Éric Toussaint présente son témoignage sur l’action du CADTM au sujet de la problématique de la dette en Grèce et en solidarité avec le peuple grec. Il commence par décrire brièvement la situation antérieure à 2008-2010. Ensuite il montre que le CADTM était préparé à l’analyse de cette crise. Il résume les initiatives prises par le CADTM et ses partenaires pour contribuer dès 2009-2010 à mettre en place un mouvement de résistance au niveau européen. Il explique l’implication active du CADTM dans le soutien à la création en 2011 de ELE, l’initiative d’audit citoyen de la dette grecque et dans d’autres initiatives comme le lancement de la Joint Social Conference qui allait devenir plus tard l’Altersummit. Il met en avant les actions de solidarité initiées par le réseau tant au niveau féministe qu’en solidarité avec le secteur de la santé. Et, enfin, il n’oublie pas de pointer les limites de ces actions. Dans cet article, il n’analyse pas le travail de la commission pour la vérité sur la dette grecque dont il a coordonné les travaux car il a eu l’occasion de le faire dans l’interview Grèce : La Commission pour la vérité sur la dette, la capitulation de Tsipras et les perspectives internationales pour la lutte contre les dettes illégitimes.
Avant que la crise n’éclate en Grèce, je me suis rendu à deux reprises à Athènes afin de donner des conférences sur la dette. Une fois en décembre 2003 pour parler de la dette du tiers-monde dans les locaux de l’université Polytechnique et ensuite, en mai 2006, lors du Forum social européen. Je me suis rendu compte que la gauche grecque était très peu sensibilisée à la question. Une des raisons : la Grèce n’a pas eu de colonies aux 19e et 20e siècles alors que des pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, le Portugal en avaient eues et avaient été confrontés directement à la dette de leurs anciennes colonies et des régions qu’ils dominaient. Cela a amené une partie de la gauche de ces anciennes métropoles coloniales à se positionner en faveur de l’annulation de la dette du tiers-monde (et notamment des pays ayant été des anciennes colonies) et à prendre des initiatives sur le sujet, en particulier à partir des années 1980 [1]. En Grèce, cela n’a pas constitué une thématique mobilisatrice. Une deuxième raison peut être avancée : au cours de la période qui va de la fin de la dictature des colonels en 1974 au mémorandum imposé par la Troïka en mai 2010, la Grèce n’a pas été confrontée à un grave problème d’endettement extérieur contrairement à la longue période qui va de l’indépendance des années 1820 à la fin de Seconde Guerre mondiale [2].
Je me souviens d’une conversation avec Giorgos et Sonia Mitralias remontant à 2009. Ils envisageaient de créer un CADTM en Grèce afin de sensibiliser la population grecque sur les liens entre la dette du tiers-monde et la situation des peuples poussés à l’émigration. Il s’agissait selon eux de renforcer ainsi la défense des droits des migrants en Grèce. C’était une excellente initiative. L’éclatement de la crise en Grèce en 2010 allait accélérer les initiatives sur la problématique de la dette et rendre d’autant plus nécessaire la création de collectifs agissant pour la remise en cause du paiement de la dette illégitime.
La gauche grecque n’imaginait pas que la dette allait devenir une préoccupation centrale
La gauche grecque n’imaginait pas que la dette allait devenir une préoccupation centrale en Grèce à partir de 2010. En octobre 2009, le Pasok de Georges Papandréou avait gagné les élections en affirmant qu’il y avait suffisamment de moyens financiers pour augmenter les salaires, créer des emplois, dans un pays prétendument largement épargné par la crise financière internationale. Georges Papandréou, tout comme l’ancien premier ministre Karamanlis (le leader de Nouvelle démocratie qui a dirigé le gouvernement entre 2004 et octobre 2009), le FMI, la Banque centrale européenne et les banquiers, affirmaient que les banques grecques étaient saines.
Au niveau du CADTM, depuis 2008 [3], nous étions persuadés que le sauvetage des banques et la crise économique dans laquelle elles avaient plongé les pays les plus industrialisés allaient déboucher sur une nouvelle crise des dettes publiques et un renforcement des politiques d’austérité. Le 3 novembre 2008, le site du CADTM publiait un article intitulé : « Union sacrée pour sacrée arnaque » qui commençait par les deux paragraphes suivants :
« Le sauvetage des banques et des assurances privées, réalisé en septembre-octobre 2008, constitue un choix politique fort qui n’avait rien d’inéluctable et qui plombe l’avenir à plusieurs niveaux décisifs.
Tout d’abord, le coût de l’opération est entièrement porté à charge des pouvoirs publics, ce qui entraînera une augmentation très importante de la dette publique. La crise capitaliste actuelle, qui durera au moins plusieurs années, voire une dizaine d’années, va entraîner une réduction des recettes de l’État alors qu’augmenteront ses charges liées au remboursement de la dette. En conséquence, les pressions pour réduire les dépenses sociales vont être très fortes. » [4]
En 2009, Damien Millet et moi avons publié un livre intitulé La Crise, quelles crises ?. Ce livre, édité en français, a été publié ensuite sous différentes versions en espagnol (en Espagne ; en Argentine ; à Cuba). Dans l’introduction, on lit :
« L’interconnexion des crises capitalistes met en avant la nécessité d’un programme anticapitaliste à l’échelle de la planète. Les solutions, pour qu’elles soient favorables aux peuples et se soucient du respect de l’environnement, doivent être internationales et systémiques. L’humanité ne pourra pas se contenter de demi-mesures.
Or les solutions mises en place pour le moment vont à l’encontre de tout cela. La priorité a été de défendre à tout prix le système capitaliste en évitant soigneusement de poser la question du modèle lui-même. En effet, le sauvetage des banques et des assurances privées décidé par les grandes puissances a constitué un choix politique fort qui n’avait rien d’inéluctable et qui pose réellement question. Ce que les grands médias présentent comme la seule réponse possible n’a rien d’évident, mais s’inscrit dans une démarche idéologiquement tendancieuse qui vise à justifier comme seule issue possible une sortie capitaliste de la crise.
Un programme anticapitaliste à l’échelle de la planète est nécessaire
Tout d’abord, le coût de l’opération est entièrement porté à charge des pouvoirs publics, ce qui entraînera une augmentation très importante de la dette publique. En effet, les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe ont remplacé un échafaudage branlant de dettes privées par un écrasant montage de dettes publiques. Les partis de droite, du centre et de la gauche modérée ont tous appuyé la politique de sauvetage favorable aux grands actionnaires sous le fallacieux prétexte qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour protéger l’épargne de la population et le fonctionnement du système de crédit.
Cette union sacrée signifie le transfert de la facture à la majorité de la population qui doit passer à la caisse pour payer sous différentes formes les frasques des capitalistes : réduction des services que l’État fournit à la population et des investissements publics, pertes d’emplois, baisse du pouvoir d’achat, augmentation des contributions des patients pour les soins de santé, des parents pour l’éducation des enfants…
Comment sont financées les opérations de sauvetage en Amérique du Nord et en Europe ? L’État apporte de l’argent frais aux banques et aux assurances au bord de la faillite, soit sous forme de recapitalisation, soit sous forme d’achat des actifs toxiques des entreprises concernées. Que font les banques et les assurances avec cet argent frais qui leur vient du Trésor public ? Elles en gardent une partie pour augmenter leurs liquidités et être en mesure de distribuer des dividendes à leurs actionnaires et des bonus à leurs traders ainsi qu’à leurs dirigeants. Avec l’autre partie, elles achètent des actifs sûrs pour remplacer des actifs toxiques dans leur bilan. Quels sont les actifs les plus sûrs en ce moment ? Les titres de la dette publique émis par les États des pays les plus industrialisés, notamment les bons du Trésor des États-Unis et des pays de l’Union européenne.
Les banques et les assurances gardent une partie de l’argent injecté par l’État pour distribuer des dividendes et des bonus
La boucle est alors bouclée : l’État injecte de l’argent dans les institutions financières privées en difficulté, mais sans demander que le capital qu’il apporte lui donne droit à prendre les décisions, ni même à participer aux votes ou à demander la démission des responsables de la crise. Pour trouver les fonds nécessaires, l’État émet des titres du Trésor public, achetés par ces mêmes banques et assurances qui sont restées dans le secteur privé et qui font de nouveaux profits en prêtant l’argent frais qu’elles viennent de recevoir des États à ces mêmes États, en exigeant bien sûr un intérêt maximum…
Cette énorme arnaque bénéficie de la loi du silence ; la philosophie et le mécanisme de ces opérations de sauvetage ne sont jamais réellement analysés dans les grands médias. Le bourrage de crâne est impressionnant.
