Lors de cette seconde journée, les débats se focalisaient sur les politiques d’austérité ainsi que sur les alternatives à l’endettement et aux politiques néolibérales. Ces rencontres du CADTM Afrique étaient clôturées par une conférence de Fathi Chamkhi sur les processus révolutionnaires et la lutte contre la dictature de la dette.
Politiques d’austérité et de restructurations néolibérales
Pour Salah, d’Attac Maroc, les cas marocains et tunisiens se ressemblent, on y retrouve les mêmes contraintes, le même rapport très déséquilibré avec le FMI. Ce dernier a confirmé en février 2014 un contrat signé en août 2012 avec le pouvoir marocain. « Officiellement, on appelle ça une Ligne de précaution de liquidité (LPL), c’est un crédit disposé aux bons élèves du FMI, qui mènent une politique économique ‘saine’, dans le sens de politiques néolibérales. »
Cette ligne de crédit est conditionnée bien sûr. « Toutes les routes mènent à l’austérité » fait remarquer Salah. Le Maroc est sous tutelle du FMI ou du moins de ces directives : tous les six mois des équipes du FMI débarquent au Ministère de l’économie et à la Banque centrale. Ce financement est conditionné par un programme de réformes économiques :
1. démanteler le système de subvention des produits alimentaires et pétroliers, remplacé par des aides directes ;
2. adopter une Loi organique des finances qui instaure une stricte discipline budgétaire ;
3. réformer les caisses des retraites avec le passage d’une retraite à 65 ans ;
4. rétablir les équilibres macro-économiques chers au FMI : contenir l’inflation, réduire le déficit à moins 3 %.
Le Maroc, comme la Tunisie, fait partie du partenariat de Deauville, l’accord conclu entre les grands bailleurs de fonds dans les mois qui ont suivi les révoltes arabes en vue de tracer une feuille de route pour les pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient.
En plus de cette domination du FMI, le Maroc a signé énormément d’accords de libre-échange. C’est d’ailleurs le seul pays africain à avoir un accord de libre-échange avec les E-U. nous confie Salah. « Il y a un manque de transparence énorme, les dirigeants ont déclaré que l’accord avec le FMI n’était pas assorti de conditions, ce qui est faux ! Au cœur du programme du FMI, il y a le démantèlement du système de subventions, qui concerne de nombreux pays africains, c’est un des objectifs du FMI depuis des années. On se retrouve là dans la stratégie du choc décrite par Naomi Klein. La crise au Maroc, en Tunisie, est utilisée pour approfondir les réformes néolibérales qui appauvrissent fortement la population. Au-delà des critiques que l’on peut faire sur ce système de subventions, il permet à une bonne partie de la population de subvenir à leurs besoins. »
Hayet Hamdi, représentante du Front populaire tunisien, troisième parti du pays, intervenait pour nous informer sur les politiques d’austérité en application en Tunisie. Elle mettait en avant la problématique de la « féminisation de la pauvreté ». Les femmes sont plus touchées par la pauvreté que les hommes. Hayet fait partie du Front populaire et compte se battre sur ce terrain-là. « Aujourd’hui, 70 % des pauvres de la planète sont des femmes. En Tunisie, même après la révolution du 14 janvier, les inégalités entre hommes et femmes augmentent. Il y a une sur-représentation des femmes dans l’économie informelle, un manque de protection sociale. La dette agit comme un facteur de féminisation de la pauvreté. Les politiques néolibérales ne font qu’accroître la pauvreté des femmes, par exemple en imposant des zones franches dans lesquelles de nombreuses femmes sont employées. Le micro-crédit également est un vrai cauchemar pour les femmes, certaines en viennent à se suicider. Il faut prendre le temps d’expliquer aux femmes que le micro-crédit ne fait pas partie de la solution mais plutôt du problème. » Pour clôturer son intervention, elle mit en avant quelques propositions : sortir de l’économie de marché, développer l’économie sociale et solidaire, suspendre la dette jusqu’à une annulation.
