression sur le gouvernement, je commence à l’asphyxier et j’augmente mes chances de l’acculer afin de le contraindre à faire des concessions. »
On peut également ajouter la critique suivante concernant la proposition de Varoufakis à la BCE. Alors qu’il avait lui-même dénoncé à maintes reprises, avant de devenir ministre des Finances, le caractère inacceptable, abusif et pour tout dire scandaleux de l’opération de la BCE sur les titres grecs achetés pendant la période 2010-2012, il propose à Draghi une opération de « blanchiment ». En remplaçant ces titres anciens (qui sont pour le moins douteux) par de nouveaux titres qui portent la même valeur (mais à taux d’intérêt plus faible), Varoufakis rendait l’application d’un plan B (qui incluait sa proposition de décote unilatérale) quasiment impossible : en cas d’échec des négociations, il serait ensuite compliqué d’expliquer aux journalistes et à l’opinion publique que le gouvernement grec avait le droit d’appliquer une décote unilatérale. En effet, si la Grèce était prête à échanger les titres de sa dette détenus par la BCE contre des titres d’une même valeur, pourquoi aurait-elle pu trouver juste ensuite d’y appliquer une décote ? Il faut une cohérence dans l’argumentation si l’on veut convaincre. Il fallait, en tant que gouvernement, dire haut et fort la vérité sur le scandale que représentaient les titres grecs achetés entre 2010 et 2012. Cette cohérence manquait dans le raisonnement de Varoufakis.
De plus, il est très clair que cette proposition de Varoufakis n’avait strictement aucune chance d’aboutir parce qu’elle aurait constitué un précédent inacceptable pour les tenants de l’austérité. Le problème n’est pas technique : la proposition de Varoufakis ne posait pas de véritable problème technique. L’obstacle était et est encore politique : les dirigeants européens sont totalement opposés à l’idée de permettre aux États européens (qu’ils soient dans la zone euro ou non) de mutualiser leurs dettes car cela enlèverait une arme de pression pour poursuivre l’offensive néolibérale. La proposition de Varoufakis allait totalement à contre-courant de la logique des traités européens les plus récents. Elle n’avait aucune chance d’aboutir et il ne fallait pas fonder la stratégie de la négociation sur cette chimère.
Il fallait avancer la demande contenue dans le programme de Thessalonique : l’effacement de la plus grande partie de la dette en expliquant qu’elle était illégitime, odieuse, illégale et insoutenable. Bien sûr, les dirigeants européens ne pouvaient pas accepter cette demande mais le gouvernement grec pouvait développer une campagne internationale d’explication afin d’obtenir un large soutien dans l’opinion publique. Il pouvait lancer un processus d’audit et déclarer un moratoire le temps que l’audit soit terminé.
Il était fondamental de ne pas mettre le doigt dans l’engrenage des remboursements. Il fallait utiliser le droit international qui permet à un État de déclarer un moratoire des paiements vu l’état de nécessité dans lequel il se trouve [72]. L’existence d’une crise humanitaire constituait la preuve incontestable de l’état de nécessité. Il fallait développer le raisonnement suivant : « Nous lançons un audit (à participation citoyenne) afin d’analyser pourquoi on en est arrivé à un tel niveau d’endettement – l’opinion publique nationale et internationale doit savoir. Nous ne préjugeons pas des résultats de l’audit mais il est normal que, pendant sa réalisation, les paiements soient gelés. Donc nous suspendons les remboursements durant la réalisation de l’audit, sauf en ce qui concerne la dette à court terme. Nous avons été élus pour remplacer le mémorandum par un nouveau plan de reconstruction. Donnons du temps à la négociation et, pendant que celle-ci se déroule, souffrez que nous suspendions les paiements prévus sur la dette à long terme. » S’il avait lancé l’audit, le gouvernement grec pour renforcer sa position face à la Troïka aurait dû dire « J’applique le paragraphe 9 de l’article 7 du règlement 472 adopté par le parlement européen le 21 mai 2013 [73] enjoignant aux États membres de l’UE soumis à un plan d’ajustement structurel Plan d'ajustement structurel En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante. de réaliser un audit intégral de leur dette afin d’expliquer pourquoi la dette a atteint un niveau insoutenable et afin de déceler des irrégularités éventuelles »
La suspension de paiement devait être décrétée de manière urgente, par exemple le 12 février 2015. En effet, entre le 12 février et le 30 juin 2015, la Grèce devait rembourser 5 milliards € au FMI (voir le tableau ci-dessous).