Ce qui était in-envisageable voici quelques années, pour cause de respect scrupuleux des critères de Maastricht au sein de l’Union européenne, est devenu possible pour sauver des banquiers coupables de manipulations qu’on peut sans peine qualifier de frauduleuses et de scandaleuses. Selon l’économiste Alain Quinet : « À en croire les prévisions des organismes internationaux, FMI en tête, la récession va propulser la dette des pays avancés du G 20 autour de 100 % du PIB en moyenne à l’horizon de 2014 [5] », alors que le traité de Maastricht la plafonne à 60 % du PIB. »
Cet extrait d’un texte écrit en 2009 a été largement corroboré par les faits.
Début mai 2010, quand la Troïka impose à la Grèce le premier mémorandum avec la complicité du gouvernement de G. Papandréou, le CADTM publie immédiatement un communiqué de presse intitulé : « Soutien à la résistance du peuple grec contre la dictature des créanciers ! » [6]. Parmi les propositions du CADTM, qui appelle avec d’autres mouvements à créer un vaste mouvement international de solidarité : « Le remboursement de la dette publique de la Grèce doit être immédiatement suspendu et un audit public de celle-ci doit être mené pour décider de sa légitimité ou de son illégitimité. (…)
Des mesures fiscales peuvent immédiatement être prises pour rétablir la justice fiscale et lutter contre la fraude. Aujourd’hui, selon les comptes du Trésor grec, les fonctionnaires (désignés comme boucs émissaires) et les ouvriers, déclarent plus de revenus que les professions libérales (médecins, pharmaciens, avocats) ou encore que les dirigeants des banques ! »
Quelques jours plus tard, le CADTM organisait en Belgique un séminaire international intitulé « Du Nord au Sud de la planète : Des clés pour comprendre la dette publique. De la Grèce à l’Amérique latine en passant par la Belgique et les Pays de l’Est ». Au cours de ce séminaire a été rédigé un appel de femmes afin de créer une initiative de résistance féministe aux politiques imposées à la Grèce et ailleurs en Europe. De même, à l’issue de ce séminaire, est adopté un appel international « Appel : Pour une mobilisation européenne contre la dictature des créanciers ») qui avance les propositions suivantes : « Au lieu de ces plans d’austérité, il faut s’attaquer à la racine du problème :
Créons une vaste mobilisation populaire dépassant les frontières car il faut faire converger les luttes locales sur le plan international pour venir à bout des politiques de régression sociale. »
Afin de tenter de créer un mouvement unitaire européen anti-austérité réunissant des forces sociales et politiques, le CADTM a convoqué une réunion européenne à Bruxelles le 29 septembre 2010 à l’occasion d’une manifestation appelée par la confédération européenne des syndicats (CES). Voir le compte-rendu de la réunion du 29 septembre 2010 « Pour une coordination européenne de lutte contre la dette et les plans d’austérité ! ».
Entre-temps, début juillet 2010, à l’initiative de Moisis Litsis, Sonia et Giorgos Mitralias, avait été créé à Athènes le Comité contre la dette, membre du CADTM international qui s’est doté d’un site en grec.
Giorgos Mitralias se mit à traduire le manuel d’audit citoyen édité par le CADTM international en collaboration avec le Cetim (Suisse) et Jubilé Sud. Une édition en grec est parue en 2011 chez l’éditeur Alexandria.
La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise
Les positions du CADTM commencent à être connues en Grèce à partir de 2010. Plusieurs interviews sont publiées dans la presse grecque. Par exemple, la revue grecque Epikaira, publie une longue interview de moi réalisée par Leonidas Vatikiotis, journaliste et militant politique d’extrême-gauche très actif. J’y explique les causes de l’explosion de la dette publique grecque et en quoi l’expérience de l’Équateur peut être une source d’inspiration pour la Grèce en termes de commission d’audit et de suspension du paiement de la dette. En guise de conclusion, à la question « Que doit faire la Grèce ? », je répondais : « Mon conseil est catégorique : ouvrez les livres de compte ! Examinez dans la transparence et en présence de la société civile tous les contrats de l’État – des plus grands comme par exemple ceux des récents Jeux olympiques jusqu’aux plus petits – et découvrez quelle partie de la dette est le fruit de la corruption, et par conséquent est illégale et odieuse selon le jargon international, et dénoncez-la ! ».
De son côté, dans plusieurs articles largement diffusés en Grèce, l’économiste Costas Lapavitsas, défendait également activement la nécessité de créer une commission d’audit. Dans un de ceux-ci, il affirme : « La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise. Cette commission internationale, composée d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de syndicalistes, de représentants des mouvements sociaux, devra être totalement indépendante des partis politiques. Elle devra s’appuyer sur de nombreuses organisations qui permettront de mobiliser des couches sociales très larges. C’est ainsi que commencera à devenir réalité la participation populaire nécessaire face à la question de la dette. » (article publié le 5 décembre 2010 par le quotidien Eleftherotypia).
Le 9 janvier 2011, le troisième quotidien grec en termes de tirage (à l’époque), Ethnos tis Kyriakis m’interviewe et titre « Ce n’est pas normal de rembourser les dettes qui sont illégitimes. Les peuples de l’Europe ont aussi le droit de contrôler leurs créanciers » [7]. Le quotidien explique que « Le travail du Comité en Équateur a été récemment mentionné au Parlement grec par la députée Sofia Sakorafa. »
En effet, Sofia Sakorafa, qui a rompu avec le Pasok quand celui-ci a accepté le mémorandum de 2010, était intervenue en décembre 2010 au parlement pour proposer la création d’une commission d’audit de la dette grecque en s’inspirant de l’expérience équatorienne. Le parlement ne l’avait pas suivie.
Les peuples de l’Europe ont aussi le droit de contrôler leurs créanciers
Costas Lapavitsas, qui était basé à Londres où il enseignait et dont les positions trouvaient un écho important en Grèce, prend alors contact avec moi et me propose de collaborer au lancement d’une initiative internationale pour la création d’une commission d’audit, ce que j’accepte immédiatement. Simultanément Giorgos Mitralias, du CADTM Grèce, prenait contact avec Leonidas Vatikiotis qui était en pointe dans l’activité pour faire avancer sur le terrain en Grèce la création d’une telle commission.
Costas Lapavitsas m’a consulté sur le contenu de l’appel international de soutien à la constitution du comité, j’ai fait quelques amendements. Après quoi, nous avons commencé à chercher des appuis parmi des personnalités susceptibles de nous aider à augmenter l’écho et la crédibilité de cette initiative. Je me suis chargé de collecter un maximum de signatures de personnalités internationales en faveur de la mise en place du comité d’audit. Je connaissais plusieurs d’entre elles depuis des années comme Noam Chomsky, avec qui j’étais en contact sur la thématique de la dette depuis 1998, Jean Ziegler, à l’époque rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Tariq Ali ainsi que de nombreux économistes...
Dans ma recherche de signatures, je n’ai essuyé qu’un seul refus, celui de James Galbraith. Je dialoguais avec lui depuis plusieurs années à l’occasion de conférences sur la globalisation financière où nous nous retrouvions. Plus tard, j’ai reçu une partie de l’explication de ce refus. En effet, Yanis Varoufakis a expliqué publiquement pourquoi il refusait de souscrire à l’appel de la création de la commission d’audit [8]. Il explique qu’il a été contacté par Galbraith qui lui demandait s’il fallait signer ou pas cet appel. Il déclare qu’il lui a recommandé de ne pas le faire.
En mars 2011 était lancé le comité grec d’audit de la dette (ELE). C’est le résultat de gros efforts de convergence entre des personnes qui se connaissaient à peine ou pas du tout quelques semaines ou mois auparavant. Le processus de création a été catalysé par l’ampleur de la crise en Grèce.
Le documentaire Debtocracy diffusé à partir d’avril 2011 a permis de donner un très grand écho à la proposition d’audit citoyen de la dette et à la nécessité d’annulation de la partie illégitime et odieuse de celle-ci [9].
En mars 2011 était lancé le comité grec d’audit de la dette (ELE)
Aris Chatzistefanou et Katerina Kitidi, qui ont réalisé ce documentaire, m’ont associé activement au contenu dès le début du mois de février 2011 et, sur ma proposition, sont venus réaliser une partie du documentaire à Dakar à l’occasion du Forum social mondial qui s’y est déroulé du 6 au 11 février 2011.
Toutes les parties où Hugo Arias (économiste équatorien qui a été un des principaux animateurs de la commission d’audit créée en 2007 par le président Rafel Correa) et moi intervenons (environ 25 minutes du documentaire) ont été tournées à Dakar.
