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Saga Dexia : la faute à tout le monde ?
par Jérémie Cravatte
15 septembre 2016

Un nouveau documentaire sur la saga Dexia vient de sortir : « Dexia : la faute à personne » [1]. S’il constitue un très bon outil pédagogique et pose la bonne question – celle des responsabilités – il échoue dans sa réponse qui favorise le statu quo.

« Ce serait l’heure de pouvoir rendre des comptes. Ce n’est pas fait, pourtant c’est l’argent du contribuable qui a été mobilisé. Aujourd’hui encore nous pouvons interroger la responsabilité collective, les dirigeants, les États mais également nous interroger nous-mêmes. La faute à personne, est-ce que cela ne veut pas dire la faute à tout le monde finalement ? » (Catherine Le Gall) [2]

Un nouveau documentaire plus que bienvenu sur cette saga catastrophique

L’impact de l’affaire Dexia sur le pays et sa population a été énorme. Or, cette affaire n’a (presque) pas été débattue publiquement. Personne n’a eu de (sérieux) comptes à rendre non plus. Ce nouveau documentaire, qui devrait en principe être diffusé plus largement que le documentaire associatif de 2014 « Dexia : démocratie confisquée » [3], est donc plus que bienvenu.

Il rappelle très justement que nous sommes loin d’avoir tiré toutes les leçons de cette histoire, que la Commission parlementaire mise en place pour identifier des responsabilités n’a servi à rien puisqu’elle était dépourvue de pouvoir d’instruction et qu’une nouvelle crise financière, peut-être plus importante encore, risque d’éclater.

Malgré cette clairvoyance, la journaliste et le réalisateur chutent maladroitement en tombant dans le fatalisme : « Il nous faudra encore 60 années pour liquider cet héritage que vous nous avez légué, 60 longues années … » et en concluent naïvement qu’il s’agit d’une responsabilité collective.

Ce documentaire est particulièrement pédagogique

Ce documentaire est particulièrement pédagogique et a l’avantage de revenir sur de nombreux aspects fondamentaux de l’affaire, tout en restant de courte durée (moins d’une heure). C’est donc un très bon matériel pour informer un maximum de personnes sur ce qu’il s’est passé avec cette banque des communes devenue mastodonte bourrée aux subprimes et autres produits toxiques.

Une conclusion qui favorise le statu quo

Le film se concentre principalement sur les deux dirigeants de l’époque, Pierre Richard et Axel Miller, sans oublier pour autant les autres responsables : membres du conseil d’administration, gestionnaires des risques, Premier ministre d’alors Yves Leterme (on ne sait pas si le Ministre des Finances d’alors Didier Reynders, ou l’ancien membre du Conseil d’administration Elio Di Rupo ont été interrogés), autorités de contrôle, etc. C’est bien pour ces lourdes responsabilités que toutes ces personnes reçoivent des salaires et bonus inconcevables pour la plupart des gens. Malgré l’ampleur de la catastrophe pour la population belge, aucune de ces personnes n’a été inquiétée jusqu’à aujourd’hui [4].

Aucune de ces personnes n’a été inquiétée jusqu’à aujourd’hui

Mais, par la suite, on a l’impression que toutes ces institutions et personnalités aux postes de responsables seraient presque dédouanées. Catherine Le Gall ira jusqu’à dire au sujet d’Axel Miller – qui lui a répondu mais décidera plus tard de ne pas apparaître dans le reportage – « Nous avons rencontré un homme démoli » [5]. En quoi cela répond-il à la question des responsabilités ? Quelle importance politique ou économique peut avoir le fait que cet homme se soit séparé de sa femme ou ait vécu d’autres malheurs personnels ? On a du mal à suivre la journaliste et son réalisateur sur leur vision de la « responsabilité »... Comme lorsqu’ils soulignent qu’Yves Leterme leur a paru sincère. Et alors ? …

Une ex-employée de la banque présente dans le documentaire souligne pourtant très justement qu’il ne s’agit pas d’une question de personnes mais de système. La question est : où était le pouvoir de décision ? Et, partant de là, des responsabilités doivent en effet être dégagées et des alternatives mises en place.

Or, la journaliste et le réalisateur ont, d’une part, fait le choix de responsabiliser naïvement tout le monde et, d’autre part, de ne mettre en avant aucune alternative, deux tendances assez communes qui favorisent le statu quo.

La journaliste et le réalisateur ont, d’une part, fait le choix de responsabiliser naïvement tout le monde et, d’autre part, de ne mettre en avant aucune alternative

« Des risques sans que personne ne s’en rende compte, c’est quand même énorme mais c’est exactement ce qui s’est passé » [6]. Et si ce n’est la faute à personne, ça doit être la faute de tout le monde : « même nous, les clients, qui réclamions des rendements à 10-15% » selon Alain de Halleux [7]. Il faudrait savoir... les dirigeants n’auraient pas su qu’ils prenaient des risques mais les clients auraient du savoir ?

Non seulement l’immense majorité des clientEs de Dexia n’avaient pas fait de placements dans des produits structurés, mais la plupart de celles et ceux qui l’avaient fait n’étaient pas informéEs correctement. Et en ce qui concerne les particuliers qui auraient investi dans des actions Dexia, ceux-ci ont été informés de la santé de la banque par voie de presse (donc trop tard) et les pertes ont été immenses. Dans cette matière, les plus petits sont toujours informés en dernier.

Oui, nous sommes touTEs responsables, car nous sommes touTEs des adultes. Mais non, nous ne sommes pas touTEs coupables dans cette affaire. Or, c’est l’immense majorité d’entre nous qui payons l’austérité et pas « tout le monde ». Nous doutons, par exemple, que Pierre Richard [8] ou Axel Miller [9] en ressentent les effets – si ce n’est favorablement [10]. Cette affaire nous responsabilise en effet face à l’État, qui travaille ouvertement en faveur des intérêts particuliers des plus gros actionnaires de plus grosses banques (comme l’a montré le traitement de l’affaire des recours en annulation de la fameuse garantie illégale) [11], mais elle ne nous rend pas responsables de la libéralisation du secteur financier.

