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Audit citoyen de la dette publique : on ne s’arrête pas !!
par Chiara Filoni
14 juillet 2017

À l’occasion de la 5e Université d’été du CADTM Europe, se tenait le samedi 1er juillet 2017, l’atelier « Échanges de pratiques sur l’audit de la dette ». Étaient présentEs Marie-Claude Carrel du Collectif pour un audit citoyen de la dette en France (CAC), Virginie de Romanet membre de l’Audit Citoyen de la dette en Belgique (ACIDE), Yago Alvarez Barba impliqué dans la Plateforme pour un audit citoyen de la dette en Espagne (PACD), ainsi qu’une trentaine de participantEs désireux-euses de mieux connaître la dynamique de l’audit dans une perspective d'action concrète et de terrain !

Les trois intervenantEs nous ont fait part de leur expérience personnelle au sein de leurs différents groupes d’audit.

- Marie-Claude Carrel, militante au CAC Grenoble, nous a expliqué les débuts de ce groupe d’activistes essentiellement composé de femmes (!) qui se réunissaient pour donner plus de visibilité aux analyses du réseau CADTM dans le cadre de réunions publiques.

Avec la création du CAC au niveau national, fin 2011, une grande euphorie a gagné l’ensemble des militantEs grenobloisEs, qui ont placé l’audit citoyen au cœur de leur action. Le groupe lance alors un audit des emprunts de la métropole qui, pour la plupart, ont été octroyés par Dexia à partir de 2006 et indexés sur le franc suisse. Le groupe découvre alors que les taux d’intérêt de ces prêts sont passés de 13 % à 20 % entre 2012 et janvier 2016 du fait de la baisse du cours de l’euro. De là, le rythme des formations internes au CAC s’est accéléré et les interpellations auprès des autres communes de l’agglomération se sont multipliées.

Les taux d’intérêt de ces prêts sont passés de 13 % à 20 % entre 2012 et janvier 2016 du fait de la baisse du cours de l’euro

L’opération semblait avoir porté ses fruits quand, en 2013, la Métropole de Grenoble décide d’assigner Dexia en justice afin de renégocier le paiement des intérêts de la dette. Finalement, en juillet 2016, malgré le travail de sensibilisation et d’interpellation politique mené par le CAC Grenoble pour dénoncer ces prêts toxiques, la Métropole retire son recours contre Dexia, par un vote à la majorité restreinte. Elle accepte ainsi de rembourser 17,5 millions d’euros pour le capital, 10 millions d’euros pour les intérêts et 25,5 millions d’euros en remboursements anticipés.

Néanmoins, il en faudra plus pour décourager nos militantEs et l'action de dénonciation et de sensibilisation du groupe de Grenoble continue de plus belle. Parmi les prochaines actions envisagées, l’idée émerge d’introduire un recours visant le fonds de soutien étatique qui a soutenu financièrement les villes dans le remboursement de leurs prêts, mais a conditionné ce soutien au retrait de leurs plaintes contre Dexia...

- Pour Virginie de Romanet, militante en Belgique, l’audit citoyen de la dette révèle la volonté qu’ont les citoyens de s’emparer de la question de la dette publique et de ses conséquences sur les budgets sociaux. L’instrument de l’audit par le bas est en effet crucial dans la mesure où il permet de contrer l’emprise et le monopole des « expertEs » sur cette question. Certes, les questions de dette ont un caractère parfois technique, voire complexe, mais nous devons garder à l’esprit son caractère éminemment politique qui amène souvent les décideurs à utiliser celle-ci comme un levier pour imposer à la population les mesures d’austérité les plus drastiques. Il apparaît donc véritablement nécessaire pour les citoyen-ne-s de se saisir de la dette pour en comprendre les fondements, les conditions, et en décortiquer le contenu.

L’instrument de l’audit par le bas est en effet crucial dans la mesure où il permet de contrer l’emprise et le monopole des « expertEs » sur cette question

La plateforme belge a été lancée tout au début de l’année 2013. Tout juste une année auparavant, CADTM Belgique, Attac Bruxelles 2 et Attac Liège avaient introduit un recours devant le Conseil d’État belge afin de faire annuler la garantie de l’État belge sur les dettes de Dexia SA, argumentant sur le caractère illégal des actes pris par l’exécutif pour accorder cette garantie. Le moment était devenu propice pour la naissance des groupes locaux. Début 2013 la campagne « À qui profite la dette ? » est lancée, et peu de temps après celle-ci s’élargit pour devenir une plateforme d’audit citoyen. On compte aujourd’hui 6 groupes locaux à Bruxelles, Liège, Verviers, La Louvière, Marche-en-Famenne et Tournai.

Parmi les résultats concrets qui ont été obtenus suite à ce travail d’audit en Belgique, on peut notamment compter la publication de la brochure « Comment briser le cercle vicieux de la dette et de l’austérité ? », qui représente aujourd’hui un outil clé pour la sensibilisation des citoyen-ne-s. Elle a été réalisée dans l’objectif premier d’expliquer à la population la teneur du lien entre la dette et les mesures d’austérité qui en découlent, ainsi que pour casser les idées reçues sur la dette (telles que : « la dette est le résultat de l’augmentation des dépenses publiques... »), expliquer le rôle des sauvetages bancaires dans l’accroissement de la dette et, enfin, donner des exemples concrets d’annulation des dettes qui ont eu pour conséquence une amélioration de la situation économique des pays concernés. On compte entre 1946 et 2008 pas moins de 169 suspensions de paiement à travers le monde.

