Cet atelier interactif a eu lieu le 12 septembre 2015, dans le cadre de la 4e Université d’été du CADTM Europe. Son objectif était d’explorer les discours actuels concernant la sécurité sociale et de faire le tri dans les informations communément relayées afin de juger de leur pertinence.
Broc – ATTAC Liège
Eric Nemes – ATTAC Liège
Rui Viana Pereira – CADPP Portugal
En guise d’introduction, un débat mouvant [1] a tout d’abord permis d’aborder des éléments fréquemment soulevés dans les discussions entourant la sécurité sociale et d’explorer les arguments, idées et normes de chacun et chacune face aux affirmations suivantes :
« Je suis pour des cotisations sociales élevées »
« La sécurité sociale est en déséquilibre budgétaire et donc en danger »
« C’est le vieillissement de la population qui rend la sécurité sociale insoutenable »
« C’est la privatisation des pensions (2e et 3e piliers) et des assurances santé qui détruit les fondements de la sécurité sociale »
D’emblée, la diversité de certaines opinions ou des niveaux de certitude des participants et participantes au débat ont illustré la complexité des questions soulevées et la nécessité de pouvoir s’appuyer sur des informations objectives afin de se positionner en connaissance de cause.
Après ce débat introductif, une perspective historique a été amenée afin d’enrichir la compréhension des mécanismes et enjeux autour de la sécurité sociale aujourd’hui.
C’est une prise de conscience collective des travailleurs et travailleuses qui est à l’origine de la sécurité sociale. Lors de la Commune de Paris en 1871 les salarié.e.s créent de nouvelles formes d’organisation collective de la solidarité. Ces organismes et fonds d’aide mutuelle, organisés et gérés entre travailleurs, leur permettaient de s’affranchir de la dépendance envers des entités extérieures et de sortir d’une logique de charité en cas de besoin. C’est à travers le pouvoir de l’Etat que les patrons ont ensuite commencé à contribuer au système afin d’intervenirdans sa gestion et son contrôle.
En 1945, sur fond de peur du communisme et de volonté de désarmer la résistance, le rapport de force était en faveur des travailleurs et travailleuses. De la négociation entre Etat, patrons et syndicats, a émergé le « pacte social », garantissant l’universalité de la protection sociale en Europe. Cette universalité, assurant la protection indépendamment du fait de cotiser, a été obtenue au prix d’une prise de contrôle par l’Etat et d’une perte d’autonomie pour les organisations de travailleurs. C’est le développement de modèles beveridgiens de protection sociale, basés non plus sur le travail mais sur la citoyenneté. La sécurité sociale reste cependant gérée selon un modèle de démocratie sociale, résultat d’un compromis, dans lequel l’Etat assure le cadre et la répartition.
Jusqu’à l’avénement des politiques néolibérales à partir des années 1980, la protection sociale a continué d’être élargie. Rui Viana Pereira donne la lecture suivante de l’évolution récente de la situation de la protection sociale : depuis 2008, on ne se trouve plus seulement dans un recul du pacte social – par ailleurs amorcé depuis plusieurs années - mais dans un nouveau système, dans lequel le monde de la finance a pris le contrôle des caisses de sécurité sociale (qui représentent, dans chaque pays, une part importante du PIB).
De manière générale, les débats en cours concernant la protection sociale sont influencés par différents « mythes » et par la réthorique utilisée. Afin de permettre un regard critique sur les discours tendant à entretenir une certaine confusion et une remise en question des sytèmes de protection sociale, les orateurs se sont attachés à repréciser des concepts et distinctions sémantiques qui ont toute leur importance dans la compréhension des enjeux actuels.
Ainsi, par exemple, les cotisations et les impôts sont perçus et utilisés de manières différentes. Les cotisations de sécurité sociale sont une partie du salaire des travailleurs et y sont proportionnelles. Elles représentent un pourcentage fixe du salaire et ne sont donc pas progressives. Ces cotisations seront retournées aux travailleurs et travailleuses sous forme d’argent ou de services en cas de besoin. Les impôts, qui sont utilisés à d’autres fins, sont quant à eux progressifs et constituent donc un outil pour corriger les inégalités de distribution des salaires.
