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Paella de fonds vautour, accompagné de sa salade grecque
Bilan à la carte de notre année 2015
par Pierre Gottiniaux
22 décembre 2015

Une chose est sûre : on n’a pas chômé en 2015 ! Ce n’était déjà pas le cas les années précédentes, me direz-vous à juste titre, mais là pour le coup, c’est tellement flagrant qu’on ne pouvait pas se contenter de faire comme si rien n’était : « mais vous savez, ma bonne dame, c’est la routine pour nous, tout ça ! Tenez, tel que vous me voyez là, je viens encore d’auditer la dette extérieure publique de 3 pays et faire voter 2 lois sur les fonds vautours, avant même d’avoir pris mon petit déjeuner. »

Et un audit de la dette pour la Grèce, un !

Vous l’avez certainement remarqué, la Grèce a fait la une de l’actualité au début de l’année 2015. Il faut dire que l’Union Européenne et sa horde de chiens de garde ont bien failli s’étrangler en buvant leur café quand ils ont vu arriver Syriza au gouvernement, même si celui-ci a mis pas mal d’eau dans son vin pour en arriver là. Mais cela n’a pas empêché Zoé Konstantopoulou, élue à la présidence du Parlement grec avec l’appui d’Alexis Tsipras, de demander l’assistance du CADTM afin de l’aider à mettre sur pied une Commission pour la vérité sur la dette publique grecque. Et voilà notre Éric Toussaint, porte-parole international du CADTM, qui se retrouve coordinateur scientifique de ladite commission, entouré d’autres membres du CADTM et d’experts grecs et internationaux sur les questions de dette et de finances publiques. Cette équipe de choc travaillera sans relâche à la production d’un rapport préliminaire, qui décortique la dette publique grecque sous toutes ses coutures et aboutit à une conclusion sans appel : une grande part de la dette grecque est illégale, selon la constitution grecque, mais aussi de nombreux traités internationaux, ratifiés par elle et par l’Europe. Non seulement elle est en grande partie illégale, mais encore est-elle aussi illégitime, odieuse et insoutenable. Et si vous voulez en avoir le cœur net, je ne peux que vous encourager à lire le rapport que le CADTM a traduit en français et mis à votre disposition ici.

Malheureusement, tout ce travail n’a pas empêché Alexis Tsipras et une partie de la direction de Syriza de capituler devant les créanciers de la Grèce, et de signer un troisième mémorandum, qui assurera des liquidités à la Grèce (pour lui permettre de payer ses dettes, n’est-ce-pas) et qui enfoncera un peu plus la population dans la misère et le désarroi. La commission a analysé en septembre 2015 ce nouveau mémorandum, et à nouveau le verdict est sans appel : cet accord est tout aussi illégal que les 2 précédents. Pire encore, les dirigeants européens et Alexis Tsipras n’ont pas tenu compte du référendum historique du 6 juillet et du puissant « OXI » (non) de la population grecque à un nouvel accord mortifère avec l’Union Européenne. Qu’à cela ne tienne, la commission – officiellement dissoute par le nouveau président du Parlement en novembre 2015 – continuera de se réunir, de proposer une analyse et des alternatives qui sortent des chemins battus de l’orthodoxie néolibérale européenne. De son côté, le CADTM répond présent à l’appel d’une série de personnalités, de mouvements sociaux et politiques pour l’élaboration collective d’un plan B et d’alternatives pour une autre Europe. Un premier rendez-vous est donné à Paris les 23 et 24 janvier 2016, une autre conférence européenne suivra à Madrid les 19, 20 et 21 février 2016.

Concernant l’audit de la dette, d’autres avancées sont en cours dans le monde, où le CADTM porte sa part de responsabilité. L’Argentine a ouvert cette année la voie à la mise en place d’une commission bicamérale (Sénat + Assemblée) d’audit de la dette, et une grande conférence internationale s’est déroulée à Buenos Aires au mois de juin 2015 rassemblant une série d’organisations populaires, dont ATTAC/CADTM Argentine, regroupées en « assemblée », pour articuler les luttes contre le système dette, impulser la mise en place effective de la Commission et faire peser leurs voix sur les travaux d’enquête de celle-ci. L’Asie aussi mange de la dette illégitime à tous les repas, et le CADTM Pakistan est actuellement en train d’impulser la création d’une commission d’audit de la dette à Islamabad.

Enfin RAID Tunisie (membre des réseaux CADTM et ATTAC) et le Front Populaire (une coalition de plusieurs partis politiques tunisiens) ont lancé à Tunis le 17 décembre une grande campagne sur l’audit de la dette tunisienne. L’objectif est de de créer un large soutien populaire pour réaliser un audit de la dette tunisienne. Une proposition de loi portant sur la création d’une Commission d’audit, avec participation de la « société civile », sera déposée au début de l’année 2016. Une conférence internationale sur la dette a eu lieu le 19 décembre en présence de plusieurs membres du réseau international CADTM afin, entre autres, de présenter les grandes lignes de cette proposition de loi.

