La député européenne Eva Joly, connue pour sa contribution à la lutte contre la corruption, a été accueillie jeudi 11 juin par la présidente du Parlement hellénique, Zoé Konstantopoulou, et les membres de la Commission pour la Vérité sur la Dette Grecque.
Zoé Konstantopoulou rappelle que son initiative de créer une Commission pour la Vérité sur la dette grecque a pour origine le souci de faire respecter le droit du peuple à la vérité et à la justice. Elle dénonce la victimisation du peuple et des générations futures du fait de la dette. Selon elle, il est important d’avoir une approche objective.
Eva Joly approuve en relevant qu’on demande beaucoup au peuple, pas assez aux multinationales. Elle rappelle qu’une Commissions Taxe a été créée au Parlement européen. Elle indique qu’en Grèce, beaucoup d’entreprises ont bénéficié des tax rulings (cf. le rapport SOMO). Elle a établi la liste de ces entreprises pour la Grèce. Cela représente plusieurs milliards de manque à gagner au vue de l’impôt sur les sociétés de l’ordre de 30 %. Ce montage est légal… tant que les tribunaux ne l’ont pas sanctionné. En France, l’article 64 du code général des impôts interdit de faire des montages dont le seul objectif est de ne pas payer d’impôt. Il existe une commission « Code de conduite » qui se réunit régulièrement depuis 1997. De son côté, la Commission européenne n’a rien fait pour lutter contre la fraude fiscale dont le Luxembourg est un exemple criant. Il faudrait avoir les traces des réunions de la commission « Code de conduite » où les ministres grecs auraient pu se plaindre de cette situation et mettre en cause le rôle de la Commission européenne. Dans une liste, on dispose des noms des entreprises allemandes qui ne payent pas d’impôt grâce à des purpose entities aux Pays Bas. Il est indispensable d’obtenir le rapatriement des fonds des riches grecs dissimulés en Suisse. Il faut qu’une enquête soit menée. Il y aurait 160 Md€ placés selon la Banque des compensations, ce qui représente 40 Md€ de manque à gagner en terme d’impôt. Il existe aussi des suspicions de corruption et de favoritisme (cf. la liste Lagarde).
ZK rappelle qu’à l’époque elle avait interrogé la vice-ministre des Finances à ce sujet et n’avait reçu qu’une réponse provocatrice. Après un article anonyme paru dans la presse, un CD est arrivé au ministère des finances en 2010. Il y a eu par la suite des aveux et une enquête par une commission du Parlement qui a débouché sur une recommandation et une plainte en matière pénale pour crime. Aujourd’hui, le dossier est rouvert : la justice examine actuellement le contenu de la liste et la situation de personnes (non ministres).
EJ : on a les noms des suspects, cela suffit pour que le procureur grec diligente une enquête. Si on dispose du nom de la personne, du montant des sommes et du nom de la banque, il doit y avoir une enquête pour blanchiment de fraude fiscale. Il existe une disposition qui permet de sanctionner les fausses déclarations des politiciens. La procédure pour fausse déclaration est plus facile à mettre en œuvre que la procédure pour corruption. Il faut aussi vérifier qu’il n’y ait pas prescription, et si c’est le cas, trouver la parade pour montrer que des informations ont été cachées.
ZK : on peut qualifier les actes de crimes pour éviter la prescription.
EJ : il faut faire tomber une personne importante, un symbole, pour montrer qu’il n’y a pas d’impunité.
ZK : dans l’affaire Siemens en cours, il n’y a pas à ce jour de condamnation, mais le dossier a été rouvert. Il y a également les conventions d’armement.
EJ rappelle que dans le premier mémorandum, l’Allemagne et la France avaient mis comme condition la poursuite de ventes d’armes à la Grèce par leurs sociétés. Elle insiste sur le fait qu’il faut trouver le pourcentage des commissions versées (qui peuvent aller jusqu’à 40 %). Par exemple, sur un achat d’arme de 8 Md€, 3 Md€ ont pu aller à la corruption. Il faut suivre les flux financiers, faire une enquête car il est indispensable de disposer d’informations.
ZK indique qu’il y a des dizaines de dossiers de corruption mais moins de 10 personnes pour s’en occuper. Il y a beaucoup d’affaires publiques devant la justice.
Éric Toussaint rappelle qu’un ministre de la défense a été condamné à 20 ans de prison.
EJ souligne que la corruption arrose tout le monde, jusqu’à la concierge et préconise de confisquer les biens pour que les coupables se retrouvent nus comme des vers.
