printer printer Cliquer sur l'icône verte à droite
Les raisons de la capitulation et les leçons à tirer
par Charlotte Géhin , Anouk Renaud
9 octobre 2015

Compte rendu de l’atelier : « Les raisons de la capitulation et les leçons à tirer » du parcours Nord de la 4e Université d’été du CADTM Europe avec, comme intervenants Eric Toussaint, Giorgos Mitralias et Yorgos Vassalos.

En guise d’introduction, la vidéo « La capitulation, une autre voie est possible », [1] a été projetée. Dans celle-ci Eric Toussaint (CADTM Belgique) revient sur les étapes de l’ascension au pouvoir de Syriza, sur la modération sans cesse plus grande de son positionnement politique et sur sa stratégie de négociation avec les créanciers jusqu’au funeste accord du 13 juillet, qui marque ce qu’on appellera désormais la capitulation du gouvernement grec.
Des rappels chronologiques et politiques bienvenus pour comprendre comment le gouvernement d’Alexis Tsipras en est arrivé à signer cet accord et le parlement grec à le voter dans la nuit du 13 au 14 août, à la suite d’ailleurs du vote de plusieurs lois anti-sociales réclamées par les créanciers comme préalable à ce 3e mémorandum.
À la fin de cette vidéo, Éric Toussaint expose également sa vision des choses en présentant une stratégie alternative et surtout son plan B, qui fera entre autre l’objet du débat en deuxième partie d’atelier.

Lorsque c’est au tour de Giorgos Mitralias (CADTM Grèce) de revenir sur les facteurs explicatifs de la capitulation du gouvernement grec, celui-ci en met quatre en avant :
1. Tout d’abord et avant tout l’attitude des créanciers de la Grèce, soutenus par leurs alliés grecs (ne les oublions pas !), qui ont tout fait pour parvenir à leurs fins : la défaite de Syriza.
2. La perte de vitesse du mouvement populaire et social en chute depuis ces deux ou trois dernières années. En réaction au choc des mesures d’austérité qui se sont abattues sur le pays, le mouvement atteint son paroxysme en 2011. La Grèce connaît alors 36 grèves générales, des occupations, des manifestations. Pour un résultat… nul, puisque le peuple grec a l’estomac vide et a vu son niveau de vie baisser de 65%. Difficile dans ces conditions de continuer la lutte aussi ardemment.
3. Les caractéristiques de la gauche grecque, très sectaire et surtout très divisée. (Précision utile : Giorgos rappelle que ce qu’on appelle la « gauche » en Grèce ne comprend pas les forces sociales démocrates). Elle pâtit donc d’un manque de crédibilité. Un des exemples : les nombreux appels à manifestations du 1er mai, dans différents lieux faute d’accord entre les partis.
4. La nature même de Syriza. Pour lui, il faut aussi aller chercher des explications dans les fondements de Syriza et son rapport à la social-démocratie. En effet, l’ancêtre de Syriza, Synaspismos, [2] comptait des courants sociaux-démocrates qui ont finalement décidé de quitter la coalition au grand désarroi des dirigeants de la formation politique à l’époque. C’est donc la social-démocratie qui a quitté Syriza et pas l’inverse. Fort de ce rappel historique, les choix du gouvernement dans la dernière ligne droite des négociations apparaissent moins étonnants.

En conclusion, Giorgos Mitralias insiste sur la catastrophe que représente la capitulation, parce qu’elle a une dimension internationale : « Il y avait deux espoirs, celui de Syriza a disparu et celui de Podemos va suivre si on ne réagit pas maintenant ». Un constat pessimiste mais pas immuable pour l’orateur qui insiste sur la nécessité de mettre en place les solutions radicales que souhaite la population grecque et qu’elle ne trouvera pas dans l’extrême droite, bien au contraire…

Membre de l’Initiative de solidarité avec la Grèce qui résiste, Yiorgos Vassalos commence son intervention en félicitant les membres de la Commission sur la vérité sur la dette grecque, qui selon lui est la meilleure chose mise en place durant le mandat de Syriza. Mais également le mouvement de soutien en Belgique qui, avec 5000 personnes dans les rues de Bruxelles, a été l’un des plus importants d’Europe. La plateforme « Avec les Grecs » - qui avait appelé à cette manifestation- a été créée en mai 2015, rassemblant diverses organisations belges (dont les syndicats) et avance plusieurs revendications :

- Rétablissement des dispositions (conventions collectives, droits du travail…) en place avant les mémoranda.
- La mise en œuvre de véritables mesures sociales et l’arrêt des privatisations
- L’audit de la dette publique et l’annulation des dettes odieuses, illégales et illégitimes.