Dans les 6 premières semaines de la diffusion de Debtocracy sur internet, plus d’un million et demi de Grecs l’on téléchargé.
Parmi les personnalités grecques qui ont signé l’appel en 2011, on retrouve Euclide Tsakalotos (devenu ministre des Finances du gouvernement Tsipras, en remplacement de Yanis Varoufakis, à partir de début juillet 2015, il a gardé ce portefeuille ministériel dans le deuxième gouvernement Tsipras mis en place fin septembre 2015), Panagiotis Lafazanis (un des principaux dirigeants de la plate-forme de gauche dans Syriza, ministre de l’Énergie dans le gouvernement Tsipras entre janvier et le 16 juillet 2015, leader de l’Unité populaire créée fin août 2015 par le secteur qui a quitté Syriza en s’opposant au 3e mémorandum), Nadia Valavani (membre également de la plate-forme de gauche, vice-ministre des Finances du 27 janvier au 15 juillet 2015 [10], membre également de l’Unité populaire), Sofia Sakorafa (élue eurodéputée Syriza en mai 2014 et siégeant comme indépendante depuis septembre 2015 car en désaccord avec la capitulation), Georges Katrougalos (vice-ministre de la Réforme administrative de janvier 2015 à juillet 2015, devenu ensuite ministre du Travail à partir de août 2015, reconduit dans les mêmes fonctions dans le cadre du 2e gouvernement conduit par Alexis Tsipras. À partir de novembre 2016, il a occupé la fonction de vice-ministre des Affaires étrangères), Notis Maria (élu eurodéputé en mai 2014 sur la liste de Anel, siégeant comme indépendant depuis janvier 2015).
Mars 2011 : Conférence internationale à Athènes du Parti de la Gauche européenne et de Synaspismos
Lors de cette conférence qui a eu lieu début mars 2011 à Athènes, j’étais invité comme intervenant par Synaspismos (la principale composante de Syriza) et par le Parti de la Gauche européenne. Au cours de cette conférence ont pris la parole Alexis Tsipras, Yanis Varoufakis, Oskar Lafontaine (un des fondateurs de Die Linke), Pierre Laurent (dirigeant du PCF et du Parti de la Gauche européenne), Mariana Mortagua du Bloc de Gauche au Portugal, Euclide Tsakalotos (qui est devenu ministre des Finances après la démission de Yanis Varoufakis), Yannis Dragasakis (qui est devenu vice-Premier ministre dans les gouvernements Tsipras 1 et 2), moi-même et plusieurs autres invités.
À cette conférence, ma communication a porté sur les causes de la crise, l’importance vitale de réduire radicalement la dette par des mesures d’annulation liées à la réalisation d’un audit de la dette avec participation citoyenne [11]
Les principales propositions qui ressortaient de mon exposé sont exprimées dans ce texte : Éric Toussaint, Huit propositions urgentes pour une autre Europe, publié le 4 avril 2011. Yanis Varoufakis a présenté ce qu’il a appelé une modeste proposition qu’il a reprise lors de la première phase de négociation avec les créanciers en février 2015, soit 4 années plus tard.
Il y avait 600 ou 700 participants et plusieurs des communications, dont celles de Tsipras, Varoufakis et la mienne, ont été rassemblées dans un livre publié en anglais par l’institut Nikos Poulantzas sous le titre The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU [12].
La proposition de suspension ou/et d’annulation de dette était rejetée par un secteur important de Syriza
J’ai été frappé par le contenu d’une réaction que ma communication a suscitée. Un des organisateurs, qui dirigeait l’Institut Nikos Poulantzas, a expliqué qu’il était étonné de m’entendre plaider en faveur de l’annulation de la dette grecque considérée comme illégitime ou odieuse alors que j’avais été invité pour ne présenter que l’expérience de l’audit de la dette. Cette intervention choquante m’indiquait clairement que la proposition de suspension ou/et d’annulation de dette était rejetée (ou n’allait pas de soi) tout au moins pour un secteur important de Syriza. Cela a été confirmé par la suite.
À l’occasion de cette conférence, j’ai pu discuter longuement avec Costas Isychos, responsable à l’époque des relations internationales de Syriza (il est devenu plus tard vice-ministre de la Défense dans le gouvernement Tsipras 1, et fait partie actuellement de l’Unité populaire) et plusieurs responsables syndicaux membres également de Syriza.
J’ai pu constater qu’il y avait entre le CADTM et eux un accord sur la nécessité de recourir à l’acte unilatéral de suspension de paiement et de réaliser un audit de la dette.
Toujours à l’occasion de cette conférence, avec des responsables de Transform, Elizabeth Gauthier et Walter Baier, nous avons préparé l’organisation d’une conférence au Parlement européen sur la problématique de la crise et de la dette. Elle a eu lieu quelques mois plus tard.
Les réseaux internationaux auxquels le CADTM a participé à partir de 2011-2012 qui ont développé une activité en relation avec la Grèce
|
Mai 2011 : Succès de la conférence internationale tenue à Athènes en soutien à l’initiative d’audit citoyen de la dette
La conférence internationale d’appui à l’audit citoyen de la dette grecque qui s’est tenue à Athènes en mai 2011 a remporté un franc succès, avec l’affluence de près de 3 000 personnes réparties sur les 3 jours. Le CADTM faisait partie des organisations qui ont convoqué cette réunion. Pendant cette conférence, j’ai coordonné le premier panel de discussion auquel ont participé notamment Nadia Valavani [16], qui est devenue plus tard vice-ministre des Finances du gouvernement Tsipras 1, et Leonidas Vatikiotis. Le CADTM avait contribué, avec les organisateurs grecs et d’autres mouvements non grecs, à convaincre un nombre significatif d’organisations d’Europe de soutenir la conférence et d’adopter collectivement une déclaration qui garde toute sa valeur (voir encadré).
Déclaration de la Conférence d’Athènes sur la dette et l’austérité adoptée en mai 2011 Nous, représentant-e-s de mouvements et activistes venant de différents endroits du globe, nous sommes réuni-e-s à Athènes pour tirer les leçons des différentes crises économiques internationales précédentes, pour mettre en cause la dette illégitime et se mobiliser pour son annulation, pour apporter notre solidarité aux peuples européens en lutte contre l’injustice des programmes d’austérité qui leur sont imposés par leur gouvernement, l’UE et le FMI, et dont les “protocoles d’accord” (“Memoranda of Understanding”) sont l’illustration, ainsi que pour formuler un plan d’action économique qui satisfasse les besoins des peuples au lieu de servir les intérêts d’une toute petite élite sociale. De nombreux pays en développement traversent des crises de la dette depuis les années 1970. Après des années pendant lesquelles la finance internationale a pris des risques inconsidérés en ouvrant grand les vannes du crédit, le FMI, en contrepartie du sauvetage des banques et de la finance, a imposé aux populations parmi les plus pauvres du monde des politiques d’austérité brutales qui ont réduit leurs revenus et la protection sociale. Ces politiques injustes n’ont pas permis une reprise économique. Au contraire, elles ont accru la dépendance des pays endettés à la loi des marchés financiers, rendant les gouvernements de moins en moins responsables devant leurs citoyen-ne-s. Ce n’est que lorsqu’une poignée de pays ont revendiqué leurs droits et se sont élevés contre l’imposition de l’austérité, contre le sauvetage de la finance, et contre le poids écrasant de la dette que la reprise a été possible, au moins pour une courte période. C’est ce qui s’est passé en Argentine en 2001. Cette expérience doit servir à d’autres pays, comme l’Égypte, la Tunisie et le monde arabe dans son ensemble, qui luttent aujourd’hui pour la démocratie et font face aux dettes odieuses de régimes dictatoriaux. Aujourd’hui, dans le sillage de la crise économique mondiale, les pays périphériques de l’UE sont confrontés à une sévère crise de la dette. Ils y ont été poussés par les opérations du système financier mondial mais aussi par le cadre institutionnel et les politiques économiques de l’UE, qui favorisent systématiquement les intérêts du capital. Le pacte de stabilité et de croissance (PSC) a fait pression sur le travail dans tous les pays de la zone euro, tandis que la Banque centrale européenne a soutenu les intérêts des grandes banques. L’UE s’est divisée entre un centre puissant et une périphérie faible. Les dettes accumulées par la périphérie sont le résultat du fossé qui les sépare du centre mais aussi du creusement des inégalités entre les très riches et le reste de la société. Les travailleurs/euses et les chômeurs/euses, les petit-e-s agriculteurs/trices, les petites et moyennes entreprises, sont désormais obligé-e-s de porter le poids de ces dettes, et ce bien qu’ils/elles n’en aient pas bénéficié. L’austérité et les mesures de privatisation vont pressurer en premier lieu les plus pauvres, alors que ceux et celles qui sont à l’origine de la crise sont secourus. Le Pacte pour l’euro va exacerber la pression sur le travail. Les riches et les grandes entreprises vont continuer à échapper à des impôts qui pourraient être utilisés pour construire une société plus juste. Si ces mesures ne sont pas mises en cause, elles auront un impact considérable en Europe, en modifiant de manière drastique le rapport de forces en faveur du capital et au détriment du travail pour de nombreuses années. Ceux qui sont en première ligne s’opposent à cette tentative de faire payer les coûts de la crise aux travailleurs/euses et aux pauvres et d’épargner les très riches. Les peuples de Grèce, d’Irlande et du Portugal, mais aussi de Pologne, de Hongrie, de Slovénie et d’autres pays d’Europe centrale et orientale remettent en cause les politiques d’austérité de l’UE et du FMI, s’opposent au pouvoir de la finance internationale, et rejettent l’esclavage de la dette. Nous appelons les peuples du monde entier à manifester leur solidarité avec les mouvements dans ces pays qui se battent contre la dette et les politiques pernicieuses qu’elle engendre. Plus particulièrement, nous appelons à soutenir :
|
Le succès de l’action de ELE, le comité pour un audit citoyen en Grèce
Le comité ELE mis en place en Grèce a connu un écho très important à la faveur de la version grecque du mouvement des indignés en 2011.