| 12 février 2015 | 747 695 915 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
|---|---|---|
| 6 mars 2015 | 299 084 589 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
| 13 mars 2015 | 336 470 163 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
| 16 mars 2015 | 560 783 604 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
| 20 mars 2015 | 336 470 163 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
| 9 avril 2015 | 448 626 883 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
| 12 mai 2015 | 747 695 915 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
| 30 juin 2015 | 1 532 808 519 € | Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010 |
Source : http://graphics.wsj.com/greece-debt-timeline/
Si l’on prend en compte les autres versements à réaliser en 2015 au FMI, il faut ajouter 3 milliards € supplémentaires. Quant à la BCE, elle réclamait le remboursement de plus de 6,5 milliards € à réaliser en juillet – août 2015.
| 20 juillet 2015 | 2 095 880 000 € | Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 2012 | 3,70 % |
|---|---|---|---|
| 20 juillet 2015 | 1 360 500 000 € | Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 2012 | 3,70 % |
| 20 juillet 2015 | 25 000 000 € | Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 2012 | 3,70 % |
| 20 août 2015 | 3 020 300 000 € | Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 2012 | 6,10 % |
| 20 août 2015 | 168 000 000 € | Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 2012 | 6,10 % |
[1] Y. Varoufakis, Conversations entre adultes, Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, 526 pages, chapitre 5, p. 143. A signaler que Jörg Asmussen a quitté la BCE en 2018 pour rejoindre la Banque Lazard où il occupe une fonction dirigeante. En 2020, M. Asmussen a été nommé directeur général de l’Association allemande des assurances (GDV), https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%B6rg_Asmussen
[2] Pour comprendre de quoi il retourne, lire Éric Toussaint, “La BCE se comporte comme un fonds vautour à l’égard de la Grèce”, publié le 30 ocotbre 2017, http://www.cadtm.org/La-BCE-se-comporte-comme-un-fonds consulté le 9 mars 2025.
[3] Y. Varoufakis, op.cit, chapitre 5, p. 144-145. Voir également la note 15 dans laquelle Varoufakis donne plus de détails.
[4] Tsakalotos était considéré comme faisant partie du centre-gauche au sein de Syriza, connu comme le “groupe des 53”. J’avais fait la connaissance de Tsakalotos au printemps 2014 à Bruxelles et je m’étais tout de suite rendu compte qu’il était opposé à toute attitude radicale sur la question de la dette. Il était clairement opposé à toute idée de Plan B au cas où l’orientation conciliatrice de Syriza à l’égard des créanciers n’aboutirait pas à un résultat en termes de réduction de dettes. La suite a montré clairement que Tsakalotos est devenu complice d’une orientation qui a mené à la capitulation de juillet 2015. Ensuite, il est devenu purement et simplement un politicien de plus à appliquer la poursuite de l’offensive contre les conquêtes sociales.
[5] Stathakis faisait très clairement partie de la droite de Syriza et était un opposant déclaré à la position radicale de Syriza sur la dette, tout comme Varoufakis. Stathakis a été ministre de l’Économie dans le premier gouvernement de Syriza à partir du 27 janvier. Vu son soutien à la capitulation, il a pu continuer sa carrière de ministre aux côtés de Tsipras jusqu’aux élections de juillet 2019.
Varoufakis écrit dans son livre : “Je n’ai jamais éprouvé la moindre animosité vis-à-vis de Stathakis. Sa ligne était claire depuis le début : accepter tout ce que la troïka demandait. » chapitre 14, p. 384.
[6] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 152-153.
[7] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 153.
