26 décembre 2020 par Fátima Martín
Katsushika Hokusai 1831
« L’attaque du tsunami de la dette », tel est le titre d’un récent Global Debt Monitor de l’Institut des finances internationales (IFF), l’association mondiale de l’industrie financière [1]. Ce rapport signale que la dette mondiale s’élèvera à 365 % du produit mondial brut (PMB), soit environ 233 billions d’euros, fin 2020, comme conséquence de l’impact de la pandémie du Covid-19. Y a-t-il un brise-lame face à un tel raz-de-marée ?
Selon ce rapport (en anglais et fermé aux non-membres de l’IFF), la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
totale (des gouvernements, des entreprises financières et non-financières et des ménages) a augmenté de plus de 15 000 milliards de dollars (12 600 milliards d’euros) depuis l’année passée, battant un nouveau record. Seulement dans les premiers six mois de 2020, la dette a augmenté de 42 %, passant de 320 % à 362 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
. Sur l’ensemble de la dette mondiale comptabilisée jusqu’à fin septembre 2020, 65 600 milliards de dollars (55 000 milliards d’euros) concernaient le secteur financier, alors que l’endettement public était de 77 600 milliards de dollars (65 000 milliards d’euros) et celle des familles de 49 200 milliards de dollars (41 400 milliards d’euros) [2].
L’IFF souligne que les USA ont accaparé quasi la moitié de l’augmentation de la dette mondiale en 2020 [3], avec une dette totale proche de 80 000 milliards de dollars en 2020, par rapport à 71 000 milliards de dollars en 2019. Dans la zone euro, une augmentation de 1 500 milliards de dollars (1 260 milliards d’euros) de la dette publique a élevé la dette totale à plus de 53 000 milliards de dollars (44 600 milliards d’euros) durant le 3e trimestre 2020. « Dans les marchés développés, la dette publique est devenue le principal facteur de cet accroissement. Il faut relever son essor au Canada, au Japon, aux USA, au Royaume Uni et en Espagne », signale le rapport [4].
Parmi les risques de ce tsunami de la dette à l’horizon, figure le non-contrôle de l’inflation
Inflation
Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison.
et des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
. De plus, l’IFF prévoit qu’il y a des échéances de dette avant la fin 2020, équivalant à 7 000 milliards de dollars (5 900 milliards d’euros).
Le Global Debt Monitor prévient de l’incertitude significative quant à la manière dont l’économie globale peut réduire ces niveaux de dette dans le futur sans implications adverses de conséquences négatives pour l’activité économique. « La prochaine décennie pourrait entraîner une réponse fiscale déflationniste, un élément totalement opposé à l’austérité appliquée dans la décennie 2010. Si la montagne de la dette globale continue de croître au rythme moyen des 15 dernières années, nos estimations initiales suggèrent que la dette globale pourrait dépasser les 360 000 milliards de dollars (303 000 milliards d’euros) pour 2030 », conclut le rapport.
Dans le cas de l’Espagne, l’autorité indépendante de responsabilité fiscale (AIReF) a constaté que, dans les neuf premiers mois de 2020, la dette publique a augmenté de 120 milliards d’euros, pour atteindre 1 300 milliards d’euros. Cela suppose une augmentation du ratio de la dette sur le PIB de 18,6 points par rapport à la fin de l’année passée, ce qui la situe à sa valeur maximale des 100 dernières années à 114,1 % du PIB [5]. Et l’AIReF avertit que « la dette se stabilisera à environ 120 % du PIB si des mesures ne sont pas prises », même quand l’économie reviendra à des taux de croissance proches de son potentiel.
L’AIReF alerte aussi de la vulnérabilité face à de possibles hausses des taux d’intérêts, auxquelles s’ajoutent les risques associés à la possible matérialisation des passifs contingents associées aux aides aux entreprises dans le contexte de la crise du coronavirus et l’augmentation des dépenses en rentes de retraite liées au vieillissement démographique [6].