ET indique qu’il y a quelques mois la justice suisse a pris des initiatives sur les contrats d’armement avec la Grèce. Il évoque un camarade luxembourgeois susceptible d’apporter son concours.
EJ est dubitative car elle rappelle que 40 % des ressources du Luxembourg proviennent de son système frauduleux et qu’il n’y a pas de coopération à attendre. Pour elle, la honte, c’est d’avoir Juncker Président de la Commission européenne alors qu’il est responsable d’une grande partie du déficit public.
ET rappelle quelques contrats d’armements avec de grosses multinationales : des sous-marins qui penchent à gauche, des tanks dont le canon ne tire pas droit, des avions sans moteur. Il y a eu des achats d’armes inutiles pour enrichir quelques Grecs qui passaient la commande.
Pour EJ, l’essentiel est de confisquer les actifs. Il existe un instrument juridique : la confiscation civile. Il appartient aux accusés de prouver que leur fortune est légitime, cela permet d’éviter des procès qui durent 15 ans. La commission taxe fait des études, des voyages, mais une commission spéciale dispose de peu de pouvoirs et son travail dépend des documents qu’on lui donne.
ZK évoque la possibilité de faire une procédure d’enquête parlementaire pour obtenir les documents. Elle évoque la possibilité d’une invitation d’une délégation de la Commission en Grèce.
EJ est d’accord sur le principe et précise qu’il faut que les coordinateurs des groupes politiques soient d’accord.
ZK évoque les problèmes dans les fonctionnements des banques, il n’y a pas de transparence. Les memoranda ont favorisé les banques au détriment des caisses des universités, des caisses de retraite.
EJ souligne le rôle important des banques dans l’organisation de la fraude. Mais depuis 2015, il doit y avoir un reporting pays par pays qui permet de voir où se fait le résultat. Avec Philippe Lambert, EJ a commencé une étude sur le sujet. Le 3 juillet, le rapport sera rendu public et l’on verra que certaines banques ont déplacé 45 % de leurs bénéfices. EJ indique que cette obligation a été étendue à toutes les multinationales, mais les informations ne sont pas publiques et sont réservées aux seules administrations fiscales. Elle rappelle aussi que l’UE n’a pas régulé le shadow banking.
ET présente la structure du rapport préliminaire et en donne quelques points clés, tels l’augmentation démesurée de la dette privée, du fait des banques étrangères qui ont recyclé massivement leurs liquidités, ce qui a généré une bulle des crédits privés, suivie d’une crise avec des défauts de paiement. Cela a suscité la crainte des banques étrangères et l’avènement des memoranda au prétexte que la dette publique grecque était un problème insupportable, susceptible de mettre en danger le système financier international. Entre 2010 et 2015, il y a eu un remplacement des créances : des titres ont été remplacés par des prêts accompagnés de conditions. On a assisté à des violations des deux côtés : créanciers et gouvernement grec. La commission va proposer des bases légales qui permettent aujourd’hui à la Grèce de poser des actes souverains fondés en droit : état de nécessité, politique injuste des créanciers.
EJ insiste sur la bêtise des politiques imposées à la Grèce, on ne tue pas son débiteur ! Or les propositions faites à la Grèce sont antiéconomiques. Elle juge le dossier de la Commission très solide. Pour elle, la Grèce est un espoir du renouveau de l’idée européenne. Elle voudrait pouvoir faire confiance au bon sens des femmes et des hommes au pouvoir pour qu’ils s’aperçoivent qu’il ne faut pas aller plus loin.
ZK récapitule ce qui est en danger aujourd’hui : la démocratie, les droits de l’Homme, la dignité des êtres humains et l’âme de l’Europe. Elle souligne la victimisation féroce du peuple, la distorsion de la vérité en Grèce (avec aussi des responsables au niveau des gouvernements européens).
EJ apporte cette précision… il y a une chance dans le malheur, Siemens est corrompu mais « bon », car il y a des « mauvais » corrompus. Pour elle, la Grèce est l’espoir.
Pour ZK, c’est une lourde responsabilité de représenter l’espoir mais surtout les jeunes qui sont les victimes, n’ont participé à rien et n’ont même pas désigné les gouvernements. Soutenir la Grèce signifie soutenir les générations futures, qui sont les victimes aujourd’hui comme le prouve le taux du chômage des jeunes qui ne tient pas compte des jeunes déjà émigrés. Pour ZK, il est important d’avoir le soutien d’EJ, afin qu’elle soit une « ambassadrice » de notre combat.
a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.