printer printer Cliquer sur l'icône verte à droite
Les Chiffres de la Dette 2015 : Chapitre 4
La Banque mondiale et le FMI
par Eric Toussaint , Daniel Munevar , Pierre Gottiniaux , Antonio Sanabria
11 février 2015

Les organismes financiers multilatéraux se trouvent au cœur du « système dette ». Depuis leur fondation en 1944 (dans le cadre des accords de Bretton Woods), la Banque mondiale et le FMI utilisent la dette comme un mécanisme visant à promouvoir la mise en œuvre de politiques favorisant les créanciers et les entreprises privées au détriment du bien-être des peuples.

4.1. L’Initiative PPTE (pays pauvres très endettés) [1]

L’initiative PPTE constitue un exemple clair du lien entre dette et politiques néolibérales. Cette initiative d’allègement d’une partie de la dette d’une poignée de pays très pauvres et très endettés a été lancée en 1996 par la Banque mondiale et le FMI dans le cadre du mandat que leur ont confié les grandes puissances réunies au sein du G7 (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Canada, Italie et Japon). Cette politique devait toucher à sa fin au bout de six ans. Cependant elle reste d’actualité en 2014, cumulant un retard de plus de dix ans.

Globalement, l’initiative PPTE s’est soldée par un fiasco. Elle se limite à une tentative visant à ce que les pays en développement associés apurent leurs dettes d’un seul coup, sans retard de paiement, et au maximum de leurs capacités financières. De fait, les créanciers souhaitent toujours le remboursement des dettes sans craindre une interruption soudaine du paiement de l’un ou l’autre des pays. En ce sens, le seuil défini par l’initiative PPTE correspond au niveau maximal de dette que peut affronter un pays sans exiger sa restructuration. L’initiative PPTE se contente donc de rétablir la dette à son montant maximal soutenable. Cela revient donc à annuler les créances impayables, celles qui auraient pu mener le pays à une suspension des paiements. Plus grave encore, tout allègement de dette demeure conditionné à l’application d’une panoplie de mesures néolibérales qui dégradent les conditions de vie de la majeure partie de la population, violent ses droits humains et affaiblissent les économies des pays concernés en les ouvrant à la concurrence internationale, les producteurs locaux ne pouvant compter sur aucune mesure leur permettant d’y faire face.


4.1.1. Un échec en termes d’ampleur : seuls 39 pays concernés

L’initiative ne concerne qu’un nombre réduit de pays (39) et une faible part de la population en situation de pauvreté, soit seulement 11% de la population totale des PED.


Tableau 4.1 – Pays concernés par l’initiative PPTE
 [2]

Initiative PPTE
Nombre de PPTE 39
Part de la population des PPTE par rapport aux PED 11 %
PPTE ayant une dette jugée soutenable 4
PPTE refusant d’intégrer l’initiative 5
PPTE susceptibles d’être éligibles 44
PPTE ayant atteint le point de décision en octobre 2013 36
PPTE ayant atteint le point d’achèvement en octobre 2013 35


4.1.2. Un retard important : une politique qui devait prendre fin en 2004


Tableau 4.2 - État d’avancement de l’initiative PPTE en 2013

Point d’achèvement atteint
Afghanistan 2010 Gambie 2007 Mozambique 2002
Bénin 2003 Ghana 2004 Nicaragua 2004
Bolivie 2001 Guinée 2012 Niger 2003
Burkina Faso 2002 Guinée-Bissau 2010 Rwanda 2005
Burundi 2009 Guyane 2003 Sao Tomé-et-Principe 2007
Cameroun 2006 Haïti 2009 Sénégal 2004
République centrafricaine 2009 Honduras 2005 Sierra Leone 2006
Comores 2012 Liberia 2010 Tanzanie 2001
R. D. Congo 2010 Madagascar 2004 Togo 2010
R. Congo 2010 Malawi 2006 Ouganda 2000
Côte d’Ivoire 2012 Mali 2003 Zambie 2005
Éthiopie 2004 Mauritanie 2002
Point de décision atteintEn attente
Tchad : 2001 Somalie, Érythrée, Soudan
Pays ayant refusé l’initiative PPTE
Laos, Birmanie, Sri Lanka, Bhoutan, Népal


