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Compte-rendu de la conférence au parlement européen sur les privatisations dans le secteur aérien en Europe
« Tracking the EU Aviation Sector flight route Current cases and future prospects », organisé par la GUE le 12/01/16
par Robin Delobel
25 janvier 2016

Nikolaos Chountis et Sofia Sakorafa, députés européens ayant quitté Syriza, introduisaient la séance de cette conférence au parlement européen en soulignant l’importance d’examiner les questions qui caractérisent le secteur aérien dans l’UE.

L’avenir du secteur aérien grec s’avère compliqué à l’heure actuelle : quatorze aéroports du pays ont été bradés et vendus à la société allemande Fraport, une société détenue majoritairement par l’État allemand et avec participation de Lufthansa. [1] http://unitepopulaire-fr.org/2015/11/08/publication-au-journal-officiel-du-gouvernement-grec-de-la-vente-bradage-de-14-aeroports-regionaux-a-fraport/ Les intervenant-e-s ont insisté sur le manque de transparence et de prise en compte de l’intérêt collectif dans cette opération, cela ne profitera bien sûr pas à la Grèce, « déséquilibrera le secteur du travail, des transports […], impactera le quotidien des habitants car leur économie se trouve bouleversée. Il est essentiel que le pays concerné garde le contrôle de ses infrastructures. Plus les gens sont informés sur ces politiques néolibérales plus ils peuvent prendre part au débat et s’opposer à cette destruction sociale. »

La stratégie de la Commission pour l’aviation, aspects sociaux et sécuritaires

Enrique Carmona, président de la section aviation civile de l’ETF, fédération européenne des travailleurs du secteur du transport, a tout d’abord dénoncé l’hypocrisie de la Commission Européenne, qui affirme vouloir assouplir les conditions de contrôle et de propriété tout en disant qu’il faut maintenir un niveau de sécurité élevé : « or ces niveaux de sécurité ne peuvent être maintenus si on ne freine pas les nouvelles normes qui amènent précarité et instabilité des emplois. »

Les débats suite à cette première intervention furent vifs et très remontés contre « les Institutions ». François Hamant, pilote à Air France, a dénoncé la vision purement financière des patrons de l’industrie aéronautique, détachée de toute réalité et s’insérant parfaitement dans le discours néolibéral. D’autres intervenants ont témoigné de dégradations similaires dans leur pays. Un Espagnol a relevé le fait que « certains pays n’ont aucune instance de contrôle, par exemple pour Ryanair on ne sait même pas si les contrats sont sous réglementation irlandaise ou espagnole. »

Une syndicaliste italienne a elle aussi critiqué la « stratégie » de la Commission Européenne : « pour 2016 on parle de concurrence au niveau mondial, avec la Chine, avec l’Inde, c’est le seul horizon offert par la CE ». Alitalia, la compagnie aérienne italienne a connu deux banqueroutes, huit mille personnes licenciées, « c’est l’Etat donc la population italienne qui a dû payer pour ces banqueroutes ! ».

Un syndicaliste de l’aviation en Grèce a également témoigné de la libéralisation du secteur du transport dans son pays. « Deux ou trois mégacompagnies monopolisent le marché, les petites ont été rachetées ou ont disparu de la carte, l’ETF a parlé de concurrence, d’être compétitif sur les marchés mais comment réaliser cette concurrence ? Car on est en concurrence avec de plus en plus de compagnies, et surtout avec les grosses entreprises. La concurrence infinie ne peut mener que vers des conditions sociales néfastes pour les travailleurs et travailleuses ! »

Si beaucoup d’intervenant-e-s insistent pour montrer que leur pays poursuit des politiques néolibérales entraînant de graves dégradations sociales et sanitaires, la situation en Grèce s’avère néanmoins surréaliste à entendre certains témoignages : « on a créé une zone économique propre, on en arrive à ce que des contrats de service changent d’une semaine à l’autre. Quand on entend que certaines mesures vont apporter de l’emploi, c’est ridicule, il y a des contrats d’une semaine ou deux, même de deux heures ! »

Le cas de la privatisation des quatorze aéroports en Grèce

En introduction du second panel, Nikolaos Chountis a insisté sur le fait que la discussion n’était pas une question exclusivement grecque : « Ces quatorze aéroports régionaux privatisés passent sous contrôle allemand, est-ce qu’il s’agit réellement de fournir des revenus à l’Etat grec, quelles seront les conditions pour les travailleurs grecs ? ». Pour lui, il s’agit aussi de discuter comment, concrètement, la libéralisation des marchés est appliquée. « On constate des conditions économiques et sociales clairement dégradées, le gouvernement devait protéger les actifs publics, alors que les décisions sont imposées par instances européennes ». Il a fait remarquer que d’autres pays pourraient se voir imposer des mémorandums similaires à moins qu’ils imposent d’eux-mêmes ces mesures.