Dans un monde où le pouvoir serait réparti au sein de l’ensemble de la population, Le Gall et de Halleux pourraient dire que c’est la faute de tout le monde. Pour que nous soyons touTEs responsables, il faudrait que la banque ait été socialisée – c’est-à-dire sous contrôle de ses travailleurs/euses, de ses clientEs et de la collectivité en général. Or, rien n’était (et n’est toujours) plus éloigné de la réalité...

Cette question nous paraît importante car, qu’il s’agisse de changements climatiques ou de guerres menées par la Belgique ou de toute autre question de société, ce travers de la responsabilisation collective naïve revient sans cesse et alimente un sentiment d’impuissance. Non, nous n’avons pas actuellement touTEs les mêmes marges de manœuvre pour influencer ces choses et, oui, nous devons nous organiser pour augmenter notre puissance d’agir sur celles-ci.

Or, là-dessus, la journaliste et le réalisateur ont justement fait le choix éditorial de ne mettre en avant aucune possibilité d’action. Il est très contradictoire de responsabiliser la population et de ne rien proposer pour reprendre la question en main.

Construire les alternatives

Comme l’a très bien exprimé une personne du public lors de l’avant-première à Bruxelles le 6 septembre, c’est justement parce que les alternatives en cours ou possibles sont invisibilisées qu’elles ne prennent pas corps. Permettons-nous alors d’en rappeler quelques-unes :

- Abroger la loi du 16 mai 2013 [12] qui valide de manière rétroactive les arrêtés royaux illégaux instaurant les garanties d’État sur Dexia (ces garanties s’élèvent aujourd’hui à 43,7 milliards d’euros pour la Belgique) et qui autorise le gouvernement à octroyer de nouvelles garanties d’État pour un montant de 25 milliards d’euros par institution financière sans que le parlement ne soit consulté.

- Forcer le gouvernement à annuler la nouvelle garantie sur Dexia – qui, bien que légalisée n’en demeure pas moins illégitime – parce qu’il s’y engage à garantir y compris des dettes illégales contractées par la banque (ce qui est une violation des principes généraux de bonne administration). Cette garantie fait peser sur la population tous les risques, protège de manière absolue les créanciers et verrouille tout débat sur les alternatives aux recapitalisations successives de Dexia S.A.

- S’impliquer dans la campagne à venir pour la socialisation de Belfius afin d’avoir une banque au service de la population [13].

- Faire le parallèle avec les CAC (collectifs d’audit citoyen en France) présentés dans le film et s’impliquer dans la plateforme d’audit citoyen de la dette publique en Belgique « ACiDe » qui, entre autres choses, remet en cause la dette illégitime issue des sauvetages bancaires.

- Créer un collectif pour traîner devant les tribunaux les responsables politiques, techniques et financiers de l’affaire Dexia, en s’inspirant par exemple du collectif 15MpaRato en Espagne et du cas islandais [14]. Une des conséquences des condamnations devrait bien sûr être l’interdiction pour ces responsables de continuer à professer dans le secteur.

- Faire connaître autour de soi le fonctionnement actuel des banques et les nombreuses mesures possibles pour mettre la finance au service de la population, plutôt que l’inverse [15].


Notes :

[1Documentaire franco-belge co-produit par la RTBF, Novak et Point du Jour, de Catherine Le Gall et Alain de Halleux et récemment diffusé sur Publicsenat. Voir : https://www.publicsenat.fr/emission/documentaires/dexia-la-faute-a-personne-80945

[4Citons un passage éloquent du rapport de la Cour française des comptes qui vaut aussi pour les responsables en Belgique : « la mise en cause de la responsabilité des anciens dirigeants n’a été recherchée ni par les nouveaux dirigeants nommés en 2008, ni par les actionnaires déjà présents ou entrés au capital en 2008, ni par les États. Les anciens dirigeants ont certes été évincés, mais ils ont pu conserver le bénéfice d’avantages financiers substantiels ». Voir : http://www.ccomptes.fr/Actualites/Archives/Dexia-un-sinistre-couteux-des-risques-persistants

[5Ne vous inquiétez pas trop, elle parle de son équilibre émotionnel, pas de ses conditions de vie. Il travaille aujourd’hui pour Petercam.

[6Ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Ces personnes ne savaient peut-être plus de quoi étaient faits leurs risques (leurs produits structurés complexes) mais elles savaient très bien que des risques étaient pris. C’est une nécessité exigée par l’actionnariat et son rendement sur fonds propres.

[8Pierre Richard est parti avec une retraite-chapeau dont la provision dépasse les 10 millions d’euros (583.000 € par an).

[9Axel Miller a eu moins de chance : il n’a empoché que 825.000 € au moment de son départ …
Voir : http://www.banquepublique.be/archives/7510

[10Les individus possédant un patrimoine net de plus d’1 million d’euros (comme nos amis) se sont enrichis depuis la crise de 2008 et profitent des réformes induites dans les programmes d’austérité.
Voir : https://www.worldwealthreport.com/reports/population/europe

[12Votée à majorité (86 voix) contre opposition (49 voix) comme dans la cour de récré.

[13Cette campagne, qui sera rendue publique à l’automne, rassemble déjà de nombreuses organisations qui travaillent sur les alternatives concernant la finance : Fairfin, ATTAC, CADTM, Financité, syndicats, etc.

Jérémie Cravatte

Militant du CADTM Belgique et membre d’ACiDe