À propos des mouvements d’opposition, Salah nous rapporte qu’au Maroc il y a un recul du 20 février, le mouvement né pendant les révoltes de 2011. « Les partis ne représentent pas la population, aux prochaines élections il y aura encore de grosses abstentions. Le mouvement du 20 février était une galaxie, avec énormément de sensibilités différentes, que ce soit des socio-démocrates, des gens de gauche radicale, des islamistes, des gens qu’on ne voyait pas dans la rue avant. On a gagné des batailles mais il y a une grosse répression, des étudiants, des mineurs. Le mouvement islamiste est assez puissant. En face, on a un mouvement progressiste qui ne fait pas le contrepoids, même s’il prend de l’ampleur. Les revendications restent surtout d’ordre social, il y a aussi un phénomène de féminisation de la pauvreté. Par contre, aujourd’hui, on a une bonne dynamique culturelle, on a des initiatives de théâtre libre, des exposés de philosophie dans la rue… »
Le micro-crédit, petit frère du FMI et de la BM
Salah ajoute que le micro-crédit a été présenté par la monarchie comme un des outils de développement, « ils en ont parlé en amenant ça comme un projet moderne, où des femmes musulmanes sont entreprenantes…pourtant cela a apporté de graves problèmes pour ces femmes. » [1] Et à ceux qui oublient le Maroc parmi les pouvoirs autocratiques à dénoncer, Salah précise que « le pouvoir au Maroc n’est pas au gouvernement, il est au palais et chez les institutions internationales. La Constitution marocaine de 2011, grandement mise en avant par le pouvoir, instaure l’austérité permanente. Il est inscrit qu’il faut maintenir en équilibre le budget de l’État. »
Hayet tient à rappeler qu’en Tunisie les islamistes font également le jeu des Institutions financières internationales qui imposent le néolibéralisme. « On a un gouvernement qu’on appelle troïka mais dominé par Ennahdha, le parti islamiste. Ils ont fait beaucoup de promesses pendant la campagne électorale, disant qu’ils étaient contre l’économie de Ben Ali. Pourtant ils ont fait la même chose une fois élus. Même si on n’est pas au gouvernement, le Front populaire a proposé un projet pour la loi de finances 2014. »
Mokhtar, du RAID/ATTAC/CADTM Tunisie, prenait la parole pour évoquer la situation qui prévaut ici : « l’audit pour nous c’est un outil de campagne. Il nous faut une grande mobilisation, il n’y a pas une grande conscience du poids de la dette dans la vie économique. On a changé notre tactique en faisant des cycles de formation dans les lycées, les écoles. L’austérité, les politiques néolibérales ne sont pas nouvelles en Tunisie, elles datent au moins des années 1980. Déjà à l’époque de Bourguiba le prix des matières premières avaient été augmenté, ce qui avait mené aux émeutes du pain en 1984. »
Émilie prenait la parole pour faire remarquer qu’au Bénin ils connaissent bien le problème du micro-crédit. « Les femmes qui prennent ce crédit ne sont pas devenues autonomes financièrement. Cela les a enfoncées financièrement à cause des intérêts très élevés et des conditions d’obtention très coûteuses pour obtenir ce crédit. Par exemple, les banques qui proposent le micro-crédit exigent une garantie comme les pièces d’une maison, d’une voiture ou une parcelle de terrain. Ces banques ne pensent qu’au profit sans même se soucier des conditions de vie dans laquelle la population se retrouve. » Émilie et ses compagnes du CADD, Cercle d’autopromotion pour le développement durable, soulignent que le micro-crédit est loin d’être un outil de développement, « c’est le petit frère des politiques néolibérales de la BM et du FMI. » En réponse aux dégâts du micro-crédit, elles ont créé leur propre système d’épargne et de crédit autogéré par elles-mêmes. « Au début nous étions un petit marché de quarante personnes, dénommé GBETOENONMON, ce réseau compte aujourd’hui plus de 5000 personnes. Les réflexions continuent au niveau de ce réseau et récemment on a créé une coopérative d’élevage de lapins jumelé avec du maraîchage. Nous avons aussi un petit champ de manioc et de maïs dans lequel une vingtaine de femmes travaillent pour nourrir leur famille et pour vendre ensuite les productions dans la localité ».
Ce système qu’elles ont monté avec leurs propres moyens n’a pas reçu un sou du gouvernement Béninois. La prochaine étape est de planter des arbres pour faire vivre la biodiversité locale dans un cadre agroécologique. [2]
Claude ajoutait ensuite que l’Europe connait à présent les politiques qui touchent l’Afrique et les pays du Sud depuis des décennies. « On pourrait changer le nom du CADTM et dire Comité pour l’Abolition des Dettes de tout le monde car ce phénomène ne se résume plus uniquement aux pays du Sud. »
Processus révolutionnaire et lutte contre la dictature de la dette
« Dans le monde de la dette, on ne connait pas la révolution », fait remarquer Fathi Chamkhi. Malgré le changement de régime et le départ du président Ben Ali, le poids de la dette reste très présent, étouffant même. Le remboursement de la dette représente le premier poste du budget de l’État tunisien.
Après la révolution tunisienne, les responsables des institutions financières internationales ont afflué vers Tunis. Le partenariat de Deauville est conclu en mai 2011. « L’objectif était d’injecter un maximum de crédits en Tunisie et d’amener le pays vers le sur-endettement. Ensuite, il fallait imposer la poursuite des remboursements » note Fathi. Alors que la dette avait connu un énorme accroissement sous Ben Ali, elle explose depuis 2011. « Les décideurs tunisiens disent que cette dette sert à la consommation, mais 85 % des fonds empruntés depuis 2011 vont directement au paiement de la dette odieuse de Ben Ali. »
Plusieurs facteurs ont permis de briser le processus révolutionnaire et d’accentuer les mesures d’austérité : l’accord avec le FMI en avril 2013 et la direction du pays par les islamistes, ultra-conservateurs et ultra-libéraux. « On peut qualifier l’économie tunisienne d’économie néo-coloniale. Il y a un contrôle étranger sur 51,4 % des entreprises locales de plus de dix salariés. On observe une mainmise des entreprises étrangères sur des secteurs stratégiques tels que les hydrocarbures, les télécommunications et le tourisme » note Fathi.
[1] Solidarité avec les victimes des microcrédits de Ouarzazate http://cadtm.org/Solidarite-avec-les-victimes-des
CADTM Belgique