Déclaration orale du CADTM [1] et du CETIM
Monsieur le Président,
Le phénomène des fonds vautours est intimement lié à l’endettement des États et concerne la plupart des pays. C’est pourquoi, le CETIM et le CADTM se réjouissent du mandat confié par le Conseil des droits de l’homme au Comité consultatif concernant l’impact des activités des fonds vautours sur les droits humains et apportent tout leur soutien aux travaux de votre Comité.
Tout d’abord, il convient de présenter brièvement ces « fonds vautours ». Également appelés « créanciers procéduriers », les « fonds vautours » sont des fonds d’investissement qui rachètent à des prix dérisoires des obligations ou des dettes d’États, pour ensuite entamer une procédure judiciaire et les obliger à payer la valeur nominale (montant initial de la créance) de ces obligations ou de ces dettes au moment de leur émission ou de leur naissance, majorée des intérêts moratoires.
Les fonds vautours spéculent sur la dette d’États fortement endettés
Le scénario de leur action est en général identique : ils rachètent à des très bas prix des dettes des États très fortement endettés, voire au bord de l’insolvabilité, en misant sur l’amélioration de la situation de ces États, en spéculant sur l’existence d’avoirs saisissables ou encore sur l’octroi à ces États d’aides ou autres sommes qui pourraient faire l’objet de saisies. Dès que les circonstances sont favorables, ils entament une procédure judiciaire devant le tribunal du pays le plus réceptif à leur thèse. Une fois la décision en justice obtenue, ils l’exécutent par des saisies en n’importe quel endroit du monde sur les avoirs de l’État considéré ou sur des créances de cet État sur des tiers. Ces tiers sont alors contraints de payer au fonds vautour en question et non à l’État qui est leur créancier.
Il faut également noter que les fonds vautours sont souvent enregistrés dans des paradis fiscaux, tels que les Îles Vierges britanniques (Donegal international Ltd), les Îles Caïmans (Kensington international Ltd) ou encore l’État américain du Delaware (FG Hemisphere).
Un système basé sur l’exploitation et la domination des peuples
En réalité, les fonds vautours ne sont que la partie visible de ce qu’on appelle « système dette » : un système basé sur l’exploitation et la domination des peuples. En effet, il est notoire qu’une partie non négligeable de la dette externe de la plupart des pays du Sud est constituée des dettes odieuses, illégitimes, illégales et insoutenables (du point de vue du respect des droits humains), dues à l’héritage colonial, aux détournements de fonds, à la corruption, aux conditionnalités imposées par les bailleurs de fonds internationaux, au financement de projets nuisibles pour les populations et leur environnement, voire pour certaines d’entre elles à des écritures totalement fictives.
Il faut préciser que lors qu’on parle de la dette, il s’agit aussi bien des dettes publiques et privées que des dettes bilatérales et multilatérales, sachant qu’elles peuvent changer de « catégorie » à travers « les rachats et les transferts de créances, les reprises de dettes et les cautions, les prêts arrivés à échéance remplacés par de nouveaux emprunts, les rééchelonnements et les remises partielles mais conditionnées, les détournements et les évasions, les pots de vins et les inscriptions fictives... » [2]
Le « système dette » implique l’utilisation de ressources publiques pour payer les créanciers ou spéculateurs tels que les fonds vautours, au détriment de la satisfaction de besoins et de droits fondamentaux de la population. Pour garantir ainsi le paiement de la dette, des programmes d’ajustement structurel sont imposés (à travers les Institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale), quelles que soient les conditions économiques et sociales du pays concerné et les conséquences pour ses populations. Ces programmes aboutissent bien souvent à la suppression des services publics et aux privatisations de nombreux secteurs qui privent bien souvent les plus vulnérables de leurs droits fondamentaux. La dette sert ainsi de prétexte pour imposer aux peuples des mesures d’austérité injustes et souvent illégales. En revanche, le service de la dette est soigneusement épargné alors qu’il constitue dans la majorité des pays la première dépense de l’État.
Monsieur le Président,
Nous n’allons pas nous attarder sur l’impact des programmes d’ajustement structurel sur les droits humains, étant donné que plusieurs rapports onusiens l’ont déjà bien établi [3]. Notre propos est plutôt d’attirer votre attention sur les liens étroits entre la dette extérieur et les programmes d’ajustement structurel et sur le fait qu’on ne peut pas traiter la question des fonds vautours sans s’attaquer à la racine du problème, à savoir aux mécanismes de l’endettement des États.
