Le 20 octobre 2016, la chambre fédérale belge approuvait [1] un projet de loi portant sur la création de l’Agence Fédérale de la Dette (AFD). Cette nouvelle structure résultera de la « fusion » de l’Agence de la Dette actuelle et du Fonds des Rentes. La première gérait la dette fédérale pour le compte de la Trésorerie (dépendante du SPF-Finances) et le deuxième devait assurer la liquidité des titres publics belges sur le marché secondaire [2].
La future Agence Fédérale de la Dette sera un Organisme d’Intérêt Public (OIP) de catégorie A [3], ce qui lui permettra de disposer d’une autonomie juridique accrue en termes de budget, de comptabilité et de gestion. L’objectif principal, et officiel, de cette réforme c’est de pouvoir recruter, en plus des fonctionnaires actuels de l’Agence, du personnel issu de la finance privée. Le gouvernement affirme que cette réforme permettra de « gérer la dette de l’Etat fédéral avec professionnalisme et efficacité ».
seuls des experts financiers privés « neutres-mais-issus-des-banques » seraient à même de gérer les deniers publics, comme si la crise de 2008 n’avait jamais existé...
On croit rêver : seuls des experts financiers privés « neutres-mais-issus-des-banques » seraient à même de gérer les deniers publics, comme si la crise de 2008 n’avait jamais existé... Avec cette loi, les responsables politiques s’obstinent à présenter la dette, et sa gestion, comme un sujet purement « technique ». Toute intrusion du politique pourrait nuire à une gestion efficace de la dette et la nouvelle agence jouira d’une plus grande autonomie, même si le ministre des finances exercera une tutelle « d’orientation » selon la loi.
Confier la gestion d’un objet public aussi important que la dette aux mains d’une agence composées d’acteurs issus du privé précipite la question hors du jeu démocratique et, surtout, hors de la possibilité de tout débat.
La création de l’AFD s’inscrit en fait dans un processus déjà amorcé lors de la création de l’Agence de la Dette, en 1998 [4]. Les missions de l’agence – reconduites et approfondies dans la nouvelle AFD – consistent à émettre de la dette pour le compte de l’Etat, à réaliser la gestion de ces volumes d’émission et du stock de la dette, tout en restant particulièrement attentive aux critères européens de stabilité financière. Elle doit aussi, et surtout, répondre aux attentes des investisseurs présents sur le marché de la dette. Car, en dernière analyse, le coût de l’emprunt supporté par la Belgique dépendra de l’humeur des marchés. A ce titre, le personnel de l’Agence a pour mission de faire la promotion de la valeur financière de la dette belge – et du sérieux des politiques économiques du pays – notamment à l’occasion de tournées auprès de grands investisseurs à travers le monde : les roadshows [5].
Loin de vouloir amorcer une réelle critique de sa dynamique de financement, le fédéral veut faire bonne figure auprès des marchés – pour tenter de maintenir des facilités d’emprunts à bas coût – et auprès de la Commission européenne, au moment où les efforts budgétaires prévus pour 2017 sont jugés insuffisants [6].
Une des marges de manœuvre de l’Agence est de jouer sur le marché pour diminuer le coût de la dette. Dans cette optique, le recrutement de traders n’est pas anodin. À travers les « rachats anticipés de titres », l’utilisation de swaps ou d’autres produits dérivés [7], l’Agence parie sur l’évolution des taux d’intérêt du marché pour réaliser des économies. Économies de bout de chandelle puisqu’en 2016, par exemple, l’Agence a réalisé 55 millions d’euros d’économies, soit 0,48% de la charge total des intérêts... Opération risible mais risquée : en mai 2016 une opération sur les swaps a coûté 2,3 milliards d’euros à la Belgique [8]. Ainsi on peut craindre que le recrutement de traders au sein de l’Agence s’accompagne d’une extension de ces pratiques, exposant encore davantage l’économie belge à la volatilité des marchés financiers [9].
Au milieu du silence médiatique concernant cette réforme, ACiDe insiste sur la nécessité de porter un débat public sur la gestion de la dette
Au milieu du silence médiatique [10] – et de celui de l’Agence actuelle elle-même – concernant cette réforme, ACiDe [11] insiste sur la nécessité de porter un débat public sur la gestion de la dette, plutôt que de la cantonner à la gestion opérationnelle et technicienne des experts privés.
Au lieu de reprendre en main les outils de son financement, le fédéral accroît sa dépendance aux marchés financiers et va même jusqu’à en imiter les pratiques. La dette publique est reléguée à une gestion technique, présentée comme neutre, alors qu’elle est profondément politique. Il faut rappeler que la dépendance aux marchés financiers n’est pas un projet de société, ni souhaitable, ni viable. L’audit citoyen de la dette (également présent en Espagne, Italie, France, Royaume-Uni, etc.) se donne d’ailleurs pour objectif que la population s’invite dans le débat, déboulonne les traders, et finisse par contrôler elle-même une facture qui, pour le moment, lui coûte plus de 40 milliards par an...
[1] À 89 voix pour, 0 contre et 50 abstentions.
[2] Après que la dette publique ait été vendue à ses acheteurs, ceux-ci peuvent la revendre sur un « marché d’occasion » de la dette – marché qui n’est pas régulé. Un marché est dit « liquide » lorsque le nombre de transactions y est élevé et – donc – que le cours (le prix) de l’actif financier (ici, la dette publique) n’est pas trop influencé par les différentes opérations de vente/achat.
[3] Pour une explication de ce qu’est un OIP de catégorie A, voir : http://www.vocabulairepolitique.be/organisme-dinteret-public/
[4] Celle-ci est par ailleurs déjà composée de 13 contractuels et sa structure est calquée sur celle d’une banque privée. Ces informations étaient disponibles sur l’ancien site de l’Agence, mais ne le sont plus sur le nouveau : http://www.debtagency.be/fr/contactbda
[5] Tournées mondiales des banques et des fonds d’investissements en tout genre, d’ailleurs financées par les contribuables. Voir : l’article 8 de la loi en question : http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/2034/54K2034004.pdf
[6] Sur la « non-conformité du budget belge », lire : http://www.lalibre.be/actu/belgique/l-europe-doute-de-notre-budget-2017-582cba71cd70735194a2cbe9
[7] Voir l’article 3 de la présente loi.
[8] Lire : https://www.rtbf.be/info/economie/detail_la-charge-de-la-dette-pourrait-passer-sous-la-barre-des-10-milliards-en-2016?id=9294290
[9] Un marché est dit volatil lorsque la variation du cours (du prix) de l’actif y est élevée – rendant les gains potentiels plus gros mais les risques également.
[10] À l’exception de ce très bon article du Vif : http://www.levif.be/actualite/belgique/la-dette-publique-belge-bientot-aux-mains-de-traders/article-normal-577245.html
[11] Audit citoyen de la dette en Belgique, voir : www.auditcitoyen.be
Plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique