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Le trio infernal Banque mondiale / FMI / OMC
par Eric Toussaint
27 octobre 2003

Au cours du mois de septembre 2003, ont eu lieu successivement le sommet interministériel de l’OMC à Cancun et l’assemblée annuelle de la Banque mondiale et du FMI à Dubaï. Le premier a été un échec, la seconde s’est déroulée dans un climat franchement maussade. Il est essentiel de prendre la mesure de la cohérence des politiques recommandées par le trio Banque mondiale / FMI / OMC.

L’éclatement de la crise de la dette en 1982 a donné l’occasion à la Banque mondiale et au FMI de développer leur action de manière conjointe à l’égard des pays endettés de la Périphérie. La Banque mondiale et le FMI ont formé un duo qui s’est chargé à la fois d’imposer une discipline néolibérale aux pays endettés (via les plans d’ajustement structurel - PAS) et d’assurer la continuité du remboursement de la dette. Ce duo n’a jamais mis fin à ses rivalités internes mais, si on prend un peu de hauteur historique, ce qui prime, c’est la cohérence de leur intervention dans le cadre du Consensus de Washington [1].

Les PAS visent depuis l’origine à ouvrir au maximum les économies des pays endettés aux transnationales des pays les plus industrialisés et aux intérêts stratégiques des pays de la Triade (les deux se confondant la plupart du temps). L’alliance intime entre les créanciers publics (les institutions de Bretton Woods et le Club de Paris) a permis de faire entrer à nouveau les pays de la Périphérie dans un cycle de dépendance accentué et a fortement renforcé la position des transnationales des pays du Centre sur les marchés de la Périphérie, non seulement en terme de parts de marché mais également en terme de contrôle sur les leviers stratégiques de l’activité économique et sur les ressources naturelles.

Le dispositif de contrôle s’est renforcé avec la création de l’Organisation mondiale du Commerce. Depuis 1995, année d’entrée en activité de l’OMC, les directions des trois institutions multilatérales coordonnent leurs efforts pour pousser plus loin la mondialisation néolibérale. La Banque mondiale, le FMI et l’OMC constituent un trio.

L’article 3, alinéa 5 des accords de Marrakech donnant naissance à l’OMC mentionne explicitement la collaboration entre les trois institutions : « En vue de rendre plus cohérente l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial, l’OMC coopérera, selon la forme appropriée, avec le FMI et la Banque mondiale ».

Dans une fiche technique publiée par le FMI sur son site en septembre 2003, on lit : « Le FMI et l’OMC coopèrent à maints égards pour assurer une plus grande cohérence des décisions économiques mondiales ». Plus loin, on apprend que le FMI, la Banque mondiale et l’OMC ont mis au point pour les pays les moins avancés un « cadre intégré (qui) vise à assurer l’inclusion des questions commerciales dans le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) que les pays préparent en consultation avec le FMI, la Banque mondiale et d’autres partenaires au développement » [2].

Lors d’une réunion du Conseil général de l’OMC à Genève en mai 2003 pour préparer le sommet interministériel de l’OMC qui allait se réunir à Cancun en septembre 2003, Supachai Panitchpakdi, directeur général de l’OMC, Horst Kölher, directeur général du FMI, et James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, avaient adopté une déclaration commune dans laquelle ils appelaient les dirigeants du G8 à prendre la direction politique des négociations en vue d’assurer le succès de Cancun. Ils ajoutaient : « L’OMC, le FMI et la Banque mondiale coopèrent pour soutenir l’engagement entier des pays en développement dans les négociations sur le commerce global afin qu’il en résulte une croissance de leur commerce ». [3]

Et de réaffirmer le dogme néolibéral en vertu duquel un maximum d’insertion dans le commerce international augmente les possibilités de développement des pays en développement : « Le commerce est vital non seulement grâce aux gains directs qu’il apporte mais aussi parce qu’il accroît les flux financiers et les investissements réels vers les pays en développement. Ces flux génèrent une croissance du revenu et de l’emploi qui permet à la population de sortir de la pauvreté et qui rend les économies plus résistantes aux chocs » [4].

Enfin, ils ajoutaient que : « Le G8 aidera à maintenir l’élan de l’ajustement structurel sur le long terme tant dans les pays développés que dans ceux en développement ».

Il est essentiel de constater la cohérence des politiques recommandées par le trio Banque mondiale / FMI / OMC. Le FMI et la Banque mondiale utilisent leur statut de créancier privilégié pour conditionner l’octroi de prêts aux gouvernements de la Périphérie à la mise en œuvre de réformes économiques qui augmentent l’ouverture des économies des pays endettés au marché mondial dominé par les pays les plus industrialisés et les transnationales qui y ont en majorité leur siège. Le renforcement de la connexion des économies des pays de la Périphérie au marché mondial, tel qu’il est hiérarchisé, se fait au détriment de leurs producteurs locaux, de leur marché intérieur et des possibilités de renforcer les relations intra Périphérie (les relations Sud-Sud).

Contrairement au dogme néolibéral, une plus grande ouverture et une plus forte connexion au marché mondial constituent un obstacle au développement des pays de la Périphérie. L’insertion entière d’un pays de la Périphérie dans le marché mondial est générateur de déficit structurel de la balance commerciale (les importations croissent plus vite que les exportations), déficit qui a tendance à être comblé par des emprunts extérieurs qui augmentent l’endettement [5]. La boucle est bouclée. La politique du trio Banque mondiale / FMI / OMC maintient les pays de la Périphérie dans le cercle vicieux de l’endettement et de la dépendance.


Notes :

[1J. Stiglitz dans La grande désillusion tente, sans convaincre, de séparer les rôles respectifs de la Banque et du FMI. Il tire à boulets rouges sur le FMI tout en ménageant la Banque.

[4ibidem

[5Certains avanceront pour contrer cette argumentation l’exemple de la Chine. La Chine maintient un important solde positif de sa balance commerciale. Elle exporte plus vers les pays de la Triade (à commencer par les Etats-Unis) et le reste du monde qu’elle n’en importe. Son endettement extérieur relativement modéré vu la taille de l’économie ne constitue pas, toutes choses restant égales, un grave problème car elle dispose d’une épargne très importante principalement en dollars. La Chine et le Japon sont en termes relatifs les principaux détenteurs de bons du Trésor des Etats-Unis. Bref, la Chine est créancière des Etats-Unis. La dette extérieure publique de la Chine est grosso modo équivalente aux créances qu’elle détient sur les Etats-Unis sous forme de bons du Trésor. Selon l’Union des Banque Suisses et l’OCDE, en juin 2003, la Chine, le Japon, Hongkong et la Corée du Sud détenaient ensemble pour 696 milliards de dollars de bons du Trésor des Etats-Unis. L’exemple de la Chine ne contredit pas l’argumentation de l’auteur. Car la Chine a une insertion très particulière dans le marché mondial. Elle maintient de très importantes protections à l’égard du marché mondial et la taille de son marché intérieur est considérable. Le danger pour la Chine est que ses autorités acceptent de se plier aux exigences du trio Banque mondiale / FMI / OMC en abandonnant le contrôle sur les mouvements de capitaux, en rendant convertible sa monnaie, en libérant le contrôle sur les investissements et en supprimant ses barrières douanières. Toutes ses mesures sont demandées par l’UE, les Etats-Unis, le Japon et sont relayées par le trio. L’avenir nous montrera que si le processus de restauration capitaliste en cours en Chine se combine avec l’application du Consensus de Washington, les effets négatifs des politiques néolibérales - déjà perceptibles - prendront une ampleur dramatique pour une partie majoritaire de la population.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.