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Carton rouge pour le Club de Paris !
par Claude Quémar , Maud Bailly
4 juillet 2016

Le 1er juillet 2016, le Club de Paris a célébré officiellement ses 60 années d’existence. Ce sont surtout 60 années d’illégitimité : il est plus que temps que le Club de Paris soit mis hors-jeu.

Le Club de Paris n’est pas un club de foot. Il s’agit d’un groupe d’États créanciers du Nord, spécialisé dans le traitement des défauts de paiements par la renégociation de leurs dettes publiques bilatérales. Depuis sa création en 1956, le Club de Paris a conclu 433 accords avec 90 pays débiteurs.

Un match déséquilibré : seul contre tous

Les représentants des 21 pays [1] qui le composent se réunissent au sein du ministère français des Finances, aux côtés d’observateur des institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale. Face à un cartel de créanciers puissants et unis, le pays débiteur se retrouve seul et isolé.


Business as usual

Dans un match de pure finance internationale, il s’agit de recouvrer le maximum de fonds. Lorsque le Club de Paris intervient, la restructuration de la dette qu’il opère vise à rétablir la solvabilité du pays en se contentant de rendre la dette remboursable. Il n’est nullement question de droits humains ou de conditions de vie des populations.


Un adversaire qui n’existe pas

Mais au fait, quel match ? Le Club de Paris n’existe pas : pas d’existence légale ni de statuts, une « non-institution » comme il se définit lui-même. Le groupe informel ne fait que formuler des « recommandations » qui, dans la pratique et selon le principe de « solidarité » qui régit le Club, sont appliquées à la lettre par les États membres. Pour ajouter à cette dimension opaque, son agenda des sessions n’est jamais rendu public à l’avance et la teneur de ses réunions à huis clos est maintenue secrète.


Un match truqué

De surcroît, ce match est truqué d’entrée de jeu : le Club de Paris est à la fois juge et partie. Pour accéder à une réunion de « négociation », le pays surendetté, en situation de quémandeur, a dû, d’une part, démontrer l’impossibilité de poursuivre les remboursements et d’autre part, conclure un accord économique avec le FMI. Ce « pompier pyromane » qui éteint les feux pour en rallumer d’autres, en imposant comme conditionnalités une série de réformes qui, non seulement, sont contraires à l’intérêt du pays endetté et à son peuple, mais sont également contre-productives en plongeant l’économie du pays dans la spirale de l’austérité.


Le leitmotiv du vainqueur… à travers quelques matchs commentés

Le Club de Paris est un instrument central dans la stratégie des pays créanciers pour conserver une emprise sur l’économie des pays du Sud au bénéfice du secteur financier et des multinationales des pays membres. Les enjeux géopolitiques des créanciers jouent un rôle déterminant dans le choix des pays auxquels est accordé une restructuration de dette et dans les modalités de celles-ci. Cela a été le cas pour la Pologne du gouvernement pro-occidental de Lech Walesa qui a obtenu en 1991 une réduction de 50 % de sa dette, et pour l’Égypte qui a obtenu un traitement similaire la même année, alors que le dictateur Moubarak à sa tête constituait un soutien clé dans la première guerre du Golfe. Ou encore l’Irak, suite à l’invasion illégale du pays en mars 2003 par les États-Unis et leurs alliés, qui a bénéficié en 2004 de 80 % d’annulation du stock de sa dette et un moratoire sur le paiement jusqu’en 2008. Alors que tant de pays défavorisés n’ont pas droit au moindre allègement.

Dans de nombreux cas, le Club de Paris a restructuré des dettes issues de régimes dictatoriaux servant ses intérêts, leur octroyant par là une légitimation et empêchant une annulation pure et simple de ces dettes sur base de l’argument juridique de la dette odieuse. Pour ne citer que quelques exemples : le Chili de Pinochet en 1974, l’Indonésie de Suharto, le Brésil et sa junte militaire, la RDC de Mobutu…


Un Club peu fair-play

Le fonctionnement du Club de Paris interdit à ses membres de prendre des initiatives qui mettraient en porte à faux les autres membres. C’est ainsi que la Norvège, pour avoir reconnu le caractère illégitime de certaines de ses créances vis-à-vis de cinq pays (Équateur, Égypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone) et les avoir unilatéralement annulées en 2006, s’est vue reprocher cette initiative par les autres membres du Club.

Suite au passage en 2004 de l’ouragan Ivan sur l’île de Grenade, ce pays ne s’est vu accorder en 2006 qu’un rééchelonnement de 16 millions de dollars, sans aucune annulation, à condition de rembourser ses arriérés. Le 26 décembre 2004, un tsunami ravageait l’Océan indien, entraînant des destructions et des centaines de milliers de victimes. Les pays membres n’ont accordé au Sri Lanka et à l’Indonésie qu’un différé de paiement toujours sous condition de rembourser les créances non concernées.


Des matchs nuls

L’objectif affirmé du Club est d’aider les pays concernés à « mettre en œuvre des politiques lui permettant de ne plus recourir au Club de Paris ». En réalité, cela ne marche pas. Le Sénégal est passé 14 fois devant le Club depuis 1981, la RDC 13 fois depuis 1976, le Togo 13 fois depuis 1979, la Côte d’Ivoire 12 fois depuis 1984… Les politiques proposées se traduisent par une ouverture des économies aux multinationales, des mesures antisociales… et un nouvel endettement.


Carton rouge pour le Club de Paris !

Le Club de Paris doit être mis hors-jeu du terrain international, de même que ses co-équipiers la Troïka, le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Bien que le Club de Paris fasse pression pour empêcher quiconque de se soustraire à sa mainmise, un État a le droit de poser des actes souverains unilatéraux, sur base d’arguments de droit international et national, en suspendant le paiement de sa dette, en réalisant un audit intégral (avec participation citoyenne), en répudiant la part illégitime et illégale, et en imposant une réduction de la part restante. Un État a le devoir de protéger les droits humains de sa population et cette obligation prime sur tous ses autres engagements.

Face à une nouvelle crise de la dette des pays du Sud qui menace d’éclater, avec la chute du prix des matières premières et le risque d’une augmentation des taux d’intérêts par la Réserve fédérale des États-Unis, le Club de Paris risque bien de revenir sur le devant de la scène. Face aux désastres que cela suppose pour les populations, le CADTM – Comité pour l’abolition des dettes illégitimes – exige la suppression pure et simple du Club de Paris, l’abandon des plans d’ajustement structurel et l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des pays du Sud et de la Grèce qui est devenu le premier pays débiteur du Club de Paris.


Plus d’infos : http://www.clubdeparis.fr


Notes :

[121 depuis l’adhésion de la République de Corée le 1er juillet 2016

Claude Quémar

est membre du CADTM France

Maud Bailly

Militante au CADTM Belgique