Quelqu’un a commandé une marée citoyenne pour l’Espagne ?

L’un des prochains chantiers de la commission pour la vérité sur la dette grecque, ou du moins de ses membres, pourrait bien se trouver en Espagne. Lors des dernières élections municipales, en mai, des centaines de nouvelles formations citoyennes ont émergé et raflé les votes à Madrid, Barcelone, Saragosse, Cadix, ... Et ces nouvelles formations, qui font souvent le pont entre partis politiques et mouvements sociaux, n’ont pas peur de proposer la mise en place d’audits de la dette de leurs communes, avec participation citoyenne. Au risque de se fâcher avec ceux qui profitent de la dette : Madrid a déjà rompu ses contrats avec Fitch et Standard & Poor’s, les célèbres agences de notation américaines qui prétendaient, quelques jours avant la faillite de Lehman Brothers, que la solvabilité de la banque était irréprochable...

Plusieurs membres du réseau CADTM sont d’ores et déjà en train de rencontrer et de discuter avec ces nouvelles administrations et les mouvements citoyens qui les entourent, à Madrid, à Barcelone, à Valence ou à Cadix, afin de soutenir les efforts de ceux et celles qui luttent sur place pour le non-paiement des dettes illégitimes. Tout cela se fait en relation étroite avec les organisations espagnoles actives sur le terrain depuis des années, comme la PACD (plate forme d’audit citoyen de la dette) et l’ODG (Observatoire de la dette et de la Globalisation, basé à Barcelone), sans lesquelles la dynamique d’audit n’aurait pu prendre racine. Au lendemain des élections générales, nous attendons désormais un soutien des groupes parlementaires de Podemos et Izquierda Unida, au sein du Parlement espagnol, pour l’audit de la dette avec participation citoyenne active.


Fonds vautours à la sauce belge, façon CADTM

En Belgique aussi, les choses bougent ! Les fonds vautours ont vu un sérieux coup porté à leur action néfaste. Ces charognards, qui se repaissent de dettes au rabais provenant de pays en difficulté pour en réclamer le paiement total, réalisent des plus-values colossales sur le dos de populations étranglées par des politiques d’austérité. Le CADTM, le Centre National de Coopération au Développement (le CNCD regroupe les organisations de solidarité Nord/Sud actifs dans la partie francophone de la Belgique) et la Koepel van de Vlaamse Noord-Zuidbeweging – 11.11.11. (le pendant flamand du CNCD), sont à l’origine d’une loi, rédigée avec le magistrat belge Dominique Mougenot, réduisant sérieusement le champ d’action de ces prédateurs qui, contrairement aux véritables vautours, ne jouent aucun rôle utile dans nos écosystèmes. La proposition de loi a été signée par les représentants parlementaires de dix partis politiques, issus de la majorité et de l’opposition, ce qui est assez rare pour être souligné. Elle mentionne notamment le caractère illégitime de l’avantage poursuivi par ces créanciers, autant vous dire qu’on n’en est pas peu fier !

Pour en savoir plus, voir l’encadré en bas de cet article et rendez-vous par ici.


Il y a un peu plus, je laisse ?

La priorité que donne le CADTM à la lutte contre le paiement des dettes illégitimes ne l’a pas empêché d’être partie prenante des mobilisations à l’occasion de la COP21, tant au Sud (notre présence à Cochabamba) qu’au Nord (voir les brèves de notre ’envoyé spécial’, Rémi), à prendre le temps de la réflexion (vous pouvez d’ailleurs revoir les vidéos de notre formation à Amsterdam), et à partager avec vous de grands moments de rencontre et de convivialité, comme à l’Université d’été du CADTM Europe qui s’est tenue en Belgique début septembre.

Au milieu de toute cette agitation, nous avons aussi trouvé le temps d’améliorer notre communication via internet et les réseaux sociaux : une nouvelle version de notre site en 4 langues, une nouvelle version en arabe, la poursuite des efforts sur le site en grec, l’augmentation de la régularité des bulletins électroniques en français (envoyé à 21582 abonnés), en anglais (envoyé à 5349 abonnés), et en espagnol (envoyé à 10971 abonnés). La fréquentation de notre site en 4 langues a fortement augmenté entre fin 2014 et fin 2015, passant d’une moyenne mensuelle d’environ 80 000 à 110 000 visiteurs uniques. Notre présence sur les réseaux sociaux se renforce également, et vous êtes désormais plus de 6400 à nous suivre sur facebook et plus de 2200 à nous suivre sur twitter.

En 2015, nous avons également dépoussiéré notre magazine : Les Autres Voix de la Planète. Devenu bisannuel, notre cher AVP s’est offert un bon coup de jeune et a gagné en embonpoint ce qu’il a perdu en périodicité. Désormais axé sur une thématique précise, vous y retrouverez une information complète et accessible pour faire le tour de sujets tels que les restructurations de dette, dont on parle beaucoup actuellement pour la Grèce, le Portugal ou l’Espagne. Les prochaines éditions se pencheront sur la question écologique (en avril 2016), les dettes privées illégitimes, la sécurité sociale...

