Dans une interview accordée à l’agence de presse grecque, M. Toussaint a expliqué le rôle et le contenu de la Commission de la Vérité sur la Dette qui a achevé sa deuxième session de travail de quatre jours à Athènes.
Cette commission, qui a été créée le 4 avril – nous nous trouvons dans sa deuxième session – se compose de plus de trente membres et une quinzaine d’entre eux ne sont pas grecs. Ils viennent de dix pays différents.
Les quinze autres membres proviennent de Grèce. Il s’agit de personnalités différentes : juristes, économistes, spécialistes du contrôle des affaires publiques, etc. En ce qui concerne le contenu des recherches de la Commission, il s’agit d’enquêter sur la dette, en repérant « la dette illégale, insoutenable, odieuse ou illégitime ».
A la question de savoir ce que la Commission peut apporter de nouveau, Eric Toussaint met l’accent sur les aspects suivants :
« Elle fournira un rapport rigoureux qui jugera du caractère légal de la dette extérieure de la Grèce. Et si, après une analyse exhaustive, il apparaît que le montant de la dette – montant très important – qui est réclamé à la Grèce revêt des caractères illégaux, odieux, illégitimes ou insoutenables, cela donnera des arguments aux pouvoirs publics grecs dans le cadre de la négociation. Cela donnera aussi des arguments à la population grecque pour qu’elle se demande ce qu’il faut faire, indépendamment des élections. »
Eric Toussaint dit encore que les Grecs « suivent ce qui se passe dans le cadre des négociations. Nous voyons dans les sondages que l’opinion publique évolue et que nos travaux participent à la prise de conscience du peuple, tant en Grèce qu’au niveau international. »
Lorsque l’Agence de presse lui demande si le problème de la dette de la Grèce, par rapport à d’autres pays, a des caractéristiques propres, M. Toussaint répond : « Oui et non. Oui, parce que 80% de la dette est réclamée par le FMI, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), la Banque centrale européenne (BCE) et quatorze pays membres de la zone euro qui ont accordé des prêts bilatéraux à la Grèce. Cela représente 80% de la dette grecque.
Il y a aussi le caractère unique de sa chronologie, c’est-à-dire qu’elle a été créée dans une période précise en relation avec les protagonistes et leur action. Parce que 80% de la dette est une dette très récente, qui vient de la période 2010-2012 à nos jours.
Nous parlons donc de deux programmes, appelés plans de sauvetage de la Grèce, c’est-à-dire les deux mémorandums qui se sont succédés. Ces mémorandums ont eu des conséquences dramatiques au niveau économique et, selon une série d’enquêtes, ils ont créé une récession extraordinaire pour les conditions de vie du peuple grec.
Nous pouvons ainsi enquêter sur la manière dont les prêts ont été accordés, sur les politiques qui ont été adoptées et sur la période des prêts. Et ainsi préciser si le remboursement que réclament le FMI, la BCE les 14 pays-membres et le FESF est justifié ou non.
Par ailleurs, 20% de la dette se trouvent dans les mains de créanciers privés, particulièrement des banques grecques qui achètent des obligations à court terme. Mais ils se trouvent aussi dans les mains de créanciers étrangers parmi lesquels des « fonds vautours » qui spéculent sur la dette grecque, restructurée en 2012. Et là, il est bien sûr nécessaire d’analyser les sommes que réclament les grands créanciers étrangers. »
Traduction du grec par Grégory Dolcimascolo
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.