Présentation d’Amina Amzil (ATTAC CADTM Maroc) lors du FSM de Tunis le 26 avril 2015 dans le cadre de l’atelier ‘La crise économique et son impact sur les droits socio-économiques des femmes’.
Quels sont les effets de la crise sur l’économie marocaine ? Quels secteurs sont les plus affectés ?
C’est à partir de 2009 que le Maroc a commencé à ressentir les conséquences de la crise économique internationale. Les secteurs économiques les plus touchés sont les domaines des exportations, des investissements directs étrangers, du tourisme, de industrie et des transferts des MRE (transferts des Marocains Résidant à l’étranger).
Alors qu’au commencement de cette crise le gouvernement marocain prétendait que le pays était à l’abri, très rapidement les difficultés sont apparues surtout dans les pans de l’économie en relation directe avec les marchés étrangers, européens notamment.
Les professionnels du textile et de l’industrie automobile en première ligne des déstructurations provoquées par la crise ont tiré la sonnette d’alarme dès le quatrième trimestre de l’année 2008. Les fabricants automobiles connaissaient une réduction de deux tiers de leur production. Dans le secteur du textile, les pertes d’emploi ont été estimées par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale à 9.700 postes entre janvier et mars 2009 par rapport à la même période de l’année précédente.
Sur le marché international, les exportations et productions de phosphate ont connu une chute vertigineuse.
Les secteurs où le salariat féminin est majoritaire sont les plus directement atteints par le marasme économique international
La prédominance des travailleuses dans certains secteurs s’explique par le fait qu’ils ont délibérément choisi d’employer des femmes au vu des très faibles salaires qui leur sont généralement attribués. Ces secteurs n’hésitent pas à se soustraire aux prestations sociales – perçues par les employeurs comme constituant des « charges »– et à la législation du travail en matière de salaires, d’horaires de travail, d’hygiène et de sécurité. Et ce d’autant plus que ces secteurs exigent une main d’œuvre abondante et peu qualifiée. C’est particulièrement le cas du secteur agricole.
Le secteur agricole et le travail des femmes au Maroc
Suite à l’application des programmes d’ajustement structurel, des accords de libre échange et du plan Maroc Vert (2008), la majorité de la production du secteur agricole est orientée vers l’exportation.
Les exploitations agricoles emploient plus de la moitié des femmes (59,5 %) travaillant dans le secteur privé.
Les prix des principales exportations agricoles ont baissé significativement sur le marché mondial, notamment les agrumes, les tomates, les légumes et les fraises. Les exploitants ont bien souvent compensé cette perte de bénéfices en accroissant l’exploitation et en détériorant les conditions de travail de leur main d’œuvre majoritairement féminine. Ainsi la durée de l’emploi (entre un ou trois mois) varie selon les fluctuations de la production. Le plus souvent le recrutement se fait soit à journée soit à la tâche. Les travailleurs/euses engagé-e-s à la journée le sont directement par les exploitants ou leurs représentants ou encore par des intermédiaires, souvent les chauffeurs de camions qui assureront leur transport vers l’usine ou le champ. Lorsque la main d’œuvre est recrutée à la tâche, un tarif forfaitaire est proposé pour l’accomplissement d’un travail donné (par exemple ramasser toute la production d’un champ). Un des travailleurs est généralement désigné pour déterminer le nombre de personnes ainsi que d’heures et de jours nécessaires pour réaliser la tâche en question.
On trouve dans les mo’qafs des gens de tous âges, les plus jeunes n’ont pas plus de 13 ans
Si les conditions de travail sont dégradées, les conditions de transport des travailleurs/euses sur leur lieu de travail sont exécrables. Non seulement les camions sont bondés mais ils transportent également simultanément les marchandises. Alors que les ouvriers et ouvrières devraient à minima pouvoir voyager dans des bus, leurs employeurs les traitent comme des marchandises
Les exploitants agricoles appliquent une flexibilité de la main d’œuvre à toute épreuve afin d’assurer une productivité maximale. La durée d’une journée de travail est extrêmement variable, elle oscille entre moins de 6 heures à 15 heures par jour, voire même au-delà dans les usines au moment des pics de production. Les travailleurs et travailleuses sont donc confrontés selon les périodes soit au sous-emploi soit à une cadence de travail intensive. Pour le travail en plein champ, la journée commence à l’aube et ne s’achève qu’après la nuit tombée tandis que dans les usines d’emballage et de conditionnement, le travail ne cesse pas, ces usines fonctionnent de jour comme de nuit…
Les salaires dans le secteur agricole sont très bas et moins élevés que ceux perçus dans l’industrie. Ils sont soit comptés à l’heure (entre 5 dirhams à 10 dirhams - le salaire peut atteindre 80 dirhams (dh) quand la durée du travail dépasse 10 heures), soit estimés à la journée (entre 40 dh et 50 dh soit l’équivalent de 4 à 5 euros), ou encore à la semaine, à la quinzaine, au mois ou encore à la tâche. En outre, les salaires diffèrent selon les produits agricoles ramassés (fraises, pastèques ou pommes de terre). Comme ces salaires rémunèrent que les journées travaillées, certain-e-s travailleurs et travailleuses peuvent rester jusqu’à six mois sans travail et donc sans revenus.
Généralement, les ouvrières, surtout celles employées dans les champs et les usines d’emballage, ne sont couvertes par aucun contrat de travail. Plus de 80 % d’entre elles n’ont aucune couverture sociale. Même pour celles qui sont inscrites à la CNSS (Caisse Nationale de Sécurité Sociale marocaine) l’employeur ne paie pas de prestations de sécurité sociale, le tout dans l’impunité totale. Ces travailleuses ne bénéficient pas de congés maternité.