Emmanouil KAMILAKIS, président de Hellenic Association of Airport Authority Officers of Hellenic Civil Aviation Authority - Le syndicaliste grec a tout d’abord souligné que la privatisation des quatorze plus grands aéroports régionaux n’en est pas vraiment une, « ils ont déjà été privatisés il y a longtemps, sauf la gestion qui restait publique ». Pour son syndicat, la gestion devrait bien sûr rester au sein du service public, « l’eau, l’énergie, la santé, les transports...sont des biens publics qui devraient rester sous contrôle public ! ».

Il a soulevé de nombreux autres éléments qui posent problème dans l’affaire Fraport ; le manque de transparence : « Lufthansa est un des propriétaires de Fraport, on n’a jamais su comment se sont déroulées les négociations, ce qui rend compliqué les plaintes devant un tribunal sur cette affaire. Il faudrait que les parties intéressées puissent prendre position mais sans accès aux informations ce n’est pas possible » ; les pratiques de Fraport et les nombreux conflits avec le personnel, notamment dans les aéroports possédés par Fraport aux Etats Unis : salaires très bas, pas d’assurance santé, pas de sécurité de l’emploi, etc. Mais la situation n’est pas meilleure en Grèce : lorsqu’en tant que syndicaliste, il demande pourquoi une personne se retrouve à travailler pour trois, on lui répond qu’aucun règlement ne l’empêche ! « Beaucoup de personnes se retrouvent à l’hôpital pour des problèmes de dos par exemple, il n’y a pas de législation pour protéger les travailleurs ».

« La privatisation des aéroports régionaux aura un impact négatif sur les transports, le tourisme, l’agriculture […] ! Lorsque l’on perd quatorze de ses aéroports on se demande comment les seize autres peuvent survivre, les aéroports seront plus chers et impacteront le tourisme alors que le pays dépend fortement de ces ressources, avec ses cent vingt îles » ajoutait-il.

Il soulevait une autre contradiction, « quand on se penche sur l’actionnariat de Fraport, on remarque que c’est le gouvernement allemand qui en fin de compte reprend des actifs grecs ».

Selon le professeur Rudolf Hickel de l’Université de Brême : « ce qui était propriété de l’Etat grec va pour ainsi dire devenir propriété de l’État allemand. Et à la fin, ce qui compte, c’est que les profits qui seront réalisés dans ces quatorze aéroports financeront les services publics allemands ».

Ce bradage des aéroports grecs apporte de nombreux problèmes pour l’économie mais pose aussi question pour le remboursement des prêts, alors que le prétexte de ces ventes tient justement dans le remboursement d’une dette illégitime
. Selon Emmanouil KAMILAKIS, « ça n’a pas grand chose à voir avec le fait de rembourser mais plutôt avec un objectif de faire de la Grèce un paradis législatif et fiscal pour les entreprises ». Les quatorze aéroports vendus sont d’ailleurs tous bénéficiaires.

Lambros Ntousikos, coordinateur de Hellenic Initiative Against the Privatization of Airports a axé son exposé sur le transfert des actifs publics grecs, soulignant que cela a été opéré officiellement pour rembourser la dette publique alors que la dette grecque est en fait une dette privée qui a été transférée au public : « La dette est illégale, les gens sont obligés de rembourser une dette qu’ils n’ont pas contractée ».

Il a également mis en avant les nombreux scandales des contrats de concessions en Grèce, notamment le conflit d’intérêt impliquant Lufthansa. Le fonds chargé de gérer les privatisations des biens publics grecs a eu Lufthansa comme conseiller, alors que l’entreprise aéronautique est impliquée dans Fraport. Une information méconnue, même pour celles et ceux suivant de près l’actualité grecque : « Il y a eu un référendum où 76% des participants ont voté contre la privatisation. Il faut informer sur cette affaire », clame-t-il, « faire passer le message aux autres pays. Aujourd’hui, ce sont les Grecs, demain ça peut être un autre pays. La Grèce est un laboratoire, il faut apprendre aux gens à répondre à cette offensive sur les droits ».

