Dans toute l’Europe, les mêmes réformes sont à l’œuvre, montre Jérôme Duval du CADTM, qui suggère d’internationaliser les luttes.
Une fois de plus des gouvernements serviles aux institutions financières répondent aux logiques capitalistes au profit des grandes entreprises et de leurs actionnaires. La logique n’est pas nouvelle, mais répond à un système dont la violence ne fait que s’accentuer jusqu’à l’insoutenable.
La mobilisation populaire qui est en train de se répandre comme une tâche d’huile en France et bien au-delà, a eu comme élément déclencheur la « Loi travail » (ou « loi El Khomri » du nom de l’actuelle ministre du Travail), qu’il serait plus juste de nommer « Loi Capital ». Comme le mentionne le communiqué du 8 avril de « Nuit Debout » à Paris, « cette réforme n’est pas un cas isolé puisqu’elle s’inscrit dans la liste des cures d’austérité subies par nos voisins européens et aura les mêmes effets que le Jobs Act italien ou la Reforma laboral espagnole [1] : plus de licenciements, plus de précarité, plus d’inégalité et le renforcement des intérêts privés. Nous refusons de subir cette stratégie du choc, imposée notamment dans un contexte d’état d’urgence liberticide. » [2]
En effet, en Irlande, en Grèce, au Portugal, à Chypre, en Espagne, en Italie, en Roumanie, en République tchèque, en Slovaquie, en Estonie, en Hongrie, en France ou au Royaume-Uni et très bientôt à nouveau en Belgique, de nouvelles offensives portent atteintes aux droits du travail. Sur injonctions d’institutions, non-élues, au service du capital transnational (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), se poursuit la mise en place de mesures législatives.
Celles-ci facilitent les licenciements sans motif et les rendent moins coûteux pour les employeurs, organisent la baisse des salaires ou le recours au travail précaire, affaiblissent la négociation collective au profit d’accords d’entreprises quand ce n’est pas selon le bon vouloir du patron (« décentralisation du droit du travail vers l’entreprise »). À titre d’exemple, rappelons qu’une des premières mesures de la Troïka en Grèce avec le 1er mémorandum de 2010 consistait à restreindre les conventions collectives aux dépens des travailleurs dans un pays où le salaire minimum a chuté de 751 à 580 euros [3] Le programme économique qui a accompagné l’entrée dans l’UE de la Croatie, en 2013, prévoyait que le pays « simplifie ses procédures de licenciements collectifs, élargisse l’éventail d’activités autorisées aux agences d’emploi intérimaire et abolisse la limite mensuelle d’heures supplémentaires » [4].
En France, dans une « recommandation » officielle datée du 14 juillet 2015, le Conseil de l’Union européenne somme le gouvernement de Manuel Valls de « faciliter, au niveau des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail ». [5] Un mois et demi plus tard, est publié le projet de loi Travail qui reprend l’essentiel des exigences du MEDEF et obéit aux injonctions de la Commission européenne. Cette dernière en profite alors pour critiquer, dans un rapport annuel, un marché du travail trop « rigide », et s’empresse d’encourager la réforme à venir [6]. Le Code du travail serait trop protecteur en France, il faudrait le démolir pour assouvir les exigences du patronat. Et c’est bien à une démolition méthodique permettant de déstructurer les liens entre salariés et employeurs régis par les conventions collectives et le Code du travail à laquelle nous assistons. Au lieu de défendre les droits des hommes et des femmes dans l’entreprise, véritable objet du Ministère du Travail à sa création en 1906, on fait exactement l’inverse : on subordonne les droits humains aux droits de l’entreprise et de ses actionnaires. Cette démolition d’un siècle d’histoire du droit du travail construit par les luttes sociales victorieuses est une véritable contre-révolution au service des financiers.
Après la logique sécuritaire de l’état d’urgence et la tentative ratée de son projet démagogique et xénophobe de déchéance de nationalité, le gouvernement Hollande s’obstine face à un mouvement populaire grandissant qui refuse sa politique anti-sociale. Partant du point névralgique du capitalisme, le travail et son exploitation, cette rébellion va au-delà pour questionner le système dans son ensemble. Un lien organique s’établit ainsi entre les étudiants et les syndicalistes condamnés de Goodyear, les travailleurs en luttes d’Air France-Roissy, les ouvriers de PSA Poissy, de la RATP, des cheminot.e.s, des Intermittents et Précaires, etc. Il rend possible la convergence des luttes, seule à même d’atteindre le seuil critique capable de tout renverser.
En France, si le gouvernement a reculé par rapport au projet initial (plafonnement des indemnités prud’homales, augmentation du temps de travail des apprentis, ...), les mesures les plus nocives restent en vigueur. La loi faciliterait les licenciements économiques, permettrait d’imposer en cas de difficultés économiques conjoncturelles des réductions de salaire et/ou la flexibilité du temps de travail...
Le mouvement social naissant offre l’opportunité d’internationaliser les luttes contre ces mêmes attaques qui se généralisent au-delà des frontières en faveur du capital.
[1] La dernière réforme du travail en Espagne a été approuvée en 2012 par le gouvernement de Mariano Rajoy.
[2] Appel de la Nuit Debout, place de la République, Paris, 8 avril 2016 : https://www.convergence-des-luttes.org/appel-nuit-debout/appel-de-la-nuit-debout-place-de-la-republique-le-8-avril-2016-paris/
[3] « France : Mobilisations contre la loi travail, un espoir en mouvement ! », CADTM, 6 avril 2016. http://cadtm.org/France-Mobilisations-contre-la-loi.
[4] Assessment of the 2013 economic programme for Croatia, 29 mai 2013, http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/nd/swd2013_croatia_en.pdf cité dans « Les réformes du droit du travail généralisent la précarité partout en Europe », Rachel Knaebel, Basta, 22 mars 2016. http://www.bastamag.net/Partout-en-Europe-les-reformes-du-travail-facilitent-les-licenciements-et
[5] Michel Soudais, Erwan Manac’h « Ce que prévoit le projet de loi », 30 mars 2016. http://www.politis.fr/articles/2016/03/ce-que-prevoit-le-projet-de-loi-34424/
[6] « Country Report France 2016 », 26 février 2016 : « Finally, the adoption and implementation of the announced reform of the labour code remains key to facilitate the take-up of derogations from general legal provisions as well the planned reform of the unemployment benefit system to enhance its financial sustainability and to provide more incentives to reinsert unemployed workers back into the labour market. » http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/csr2016/cr2016_france_en.pdf
est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.