4.1.3. Le service de la dette de 36 des pays concernés n’a pratiquement pas diminué

Les statistiques concernant le service de la dette des 36 pays ayant atteint le point de décision montrent que leur service de la dette a subi une baisse modérée au cours des premières années, mais depuis 2001, il est reparti à la hausse.


Tableau 4.3


4.1.4. Faux allègements de la dette pour certains pays « pauvres »

L’objectif de l’initiative PPTE était de réduire le rapport entre la valeur actuelle nette de la dette et les exportations afin de rester en deçà de 150 %, la limite fixée.


Tableau 4.4 – Ratio « stock de la dette extérieure » / « exportations » pour certains pays de l’initiative PPTE


4.2. Structure du Fonds monétaire international (FMI) [3]

Les institutions multilatérales agissent en fonction des intérêts des créanciers au sein du système financier international. Plus précisément, la structure institutionnelle de prise de décisions se caractérise par un anachronisme qui bénéficie de manière disproportionnée aux pays les plus industrialisés, et aux entreprises financières et multinationales qu’ils représentent.


4.2.1. Droits de vote au FMI

Tableau 4.5 – Distribution des droits de vote au FMI (2014)

Pays%Groupe présidé par%Groupe présidé par%
États-Unis 16,8 Pays-Bas 6,6 Égypte 3,2
Japon 6,2 Venezuela 4,9 Autriche 2,9
Allemagne 5,8 Italie 4,2 Inde 2,8
France 4,3 Indonésie 3,9 Suisse 2,8
Royaume-Uni 4,3 Corée 3,6 Brésil 2,6
Chine 3,8 Canada 3,6 Iran 2,3
Arabie saoudite 2,8 Danemark 3,4 Argentine 1,8
Russie 2,4 Gambie 3,3 Togo 1,6

That's how we vote at the IMF !


4.2.2 Comparaison entre les droits de vote au sein du FMI

Tableau 4.6 – Population et droits de vote au FMI (2014)

Pays ou groupePopulation en 2012 (en millions)Droits de vote au FMI (%)
Chine 1 350,0 3,8
Inde 1 236,0 2,8
États-Unis 313,0 16,8
Russie 143,0 2,4
Japon 127,0 6,2
France 65,0 4,3
Arabie saoudite 28,0 2,8
Belgique 11,0 1,9
Suisse 8,0 1,4
Luxembourg 0,5 0,2


4.2.3 Évolution des droits de vote au FMI depuis 1945

Tableau 4.7 – Évolution historique des droits de vote au FMI (en %) de 1945 à 2014

Pays ou groupe1945198120002013
Pays industrialisés, dont : 67,5 60 63,7 54,6
États-Unis 32,0 20,0 17,7 16,8
Japon - 4,0 6,3 6,2
Allemagne - 5,1 6,2 5,8
France 5,9 4,6 5,1 4,3
Royaume-Uni 15,3 7,0 5,1 4,3
Pays pétroliers, dont : 1,4 9,3 7 6,6
Arabie saoudite - 3,5 3,3 2,8
PED, dont : 31,1 30,7 29,3 38,8
Russie - - 2,8 2,4
Chine 7,2 3,0 2,2 3,8
Inde 5,0 2,8 2,0 2,3
Brésil 2,0 1,6 1,4 1,7


4.3 Structure de la Banque mondiale (BM)

4.3.1. Droits de vote à la Banque mondiale

Tableau 4.8 – Distribution des droits de vote à la Banque mondiale (2014) [4]