L’objectif de cette plateforme n’était pas de s’adresser à des personnes ou à des partis. D’ailleurs ces revendications pourraient s’appliquer dans d’autres pays, également touchés par des cures d’austérité.

Les deux manifestations (respectivement le 21 juin et le 3 juillet) appelées par la plateforme ont été des réussites. Mais suite à la conclusion de l’accord du 13 juillet, il n’y a pas eu d’appel à une nouvelle initiative commune en raison d’un désaccord interne sur le fait de rejeter explicitement ce nouveau mémorandum. Pour Yiorgos Vassalos, l’heure n’est plus au soutien de Syriza mais bien aux mouvements sociaux anti-austérité. Loin de sous-estimer la déception et le choc qu’a représenté la conclusion du mémorandum une semaine après la joie de la victoire du « NON », la nécessité de rester mobilisés est très importante.

Yiorgos Vassalos termine son intervention avec la question polémique de la sortie de l’euro. Selon lui, il n’est pas possible de changer de politique si on ne sort pas de l’euro. En effet, en coupant le robinet des liquidités, la BCE a utilisé l’euro comme une véritable arme de guerre. Et il est probable qu’elle aura fait de même en cas de suspension de paiement. Désobéir à l’Europe oblige à émettre sa propre monnaie afin de revaloriser les salaires réels ou encore à socialiser le système bancaire, mesures qui restent interdites par les institutions européennes.

Ce à quoi réagit Éric Toussaint, qui n’est pas du même avis. Pour lui, bien sûr qu’il fallait mettre les banques en faillite organisée (en protégeant les dépôts des citoyens grecs), car ce sont elles qui nouent la corde autour du cou de la Grèce. D’autant que rappelons-le, l’État grec détient une très grande partie du capital des principales banques privées grecques, sans disposer toutefois d’un droit de vote et sans prendre de décisions significatives. Une socialisation du secteur bancaire qui passe forcément par une désobéissance aux institutions, mais la majorité des Grecs n’était pas favorable à une sortie de l’euro. Pour dépasser la contradiction entre la mise en œuvre de mesures progressistes et le respect du cadre européen, un gouvernement doit poser des actes unilatéraux souverains en s’appuyant sur le soutien populaire ainsi que sur des arguments de droit international. Il est très important que la construction d’un plan B se fasse avec la population ! En pensant à la Grèce, mais aussi à l’Espagne et au Portugal, si les gouvernement sont appuyés par leur population dans leur plan B, le rapport de force dans les discussions, préalables à ce plan B, leur est favorable. Ainsi, pour Éric Toussaint le joker que s’est privé d’abattre le gouvernement grec est bel et bien la suspension de paiement et non pas la sortie de l’euro. Et le fait que la Troïka soit désormais le premier créancier du pays ne constitue en rien un obstacle, bien au contraire… Une suspension de paiement couplée à d’autres mesures fortes aurait obligé la Troïka à s’asseoir véritablement autour de la table.

Quant à savoir pourquoi de telles mesures relatives au secteur bancaire n’ont pas été mises en œuvre, le regard se tourne du côté de Yannis Dragazakis (vice premier ministre d’A. Tspiras et un ancien de Synasmismos). Farouchement opposé à la socialisation des banques et à la réalisation d’un audit déjà en 2010-2011, comme nous le rappelle Giorgos Mitralias, il a convaincu Alexis Tspiras de ne pas toucher aux banques grecques une fois au gouvernement.

Forcément étant donné la situation peu réjouissante, cet atelier ne remportera pas le prix de l’optimiste et de l’espoir de la 4e université d’été du CADTM Europe, mais tous les intervenants s’accordent sur la nécessité de ne pas baisser les bras ! Avec le 3e mémorandum et son lot de mesures anti-sociales qui l’accompagnent ou encore la menace sur l’expérience autogérée de l’ERT les combats ne manquent pas. La Commission pour la vérité sur la dette grecque en est d’ailleurs un bel exemple, puisque qu’elle souhaite se maintenir et poursuivre ses travaux. [3] Rester vigilants et mobilisés s’avère d’autant plus important à la veille d’un nouvel espoir qui s’ouvre côté espagnol.


Notes :

[2Synaspismos est un ancien parti politique grec. Crée en 1991 de l’union de plusieurs forces de la gauche radicale grec, il devient membre en 2004 de la coalition « Syriza », jusqu’à se fondre complètement dans celle-ci lorsqu’elle se transforme en parti politique. Or en 2010 le courant « aile du renouveau » quitte le parti Synaspismos pour créer un parti social-démocrates : DIMAR.

Charlotte Géhin
Anouk Renaud

Militante au CADTM Belgique