Il y a une crise humanitaire en cours à Puerto Rico. Cela fait bientôt 10 ans qu’elle dure et elle est la conséquence directe d’une dette devenue largement insoutenable et d’une gestion qui a privilégié les intérêts des créanciers, de la classe des 1 %, plutôt que ceux de la population. Pourtant, il devrait être clair aujourd’hui que la solution au surendettement ne viendra pas de plus de fermetures d’écoles et d’hôpitaux, de la suppression du salaire minimum, de l’augmentation des taxes ou de la diminution des aides sociales.
C’est pourtant ce que propose le Congrès américain, au travers de la mise en place d’un conseil de supervision financière qui devra tenter de résoudre la crise de la dette portoricaine par des mesures d’austérité drastiques, comme le vivent les pays du Sud depuis plus de 30 ans, et les pays européens depuis l’éclatement de la crise de 2008. Sans résultat.
L’île de Puerto Rico croule sous une dette de 72 milliards de dollars et a mis en place un moratoire sur le paiement de sa dette grâce à un décret d’urgence pris au mois d’avril 2016 [1]. Cette dette provient en grande partie de la fin des avantages fiscaux dont bénéficiaient les investisseurs états-uniens, il y a 10 ans. Cette législation fort favorable envers les détenteurs de capitaux, et les taux d’intérêt élevés pratiqués à Puerto Rico, les avaient fait affluer massivement vers l’île. Leur départ en 2006, tout aussi massif, a été accéléré par la crise de 2008. [2]
Depuis lors, Puerto Rico a perdu 20 % de ses emplois, 60 % de la population adulte est sans emploi, ces 5 dernières années, 150 écoles publiques ont été fermées et le taux de pauvreté infantile a grimpé à 57 %. L’inégalité y est plus forte que dans n’importe quel autre État des États-Unis.
Pour couronner le tout, les fonds vautours, toujours à l’affût d’un pays ravagé par la dette, ont commencé à racheter massivement des bons portoricains, exemptés de taxes, au prix moyen de 29 cents le dollar, avec des taux d’intérêts allant jusqu’à 34 %. Aujourd’hui, on estime que près de la moitié de la dette de Puerto Rico est aux mains de ces fonds vautours. [3]
Pour un audit indépendant de la dette publique, avec participation citoyenne
Pour sortir du piège de la dette, Puerto Rico ne doit pas se laisser dicter sa conduite par le gouvernement des États-Unis, ni par les créanciers. Le gouvernement de Puerto Rico doit organiser la réalisation d’un audit indépendant de sa dette publique, afin de déterminer s’il y a eu des irrégularités dans l’endettement de ces dernières années, si des emprunts ont été contractés en opposition à la Constitution portoricaine par exemple. C’est ce que réclame le sénateur du Vermont Bernie Sanders, candidat à la primaire démocrate pour l’investiture aux prochaines élections présidentielles des États-Unis. Mais la mesure doit aller plus loin : l’audit devra déterminer si certaines dettes de Puerto Rico seraient illégales, illégitimes ou odieuses, en cela qu’elles auraient été contractées en opposition à la législation portoricaine ou au droit international, ou qu’elles n’auraient pas bénéficié à l’intérêt général mais qu’elles auraient profité à une minorité privilégiée, pour ne citer que ces deux exemples. Et pour en garantir sa fonction démocratique, cet audit devra inclure une participation citoyenne active.
Afin de protéger Puerto Rico des fonds vautours qui la menacent déjà ouvertement, il est également nécessaire que des mesures législatives de protection soient prises le plus rapidement possible. Dans ce but, le candidat sénateur Sanders propose l’extension du Chapitre 9 – la loi états-unienne sur la faillite des collectivités publiques qui les met à l’abri de leurs créanciers – à l’île de Puerto Rico, un droit qui lui a été retiré par le gouvernement fédéral. Or pour être efficace, cette « protection » devrait émaner d’un gouvernement prêt à prendre des mesures radicales à l’encontre des créanciers, ce qui n’est actuellement clairement pas le cas. Puerto Rico doit prendre exemple sur la Belgique, qui a voté récemment une loi visant à réduire drastiquement le champ d’action des fonds vautours, et qui mentionne les « avantages illégitimes » recherchés par ces investisseurs (voir encadré à la fin de cet article).
Audit, annulation... et alternatives pour une transition écologique
Ce n’est qu’à ces conditions que le gouvernement de Puerto Rico pourra s’atteler efficacement au redressement économique de l’île et mettre fin à l’appauvrissement de ses citoyens et à l’émigration massive, en mettant par exemple en place un audacieux programme de transition écologique, comme le réclame le candidat Bernie Sanders et qui pourrait créer du travail pour des dizaines de milliers d’habitants de Puerto Rico, et des millions d’habitants des États-Unis si ce programme y était étendu.
Le peuple et les élus de Puerto Rico doivent s’opposer au plan de sauvetage que prévoit le Congrès américain, sous la mise en place d’un conseil de supervision financière pour l’île. Il doit poursuivre le moratoire sur sa dette mis en place au mois d’avril 2016 et réaliser un audit indépendant de sa dette publique sous contrôle citoyen, tout en se mettant juridiquement à l’abri des fonds vautours. La priorité doit être le bien être de la population, et non la précarisation et la poursuite de politiques néocoloniales qui nient le droit de Puerto Rico à la souveraineté.
Loi belge sur les fonds vautour : le cœur du dispositif « Art. 2 Lorsqu’un créancier poursuit un avantage illégitime par le rachat d’un emprunt ou d’une créance sur un État, ses droits à l’égard de l’État débiteur seront limités au prix qu’il a payé pour racheter ledit emprunt ou ladite créance. Quel que soit le droit applicable à la relation juridique avec l’État, débiteur de l’obligation de paiement, l’ordre public belge s’oppose à un ordre de paiement sur le fond, à l’exequatur d’une décision judiciaire ou d’une sentence arbitrale étrangère, pour autant qu’un tel paiement donne lieu à un avantage illégitime pour la partie qui rachète l’emprunt ou la créance à un tiers. La recherche d’un avantage illégitime se déduit de l’existence d’une disproportion manifeste entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et la valeur faciale de l’emprunt ou de la créance ou encore entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et les sommes dont il demande le paiement. Pour qu’il s’agisse d’un avantage illégitime, la disproportion manifeste visée à l’alinéa précédent doit être complétée par au moins un des critères suivants : le créancier a abusé de la situation de faiblesse de l’État débiteur pour négocier un accord de remboursement manifestement déséquilibré ; (...) le remboursement intégral des sommes réclamées par le créancier aurait un impact défavorable identifiable sur les finances publiques de l’État débiteur et est susceptible de compromettre le développement socio-économique de sa population » Voir le texte intégral sur ce lien |
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