[8] Y. Varoufakis, op.cit., note 10 du chapitre 6, p. 511
[9] Wassily Kafouros était un ami de Varoufakis qui lui donnait un coup de main au ministère. C’est lui qui un peu plus d’un an aupravant avait averti Varoufakis que Dragasakis était l’ami des banquiers grecs et qu’il fallait s’en méfier.
[10] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 184
[11] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 182
[12] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 181.
[13] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 179, Stathis Kouvelakis, qui était membre à l’époque du comité central de Syriza, décrit le phénomène Varoufakis « il faut dire quelques mots de l’énorme impact du phénomène Varoufakis. C’est quelque chose d’ambigu. Il y a bien entendu de la politique-spectacle dans ce phénomène, et c’est un facteur de dépolitisation de la situation. Mais il n’y a pas que cela : Yanis Varoufakis a été perçu comme porteur d’une différence véritable, irréductible à son look…Et celui-ci a paru aller de pair avec l’affirmation d’une véritable dissension politique. Le phénomène Varoufakis n’aurait certainement pas pris s’il n’avait, lors d’une de ses premières apparitions institutionnelles et en présence du président de l’Eurogroup Jeroen Dijsellbloem, affirmé en substance : « Allez vous faire foutre, on ne veut plus de la Troïka ! ». Il est apparu comme une brèche dans le système, avec des aspects bien entendu très superficiels mais aussi l’expression d’une demande de sortir du cadre politique actuel, qui a pu trouver en lui provisoirement son signifiant. » Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale
Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 111.
[14] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 4, p. 112
[15] Les parties en gras sont dues au choix d’Éric Toussaint. Les notes de bas de pages qui suivent permettent de comparer les engagements qui ont été pris et ce qui a été effectivement réalisé entre 2015 et 2019.
[16] Varoufakis n’était pas pour avancer cette demande et il a proposé un échange de dettes (en modifiant les dates d’échéances de remboursement et en réduisant le taux) sans réduire la valeur nominale du stock de la dette.
[17] Lors de la Conférence de Londres, le 27 février 1953, la République fédérale allemande obtenait, avec le consentement de vingt et un de ses créanciers (dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, la Suisse, la Belgique, la Grèce, etc.), une réduction de sa dette de 62,6 %. Voir : Éric Toussaint, « Pourquoi l’annulation de la dette allemande de 1953 n’est pas reproductible pour la Grèce et les Pays en développement », publié le 8 avril 2019 http://www.cadtm.org/Pourquoi-l-annulation-de-la-dette-allemande-de-1953-n-est-pas-reproductible consulté le 10 mars 2025
Malgré la capitulation de Tsipras, aucune réduction du stock de la dette n’a été accordée à la Grèce. En 2019, la dette grecque représentait près de 180 % du PIB.
[18] Cela impliquait de ne pas comptabiliser ce genre de dépense pour calculer le déficit. C’est en opposition directe aux normes imposées par la Commission européenne et cela a été refusé par la Troïka. De toute façon, austérité oblige, l’investissement public est resté au plus bas.
[19] La présidente du parlement a confirmé et précisé le 10 Mars 2015 la mission d’une Commission parlementaire sur le sujet. Le gouvernement de Tsipras ne s’est pas saisi des conclusions de cette commission pour en faire un enjeu prioritaire dans ses négociations avec l’Allemagne en 2015. Afin de gagner des voix, Tsipras est revenu sur les demandes grecques dans la campagne électorale de 2019. A sa demande, le parlement grec a d’ailleurs adopté en avril 2019, une résolution à une large majorité pour demander des réparations à l’Allemagne . Voir Les Échos, « La Grèce remet sur la table ses demandes de réparations à l’Allemagne », publié le 19 avril 2019, https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-grece-remet-sur-la-table-ses-demandes-de-reparations-a-lallemagne-1012712 , consulté le 10 mars 2025.
[20] Cet engagement n’a pas été tenu et le gouvernement a accepté le 20 février 2015 de prolonger la durée d’application du mémorandum en cherchant à l’aménager dans une proportion de 30 % pour reprendre les termes utilisés par Varoufakis.