En juin-juillet, des centaines de milliers de personnes ont occupé des places publiques dans des grandes villes non seulement comme Athènes et Thessalonique mais aussi dans de multiples villes moyennes.
Les membres du comité qui ont tenu des stands sur les places occupées, surtout sur la place Syntagma, ont rencontré un écho impressionnant.
La réussite numérique de la conférence du mois de mai 2011, l’impressionnant impact du documentaire Debtocracy, le succès de l’intervention des membres de l’ELE sur les places publiques constituaient des signes évidents de l’énorme attente exprimée par une partie importante de la population grecque à l’égard de la remise en cause du remboursement de la dette et de la nécessité de faire participer les citoyens à celle-ci.
Des signes clairs de l’attente d’une partie importante de la population grecque à l’égard de la remise en cause du remboursement de la dette
Pour contrebalancer ces éléments positifs, il faut mentionner les 4 facteurs qui agissaient en sens contraire.
1° Une grande partie de Syriza n’a pas soutenu cette initiative. Yannis Dragasakis, un des responsables de Syriza en matière économique (devenu vice-premier ministre dans les gouvernements Tsipras I et II) n’était pas favorable, il l’avait déclaré à Giorgos Mitralias lorsque celui-ci avait tenté de le convaincre dès 2010 de soutenir la perspective de la création d’une commission d’audit. De Syriza, ont soutenu la commission d’audit (ELE) : Panagiotis Lafazanis et Nadia Valavani, membres de la plate-forme de Gauche, Euclide Tsakalotos qui à l’époque faisait partie d’un courant gauche dans Syriza connu sous le nom du groupe des 53 et la députée Sofia Sakorafa qui venait d’adhérer à Syriza après avoir quitté le Pasok.
Presque toutes les organisations membres de Antarsya, l’autre coalition de Gauche radicale, se sont opposées à la réalisation d’un audit et ont refusé de participer au comité, mis à part une partie du NAR en particulier Léonidas Vatikiotis. Quant au Parti communiste, il a carrément dénoncé, par voie de tract, le comité d’audit comme un agent de l’ennemi.
L’argument fallacieux de la plupart des organisations et militants de la Gauche radicale qui se sont opposés à l’action du comité d’audit, consistait à dire que le peuple grec était déjà tout à fait conscient qu’il fallait annuler la dette, il était donc inutile de consacrer de l’énergie militante à réaliser des actions et à produire des textes pour la remettre en cause. De nombreux cadres de ces organisations ajoutaient qu’en réalité, en organisant l’audit de la dette, le comité allait légitimer une partie importante de celle-ci et donc jouer un rôle funeste.
Cette attitude a eu des conséquences très négatives.
2° Certaines forces qui soutenaient mollement l’initiative, ou en tout cas ne la combattaient pas, n’ont pas compris l’importance de la réalisation d’un audit avec un maximum de participation citoyenne. L’engagement d’un maximum de citoyens dans une telle démarche, quand elle est effective, a plusieurs effets très positifs. Elle augmente la conscience d’une partie importante de la population sur les mécanismes du système capitaliste qui génèrent la dette illégitime, illégale, odieuse, insoutenable et qui réduit les États à une nouvelle forme d’esclavage puisqu’ils sont enfermés dans un éternel statut de débiteur forçant les populations à subir l’austérité au profit des créanciers.
La participation citoyenne à l’audit doit également aider à convaincre les organisations politiques de Gauche, candidates au gouvernement, à inscrire l’organisation d’un audit officiel et la revendication de l’annulation effective de la dette illégitime dans leur programme.
3° Certains membres actifs du comité ELE, qui ont joué un rôle positif, ont insisté pour inscrire dans les objectifs de celui-ci, la sortie de l’euro, il s’agit notamment de Costas Lapavitsas, de Léonidas Vatikiotis, de Spyros Marchetos, d’Aris Chatzistefanou.
Cela a donné des arguments à ceux qui, dans ou autour de Syriza, s’opposaient à l’audit, à la suspension de paiement et à l’annulation unilatérale de la dette. Je crois que c’est le cas de Yanis Varoufakis dans la mesure où il mentionne son refus de la sortie de la zone euro dans la lettre qu’il a rendue publique en avril 2011 pour justifier son refus de signer l’appel en faveur du comité d’audit citoyen de la dette.
La participation citoyenne à l’audit doit aider à convaincre les partis de Gauche à inscrire l’audit et l’annulation de la dette illégitime dans leur programme
Il aurait mieux valu laisser hors du champ d’intervention de ELE la question de la sortie de l’euro car cela constituait un facteur de division. Cela n’aurait pas empêché de mener le débat en profondeur ailleurs. Ceux qui souhaitaient en faire une priorité pouvaient mener à bien leur action sans chercher à convaincre ELE de les rejoindre.
4° Le comité ELE, malgré le dynamisme de départ, n’a pas réussi à produire un rapport solide et des conclusions fortes.
Une des leçons de la Grèce : le mouvement citoyen n’a pas exercé suffisamment de pression sur les partis de gauche, notamment sur Syriza
Une des leçons fondamentales de ce qui s’est passé en Grèce, est que le mouvement d’audit citoyen, qui avait très bien démarré en 2011, ne s’est pas suffisamment renforcé, n’a pas maintenu et n’a pas créé la pression nécessaire – sur notamment différentes forces politiques, et pas simplement Syriza – pour obtenir qu’en cas d’accession au gouvernement, la réalisation de l’audit de la dette avec participation citoyenne constitue une obligation, une priorité incontournable. C’était pourtant dans le programme que Syriza a présenté aux élections de mai-juin 2012.
L’audit et la suspension du paiement de la dette ont fait partie du cœur du programme de Syriza en 2012
Heureusement, dans un premier temps, cette campagne de ELE a eu un effet positif sur Syriza malgré les réticences d’une série de ses dirigeants.
L’audit a fait partie du cœur du programme de Syriza lors des deux tours d’élections de mai-juin 2012. Dans le programme de 2012, Syriza proposait la « suspension du paiement de la dette pendant les travaux d’une commission d’audit internationale et tant que la reprise économique n’a pas redémarré », ce qui signifie que la suspension peut durer longtemps…
Je considère que, de ce point de vue, l’évolution de Syriza entre 2009 et les élections de mai-juin 2012 a été positive sur le plan politique. Ce n’était pas gagné d’avance.
L’audit a fait partie du cœur du programme de Syriza lors des élections de 2012 puis a disparu du discours d’Alexis Tsipras
Pour rappel, Syriza avait obtenu 4 % aux élections de 2009, elle réussit en mai 2012 à réunir 16 % des voix, puis 26,5 % un mois plus tard lors des élections de juin 2012, juste 2 points en-dessous de Nouvelle démocratie, le grand parti de droite. Syriza est ainsi devenu le deuxième parti en Grèce. Entre les deux tours, Tsipras avance 5 propositions concrètes pour entamer des négociations avec les partis opposés à la Troïka (sauf Aube dorée qui, bien qu’opposé au mémorandum, est exclu) :
Mais, en l’espace de quelques mois, l’engagement à réaliser un audit de la dette et à suspendre le paiement pendant sa réalisation a progressivement disparu du discours d’Alexis Tsipras et des autres dirigeants de Syriza [17]. Cela s’est fait discrètement et la cinquième mesure proposée par Tsipras en mai 2012 a été remplacée par la proposition de réunir une conférence européenne pour, notamment, réduire la dette grecque.
