Depuis 25 ans, le Collectif pour l’annulation de la Dette du Tiers-Monde (CATDM) se bat pour que les dettes contractées par de nombreux pays sans aucun bénéfice pour leur population, soient abolies. Afin qu’elles cessent d’être aujourd’hui un frein puissant à leur développement. Rencontre avec Nicolas Sersiron, président du CATDM-France, au lendemain de l’assemblée citoyenne européenne sur la dette organisée à Bruxelles par CADTM Europe et le réseau des ATTAC Europe.
« Tant au Nord qu’au Sud, l’endettement est utilisé par les prêteurs comme instrument de domination politique et économique », peut-on lire dans la Charte politique du Comité pour l’annulation de la Dette du Tiers-Monde (CATDM). Si depuis quelques années, ce réseau international s’intéresse de plus en plus aux dettes des pays européens – il co-organise vendredi 16 octobre, avec ATTAC Europe, une assemblée citoyenne européenne sur la dette, à Bruxelles -, cela fait vingt-cinq ans qu’il milite pour l’annulation de la dette du « Tiers Monde », indispensable, selon lui, pour construire une relation plus juste entre les pays du Nord et du Sud.
« À partir des années 1960, les dettes ont remplacé les armées coloniales comme instrument de domination », considère Nicolas Sersiron, président du CATDM-France, et auteur du livre Dette et extractivisme (Éditions Utopia, 2014).
Flambée des prêts aux pays du Sud dans les années 60-70
La dette publique des pays du tiers-monde et de l’Est a été multipliée par douze entre 1968 et 1980. « Dans les années 1960, les pays décolonisés ont tout à construire, ils empruntent. En face, les banques privées européennes regorgent de capitaux constitués principalement par les dollars prêtés par les États-Unis, dans les années 1950, dans le cadre du Plan Marshall. Elles vont alors chercher à les prêter pour les faire fructifier, explique Nicolas Sersiron. Et puis, à partir de 1973, l’augmentation du prix du pétrole fait gagner beaucoup d’argent aux pays producteurs qui placent cet argent dans les banques occidentales. Là encore, les banques vont vouloir en tirer profit et vont donc accorder des prêts à des conditions avantageuses. »
Les pays en développement sombrent dans la crise
Éric Berr, maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux, et spécialiste des questions liées au financement du développement, décrit à propos de cette période, « un certain laxisme de la part des créanciers quant aux prêts accordés (et) une mauvaise utilisation des sommes reçues par les dirigeants des pays en développement ». Au début des années 1980, les États-Unis, qui seront suivis par d’autres pays occidentaux, décide unilatéralement une très forte hausse des taux d’intérêt afin de freiner l’inflation et la sortie massive de dollars. Les États endettés se retrouvent subitement en difficultés pour rembourser. C’est la crise de la dette de 1982.
Éric Berr résume ainsi les deux décennies suivantes :
« Cette crise a été gérée, avec l’accord des créanciers, par les institutions financières internationales. Ainsi, le FMI et la Banque mondiale ont conditionné toute restructuration de dette à l’adoption de programmes d’ajustement structurel qui, loin de régler les maux dont souffrent les pays en développement, ont conduit à la crise des années 1990 et se sont traduits par une mise sous tutelle des économies des pays en développement. »
Des plate-formes citoyennes pour identifier les dettes publiques illégitimes
Ces dernières années, des plate-formes citoyennes ont vu le jour dans différents pays pour réaliser des audits. Leur objectif : identifier les dettes publiques illégitimes contractées par les pouvoirs publics sans respecter l’intérêt général ou d’une manière qui lui est préjudiciable, illégales et contractées en violation de la loi en vigueur ou odieuses, crédits octroyés à des régimes autoritaires ou qui imposent des conditions pour leur remboursement et qui violent les droits sociaux fondamentaux. Trois caractères qui, selon le CATDM, justifient de fait leur non remboursement. Pour Nicolas Sersiron, non seulement l’annulation de la dette illégitime n’aurait pas d’impact sérieux pour les créanciers, mais elle libérerait les populations des pays endettés d’un frein puissant au développement.
Source : Alter Mondes