[21] Les seules mesures réellement adoptées pendant les six mois du premier gouvernement Syriza Anel ont été les 100 versements [ http://www.cadtm.org/Grece-Troisieme-memorandum-Le ] qui permettaient aux contribuables endettés auprès du Trésor de réguler leur situation et de retrouver une identité fiscale en règle, seule possibilité d’avoir une activité économique. Cette mesure a été affaiblie dès août 2015, par un article spécifique du 3e mémorandum.
[22] Très peu de choses ont été faites en 2015, année occupée par les « négociations avec les créanciers ». Annoncé par Tsipras en décembre 2016, le « Plan Parallèle » a donné lieu à une allocation de solidarité sociale, instaurée fin 2016, attribuée fin 2017 à 280 000 foyers, correspondant à quelques 620 000 personnes, soit environ 6 % de la population.
https://kea-tech.blogspot.be/2017/10/blog-post_26.html
700 000 personnes vivant dans des conditions d’extrême pauvreté devaient en bénéficier en 2018 à travers tout le pays. Cette allocation mensuelle est conditionnée par la situation fiscale et immobilière de chaque foyer ; elle est accompagnée de diverses prestations comme l’accès aux repas scolaires, aux soins gratuits et aux médicaments, à des structures municipales de soutien social (épicerie sociale, etc.). https://www.dikaiologitika.gr/eidhseis/asfalish/137366/kea-poioi-dikaioyntai-to-koinoniko-eisodima-epidoma-allileggyis-ola-ta-kritiria 35,6 % de la population grecque vivaient fin 2017 en dessous du seuil de pauvreté.
[23] L’accès gratuit à l’électricité pour les ménages les plus pauvres n’est toujours pas une réalité en Grèce. Seules ont été mises en œuvre des mesures qui permettent aux personnes de payer leurs factures en plusieurs tranches et de rembourser leurs dettes envers la compagnie publique d’électricité sans devoir payer d’intérêts de retards. https://www.dei.gr/el/oikiakoi-pelates/eualwtoi-pelates-kai-koinwniko-oikiako-timologio/plirofories-gia-to-mitroo-ton-evaloton-pelatvn Des dispositions ciblées permettent un aménagement des dettes envers les fournisseurs d’électricité aux consommateurs de plus de 70 ans si leur foyer n’abrite aucune personne plus jeune, de même pour les foyers qui comptent des personnes malades ayant besoin d’assistance médicale qui nécessite une source d’électricité et enfin aux foyers qui ont des revenus très bas et des enfants à charge.
[24] Une carte de solidarité a été proposée en juillet 2015 pendant une durée de 9 mois (finalement prolongée jusqu’en janvier 2017). L’Etat transmettait une somme allant de 70 à 220 euros par mois aux ménages les plus pauvres pour couvrir leurs besoins alimentaires uniquement. https://www.kathimerini.gr/824525/article/oikonomia/ellhnikh-oikonomia/energopoioyntai-apo-thn-paraskeyh-oi-kartes-sitishs
En 2017, l’allocation de solidarité sociale (KEA) a remplacé la carte de solidarité pour des besoins plus larges que les besoins alimentaires uniquement. Ces mesures ne sont pas suffisantes pour répondre à l’ampleur de la crise alimentaire qui touche une partie importante de la population grecque. En 2016, 38,5% des enfants de moins de 16 ans souffraient de privations matérielles (voir l’étude de FIAN, TNI et Agroecopolis à ce sujet : https://www.agroecopolis.org/wp-content/uploads/2018/11/tni_democracy-not_for-sale-en.pdf consulté le 30 août 2019).
[25] L’accès gratuit aux soins hospitaliers et pharmaceutiques est une réalité pour les Grecs assurés sociaux ou non sans distinction, ainsi que pour les étrangers et les catégories sociales en difficulté, depuis mai 2016. Cependant la dégradation du système de santé, systématisée dès le premier mémorandum, se poursuit et provoque des pénuries graves de médicaments, des temps d’attente et un encombrement des services dans les hôpitaux, des fermetures en province de services entiers, faute de personnels et de crédits. En juillet 2019, l’une des premières mesures du gouvernement Mitsotakis a consisté à supprimer la possibilité d’accès gratuit aux soins pour les réfugiés.