Alexis Tsipras a pris un tournant modéré après le succès électoral de mai-juin 2012
Tsipras : « Le FMI prend ses distances par rapport à la Commission européenne »
Au cours d’une entrevue avec Tsipras, en octobre 2012, mes doutes sur son changement d’orientation ont été confirmés. Deux jours avant, le Wall Street Journal avait publié les notes secrètes de la réunion du FMI du 9 mai 2010 qui indiquait explicitement qu’une dizaine de membres de la direction du FMI (comprenant 24 membres) était contre le Mémorandum en assumant que cela n’allait pas marcher, parce que c’était un sauvetage des banques françaises et allemandes et non un plan d’aide à la Grèce. J’ai dit à Tsipras et à son conseiller économique : « Vous avez là un argument en béton pour aller contre le FMI, parce que si on a la preuve que le FMI savait que son programme ne pouvait pas marcher et savait que la dette ne serait pas soutenable, on a le matériau permettant de porter le fer sur l’illégitimité et l’illégalité de la dette. » Tsipras m’a répondu : « Mais écoute… le FMI prend ses distances par rapport à la Commission européenne. » J’ai bien vu qu’il avait en tête que le FMI pourrait être un allié de Syriza au cas où Syriza accéderait au gouvernement. Le lendemain, le 6 octobre 2012, A. Tsipras et moi avons donné une conférence publique devant 3 000 personnes lors du premier festival de la jeunesse de Syriza. Je me suis rendu compte que mon discours qui insistait sur la nécessité d’adopter une orientation radicale à l’échelle européenne n’était pas apprécié par lui [18].
Des initiatives féministes dans lesquelles le CADTM a joué un rôle actif, par Sonia Mitralias Un événement important pour le lancement d’initiatives ayant comme but la création de mouvements citoyens grecs et européens étaient la rencontre féministe de différents pays d’Europe réunis au séminaire du CADTM en mai 2010 [19]. Un groupe de femmes au sein du CADTM a commencé à travailler sur les conséquences, pour les femmes, des dettes illégitimes en Europe. Ces femmes étaient convaincues qu’on ne partait pas de zéro et que les expériences et les leçons tirées des luttes au Sud global étaient utiles et à leur disposition [20]. Pour cela des initiatives féministes européennes et grecques ont été prises. En Grèce, deux groupes d’action avec le nom : « Femmes contre la dette et les mesures d’austérité » ont été mis en place à Athènes et à Thessalonique et ceci dès le mouvement des indignées en mai-juillet 2011. À l’époque, il existait une réelle possibilité pour que des millions de Grecs/ques mènent la bataille contre le paiement de la dette. Ces groupes d’action de femmes ont réalisé des actions dans des hôpitaux et ont enrichi le mouvement « Je ne paye pas » [21] mettant en avant la lutte contre le démantèlement et la commercialisation de la santé et en la reliant avec le non paiement de la dette illégitime. Ces initiatives n’ont pas été soutenues activement par le comité ELE, qui malheureusement n’a pas compris leur utilité politique. Ces initiatives ont été suivies par une campagne nationale et internationale pour l’accès des femmes enceintes et pauvres n’ayant pas de couverture de santé, à la maternité et à l’accouchement gratuit, car les mesures imposées par la Troïka avaient aboli ce droit. Au début de 2012, Syriza se refusait à parler de crise humanitaire. Cette campagne donc, qui était à l’avant-poste de la lutte pour l’accès de quelques millions de Grecs à la santé a non seulement aidé l’opinion publique en Grèce et en Europe à prendre conscience de la crise humanitaire, mais a aussi poussé Syriza à faire de même... [22] Au niveau européen, des militantes féministes du Portugal, d’Espagne, de France, de Grèce, du Royaume-Uni, de Hongrie, etc. ont parcouru les routes françaises en octobre-novembre 2012, pour réaliser une série de conférences et de rencontres publiques sur le thème « Femmes d’Europe en route contre la dette illégitime et l’austérité. » [23] Cette tournée réalisée par le groupe de femmes du CADTM en collaboration avec des Collectifs français pour un audit citoyen visait à la création d’un mouvement unitaire européen de solidarité avec la Grèce. Cette tournée a été suivie par une autre, en Italie cette fois, organisée par le réseau italien « Femmes dans la crise » à laquelle j’ai été associée très activement. La tournée a eu lieu en mars 2013, et a concerné 10 villes italiennes. Il s’agissait de dénoncer la crise humanitaire grecque comme une arme stratégique pour briser la résistance du peuple grec contre la dette illégitime. Cette première tournée italienne a été suivie en novembre 2013 par une caravane des « Femmes dans la crise » visitant 22 villes italiennes pour récolter de l’aide pour la structure autogérée du dispensaire social métropolitain de Elliniko, préfigurant ainsi le mouvement de solidarité aux dispensaires autogérés grecs qui s’est développé un peu partout en Europe. La plus importante initiative fut sans doute l’Appel que j’ai contribué à lancer en août 2014 pour une semaine internationale de lutte européenne de solidarité avec 595 femmes de ménage du Ministère des finances grec luttant pour leur emploi [24]. Cet appel a abouti à l’organisation des manifestations de solidarité dans 14 pays d’Europe fin septembre 2014. Il est à noter que ces manifestations avaient été co-organisées ou soutenues par des syndicats (TUC et Unite au Royaume-Uni, Comisiones Obreras et Intersindical en Espagne, SUD en France, CSC en Belgique, Ver.di en Allemagne, etc.), des mouvements féministes, collectifs citoyens ou de solidarité avec la Grèce, Attac, CADTM. Les partis et organisations de la gauche grecque ont passé sous silence cette campagne exemplaire de solidarité avec une lutte ouvrière en Europe. Plus particulièrement Syriza, qui ne s’est pas contenté de ne pas souffler mot, mais a aussi essayé de la bloquer en la diffamant de façon éhontée. Manifestement, il s’agissait pour sa direction de donner des gages de bonne conduite aux « partenaires » européens et grecs en prévision de son arrivée au pouvoir quelques mois plus tard en janvier 2015... |
L’abandon de l’audit et de la suspension de paiement par Tsipras et le noyau autour de lui
Cette expérience a aussi été l’occasion d’une recomposition inédite du champ politique grec. Elle s’est jouée également dans les changements d’orientation politique du petit cercle de conseillers et d’élus gravitant autour d’Alexis Tsípras. Mon hypothèse est claire : le noyau autour de Tsipras – je ne parle pas du bureau politique de Syriza, car les membres du bureau politique n’ont pas été inclus dans des décisions capitales, de même que les membres du comité central ont été tenus à l’écart –, avec Yannis Dragasakis, le vice-Premier ministre actuel qui joue un rôle clé, a pris dans les moments décisifs l’orientation suivante : « Il faut éviter à tout prix l’affrontement avec le grand capital grec, les banquiers grecs et les armateurs. » Les intérêts des deux derniers sont liés, totalement interpénétrés. De même, ce noyau considérait qu’il fallait éviter l’affrontement avec les institutions européennes. Toute une série de renoncements en chaîne en ont découlé : « Si on veut éviter l’affrontement avec ces deux ennemis-là, il faut donner des garanties aux banquiers grecs et leur dire qu’en cas d’accession de Syriza au gouvernement, on n’affectera pas leurs intérêts. Donc pas de nationalisation ou de mesure contraignante à l’égard des banques. » Par rapport à l’Union européenne, afin de ne pas l’affronter, il fallait mettre de côté l’audit et la suspension des paiements. Le noyau autour de Tsipras et Dragasakis tenait le raisonnement suivant :
Si on ne touche pas aux banquiers et si on respecte la discipline budgétaire, ils vont nous laisser arriver au gouvernement
Il fallait aussi promettre qu’un gouvernement Syriza respectera la discipline budgétaire demandée par les instances européennes. C’est pour cela que Syriza a affirmé dans le programme de Thessalonique, avec lequel elle s’est présentée aux élections du 25 janvier 2015, que les mesures pour aller contre l’austérité seraient contrebalancées par des recettes fiscales capables de garantir le respect du budget prévu pour 2015 par le gouvernement précédent. Le noyau autour de Tsipras et Dragasakis tenait le raisonnement suivant : « Si on ne touche pas aux banquiers et si on respecte la discipline budgétaire demandée par Bruxelles, ils vont nous laisser arriver au gouvernement et on va pouvoir gouverner ».