La vieille Europe se ressent aussi du tsunami de la dette provoqué par le coronavirus. Un récent rapport de la Banque d’Espagne, intitulé Endeudamiento supranacional y necesidades de financiación en la Unión Europea (Endettement supranational et besoins de financement dans l’Union européenne) prévoit que, dans l’ensemble de la zone euro, le déficit se situera au-dessus de 8,5 % du PIB, soit plus de 7,8 % supérieur au pourcentage enregistré en 2019. Par rapport à 2019, l’augmentation serait plus grande pour les pays les plus touchés, comme l’Espagne et l’Italie. A partir des prévisions de la Communauté européenne et du Consensus Forecast de juillet 2020, le rapport estime que les besoins de financement atteindront 941 milliards d’euros en 2020. Cela suppose que le déficit pour toute l’Union économique et monétaire (UEM) se situera aux environs de 8,5 % du PIB pour cette année et de 3,5 % du PIB pour l’année prochaine [7].
En outre, le document souligne qu’on doit tenir compte de la couverture des échéances de la dette publique, dont la structure peut être très différente selon les pays, comme résultat des différentes stratégies d’émission des titres de dette publique par les différents États. Dans les prochains mois, il y aura une quantité élevée et concentrée d’échéances de remboursement des dettes des principaux pays européens, le montant accumulé de la seconde partie de l’année 2020 pour la zone euro est supérieure à 7 % du PIB.
Ce document occasionnel de la Banque d’Espagne ajoute le fait qu’au total l’ensemble de la dette vivante supranationale de l’Union européenne (UE) – les actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
sûrs pan-européens – atteint actuellement un montant proche de 830 milliards d’euros, soit plus du 6 % du PIB de l’UE.
La Banque européenne d’investissement (BEI) est actuellement le plus grand émetteur supranational de l’UE, avec un montant de dette vivante de 469,2 milliards d’euros. La dette vivante émise par l’UE approche un montant d’environ 51 milliards d’euros. Quant au MES, il maintient un montant de dette vivante de 91 milliards d’euros. Pour sa part, le FESF – qui, après l’apparition du MES, ne peut octroyer de nouveaux prêts -, il maintient une dette vive dérivée de son intervention durant la crise financière passée proche de 217 milliards d’euros.
Dans l’ensemble, si l’on utilise complètement les programmes européens destinés à cet effet, la dette supranationale pourrait augmenter dans les 5 prochaines années de 1 300 milliards d’euros - ce qui supposerait un doublement de la dette des organismes européens en circulation (100 milliards d’euros du SURE, 240 milliards d’euros du MES, 200 milliards s de la BEI et 750 milliards d’euros de la Next Generation EU) [8].
Faits intéressants à souligner : plus de la moitié de la dette supranationale se trouve aux mains d’investisseurs hors de la zone euro, 7 % de plus que dans le cas de la dette souveraine nationale ; les banques de la zone euro enregistrent des possessions de bons supranationaux à un pourcentage similaire ou supérieur à celui enregistré dans le cas de la dette souveraine des États membres.
Alors, face à ce panorama du tsunami de la dette, y a-t-il des brise-lames ? La position du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), qui compte 30 ans de lutte contre les dettes illégitimes [9], est la suivante, comme l’affirmait son porte-parole international, Eric Toussaint, lors d’un entretien récent : « Ces prêts ou y compris ces transferts sont conditionnées, comme les crédits du Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI) ou de la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE), conditionnés à l’application des plans d’ajustement structurels, conformément à l’idéologie néo-libérale. Ils constituent un cadeau empoisonné, un faux cadeau, et ce n’est pas le moment de continuer à imposer les mêmes politiques néo-libérales. (…). Le CADTM est contre l’augmentation de cette dette. Si la dette publique existait pour servir le peuple, s’il y avait une justice fiscale avec une participation proportionnelle aux impôts des plus riches, nous pourrions considérer comme normal l’augmentation de la dette publique. Mais tant l’actuelle augmentation de la dette espagnole avec le gouvernement Sánchez-Iglesias qu’auparavant celles des gouvernements de Rajoy et de Zapatero sont des augmentations illégitimes. Je suis très critique par rapport à la politique de Pedro Sánchez (Parti Socialiste Ouvrier espagnol) et de Pablo Iglesias (Podemos). Au fonds, malgré leurs discours, ils continuent à faire des cadeaux au 1% les plus riches, et c’est totalement injuste ».