[26] Rien de significatif n’a été fait dans ce domaine jusque fin 2018. A partir de 2019, un système d’allocation au logement a été mis en place permettant de toucher de 70 € à 210 € mensuels (pour une famille monoparentale de trois enfants à charge ou avec plus de 5 enfants à charge pour des couples). Ce système concerne les plus bas revenus. https://www.epidomastegasis.gr/pub/Home/Info
[27] Les retraites ont été à nouveau réduites par la loi Katrougalos de 2016, en commençant par les retraites complémentaires, avec pour objectif d’économiser 1 % du PIB en 2019. Aucune nouvelle retraite complémentaire n’a été accordée depuis janvier 2015, tandis que cette loi aménage la suppression progressive du complément EKAS aux plus faibles retraites d’ici 2020.
[28] Cela n’a pas été réalisé. En avril 2019, pendant la campagne électorale, une prime correspondant grosso modo à un treizième mois d’une petite pension a été versé pour Pâques. Cette mesure a été perçue comme une manœuvre électorale. Vu la victoire de la droite en juillet 2019, la restauration partielle du droit à un treizième mois de retraite est incertaine.
[29] Depuis juin 2015, les transports publics urbains sont gratuits pour les demandeurs d’emploi.
[30] Au contraire le 3e mémorandum a empiré la situation fiscale des petites et moyennes entreprises, en exigeant que 50 % durant les trois premières années de leurs activités et 100 % pour les années suivantes de l’impôt sur le revenu attendu l’année suivante soient payés à l’avance (en décembre pour l’année d’après). https://www.startyouup.gr/el/a/44-pws-tha-forologhthoyn-oi-epixeirhseis-gia-to-2018
[31] « Remise du fardeau » ou annulation de dettes : mesure établie par Solon, à Athènes, au VIe siècle av. J.-C., au profit des couches populaires accablées de dettes. Voir Daphné Kioussis, « Solon et la crise d’endettement dans la cité athénienne », publié le 27 juin 2017, http://www.cadtm.org/Solon-et-la-crise-d-endettement consulté le 8 août 2019
[32] Les agriculteurs en particulier se sont retrouvés dans le collimateur du 3e mémorandum adopté pendant l’été 2015 : augmentation de 43 % des cotisations sociales sur les retraites (de 7 à 20 %) et paiement à l’avance de 55 % (au lieu de 27,5 % avant) de l’impôt sur les bénéfices estimés de l’année suivante, suppression de l’exemption de taxes sur le diesel, suppression d’une série de subventions.
[33] A noter qu’entre 2014 et octobre 2017, vu la poursuite par le gouvernement d’Alexis Tsipras des politiques qu’il dénonçait en 2014, le montant de l’arriéré est passé de 68 milliards à près de 100 milliards €. Depuis janvier 2017, les saisies de biens immobiliers par l’Agence Autonome des Recettes Publiques qui remplace le service des impôts du Ministère des Finances n’épargnent pas toutes les résidences principales (celles dont la valeur de marché est supérieure à 180.000 euros pour un célibataire, 220.000 pour un couple ou 240.000 pour un couple avec 2 enfants ne sont plus épargnées). L’ensemble des dettes aux impôts s’élevait en août 2017 à 95,65 milliards d’euros dont 5,48 milliards pour la seule année 2017, le tout au titre de 3,8 millions de contribuables endettés. Parmi eux 2,4 millions de contribuables, personnes physiques ou morales, ne sont endettées que pour une somme de 1 à 500 euros, qu’ils sont néanmoins incapables de payer, ce qui représente une somme totale de 340 millions d’euros. En juillet 2019, l’Agence Autonome des recettes publiques annonçait un retard de 104 milliards d’euros d’impôts non honorés, dus par 4 millions de contribuables endettés. https://www.tovima.gr/2019/07/31/finance/aade-sta-104-dis-eyro-oi-liksiprothesmes-ofeiles-pros-tin-eforia-2/ consulté le 30 août 2019
[34] Au contraire, depuis 2018 l’Autorité autonome des ressources publiques mise en place par le mémorandum de 2015 a la possibilité de faire saisir directement les salaires et les revenus sur le compte en banque des débiteurs, à partir de 500 euros de dette envers l’état (impôts ou autres dettes, caisses maladies, etc.). Fin juin 2019, ce sont 1.764.551 contribuables qui étaient menacés de saisie pour une dette envers les impôts.