La composition de ce noyau dur autour de Tsipras et son évolution
Avant la victoire électorale de Syriza, j’ai eu deux tête-à-tête importants avec Alexis Tsipras. La première fois, c’était en octobre 2012 comme je l’ai indiqué plus haut [25]. Alexis Tsipras était accompagné de John Milios] qui à l’époque était son conseiller spécial sur les questions économiques. John Milios n’était pas partisan de l’audit de la dette et de la suspension de paiement. John Milios a été éloigné par Tsipras, à partir de la fin 2014, pour des raisons d’orientation politique, bien qu’il fût pourtant fort modéré… L’autre conseiller économique qui a imprimé ses choix au sein de l’équipe de Tsipras n’est autre que Yannis Dragasakis, un personnage très influent. Il était vice-premier ministre dans le premier gouvernement de Tsipras, il l’est encore aujourd’hui et mène la politique économique. Dragasakis avait depuis des années des liens avec les banquiers. Lui-même a été administrateur d’une banque commerciale de taille moyenne. Il fait en quelque sorte le pont entre Tsípras et les banquiers. Syriza est une formation nouvelle, et donc ses leaders politiques ont relativement peu d’enracinement dans les sphères étatiques – contrairement, par exemple, au Parti socialiste français dont l’histoire est liée à la République et à la gestion des affaires de l’État. À ce titre, le profil du nouveau proche conseiller économique de Tsipras détonne. Alors qu’en 2012 et 2013, parmi les dirigeants de Syriza, aucun n’avait occupé une fonction dans l’État, le seul à avoir été ministre à un moment donné, pendant quelques mois en 1989, c’est... Dragasakis [26]. Il s’agissait d’un gouvernement de coalition entre le parti de droite Nouvelle démocratie et le Parti communiste (KKE) dont Dragasakis faisait partie. Dragasakis était clairement opposé à l’audit de la dette et à une suspension de paiement.
Une nouvelle « conférence de Londres » ? L’espoir de coopération internationale versus « l’action souveraine unilatérale »
Une des initiatives que souhaitait prendre Alexis Tsipras était de convoquer une grande conférence internationale sur la réduction de la dette à Athènes en mars 2014. Tsipras, sous la pression de Sofia Sakorafa, qui était députée Syriza depuis 2012, m’a rencontré une nouvelle fois en octobre 2013 et m’a demandé de contribuer à la tenue d’une telle conférence en convaincant une série de personnalités internationales de répondre positivement à l’invitation. J’ai dressé une liste de participants et nous en avons discuté avec Alexis Tsipras, Sofia Sakorafa et Dimitri Vitsas, secrétaire général de Syriza à l’époque. J’avais proposé d’inviter à cette conférence des personnalités comme Rafael Correa, Diego Borja (ex-directeur de la Banque centrale de l’Équateur), Joseph Stiglitz, Noam Chomsky, Susan George, David Graeber, Naomi Klein… ainsi que des membres de la commission d’audit de la dette équatorienne qui avaient travaillé avec moi en 2007 et 2008. J’ai remarqué que sur la liste que j’avais dressée, Rafael Correa ne l’intéressait pas du tout. Par contre, il aurait voulu l’ex-président du Brésil, Lula, et la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez. Pour lui, l’Équateur, c’était trop radical. Et bien sûr, il voulait Joseph Stiglitz et James Galbraith, ce qui était justifié. Mais, dans sa tête, ce n’était pas du tout pour créer une commission d’audit, c’était pour convoquer les différents pays membres de l’Union européenne à une conférence européenne sur la dette, à l’image de l’accord de Londres de 1953, lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest. Je lui ai dit qu’il n’y avait aucune chance que cela se réalise.
Comme dirigeant de Syriza, il avait parfaitement la légitimité d’avancer ce plan A, mais il était impensable que Draghi, Hollande, Merkel, Rajoy y consentent. Je lui ai dit qu’il fallait un plan B, dans lequel il devait y avoir la commission d’audit. Je l’ai également déclaré dans la presse grecque. Voici un extrait d’une interview de moi que le Quotidien des Rédacteurs, proche de Syriza, a publié en octobre 2014. Le journaliste m’avait demandé ce que je pensais de la conférence européenne sur la dette que proposait Alexis Tsipras, en se basant sur la conférence de Londres de 1953 et j’ai répondu : « Il s’agit donc d’une demande légitime (…) mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale [27]. »
Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux
Finalement, Alexis Tsipras m’a proposé de préparer avec lui et Pierre Laurent, président à l’époque du Parti de la Gauche européenne, une conférence européenne dont un des thèmes serait la dette. Elle devait se tenir en mars 2014 à Athènes. Cela ne s’est pas concrétisé car, lors d’une réunion tenue en décembre 2013 à Madrid, le Parti de la Gauche européenne a décidé de convoquer une conférence à Bruxelles, à la place d’Athènes, au printemps 2014. Lors de cette conférence de Bruxelles qui a eu très peu de répercussions et où étaient présents entre autres Alexis Tsipras, Pierre Laurent ainsi que Gabi Zimmer (membre de Die Linke et présidente du groupe parlementaire de la GUE/NGL au parlement européen), j’ai participé comme conférencier à un panel avec Euclide Tsakalotos qui allait devenir le ministre des Finances d’Alexis Tsipras à partir de juillet 2015 [28]. Je me suis rendu compte dès ce moment qu’il n’était absolument pas favorable à un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité. Le plan d’Euclide Tsakalotos était de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’austérité sans recourir à la suspension de paiement de la dette et à l’audit. Lors de cette conférence, j’ai de nouveau argumenté en faveur d’un plan B qui devait inclure l’audit et la suspension de paiement de la dette.
La discussion sur la nécessité d’un plan B ne date donc pas de 2015, elle remonte clairement à 2013-2014. Le noyau dirigeant autour de Tsipras a décidé d’exclure la préparation d’un plan B et s’est accroché à un plan A irréalisable.
En ce qui concerne l’Altersummit qui a succédé, en 2012, à la Joint Social Conference, il a adopté de bonnes positions sur les réponses à apporter en Europe aux défis de l’offensive néolibérale mais il a été incapable de relancer une véritable dynamique cumulative de mobilisation. La décision de tenter de réaliser une grande conférence européenne en juin 2013 en s’appuyant notamment sur la grande confédération syndicale grecque (GSE, ou CGT) dont la direction était et est toujours contrôlée par le Pasok et la Nouvelle Démocratie d’une part et sur l’aile modérée de Syriza d’autre part a abouti à un échec pénible. Une bonne partie des mouvements sociaux de gauche radicale ont refusé de mobiliser vu la présence de la GSE et la direction de Syriza a été incapable de mobiliser les militants. Cette activité pourtant importante est passée inaperçue à Athènes et en Grèce plus largement.
Le noyau dirigeant autour de Tsipras a décidé d’exclure la préparation d’un plan B et s’est accroché à un plan A irréalisable.
Pour avoir un aperçu du travail accompli en Grèce à partir de janvier 2015 par le CADTM et en particulier la participation active aux travaux de la commission pour la vérité sur la dette grecque, lire la partie 6 de l’interview donnée par Éric Toussaint à Benjamin Lemoine, « Grèce : La Commission pour la vérité sur la dette, la capitulation de Tsipras et les perspectives internationales pour la lutte contre les dettes illégitimes ». Une huitaine de responsables du réseau CADTM international ont participé activement aux travaux de la commission.
Il faut ajouter que les militants du CADTM ont été très actifs dans les initiatives de solidarité avec le peuple grec qui se sont multipliées au cours de l’année 2015 dans différents pays d’Europe.
En effet, suite au Forum social mondial à Tunis fin mars 2015 et alors que les pressions sur Athènes se faisaient de plus en plus fortes, de nombreuses initiatives unitaires ont émergé. Des initiatives entendant avant tout soutenir le peuple grec dans sa lutte contre l’austérité. En Belgique, début mai 2015 la plateforme « Avec les Grecs » - qui emprunte son nom à son homologue français - a vu le jour en fusionnant deux initiatives. Parmi les revendications présentes dans le texte fondateur de la plateforme on retrouve l’audit de la dette et l’annulation des dettes illégitimes : « la Grèce a le droit, comme tous les autres peuples d’Europe, de faire un audit de sa dette publique et d’exiger l’annulation des dettes illégitimes. » Cette plateforme a réuni plus de soixante organisations (réseaux, syndicats, associations, partis politiques dont Syriza) et a organisé plusieurs manifestations en marge des « négociations » dont celle du 21 juin 2015 ayant rassemblé 5 000 personnes à Bruxelles [29]. Malheureusement, cette plateforme n’a pas survécu à la capitulation du gouvernement Syriza de juillet 2015.