Le FMI et la Banque Mondiale attaquent les droits sociaux et la souveraineté des peuples
En effet, depuis plusieurs décennies, les institutions financières internationales (FMI, la Banque mondiale) et leurs relais régionaux imposent des politiques néo-libérales dans le monde entier. Dans les pays qui sont sous la tutelle directe de leurs créanciers, l’attaque contre les droits sociaux et la souveraineté des peuples se fait notamment à travers les conditionnalités attachées aux prêts et aux faux allègements de dettes. La Banque mondiale agit de concert avec le FMI dans les pays du Sud. Elle promeut également des programmes qui démantèlent la protection sociale (via le rapport « Doing Business ») et favorisent les accaparement de terres (via le « Benchmarking the Business of Agriculture »), ce qui provoque de nombreuses violations des droits humains, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels. Les fonds vautours accentuent ces violations puisque, profitant de la vulnérabilité des États endettés, ils ne cherchent qu’à siphonner les ressources publiques. Ainsi, les maigres ressources disponibles de l’État concerné sont accaparées en quelque sorte par ces spéculateurs.
Le Club de Paris, un groupe informel réunissant les vingt plus riches États créanciers, qui se présente comme un intermédiaire pour la restructuration de la dette, se comporte également parfois comme les fonds vautours comme nous avons pu l’observer dans le cas de l’Argentine [4].
Face à ces violations massives de droits humains, le Comité consultatif devrait recommander aux États de prendre, à l’échelle nationale et internationale, les mesures suivantes :
Enfin, il serait notamment très utile que le Comité consultatif établisse un registre recensant les fonds vautours.
Toutes ces mesures se fondent à la fois sur le droit international et les rapports de l’ONU comme ceux de l’Expert des Nations-Unies sur la dette. Ces mesures sont d’autant plus urgentes qu’il y a aujourd’hui un risque important de nouvelle crise de la dette externe.
Comme nous l’avons déjà dit, les États doivent agir sur le problème de la dette publique en général. Aborder la question des fonds vautours nous oblige, en effet, à aborder la question de la dette publique. Cette dette est en grande partie illégitime concernant les pays du Sud mais aussi les pays du Nord.
Genève, le 25 février 2015
[1] Le CADTM a participé en 2009 à la brochure intitulée « un vautour peut en cacher d’autres » qui décrivait avec précision l’activité des fonds vautours et avançait des propositions pour les combattre, http://www.cncd.be/Unvautour-peut-en-cacher-un-autre
[2] Cf. Menons l’enquête sur la dette ! Manuel pour des audits de la dette du Tiers Monde, coédition CETIM et CADTM, octobre 2006, http://www.cetim.ch/fr/publications_ouvrages/138/menons-l-enquete-sur-la-dette-manuelpour-les-audits-de-la-dette-du-tiers-monde
[3] Voir en particulier E/CN.4/Sub.2/1995/10, daté du 4 juillet 1995, E/CN.4/Sub.2/1991/17, daté du 18 juillet 1991 et E/CN.4/1999/50, daté du 24 février 1999. Voir également Dette et droits humains, Melik Özden, éd. CETIM, 2007, http://www.cetim.ch/fr/publications_dette.php
[4] Dans le cas de l’Argentine par exemple, les États membres du Club de Paris sont parvenus le 29 mai 2014 à un accord avec l’Argentine prévoyant le remboursement de sa dette odieuse. L’accord de 2014 prévoit le paiement de 9,7 milliards de dollars dont 3,6 milliards correspondent à des intérêts punitifs sur les arriérés.
[5] En 2008, la Belgique s’est ainsi dotée d’une loi qui rend l’argent de la coopération au développement incessible et insaisissable. Le Royaume-Uni a pris une loi en 2010 qui plafonne les remboursements que peuvent exiger les fonds vautours devant les tribunaux anglais lorsque ces derniers attaquent en justice les pays classés PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) par la Banque mondiale.
[6] Le réseau CADTM et le CETIM viennent de publier un second manuel sur l’audit de la dette. Cet ouvrage retrace en détail les expériences d’audits citoyens et gouvernementaux menées un peu partout dans le monde. Rappelons à ce propos que l’Équateur a su reprendre la maîtrise de la question de son endettement en réalisant un audit intégral de la dette publique entre 2007 et 2008, débouchant sur la décision de l’Équateur de suspendre unilatéralement le paiement d’une partie de sa dette commerciale. En 2009, le gouvernement équatorien a ensuite imposé aux créanciers une réduction très importante de dette. Cette économie a permis au gouvernement d’investir davantage dans le secteur social. Il s’agit d’une expérience historique radicalement différente des restructurations de dettes, qui sont dans la grande majorité des cas dans l’intérêt des créanciers. Si ce livre a pour but de former les mouvements citoyens à la réalisation d’audits, nous estimons qu’il relève également du rôle de l’ONU de s’intéresser à ce genre d’expériences, voire d’appuyer financièrement et/ou logistiquement la mise en route d’audits de la dette, qu’ils soient citoyens, parlementaires, judiciaires ou gouvernementaux.
[7] Cf. §§ 67 à 70 des Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme, A/HRC/20/23, daté du 10 avril 2012.