[35] L’ENFIA n’a pas été supprimée, elle a été légèrement modifiée selon des critères en rapport avec la situation géographique et la vétusté du bien ainsi qu’avec la composition des ménages et leurs revenus. En 2018, il a été annoncé que l’ENFIA serait annulée pour les revenus annuels inférieurs à 9000 € et les maisons de moins de 150 m2 et valant moins de 80 000 euros. En réalité c’est seulement à partir de juillet 2019 que plus de 6 millions de propriétaires ont vu l’impôt ENFIA baisser de 30 %, une mesure prise par le gouvernement SYRIZA, puis reprise et augmentée étendue par le gouvernement Mitsotakis aux propriétaires ayant une fortune immobilière de plus de 1 million d’euros.
[36] Mesure non réalisée. A contrario, les résidences principales dont la valeur de marché est supérieure à 180.000 euros sont maintenant susceptibles d’être saisies pour dette envers l’Etat supérieure à 501 €.
[37] Engagement non respecté. Le seuil de non-imposition a été fixé après de multiples négociations à 8 600 pour une personne seule, à 9 000 euros annuels pour un couple avec deux enfants à charge. Finalement avec le nouveau gouvernement de la Nouvelle Démocratie le seuil d’imposition est maintenu à 8.636 € pour un célibataire ou un couple sans enfant
[38] Il s’agissait donc d’annuler des dettes dues aux banques par des personnes privées vivant en dessous du seuil de pauvreté.
[39] Cette promesse n’a pas été tenue. Voir Éric Toussaint, « Les « fonds vautours » prospèrent sur la misère en spéculant sur l’endettement des particuliers », publié le 11 décembre 2017 http://www.cadtm.org/Les-fonds-vautours-prosperent-sur consulté le 8 août 2019. Voir Constantin Kaïmakis, « Grèce : Le mouvement « Je ne paie pas » », publié le 22 décembre 2017, http://www.cadtm.org/Grece-Le-mouvement-Je-ne-paie-pas consulté le 8 août 2019. Non seulement cette promesse n’a pas été tenue mais la loi qui protégeait les résidences principales contre les mises aux enchères (moyennant un recours juridique onéreux) n’est plus applicable depuis le 1er janvier 2019 à de nouveaux cas ; elle a été remplacée par la loi 4605/2019 du gouvernement de Tsipras d’avril 2019 qui prévoit une possibilité d’échapper à ces mises aux enchères en demandant de bénéficier de ses dispositions qui prévoient l’annulation de la part de la dette qui excède le 120 % de la valeur commerciale de la résidence principale et le règlement du solde en 25 ans avec un taux euribor + 2 %, ainsi qu’une possibilité de subvention des mensualités jusqu’à 50 % de leur montant. Fin juillet 2019, près de 50.000 demandes pour bénéficier de cette loi ont été déposées.
Par ailleurs, pour contrer l’opposition citoyenne très active, les enchères se font désormais par voie électronique et les opposants sont passibles de peines de prison allant de trois à six mois.
Enfin, les emprunts en rouge d’Eurobank ont été cédés en juillet 2017 à un fonds suédois Intrum Justitia AB (Intrum) à 3 % de leur valeur, pour une somme de 1,5 milliards d’euros.
http://www.iskra.gr/αίσχος-η-eurobank-αντί-των-δανειοληπτών-πουλ/. Voir Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, « Appauvris par les memoranda, les Grecs vont perdre tous leurs biens », publié le 30 avril 2018, http://www.cadtm.org/Appauvris-par-les-memoranda-les consulté le 30 août 2019. Voir également « Les banques et l’Etat grec essaient de prendre nos maisons tous les mercredis au tribunal de paix », publié le 16 décembre 2016, http://www.cadtm.org/Les-banques-et-l-Etat-grecs, consulté le 30 août 2019.