Parmi les activités de solidarité il faut mentionner également l’aide apportée aux dispensaires sociaux grecs dans laquelle des membres du CADTM se sont fortement investis.
Fin 2015, Pascal Franchet, nouveau président du CADTM France, lance l’idée, au sein des collectifs de solidarité de l’organisation d’une caravane militante et solidaire qui emmènerait du matériel médical à destination des dispensaires autogérés grecs. L’AG du CADTM France de décembre 2015 a décidé de s’impliquer fortement dans ce projet.
Cette idée fut reprise par 23 collectifs locaux de soutien au peuple grec le 20 février 2016 lors d’une réunion initiée par l’association Bretagne Grèce Solidarité Santé et par le collectif parisien France Grèce Solidarité pour la santé [30]. Ces collectifs de soutien au peuple grec sont des cadres unitaires d’organisations syndicales, politiques et associatives et de personnes, parfois composés uniquement d’individus. Les collectifs les plus anciens ont été créés en 2013 et les plus récents en 2015. Ils collectent du matériel médical, des médicaments et de l’argent à destination des dispensaires autogérés grecs. Ni humanitaires, ni caritatifs, ils fournissent également un travail important d’information et de critique sur la situation du peuple grec, notamment dans le domaine de la santé mise à mal par les mémorandums successifs.
Cette coordination ponctuelle s’est donnée un cadre politique en 4 points :
Une caravane de 6 camions venant de la région parisienne, de Bretagne, de Normandie, de Nîmes, d’Uzès et du département du Gard a convergé pour une réunion nationale à Vénissieux (près de Lyon) après, pour le camion breton, parti le 4 octobre de la pointe du Van, une série de réunions publiques à Rennes, Angers, Poitiers et Clermont-Ferrand.
Les caravaniers ont permis la levée de l’omerta des médias sur la situation du peuple grec et des migrants
Ce trajet militant de collecte a permis une sensibilisation auprès de la population et des syndicats CGT et Sud de plusieurs hôpitaux. Au total, ce sont quelques 20 réunions publiques qui se sont tenues avant le départ en Grèce de la caravane parmi lesquelles il faut noter celle, particulièrement réussie, du 1er octobre à Bruxelles à l’initiative des travailleurs du secteur de la santé, rejoints par plusieurs organisations.
Arrivée le 18 octobre à Igoumenitsa, la caravane est allée à la rencontre des dispensaires de Thessalonique et de celui de l’usine autogérée Viome. Politique, elle a participé à une mobilisation devant le tribunal de Thessalonique pour empêcher la vente aux enchères du terrain de Viome. Du 20 octobre au 25, elle est allée à la rencontre des volontaires des dispensaires de Larissa et d’Athènes où elle a été reçue par 2 coordinations et par le dispensaire d’Elliniko. Une délégation s’est rendue à l’hôtel City Plazza occupé par des migrants.
Outre la solidarité concrète avec le matériel médical livré, les caravaniers ont permis à la fois la levée de l’omerta des médias sur la situation du peuple grec et des migrants, notamment dans le domaine de la santé, et de rompre l’isolement instauré depuis l’adoption du 3e mémorandum.
Malgré le silence médiatique concernant la Grèce depuis la reddition de Tsipras, le CADTM a poursuivi (et poursuit encore) un important travail de sensibilisation via la réalisation de supports multiples : brochures, articles sur les réseaux sociaux, vidéos, conférences… Parmi ces outils : Un film revenant sur l’expérience de la commission pour la vérité sur la dette grecque a également été réalisé par Maxime Kouvaras et sortira début 2017.
Le CADTM a aussi organisé en mars 2016, en marge de la réunion de la commission sur la dette grecque à Bruxelles, une grande conférence à l’Université de Liège (près de 300 participants), durant laquelle Zoé Konstantopoulou a pris la parole. Et parce que, parfois, pour briser l’omerta médiatique, il faut taper fort, le 2 juin 2016, le CADTM s’est glissé dans la peau du Club de Paris (un cartel informel des pays créanciers les plus puissants de la planète) pour annoncer - enfin ! - l’annulation de la dette grecque. Un canular qui, à l’instar d’autres initiatives, actions, tente par différentes voies de continuer à soutenir le peuple grec dans sa lutte contre la dette illégitime (voir le faux communiqué et le « faux » site Club de Paris)
Parmi les outils de communication se retrouve la vidéo d’animation « La dette grecque, une tragédie européenne »), qui a été produite par le CADTM et réalisée par les Productions du Pavé. Sortie en juillet 2016, elle résume de la manière la plus simple, brève et légère possible, les informations et les conclusions du rapport de la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Outre de sensibiliser ses spectateurs sur le sort des Grecs, les leitmotivs de cette vidéo étaient de montrer à quel point cette crise concerne directement chaque citoyen et citoyenne d’Europe et de dénoncer la désinformation massive qui a été faite à ce sujet. Diffusée à l’échelle européenne, elle comptabilisait à la date du 10 janvier 2017 plus de 165 000 vues, dont près de 40 % en Grèce.
Par ailleurs, le CADTM est très engagé dans la poursuite des travaux de la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Celle-ci s’est réunie en mars 2016 et en novembre 2016 à Athènes. L’article Grèce : Les banques sont à l’origine de la crise constitue un prolongement des travaux de la commission.
Remerciements : L’auteur remercie pour leur relecture et leurs suggestions : Marie-Laure Coulmin et Claude Quémar. Il remercie également Sonia Mitralias, Anouk Renaud, Pascal Franchet, Chiara Filoni, Gilles Grégoire pour les compléments apportés.
L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs et des omissions contenues dans ce travail.
[1] Voir Benjamin Lemoine -Éric Toussaint, « La généalogie du CADTM et de l’anti-dette illégitime : les origines », publié le 26 juillet 2016
[2] Éric Toussaint, « La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse », publié le 12 avril 2016, et « Grèce : La poursuite de l’esclavage pour dette de la fin du 19e siècle à la Seconde Guerre mondiale », publié le 9 mai 2016. Voir aussi pour un point de vue plus académique : Carmen M. REINHART et Christoph TREBESCH, “The Pitfalls of External Dependence : Greece, 1829-2015”, Brookings Papers, 2015. https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/07/ConferenceDraft_ReinhartTrebesch_GreekDebtCrisis.pdf
[3] Voir les 2 pages que le quotidien belge Le Soir a consacré le 29 novembre 20008 à l’analyse que je faisais de la crise et aux propositions que j’avançais en 2008 : http://archives.lesoir.be/remplacer-le-systeme-capitaliste--la-crise_t-20081129-00KCPA.html?query=%22Eric+Toussaint%22&queryor=%22Eric+Toussaint%22&firstHit=20&by=10&when=-1&sort=datedesc&pos=29&all=101&nav=1
[4] Voir Éric Toussaint, « Union sacrée pour sacrée arnaque »
[5] Voir Le Monde, « L’insoutenable explosion de la dette publique française », 6 mai 2009.
[6] À noter que le CADTM avait déjà dénoncé deux mois plus tôt, le 5 mars 2010, l’annonce d’un plan d’austérité par le gouvernement grec
[7] En 2011, Ethnos tis Kyriakis, de centre-gauche, était le troisième quotidien grec en termes de tirage (100 000 exemplaires). Version en grec de l’interview publiée le 9 janvier 2011 : http://www.ethnos.gr/article.asp?catid=22770&subid=2&pubid=49752949 Voir la version française : http://cadtm.org/Les-peuples-de-l-Europe-ont-aussi
[8] Voir en grec : ΣχόλιαΓιάνης Βαρουφάκης Debtocracy : Γιατί δεν συνυπέγραψα http://www.protagon.gr/?i=protagon.el.article&id=6245 , publié le 11 avril 2011
Dans cette longue lettre, Y. Varoufakis explique pourquoi il ne soutient pas la création du comité citoyen d’audit (ELE). Il déclare que si la Grèce suspendait le paiement de la dette, elle devrait sortir de la zone euro et se retrouverait du coup à l’âge de la pierre. Varoufakis explique que, par ailleurs, les personnes qui ont pris cette initiative sont bien sympathiques et bien intentionnées et qu’en principe, il est favorable à l’audit mais que dans les circonstances dans lesquelles la Grèce se trouve, celui-ci n’est pas opportun. Dans ce long texte, Varoufakis donne également son avis critique sur le documentaire Debtocracy.
[9] Voir à propos de Debtocracy : « Dette : les Grecs et la Debtocracy », publié le 13 juillet 2011.