Pays%Groupe présidé par%Groupe présidé par%
États-Unis 16,0 Belgique 5,1 Italie 3,2
Japon 8,0 Mexique 4,4 Algérie 3,2
Chine 5,2 Pays-Bas 4,1 Suisse 3,0
Allemagne 4,5 Canada 4,0 Koweït 2,8
Royaume-Uni 4,0 Australie 4,0 Malaisie 2,8
France 4,0 Inde 3,6 Argentine 2,1
Arabie saoudite 2,2 Finlande 3,3 Zambie 1,8
Russie 2,2 Philippines 3,3 Sao Tomé-et-Principe 1,8
Nigeria 1,6


4.3.2. Comparaison des droits de vote à la Banque mondiale

Tableau 4.9 – Population et droits de vote à la Banque mondiale (2014) [5]

Pays ou groupePopulation en 2012 (en millions)Droits de vote (%)
Chine 1350,0 5,2
Inde 1236,0 3,0
États-Unis 313,0 16,0
Russie 143,0 2,2
Japon 127,0 8,0
France 65,0 4,0
Arabie saoudite 28,0 2,2
Belgique 11,0 1,6
Suisse 8,0 1,6
Luxembourg 0,5 0,1


4.3.3. La toile d’araignée de la Banque mondiale

Le groupe Banque mondiale se compose de cinq filiales : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID), la Société financière internationale (SFI), l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) et le centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Ces filiales ont été développées de manière à tisser une toile dont les mailles sont de plus en plus serrées.

Prenons un exemple théorique pour indiquer les effets de cette politique. La Banque mondiale octroie un prêt aux autorités d’un pays à condition que le système de distribution et d’assainissement de l’eau soit privatisé. En conséquence, l’entreprise publique est vendue à un consortium privé dans lequel on retrouve la SFI, filiale de la Banque mondiale.

Quand la population affectée par la privatisation se révolte contre l’augmentation brutale des tarifs et la baisse de la qualité des services et que les autorités publiques se retournent contre l’entreprise transnationale prédatrice, la gestion du litige est confiée au CIRDI, à la fois juge et partie. Dans la plupart des cas, le CIRDI rend des sentences favorables aux grandes sociétés privées et condamnent les États à leur verser des dommages et intérêts.

On en arrive à une situation où le groupe Banque mondiale est présent à tous les niveaux :

  1. imposition et financement de la privatisation (Banque mondiale via BIRD et AID) ;
  2. investissement dans l’entreprise privatisée (SFI) ;
  3. garantie accordée à cette entreprise pour la couvrir contre les risques politiques (AMGI) ;
  4. jugement en cas de litige (CIRDI).


Notes :

[1Cette section se base sur les données de la Banque mondiale (sauf mention contraire) : Banque mondiale, International Debt Statistics, http://databank.banquemondiale.org

[2Pour une explication de l’initiative PPTE et de ses différentes étapes, se référer au glossaire (p.78 : « Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) »).

[3Cette section se base sur les données du Fonds monétaire international : FMI, IMF Executive Directors and Voting Power, http://www.imf.org/external/np/sec/memdir/eds.aspx

[4Source : Banque internationale pour la reconstruction et le développement, Droits de vote des administrateurs, Banque Mondiale, 2013, http://siteresources.worldbank.org/BODINT/Resources/278027-1215524804501/IBRDEDsVotingTable.pdf

[5Source : Banque internationale pour la reconstruction et le développement, Souscription au capital et droits de vote des pays membres, Banque mondiale, 2013, http://siteresources.worldbank.org/BODINT/Resources/278027-1215524804501/IBRDCountryVotingTable.pdf

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Daniel Munevar

est un économiste post-keynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette.
Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. Il a également travaillé à la CNUCED.
C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique au niveau international. Il est chercheur à Eurodad.

Pierre Gottiniaux

Permanent au CADTM Belgique

Antonio Sanabria