A la question sur les positions que devraient adopter les forces politiques et sociales progressistes de l’Europe dans ce contexte, Toussaint répond : « En premier lieu, les forces progressistes doivent opter pour la socialisation, via l’expropriation, du secteur bancaire et des assurances privées. Deuxièmement, il faudrait procéder à l’expropriation et à la socialisation du secteur énergétique, de la production et de la distribution énergétique, pour assurer ainsi un service d’électricité, de chauffage, etc., en respectant les intérêts de la population. (…)
« Il faudrait socialiser le secteur pharmaceutique aux niveaux international, européen et national. Les grands laboratoires devraient être des services publics. La recherche des vaccins devrait être financée sur le plan public et le résultat devrait être le patrimoine de l’humanité. Ainsi, les vaccins devraient être libres de protection intellectuelle et de patente. Parmi les mesures immédiates, il faut instaurer un impôt exceptionnellement fort sur les grandes fortunes, les revenus les plus élevés et les gains des grandes entreprises. Et un plan de création d’emplois basé sur la lutte contre le changement climatique et la crise sanitaire… ».
Par rapport à la dette, les propositions du porte-parole international du CADTM sont les suivantes : « Il faut suspendre le paiement de la dette publique pour éviter de continuer à financer le budget par de nouvelles dettes. Il faut aussi effectuer un audit de la dette, avec une participation citoyenne. Par rapport aux dettes des classes populaires, on doit approuver des mesures d’annulation des dettes pour les familles à bas revenus » [10].
[1] Global Debt Monitor : Attack of the Debt Tsunami (18/11/2020) iif.com. Cf. online : https://www.iif.com
[2] La deuda mundial escalará en 2020 a un récord de 233 billones, el 365% del PIB (18/11/2020) europapress.es. Cf online : https://www.europapress.es/economia/finanzas-00340/noticia-deuda-mundial-escalara-2020-record-233-billones-365-pib-20201118171652.html
[3] El coronavirus ha provocado “un tsunami de deuda” de 12,7 billones de euros y podría alcanzar el 365% del PIB mundial antes de 2021 (19/11/2020) Businessinsider.es. Cf. online : https://www.businessinsider.es/coronavirus-ha-provocado-tsunami-deuda-127-billones-758549
[4] El ’tsunami’ de gasto y crédito dispara la deuda mundial hasta el 365% del PIB, máximos históricos. (18/11/2020) eleconomista.es. Cf. online : https://www.eleconomista.es/economia/noticias/10895319/11/20/El-tsunami-de-gasto-y-credito-dispara-la-deuda-mundial-hasta-el-365-del-PIB-maximos-historicos.html
[5] La deuda de las Administraciones Públicas alcanzó 1.308 mm de euros, el 114,1% del PIB1, en septiembre de 2020 (17/11/2020) Banco de España. Cf. online : https://www.bde.es/f/webbde/GAP/Secciones/SalaPrensa/NotasInformativas/20/presbe2020_89.pdf
[6] La deuda se estabilizará en el entorno del 120% del PIB si no se toman medidas. (18/11/2020) AIReF.es. Cf. online : https://www.airef.es/es/noticias/la-deuda-se-estabilizara-en-el-entorno-del-120-del-pib-si-no-se-toman-medidas/
[7] Endeudamiento supranacional y necesidades de financiación en la Unión Europea 2020 Banco de España. Cf. online : https://www.bde.es/f/webbde/SES/Secciones/Publicaciones/PublicacionesSeriadas/DocumentosOcasionales/20/Fich/do2021.pdf
[8] El fondo de recuperación europeo nos esclaviza a la deuda hasta la próxima generación (21/08/2020) cadtm.org. Cf. online : https://www.cadtm.org/El-fondo-de-recuperacion-europeo-nos-esclaviza-a-la-deuda-hasta-la-proxima
[9] CADTM, « CADTM = 30 ans de lutte contre les dettes illégitimes », 7 novembre 2020 : https://www.cadtm.org/CADTM-30-ans-de-lutte-contre-les-dettes-illegitimes
[10] Éric Toussaint, « Bilan d’étape des réponses économiques à la crise liée à la pandémie du coronavirus en Europe »
https://www.cadtm.org/Bilan-d-etape-des-reponses-economiques-a-la-crise-liee-a-la-pandemie-du
est journaliste, membre du CADTM en Espagne. Elle est l’auteure, avec Jérôme Duval, du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, Icaria editorial 2016. Elle développe le journal en ligne FemeninoRural.com.
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