[40] Varoufakis était opposé à cette mesure, puisqu’il était favorable au transfert des banques grecques vers les créanciers européens. De son côté, le gouvernement Tsipras n’a pris aucune mesure pour que l’État grec exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées. De plus, il a laissé le Fonds hellénique de stabilité financière aux mains des alliés des banquiers privés et des dirigeants européens. Les banques grecques n’ont pas été assainies.
[41] Cette banque n’a pas été créée pendant la période 2015-2018. Il a fallu attendre la loi 4608/2019 publiée au Journal officiel le 25 avril 2019 pour que la création de cette banque soit annoncée. Syriza a donc attendu 2019 et la campagne électorale pour faire quelque chose. A noter que Varoufakis qui en avait fait une de ses six priorités a accepté que dans l’accord de février 2015 avec l’Eurogroupe ne figure pas la création de cette banque publique de développement. Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, Chap. 10, p. 285-286
[42] Cela n’a pas été réalisé. Baissé à l’occasion du 2e mémorandum à 586 euros, et 510 euros pour les moins de 25 ans, ce n’est qu’à partir de février 2019 que le salaire minimum légal a été ramené à 650 euros pour tous (loin des 750 euros de la période antérieure au premier mémorandum).
[43] Les atteintes au droit du travail se sont succédé depuis 2015 sous la pression des créanciers, à l’occasion de chaque « évaluation » précédant les versements. La loi votée en mai 2017 facilite les licenciements collectifs, en supprimant l’autorisation administrative et le droit de veto du ministre du Travail pour les licenciements, sur la base de la situation sur le marché du travail, la situation de l’entreprise, les intérêts de l’économie nationale. Le droit du travail s’est encore dégradé en janvier 2018 avec l’adoption d’une loi qui réduit objectivement le droit de grève. Enfin, même l’ouverture des commerces le dimanche est maintenue, malgré les protestations répétées d’une majorité de commerçants et de leurs employés. A partir de 2018, le ministère du travail a commencé à rétablir les conventions collectives dans certains secteurs
[44] Cet engagement n’a pas été tenu même des emplois souvent précaires ont été créés.
[45] Une allocation chômage de 360 euros mensuels pendant 3 à 9 mois a été instaurée en faveur des travailleurs indépendants à partir de juillet 2018 pour ceux qui ont interrompu leur activité professionnelle ou dont le revenu annuel est inférieur à 60 % du salaire minimum lors de l’année qui précède la demande.
[46] Cela n’a pas été réalisé puisque la banque de développement n’a été créée que trop tardivement (avril 2019).
[47] Cela n’a été que partiellement réalisé pendant les six premiers mois du gouvernement Tsipras malgré les efforts de la présidente du Parlement. En cause, les pressions exercées par les créanciers et la volonté de Tsipras de mener une diplomatie secrète et de faire des concessions aux créanciers. Au cours du 3e mémorandum (août 2015 – août 2018), le parlement a continué de fonctionner comme une chambre d’enregistrement des accords passés entre le gouvernement et la Troïka.
[48] Cela a été réalisé par le gouvernement Tsipras en juin 2015 mais en mettant à la tête de l’institution publique un personnage douteux (Lambis Tagmatarhis) comme le reconnaît Varoufakis. Cette nomination a provoqué de fortes protestations et une grande déception dans les rangs de la gauche.
[49] Cela n’a pas été réalisé.
[50] Varoufakis explique dans son livre qu’il a accepté la décision des créanciers de ne pas mettre ces 11 milliards à la disposition du gouvernement grec et de rapatrier cette somme vers le FESF, organisme privé créé par la Troïka et basé à Luxembourg. Il considérait que c’était une bataille perdue que de chercher à obtenir ces 11 milliards. Voir Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, Chap. 9, p. 274 et note 14 du chap 9 page 514.
[51] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 148
[52] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 175
[53] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 186
[54] La proposition principale de Varoufakis en matière de restructuration de la dette s’inscrit, comme il l’indique lui-même, dans la continuité du texte intitulé : « Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro » que nous avons mentionné dès le chapitre 1. La réalisation de cette proposition qui consistait à mutualiser les dettes publiques de la zone euro aurait impliqué une décision commune des gouvernements de la zone afin de soulager les finances publiques et d’abandonner des politiques d’austérité.
