Depuis la signature du Traité de Maastricht de 1992, les États n’ont plus la possibilité d’emprunter à leur propre banque centrale ou à la Banque centrale européenne (BCE). Pour financer leurs déficits, ils doivent donc emprunter aux marchés financiers, c’est-à-dire aux grandes banques privées. Cette interdiction d’emprunter directement à la BCE, confirmée par l’article 104 du Traité de Lisbonne, a entraîné un surcoût financier énorme pour les populations et leurs finances publiques.
Dettes illégitimes en Belgique : les sauvetages bancaires (1/5)->http://cadtm.org/Dettes-illegitimes-en-Belgique-les
[Dettes illégitimes en Belgique : l’injustice fiscale (2/5)
« Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États-membres, ci-après dénommées “banques centrales nationales”, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États-membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. » Article 123 du Traité de Lisbonne (paragraphe 1). |
De manière générale, c’est toute la politique des taux d’intérêts et de l’usure qui doit être remise en cause et débattue. Pour rappel, au début des années 1980, suite à une décision unilatérale de la Réserve fédérale des États-Unis, les taux d’intérêts sur le marché mondial ont augmenté d’un coup [1], obligeant la Belgique à emprunter à des taux allant jusqu’à 14 %.
Le graphique suivant montre comment la dette publique aurait évolué depuis 1992 si on avait emprunté exactement les mêmes montants, mais à des taux différents. La courbe du haut (ligne bleue) montre l’évolution de la dette telle qu’elle s’est produite, c’est-à-dire en passant par les marchés financiers. La courbe du bas (ligne orange) montre comment la dette aurait évolué si, tout autre chose restant égale, l’État belge avait financé ses déficits en empruntant à la Banque nationale de Belgique (BNB) à du 0 %. Si tel avait été le cas, la dette publique belge s’élèverait aujourd’hui à moins de 20% du PIB ! Prenons un autre exemple : si l’État belge avait emprunté à la Banque nationale (ou à la BCE) à un taux correspondant à l’inflation (ligne mauve), la dette publique belge s’élèverait aujourd’hui à 50% du PIB et on aurait économisé 186 milliards d’euros d’intérêts sur une période de 20 ans...
A l’opposé de ceux qui affirment que la dette serait le résultat de dépenses inconsidérées de « l’Etat providence », il apparaît que la politique de financement de la dette a joué – aux côtés d’autres grandes causes d’endettement mises en avant dans les articles précédents de la série – un rôle fondamental dans l’évolution de la dette publique belge. Cette réalité devrait pousser les citoyen.ne.s belges à s’interroger sur la légitimité de cette dette. En effet, ce choix politique a clairement fait passer les intérêts des grandes banques privées et de leurs actionnaires avant l’intérêt général.
Nous pourrions nous financer autrement. Non seulement auprès de la Banque centrale mais aussi, et surtout, en augmentant les recettes de l’État via l’imposition ou l’expropriation du capital. De même, des possibilités existent pour financer le déficit en mobilisant l’épargne de la population (autres que « l’emprunt citoyen » du gouvernement précédent) : les institutions financières et autres grandes entreprises privées, ainsi que les ménages les plus riches pourraient être contraints par voie légale d’acheter, pour un montant proportionnel à leur patrimoine et à leur revenu, des obligations d’État à 0% d’intérêt, non indexées sur l’inflation. Le reste de la population pourrait acquérir, de manière volontaire, des obligations publiques qui garantiront un rendement réel positif (par exemple 3%), supérieur à l’inflation. Ainsi, si l’inflation annuelle s’élève à 3%, le taux d’intérêt effectivement payé par l’État pour l’année correspondante serait de 6% [2].
Cette question a également fait l’objet d’une carte blanche publiée par Olivier Bonfond dans Le Soir du 13 novembre 2014
[1] C’est d’ailleurs un des deux facteurs, avec la chute des prix des matières premières, qui a entraîné dans les années 1980 la crise de la dette des pays du Sud.
[2] Lire le cadre « La proposition du CADTM concernant la dette publique » dans l’article « Que faire de ce que nous apprend Thomas Piketty sur Le capital au XXIe siècle » d’Eric Toussaint.