[10] Nadia Valavani a démissionné le 15 juillet c-à-d avant le vote de l’accord du 13 juillet qu’elle a refusé d’approuver lors du vote au parlement dans la nuit du 15 au 16 juillet.
[11] Voir le diaporama de mon exposé : Éric Toussaint, Greece : Symbol of Illegitimate Debt, publié le 12 mars 2011, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Debt_Crisis_Athens_SITE_March2011_EricToussaint.pdf
[12] Elena Papadopoulou and Gabriel Sakellaridis (eds.), The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU, Athens : Nissos Publications 2012, 290 p., ISBN : 9-789609-535465
Il est utile de reproduire la table des matières de ce livre intéressant car les noms d’acteurs-clés de Syriza y apparaissent.
Table des matières :
Elena Papadopoulou, Gabriel Sakellaridis (Gabriel S. a été porte-parole du groupe Syriza au parlement grec en 2015. Il a démissionné en décembre 2015 en désaccord avec l’application du 3e mémorandum. Il n’est plus membre de Syriza) : Introduction.
Section 1 - Understanding the European Debt Crisis in a Global Perspective
George Stathakis (George S. est ministre de l’Économie dans le gouvernement Tsipras 2, il faisait partie de l’aile droite de Syriza et était totalement opposé à l’audit de la dette grecque. Fin 2015, la presse a révélé qu’il aurait omis de déclarer au fisc 1,8 million d’euros et 38 biens immobiliers) : The World Public Debt Crisis. Brigitte Unger : Causes of the Debt Crisis : Greek Problem or Systemic Problem ?
Euclid Tsakalotos (ministre des Finances depuis juillet 2015) : Crisis, Inequality and Capitalist Legitimacy. Dimitris Sotiropoulos : Thoughts on the On-going European Debt Crisis : A New Theoretical and Political Perspective
Section 2 - The Management of the Debt Crisis by the EU and the European Elites. Marica Frangakis : From Banking Crisis to Austerity in the EU - The Need for Solidarity. Jan Toporowski : Government Bonds and European Debt Markets. Riccardo Bellofiore : The Postman Always Rings Twice : The Euro Crisis inside the Global Crisis.
Section 3 - Facets of the Social and Political Consequences of the Crisis in Europe. Maria Karamessini : Global Economic Crisis and the European Union - Implications, Policies and Challenges
Giovanna Vertova : Women on the Verge of a Nervous Breakdown : The Gender Impact of the Crisis. Elisabeth Gauthier : The Rule of the Markets : Democracy in Shambles
Section 4 - The PIGS as (Scape)Goats. Portugal - Marianna Mortagua
Ireland - Daniel Finn
Greece - Eric Toussaint
Spain - Javier Navascues
Hungary - Tamas Morva
Section 5 - Overcoming the Crisis : The Imperative of Alternative Proposals. Yannis Dragasakis (vice-premier ministre des gouvernements Tsipras 1 et 2) : A Radical Solution only through a Common Left European Strategy. Kunibert Raffer : Insolvency Protection and Fairness for Greece : Implementing the Raffer Proposal. Pedro Páez Pérez : A Latin-American Perspective on Austerity Policies, Debt and the New Financial Architecture
Nicos Chountis (ex vice-ministre des relations avec les institutions européennes dans le gouvernement Tsipras1, a été démissionné par Tsipras pour son refus de la capitulation et est eurodéputé de l’Unité Populaire depuis septembre 2015) : The Debt Crisis and the Alternative Strategies of the Left. Yanis Varoufakis (ministre des Finances de janvier à juillet 2015) : A Modest Proposal for Overcoming the Euro Crisis.
Section 6 - The Crucial Role of the European Left - Political Interventions. Alexis Tsipras : A European Solution for a European Problem : The Debt Crisis as a Social Crisis.
Pierre Laurent : People Should Not Pay for the Crisis of Capitalism.
[13] Voir le site de l’Altersummit http://www.altersummit.eu/?lang=fr
[14] Liste des organisations présentes à cette première conférence : Syndicats : CGIL- It ; Cartel Alfa – Ro ; CGT – Fr ; CSDR – Ro ; FO – Fr ; FGTB – Be ; FSU – Fr ; CSC – Be ; CISL – It ; CIG Galicia – Sp ; CGTP-In – Po ; Fagforbundet – No ; ELA – Pays basque ; ESK – Pays basque ; BNS – Ro ; MSZOSZ – Hu ; MOSZ – Hu ; Solidaires – Fr Confédérations syndicales internationales : ETUC ; ITUC, EPSU Mouvements : Attac (Fr Be All) ; CADTM Europe ; Transnational Institute ; European Anti Poverty Network ; Réseau Justice Fiscale ; Transform (Ostereich ; Tchèque Rep ; Poland) ; Seattle to Brussels network ; Caritas Europe ; Association européenne des Droits de l’Homme ; LDH France ; Forum Italiano dei Movimenti per l’Acqua ; Nordic Welfare Campaign ; MAIS – It ; Les économistes atterrés ; Conf of kurdish associations Europe ; CEO – Corporate Europe Observatory ; Romanian Social Forum ; Global Social Justice ; Euromarches ; Degrowth ; Global Alliance for Immediate Alteration – Nl. Voici le texte en anglais : On the 10 and 11th of March 2011, representatives of trade unions, both national and European, NGOs and social networks from 15 EU countries (from both East and West) got together for the first Spring Joint Social Conference. Extract of the final declaration : “The workers did not cause the crisis, but until now they have been the victims. Enough is enough ! The critical budgetary situation of the European Union countries must be dealt with in a different way : a. by a fair tax system which, unlike the current trends, would weigh more heavily on the wealthy and on financial profits than it would upon workers (i.e. a return to progressive tax levels, a European tax on financial transactions, the abolishing of tax havens, the introduction of a minimum European corporate tax). b. by an audit of the public debts of the European Union countries : we cannot accept that the future of one or more generations should be mortgaged because of a debt, which is to a large degree actually the debt of speculators and the financial system.
[16] Nadia Valavani est une personnalité publique grecque respectée, notamment pour le courage dont elle a fait preuve dans la lutte contre la dictature des colonels, par exemple dans l’insurrection de l’institut polytechnique d’Athènes en 1973, durement réprimée par l’armée.
[17] J’ai expliqué cela dans : « Grèce : pourquoi la capitulation ? Une autre voie est possible (texte de la vidéo avec notes explicatives) », publié le 27 août 2015
[18] Voir Éric Toussaint : « Le peuple grec se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la crise du capitalisme »
[19] Ce séminaire s’est intitulé « Du Nord au Sud de la planète : des clés pour comprendre la dette publique », réunies les 22, 23, 24 mai 2010 en Belgique. Voir aussi le communiqué de presse des Femmes du CADTM « Femmes d’Europe, soulevez-vous »
[20] Voir le texte : FEMMES EN MOUVEMENT, Vers une « Initiative pour la construction d’un réseau féministe contre la dette et les mesures d’austérité » en Europe.
[21] Le mouvement « Je ne paye pas » avait pris une grande ampleur en Grèce à l’époque. Il s’était constitué autour du refus de payer les péages exorbitants sur les autoroutes privatisées du pays. Ce mouvement très populaire et radical ne se limitait pas à la dénonciation passive des augmentations successives du prix des péages, mais il pratiquait la désobéissance active de masse en forçant les barrières.
[23] Voir aussi : Tournée des féministes européennes en France Journal de la tournée des militantes féministes européennes en France
[24] Grèce 595 femmes de ménage grecques : 11 mois de lutte acharnée contre le gouvernement et la Troïka.
[25] J’étais en compagnie d’Aris Vasilopoulos, militant de Kokkino, un courant dans Syriza (en 2014 Aris V a été élu maire de la municipalité de la banlieue athénienne de Néa Filadelfia), et de Giorgos Mitralias, le responsable du Comité contre la Dette.
[26] Sur Dragasakis et sur le bilan de Syriza, voir le point de vue de Stathis Kouvelakis dans la New Left Review de janvier-février 2016 : https://newleftreview.org/II/97/stathis-kouvelakis-syriza-s-rise-and-fall . Voir aussi le bilan tiré par Antonis Ntavanelos : http://www.anti-k.org/2015/12/19/premieres-reflexions-sur-un-bilan-de-notre-parcours-avec-syriza-i/
[27] Voir « L’appel d’Alexis Tsipras, pour une conférence internationale sur la dette, est légitime », publié le 23 octobre 2014.
[28] Eucide Tsakalotos, qui en 2014 était professeur d’économie au Royaume-Uni, a remplacé à partir de juillet 2015 Varoufakis au poste de ministre des Finances. Il occupait toujours cette fonction début 2017 dans le gouvernement Tsipras II.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.