Le 7 avril, à l’occasion de la visite d’État du président de la République tunisienne, François Hollande a annoncé au nom de la « solidarité financière » avec la Tunisie que la France engageait « une conversion de dette tunisienne à hauteur de 60 millions d’euros pour assurer le financement de projets ».
Cette déclaration se voulait sans doute l’écho de l’annonce par l’Italie d’une annulation de la dette tunisienne à hauteur de 25 millions d’euros.
Mais cette « solidarité » est loin d’être à la hauteur des déclarations répétées François Hollande ni surtout du poids et de la responsabilité de la France vis à vis de la Tunisie.
Tout d’abord, cette annonce n’est a priori que la répétition de celle déjà faite il y a près de deux ans, en juillet 2013, et ne semble correspondre à aucun nouvel engagement. La mise en œuvre de cette promesse désormais ancienne se fait d’ailleurs toujours attendre. On pouvait espérer mieux après les déclarations du Bardo.
Dès juin 2012, l’Allemagne a pris un engagement similaire en termes de montants qui correspond à la conversion de plus du tiers de la dette tunisienne en sa possession et l’intégralité de ces fonds a été débloqué au 3 mai 2013.
Et le 5 avril 2014, le gouvernement belge a annoncé la conversion en projets de développement de 10,6 des 13,3 millions de dette tunisienne en sa possession.
Par ailleurs, la conversion de dette en financements de projets n’est pas un abandon de créances. Contrairement à l’Italie qui, dans le prolongement de la tragédie de l’attentat du Bardo, a définitivement renoncé au remboursement des sommes qui lui étaient dues, il n’est pas envisagé par la France le moindre effacement de dette alors qu’il ne fait aucun doute qu’une partie au moins substantielle de celle-ci est odieuse au sens du droit international car contractée sous le régime dictatorial de l’ancien président Ben Ali sans qu’elle profite à la population tunisienne.
Enfin et surtout, cette somme est dérisoire au regard de l’encours total de la dette tunisienne détenue par la France, estimé à près d’1,5 milliards d’euros ce qui en fait un des principaux créanciers du pays à égalité avec le FMI, la BEI et la Banque africaine, soit environ 13 % de l’encours total de la dette tunisienne.
Il est d’ailleurs utile de rappeler que la dette tunisienne avoisine désormais les 50 % du PIB contre 40% au moment de la Révolution.
Cette dette est donc en augmentation constante et les emprunts récents contractés auprès du FMI (1,6 milliards d’euros) et de l’UE (300 millions d’euros), sous couvert d’ « aide macroéconomique », hypothèquent toujours un peu plus l’avenir du peuple tunisien à coups de conditionnalités néolibérales et d’intérêts dont il faudra s’acquitter plutôt tôt que tard.
Drôle de façon de soutenir la transition démocratique en Tunisie qui en a pourtant plus que jamais besoin.
Seul un moratoire sur le paiement de la dette tunisienne en permettant d’en faire un audit pourrait donner à la Tunisie le temps nécessaire pour faire les réformes économiques et sociales indispensables que le peuple tunisien attend maintenant depuis 4 ans.
Ces demandes et surtout l’urgence de celles-ci m’ont été confirmées au cours de la mission que je viens d’effectuer en Tunisie dans le cadre de la Délégation Maghreb du Parlement européen tant par les parlementaires que par les représentants de la société civile dans toute leur diversité et notamment par les organisations syndicales.
Il serait vraiment temps que la France comme l’UE comprennent les enjeux de ce qui se passe dans ce pays et l’impérieuse nécessité de soutenir cette nouvelle démocratie face aux défis auxquels elle est confrontée. Temps qu’elles mettent enfin en harmonie leurs discours et leurs actes. Il en va de l’avenir de toute cette région du monde.
Alors oui, assez de marchés de dupes.
Députée européenne, groupe GUE-NGL, première signataire de l’appel des parlementaires européens et nationaux pour un audit des créances européennes à l’égard de la Tunisie