Pour ne rater aucun numéro, pensez à vous abonnez ! La formule reste la même, et le prix aussi : pour 30€ par an (38€ hors Belgique – 22€ pour les petits revenus), vous recevrez au moins 2 livres et 2 cahiers thématiques AVP, à raison d’un tous les 3 mois. Et de temps en temps, un petit bonus, comme en avril 2016 où les abonnés recevront, en plus de l’AVP, le DVD du film « Dexia : Démocratie Confisquée ».

Au rayon des publications, soulignons la sortie en espagnol et en français du manuel de l’Audit Citoyen de la Dette Publique, relatant notamment les expériences de l’Équateur, du Brésil, de l’Argentine, mais aussi les cas européens – disponible auprès du CADTM à la commande et en téléchargement libre. Les anglophones seront, quant à eux, ravi d’apprendre que le livre Bancocratie, sorti en 2014 en français et en espagnol, a bénéficié d’une traduction et d’une publication en anglais cette année, disponible à la commande et en téléchargement libre sur ce lien.

Et enfin, cerise sur la pièce montée, le réseau CADTM était présent au Forum Social Mondial de Tunis, dans lequel nous avons co-organisé une quinzaine d’ateliers sur différents thèmes (dette, austérité, audits de la dette, situation en Grèce, accords de libre-échange, extractivisme, crise alimentaire, politiques des IFI, micro-crédit, luttes des femmes, etc.) et participé activement à plusieurs assemblées de convergence comme l’Assemblée des mouvements sociaux (AMS), l’Assemblée sur la santé et la protection sociale, ainsi qu’au Forum Parlementaire mondial consacré en bonne partie à la dette.

En 2016, nous tiendrons notre Assemblée Mondiale du Réseau CADTM International au Maroc afin de faire le point sur l’action et les activités de tous les membre du réseau (36 organisations réparties dans 34 pays) et de préparer notre plan d’actions pour les mois et les années à venir. Nous vous tiendrons évidemment au courant sur notre site.

L'équipe du CADTM Belgique et des membres du réseau international en formation à Amsterdam


Toutes ces petites avancées auxquelles le CADTM a contribué ne seraient pas possibles sans les centaines et les milliers de citoyens et citoyennes qui se mobilisent pour un autre monde, sans les manifestations de rue, sans les multiples actions de protestation et de revendication. Chacune de ces actions nous donne la force d’aller plus loin, et nous tenons à vous en remercier et vous encourager à ne rien lâcher !

Évidemment, tout ça laisse peu de temps pour regarder les feuilles tomber des arbres et observer les papillons... Mais on aura tout le temps pour ça une fois qu’on aura fait annuler toutes les dettes illégitimes, renversé le capitalisme et participé à la mise en place d’un système favorisant l’humain et la nature plutôt que l’actionnaire et son profit. Et pour nous y aider, comme toujours, nous comptons sur vous ! Vous pouvez faire un don, mais pas seulement : vous pouvez également proposer vos services, participer aux mobilisations et aux activités que nous organisons, devenir animateur ou animatrice, porter nos merveilleux t-shirts (surtout quand vous avez rendez-vous avec votre banquier), rejoindre ou créer un groupe local... Tout est détaillé ici.

Au plaisir de vous rencontrer, ici ou là-bas, aujourd’hui ou demain, et...
Hasta la victoria siempre !

Loi sur les fonds vautour : le cœur du dispositif
« Art. 2 Lorsqu’un créancier poursuit un avantage illégitime par le rachat d’un emprunt ou d’une créance sur un État, ses droits à l’égard de l’État débiteur seront limités au prix qu’il a payé pour racheter ledit emprunt ou ladite créance. Quel que soit le droit applicable à la relation juridique avec l’État, débiteur de l’obligation de paiement, l’ordre public belge s’oppose à un ordre de paiement sur le fond, à l’exequatur d’une décision judiciaire ou d’une sentence arbitrale étrangère, pour autant qu’un tel paiement donne lieu à un avantage illégitime pour la partie qui rachète l’emprunt ou la créance à un tiers.

La recherche d’un avantage illégitime se déduit de l’existence d’une disproportion manifeste entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et la valeur faciale de l’emprunt ou de la créance ou encore entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et les sommes dont il demande le paiement. Pour qu’il s’agisse d’un avantage illégitime, la disproportion manifeste visée à l’alinéa précédent doit être complétée par au moins un des critères suivants :
le créancier a abusé de la situation de faiblesse de l’ État débiteur pour négocier un accord de remboursement manifestement déséquilibré ;
(...)
le remboursement intégral des sommes réclamées par le créancier aurait un impact défavorable identifiable sur les finances publiques de l’État débiteur et est susceptible de compromettre le développement socio-économique de sa population »


Voir le texte intégral sur ce lien

Merci à Louise Beauchêne pour les illustrations !

Pierre Gottiniaux

Permanent au CADTM Belgique