Nous publions ci-dessous les recommandations du Conseil consultatif sur la cohérence des politiques [1] portant sur la dette extérieure des pays dits « en développement », telles qu’envoyées au Ministre belge de la coopération le 21 décembre 2016. Pour élaborer le diagnostic et les mesures que le gouvernement devrait mettre en œuvre immédiatement, ce Conseil présidé par le juriste Olivier De Schutter (membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU et ex-Rapporteur des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation) a sollicité entre autres l’aide du CADTM.
Le CADTM soutient pleinement plusieurs revendications du Conseil dont celles qui demandent de « mettre en place un audit des créances belges pour identifier la part éventuelle de créances illégales, odieuses et illégitimes détenues par la Belgique, en application des résolutions adoptées par les assemblées parlementaires belges et du droit international » puis d’ « annuler les créances belges sur les pays en développement relevant de dettes illégales, odieuses ou illégitimes ».
Sur la question des fonds vautours visés notamment par la loi adoptée par le Parlement belge le 12 juillet 2015, le CADTM rejoint évidemment le Conseil qui demande au gouvernement « d’inciter les autres États membres de l’Union européenne et de l’OCDE à adopter des législations équivalentes ». Cette recommandation est d’autant plus importante qu’actuellement cette loi est menacée par une action en justice intentée par le fonds vautour NML Capital, propriété du milliardaire étasunien Paul Singer, l’un des principaux donateurs du Parti Républicain aux États-Unis. Il est notamment celui qui a attaqué avec succès l’Argentine et il demande à présent à la Cour constitutionnelle belge d’annuler cette loi.
En revanche, le CADTM regrette fortement que soit absente des recommandations du Conseil la nécessité d’instaurer immédiatement un moratoire sur la dette des pays du Sud pendant toute la durée de réalisation de l’audit de leur dette (qui doit se faire avec la participation des mouvement sociaux). Cette mesure est pourtant urgente vu qu’un nombre croissant de pays du Sud, principalement en Afrique, est aujourd’hui au bord du défaut de paiement. Comme l’indique l’avis, « douze pays en développement ont des difficultés de paiement, vingt-deux pays courent le risque de connaître à terme les mêmes difficultés (dont trois pays partenaires de la Belgique : Burkina Faso, Mali, Niger) et quatorze autres pays courent un risque « très élevé » d’endettement extérieur excessif (dont quatre pays partenaires de la Belgique : Mozambique, Ouganda, Sénégal et Tanzanie) ».
Il est également regrettable que les conditionnalités que continuent à imposer les bailleurs de fonds tels que le FMI et la Banque mondiale (au sein desquels la Belgique est représentée) ne soient pas explicitement condamnées par le Conseil tant leur effet destructeur sur les droits humains fondamentaux est bien documenté [2].
Le CADTM tient aussi à rappeler que l’abolition des dettes odieuses, illégales et illégitimes ne devrait être assortie d’aucune condition « négociée » avec le gouvernement belge, vu que ces dettes n’ont absolument pas bénéficié aux populations du Sud et que la Belgique était souvent complice. Les populations du Sud ont bien le droit à voir ces dettes annulées sans que les créanciers ne posent une fois encore leurs conditions, comme ce fut le cas avec les allègements de dettes conclus dans le cadre de l’ « Initiative PPTE » (Pays Pauvres Très Endettés). Dès lors, la recommandation de « conclure un contrat-cadre avec les pays en développement concernés pour définir un plan d’investissements financés par les montants libérés par l’annulation des dettes illégales, odieuses ou illégitimes et destinés aux secteurs jugés prioritaires pour atteindre les Objectifs de développement durable » n’est absolument pas justifiée.
En dépit de ces limites, cet avis du Conseil consultatif sur la cohérence des politiques constitue un nouvel outil pour interpeller les dirigeants, que les citoyens peuvent utiliser pour se mobiliser sur la dette du Sud et les fonds vautours. Le CADTM ne ratera pas l’occasion de réagir publiquement aux réponses que donnera la gouvernement belge.
[1] Le Conseil consultatif sur la cohérence des politiques a vu le jour en avril 2014. Il est régi par l’arrêté royal du 2 avril 2014 relatif à la création d’un Conseil consultatif sur la cohérence des politiques en faveur du développement. Ce Conseil a pour mission principale de donner des avis aux autorités fédérales belges pour plus de respect de la cohérence des politiques en faveur du développement conformément à l’article 208 du traité de Lisbonne et l’article 8 de la loi du 19 mars 2013 relative à la Coopération belge au Développement. Ces avis sont préparés par des experts du monde syndical, des ONG et du monde académique réunis dans une ‘commission thématique’.
[2] Par exemple, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU dans sa résolution adoptée le 23 mars 2016 constate que « les programmes de réforme par ajustement structurel et les conditionnalités par politique imposée limitent les dépenses publiques, imposent un plafonnement de ces dépenses et accordent une place insuffisante à la fourniture de services sociaux, et que seuls quelques pays parviennent durablement à une croissance plus élevée dans le cadre de ces programmes » et recommande de « ne pas reproduire les politiques d’ajustement structurel antérieures qui n’ont pas fonctionné, notamment celles qui ont imposé de façon dogmatique des privatisations et une réduction des services publics ». http://ap.ohchr.org/Documents/F/HRC/d_res_dec/A_HRC_31_L16.pdf
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.