Suite aux exposés du panel, plusieurs interventions ont contesté la nature même des mesures d’austérité et des privatisations. Selon celles-ci, il faut avant tout remettre en cause le remboursement de la dette grecque, sa légitimité et sa légalité. Eleni Portaliou, professeure d’architecture en Grèce s’est insurgée : « la violation de la constitution grecque est manifeste, il faut faire passer la protection des citoyens avant le remboursement d’une dette ! ».

Une ancienne députée au parlement grec, à présent journaliste, a précisé que ce que l’on voit dans les îles en Grèce actuellement, c’est une nouvelle étape du mémorandum. Des politiques similaires ont été imposées à Chypre, au Portugal, etc. « Les contrats de prêts introduits avec le dernier mémorandum vont obliger la Grèce à rembourser pendant des années en bradant ses biens publics à un rythme démentiel. Il y a un transfert des richesses d’un pays à un autre. Il n’y a pas que les aéroports, des terres appartenant à l’Etat ont également été vendues, la Troika est responsable, la grande majorité des avoirs bradés tombent aux mains de l’Allemagne. Il ne faut pas considérer que parce qu’on est endetté on doit vendre ces biens. »

Dans la salle, la députée européenne grecque Kostadinka Kuneva a fait remarquer qu’il s’agissait là d’une question internationale, « la santé et la sécurité des travailleurs représente une question essentielle » ! Elle a d’ailleurs informé les personnes présentes à la conférence qu’un syndicat américain a fait un déplacement en Grèce pour conseiller aux Grecs de refuser cette privatisation et prévenir sur la situation des aéroports à Baltimore et Washington, mais aussi d’autres à Boston, Moscou, Ljubjana, etc.

La députée européenne Marina Albiol a ajouté quelques informations sur la situation dans son pays : en Espagne, il y a eu la privatisation d’Aena, entreprise qui était chargée de gérer les aéroports pour l’Etat Espagnol, créée à l’époque du social-démocrate Zapatero. Albiol s’interroge : « pourquoi a-t-elle été privatisée alors qu’elle était rentable ? Il s’agit là d’une privatisation des bénéfices, d’argent public qui passe dans les caisses privées qui récoltent un nouveau créneau. Et cela se fait au détriment de la sécurité. Nous allons sortir dans les rues pour défendre les droits des citoyens » déclara-t-elle, pleine d’enthousiasme !

Le cas d’Air France – nouveau plan de restructuration

Philippe Juravet secrétaire national au Parti de Gauche, secteur entreprise et luttes sociales, est intervenu en tant qu’ex syndicaliste, clamant d’emblée que l’on se trouve face à une responsabilité politique de la gauche en Grèce, tout comme en France, où le gouvernement met en place des directives européennes de manière brutale. Alors que domine l’Etat d’urgence en France, il faut considérer que l’urgence est avant tout sociale.

Karine Monsegu, responsable CGT a indiqué que depuis 2008 Air France a supprimé quatorze mille emplois, « il y a un dumping social et une dérégulation agressive dans l’aérien mais aussi dans d’autres secteurs, la précarité devient la norme ! La politique du gouvernement socialiste consiste à fournir aux capitalistes un environnement social favorable ».

Pour illustrer la casse sociale à Air France, elle cite l’exemple des pilotes enceintes qui doivent voler jusqu’à 16 semaines avant leur accouchement, « il y a une mise en danger du pilote, de l’enfant, des voyageurs. […] La Troïka est déjà à l’œuvre en France, les aéroports de Toulouse, Nice, Lyon doivent être privatisés. » Selon elle, la France fait seulement semblant de croire qu’elle n’est pas sous tutelle. « Il faut que nous nous interrogeons sur nos modes d’action, il faut aussi clarifier le vocabulaire, dénoncer le capitalisme avant tout ».

Philippe Juraver concluait la matinée en annonçant le sommet pour un Plan B en Europe qui s’est tenu à Paris les 23 et 24 janvier 2016.


Notes :

[1Les actionnaires principaux de « Fraport » sont : l’Etat fédéral allemand de Hesse (31,35%), suivi de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Hesse (20,2%), la compagnie aérienne Lufthansa (8,45%) et la société australienne d’investissement RARE Infrastructure

Robin Delobel

CADTM Belgique