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Répondre aux « Questions qui piquent sur la dette et l’austérité »
Chypre a instauré un contrôle des mouvements de capitaux et confisqué des dépôts. Est-ce un exemple d’alternative ?
Question 6
par CADTM Belgique , Jérémie Cravatte , Laila Benzzi
6 mai 2016

Au CADTM, on sait trop bien ce que c’est d’être flippéE, voire découragéE, par toutes ces questions sur lesquelles on sèche. Du coup, inspiréEs par nos meilleurEs piqueurs et piqueuses (notre famille, nos potes, le pizzaiolo d’en face, les gens que l’on rencontre en animation), le CADTM Liège a organisé plusieurs sessions d’élaborations collectives d’éléments de réponse à ces piques (qu’elles soient d’ordre technique ou plus « politique »).

Ce travail a engendré une brochure que vous pouvez retrouver en entier ici.

Les banques Laïki et Bank of Cyprus représentaient, en 2012, 80 % du secteur bancaire chypriote. Secteur démesuré pour cette petite île d’un million d’habitantEs (750 % du PIB). Ces deux banques détenaient énormément de titres de la dette publique grecque et, à l’inverse des autres grandes banques européennes (ou de la BCE), elles n’ont pas été épargnées lors de la restructuration de cette dette menée par la Troïka.

Le 19 mars 2013, la Troïka prêtait 10 milliards € à Chypre afin qu’elle continue à rembourser sa dette publique et qu’elle recapitalise ses banques. Comme toujours avec le FMI, ce prêt était accompagné de conditionnalités : une vague austéritaire inédite ET une taxe exceptionnelle sur l’ensemble des dépôts de la population. Cette taxe – pensée en collaboration avec le gouvernement d’alors – devait s’appliquer y compris aux comptes de moins de 100.000 € et ce, malgré la législation européenne de 2010 qui fixait à ce montant la garantie des dépôts.

Sous la pression populaire, le Parlement rejeta le plan. Deux jours plus tard, la BCE menace de ne plus fournir les banques chypriotes en liquidités d’urgence. Le 25 mars, un nouvel accord voit le jour et les comptes supérieurs à 100.000 € sont saisis à hauteur d’entre 30 % et 40 %. Les faillites s’enchaînent, bien que le but affirmé soit de « relancer l’économie » et d’assainir les comptes.

=> Pour la première fois en Europe depuis 1985 un gouvernement ferme donc ses banques et applique un contrôle strict des mouvements de capitaux.


Mais comment et dans l’intérêt de qui ?

Les plus petits actionnaires et créanciers (pas la BCE) ont assumé des pertes. Concernant les déposantEs, le gouvernement d’alors a, volontairement, laissé passer une dizaine de jours entre l’annonce de ces mesures et leur application. [1] Cela a permis aux déposantEs les plus riches – dont les oligarques russes et riches britanniques – de sortir leurs euros (entre 4 et 6 milliards) du pays.

L’exemple de Chypre montre qu’on peut tout à fait utiliser le bail-in (voire la fiche suivante) et établir un contrôle strict des mouvements de capitaux, élément fondamental dans la gestion d’une crise bancaire et ce, en accord avec le droit européen [2], mais pas de cette manière.

À la place de cette saignée, on aurait pu socialiser les banques pour arrêter l’hémorragie et faire assumer les pertes par les plus gros actionnaires, les plus gros créanciers (dont la BCE) et les titulaires de comptes supérieurs à 250.000 € (de manière fortement progressive), par exemple. Cette alternative nécessiterait en effet une fermeture des banques et un contrôle strict des mouvements de capitaux.

Source et plus de détails : « Retour à Chypre (Euroland)... » de Xavier Dupret, juin 2013.


Notes :

[1En Islande, c’est en une nuit que la mesure a été prise, en même temps que la nationalisation des trois principales banques.

[2L’article 65 §1B du traité de l’UE autorise ses États membres à prévoir « des procédures de déclaration des mouvements de capitaux » pour « des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique ».

CADTM Belgique
Jérémie Cravatte

Militant du CADTM Belgique et membre d’ACiDe

Laila Benzzi