La distinction entre sécurité sociale et assistance sociale a également été reclarifiée, notamment en termes d’objectifs (préserver le niveau de vie acquis grâce à la solidarité versus éviter la pauvreté et répondre à un état de besoin grâce à la charité) ou encore de financement et de droits (salaire différé, solidarisé et mutualisé versus charité financée par l’impôt).
La différence entre une protection basée sur la sécurité sociale ou sur des assurances privées à but lucratif a par ailleurs été mise en lumière. La logique de profit financier sous-jacente à la gestion de ces dernières entraînent notamment une sélection des risques à assurer ainsi que des coûts liés au marketing ou encore à la rémunération des actionnaires. Ce système est donc beaucoup plus coûteux. De plus, contrairement aux systèmes solidaires permettant d’assurer les individus selon leurs besoins, les assurances privées lucratives assurent uniquement les individus qui ont les moyens de financer leur protection individuelle.
Parmi les mythes actuels, la prétendue perte de soutenabilité de la sécurité sociale est un élément essentiel à analyser de manière critique. Le vieillissement de la population est souvent évoqué pour soutenir les attaques sur la sécurité sociale. Si l’évolution démographique est un facteur à prendre en compte – de manière critique également – les choix politiques et économiques, dans un contexte démographique donné, ont une influence prépondérante sur la soutenabilité des dépenses sociales. Les coûts du vieillissement de la population croissent par exemple moins rapidement que les richesses produites. De plus, la productivité par travailleur augmente. Il y a, d’ailleurs, aujourd’hui moins de personnes « inactives » qu’il y a trente ans si on prend en compte les jeunes. Les menaces sur la sécurité sociale sont donc à chercher ailleurs. Les exonérations de cotisations patronales constituent l’une des causes de déficit pour la sécurité sociale. En Belgique, le financement alternatif (TVA et accises sur le tabac notamment) assuré par l’Etat diminue progressivement également. Au Portugal, l’analyse des dépenses publiques de l’Etat montre que les dépenses publiques consacrées aux fonctions primiaires de l’Etat – dont les dépenses sociales – sont inférieures à ses recettes, mais c’est précisément parce qu’une grosse partie de celles-ci est consacrée au paiement de la dette qu’il y a déficit.
Ces quelques éléments illustrent que, de manière générale, il est essentiel d’interpréter les discours et les indicateurs de manière critique et contextualisée.
La possibilité de modèles alternatifs de sécurité sociale a brièvement été discutée, soulevant notamment la question d’un financement complémentaire à travers une taxe sur les transactions financières.
Une piste avancée dans la discussion est que la fonction de protection sociale soit totalement reprise par l’Etat, en utilisant la fonction première de l’impôt, à savoir la redistribution, et en luttant contre la fraude fiscale. Une autre position défendue fut celle du retour au modèle historique de la sécurité sociale, entièrement sous le contrôle des travailleurs et travailleuses.
En ce qui concerne le rôle des citoyens et des travailleurs dans l’évolution actuelle de la situation, le constat d’un manque d’information et de mobilisation a été posé. La mobilisation collective est pourtant nécessaire à la défense d’un modèle social solidaire. À cet égard, le rôle des médias et de l’éducation sont des éléments clés sur lesquels agir pour remettre en question la communication ultra-libérale et lutter contre le risque de privatisation progressive de la sécurité sociale. De même, la réappropriation de nos syndicats est clé dans la bataille à mener.
L’atelier s’est conclu par le rappel de la bataille idéologique sous-tendant le débat sur la sécurité sociale – notamment concernant le coût du travail versus le coût du capital – et de l’impact de la rhétorique utilisée pour servir le discours tendant à démontrer que la sécurité sociale n’est plus viable. En déconstruisant et en analysant ce discours de manière critique, l’inverse peut être démontré, à savoir que les institutions de la sécurité sociale et ses bienfiats sont toujours financiables (et bien plus), qu’il s’agit avant tout d’une question politique.
Voir aussi : http://cadtm.org/IMG/pdf/Rui_Viana_Pereira.pdf
[1] Débat durant lequel les participants, en réponse à une affirmation, doivent se positionner dans l’espace de la pièce sur 2 axes : 1 axe allant de ’pas du tout d’accord’ à ’tout à fait d’accord’ et 1 axe allant de ’pas du tout sûr de moi’ à ’tout à fait sûr de moi’