Dans les champs ou sous les serres, les conditions de travail sont épouvantables
À la longueur des journées prestées et à la pénibilité du transport s’ajoute la pénibilité du travail en lui-même. Dans les champs, le ramassage des fraises se fait dans des conditions inimaginables. Les ouvrières avancent courbées le long des rangées de plants, la caisse à remplir juste posée sur leurs dos. Dans le secteur de l’exploitation des tomates, le ramassage se fait sous les serres où la chaleur en fin de saison peut être parfaitement insoutenable. En outre, la collecte des tomates se fait à main nue sans aucune protection contre les pesticides contenus dans les fruits ramassés. De fait, les maladies de peau et les mains crevassées témoignent des dégâts subis par les travailleuses.
Aux yeux des exploitants agricoles, seule compte la production. Les travailleurs/euses eux/elles ne représentent rien et peuvent travailler jusqu’à épuisement.
Dans les stations d’emballage, la durée de la journée de travail est flexible et peut se prolonger au-delà des 12 heures. Le repos hebdomadaire n’est pas respecté. A la pleine saison, les ouvrières peuvent travailler 15 jours d’affilée sans pouvoir avoir le moindre jour de repos. De plus, la menace du licenciement sans préavis est constante. Il faut en effet peu de chose pour perdre sa place.
Ce manque de respect des droits des travailleurs/euses est aussi flagrant en ce qui concerne les repas : il n’y a ni espace aménagé ni endroit propre pour manger et se reposer pendant la pause d’une demi-heure du midi.
Aux conditions de travail épuisantes et pénibles, à l’absence de contrat de travail tout comme de couverture sociale et médicale et à des salaires très faibles et variables vient s’ajouter l’expulsion collective arbitraire des travailleuses et travailleurs. Ces expulsions et la non-application du droit du travail se font avec la complaisance non masquée des autorités et de l’État. De plus, la répression de tout mouvement syndical est présentée par le gouvernement marocain comme une garantie d’optimalisation de leurs profits aux investisseurs assurés de pouvoir exploiter sans aucune entrave leur main d’œuvre et ainsi d’être compétitifs sur le marché international.
Toutes ces violations aggravées de leurs droits sont « acceptées » par les travailleuses agricoles bien souvent analphabètes… À partir de là, tous les abus sont possibles et deviennent malheureusement la règle.
Le salariat féminin au sein du secteur textile marocain
Il occupe près de 42% de l’emploi industriel. Les femmes constituent 63,5% des travailleurs de ce secteur. En 2000, ce taux est descendu à 49,2 %.
Les exportations de textile ont baissé de 10% en 2008. Cette chute des revenus de l’exportation des textiles est par la suite devenue structurelle au Maroc. Entre 2013 et 2014, c’est pas moins de 32.000 postes qui sont passés à la trappe. Ainsi, les effectifs employés dans le textile ont été réduits de 14% (4,6% pour le secteur de l’habillement et 8,6% pour les activités de la chaussure).
70% des employé-e-s dans le textile ne disposent pas d’une couverture médicale. La plupart des travailleurs/euses de ce secteur sont saisonniers, occasionnels ou carrément non-rémunérés. Plus de 3 employé-e-s du textile sur 5 n’ont pas de contrat de travail.
Bien que le secteur du tourisme, par apport à celui de textile, n’ait pas été significativement affecté par la récession économique, il n’a pas connu de reprise susceptible de permettre l’absorption de la main d’œuvre mise au chômage par la crise dans les autres secteurs de l’économie marocaine.
Impacts généraux de la crise sur le marché du travail féminin au Maroc
Le chômage des femmes a augmenté. Ce sont les femmes diplômées qui ont été les plus affectées. Elles représentent 29% de l’ensemble des chômeuses au Maroc…
Cette augmentation du chômage des diplômées est en grande partie la conséquence des licenciements opérés dans la fonction publique (véritable vivier d’emplois pour ce type de profil socio-professionnel) imposés par les autorités pour « gérer » l’endettement public. Notons que le déficit marocain est en grande partie généré par la diminution des prix et des productions des exportations et le recul des transferts des MRE.
Le déséquilibre de la balance commerciale amène l’État à recourir à l’emprunt extérieur pour financer le budget public. On en arrive ainsi à un cercle vicieux : en accroissant la dette publique, le gouvernement gonfle la part du budget public alloué à son remboursement. Le service de la dette (c’est-à-dire le montant du capital emprunté qui est remboursé chaque année + le paiement annuel des intérêts) atteint 108 milliards de dirhams ce qui équivaut à 2,12 fois le budget de l’éducation, 9 fois le budget de la santé et 1,83 fois le budget des investissements publics.
L’accroissement de travail non rémunéré de femmes effectué dans le cadre familial est une autre conséquence directe de la crise. Ce travail gratuit et invisible est passé au Maroc de 48,7 % en 2000 à 57,3% en 2012.
Aussi le travail informel se développe très rapidement : de 27,0% en 2000, il est passé de 44,2% en 2012. Ce type de travail prend très souvent la forme de petites activités génératrices de revenus qui exigent de longues durées de travail sans pour autant permettre aux travailleuses de récolter suffisamment de ressources pour s’extraire de la pauvreté. Le tout dans un contexte où les prix des aliments tout comme des soins de santé ont extrêmement augmenté suite au retrait de l’État qui assurait leur accessibilité.
Globalement on peut remarquer qu’outre les licenciements et la détérioration des conditions de travail, les femmes ont de plus en plus de difficultés à trouver un emploi décent à cause d’une faible croissance de l’économie marocaine.