[55] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 196.
[56] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 191-192.
[57] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 193.
[58] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 202.
[59] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 205-206.
[60] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 204.
[61] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 206.
[62] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 207.
[63] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 208.
[64] 20minutes, « Grèce : Revivez les événements du lundi 29 juin 2015 » http://www.20minutes.fr/economie/1641539-20150629-direct-crise-grecque-bourses-europeennes-plongent consulté le 19 juillet 2019
[65] Varoufakis écrit : « Depuis le 15 décembre, Stournaras n’avait de cesse d’accélérer la panique bancaire que le Premier ministre, Samaras, avait provoquée : les déposants avaient retiré 9,3 milliards d’euros des banques ; le taux de retrait avait atteint 1 milliard d’euros par jour. Le jour des élections, 11 milliards auraient disparu à l’étranger ou sous le matelas des uns et des autres. Pour compenser ces pertes, les banques avaient dû augmenter leur dépendance à la BCE de plus de 60 milliards. » Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 146.
[66] Varoufakis résume le sens des paroles que Stournaras a prononcées le 26 février lors de l’assemblée annuelle des actionnaires de la Banque centrale à Athènes : “Le discours de Stournaras était exactement celui que Samaras aurait tenu s’il nous avait battus le 25 janvier : hymne à la politique du gouvernement précédent, reprise du mensonge pré-électoral suivant lequel la Grèce était en cours de redressement, soumission totale à l’agenda de la troïka, le tout couronné par des menaces à peines voilées contre nous ». Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 10, p. 293. Il écrit également “Quant à Stournaras, c’était l’émissaire de la troïka à plus d’un titre. » p. 294-295.
[67] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 3, p. 95. Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 10, p. 301.
[68] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 10, p. 301.
[69] Les banques privées reçoivent des liquidités avec lesquelles elles achètent des titres publics pour faire des profits. Ensuite elles déposent ces titres comme collatéraux à la banque centrale afin d’obtenir des liquidités (du crédit) qu’elles utilisent pour acheter d’autres titres publics (en effet les banques grecques octroient de moins en moins de crédit au secteur privé et la part des non performing loans augmente dans leur portefeuille de crédit atteignant un taux de 45 % en 2015. Donc elles prêtent proportionnellement de plus en plus à l’État car c’est quand même plus sûr que de prêter au secteur privé). Si la banque centrale limite l’accès aux liquidités, les banques achètent moins de titres et elles exigent un meilleur rendement ce qui augmente pour l’État le coût de ses emprunts.
[70] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 208-209.
[71] Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 210.
[72] À propos de l’état de nécessité inscrit dans la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, voir Cécile Lamarque et Renaud Vivien, « Quelques fondements juridiques pour suspendre le paiement des dettes publiques » : http://www.cadtm.org/Quelques-fondements-juridiques
[73] Voir le Règlement (UE) n ° 472/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2013.140.01.0001.01.FRA
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
5 novembre, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 6
La Nouvelle banque de développement et le Fonds monétaire des BRICS constituent-ils une alternative aux institutions de Bretton Woods ?28 octobre, par Eric Toussaint
18 octobre, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 5)
Les BRICS et la dé-dollarisation7 octobre, par Eric Toussaint
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 4)
La Chine et le FMI avec le soutien des BRICS+ ont offert une bouée de sauvetage au gouvernement d’extrême droite de Javier Milei en Argentine23 septembre, par Eric Toussaint
Série : Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 3)
Les BRICS sont les nouveaux défenseurs du libre-échange, de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale17 septembre, par Eric Toussaint
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 2)
La passivité ou la complicité des BRICS+ avec les guerres impérialistes9 septembre, par Eric Toussaint
18 août, par Eric Toussaint
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 1)
Pourquoi les BRICS ne dénoncent pas le génocide en cours à Gaza7 août, par Eric Toussaint
24 juillet, par Eric Toussaint