- Comme l’explique Yago Alvarez Barba, la plateforme pour un audit citoyen de la dette en Espagne (PACD) est, elle, issue du mouvement du 15M qui a émergé en 2011. Ainsi, la plateforme a su mobiliser massivement autour du gigantesque sauvetage bancaire dont on a récemment fêté les 5 ans. Tandis que le ministre de l’économie prétendait à l’époque que ce sauvetage ne coûterait pas « un euro » à la population, les contribuables espagnol-e-s ont finalement déboursé pas moins de 61 milliards d’euros pour sauver les banques. La plateforme compte encore aujourd’hui de nombreux groupes locaux sur tout le territoire : à Séville, Saragosse, Madrid, Barcelone, etc.

Dernièrement, la PACD s’est davantage focalisée sur les dettes contractées par les municipalités. Les activistes de la plateforme ont en effet mis en exergue les volumes financiers considérables qui sont régulièrement ponctionnés au titre du paiement de la dette, au niveau de chaque ville et sur l’ensemble du territoire espagnol. Malgré les difficultés rencontrées pour capter l’attention du public, les citoyen-ne-s étant davantage préoccupéEs par les chiffres du gaspillage et de la corruption au niveau des municipalités. Yago, en Espagne, continue de croire, tout comme Virginie en Belgique, que l’enjeu ultime de ces processus d’audit réside dans l’empowerment des citoyen-ne-s. Voilà pourquoi toute une série d’audits citoyens des dettes municipales s’est développée dans le pays. Il s’agit pour les militants espagnols de définitivement amener les contribuables à s’approprier le fonctionnement de la chose publique.

Les citoyen-ne-s étant davantage préoccupéEs par les chiffres du gaspillage et de la corruption au niveau des municipalités

Comme mentionné plus haut, les assemblées du 15M, puis l’irruption de Podemos sur la scène politique espagnole, participent de ce grand moment de forte politisation populaire que connaît le pays depuis quelques années. Environ 4000 partis se sont créés et ont présenté des candidatEs aux élections municipales, ce qui a été vécu comme une grande victoire pour les militantEs de l’audit citoyen dans la mesure où une part importante de ces « nouveaux » partis avaient clairement affiché leur volonté d’entamer un audit de la dette, y compris en l’inscrivant dans leurs programmes politiques. Malheureusement, du fait des contraintes juridiques, politiques (coalitions), et bureaucratiques, l’audit de la dette n’a que très peu été expérimenté [1] et quasi jamais réellement mis en œuvre. Aussi, notons que le sujet reste sur le devant de la scène politique institutionnelle.

La PACD a également expérimenté des audits sectoriels. À Madrid, par exemple, ont été réalisés des audits dans les secteurs de la santé, de l’armement, de l’énergie. Cela a permis de découvrir qu’à l’intérieur de la comptabilité de la dette pouvait se cacher de curieuses surprises. Ainsi a-t-on pu découvrir que les agents de la guardia civil (héritée du régime de Franco) sont payés via une ligne budgétaire de la sécurité sociale et non pas sur le budget de la défense comme c’est le cas pour tout corps rattaché à l’armée...

On doit également à la PACD l’invention de l’Observatorio ciudadano municipal (OCM), un software libre qui permet à n’importe quel citoyen-ne de signaler tout abus de la part des administrations communales ou des entreprises (par exemple, les dépenses illégitimes que l’on relève dans sa commune ou dans son quartier) et d’échanger des informations concernant les budgets des différentes villes, ainsi que de poser des questions concernant l’audit de la dette.

Yago Alvarez Barba est également l’auteur d’un Manuel d’audit de la dette, qu’il aime présenter avec humour comme un manuel d’audit pour « la guérilla ».

Quelques conclusions des groupes de travail

En Belgique, comme ailleurs dans le monde, on distingue trois phases dans l’audit citoyen. Une première phase de « recherche et analyse » consiste en un déchiffrage des données et des informations. S’en suivent une seconde phase de « sensibilisation » qui doit permettre de traduire les résultats de la recherche en des informations largement compréhensibles et diffusables, puis enfin une dernière phase qui est celle de la « mobilisation » des citoyen-ne-s sur la base du travail effectué par les collectifs d’audit. Néanmoins, il est apparu aux groupes de travail de l’atelier que ces trois phases étaient en réalité intimement liées et qu’aucune ne devait pouvoir se soustraire à une autre. Car, comment mobiliser d’autres collectifs et citoyen-ne-s si on ne parvient pas à transmettre un contenu intelligible et diffusable par tou-te-s ?

D’autres sujets ont été abordés par les groupes de travail : l’échelon politique de l’audit (municipal, régional ou national), le rapport avec les institutions et les partis politiques proches, ainsi que les caractéristiques qui sont celles d’un audit citoyen.
En ce qui concerne l’échelon politique, les expériences belges, françaises et espagnoles nous démontrent qu’il est plus facile de récolter des informations à un niveau local, les niveaux de l’État ou du fédéral n’offrant pas de possibilité d’exercer une contrainte par voie légale pour obtenir des informations sur l’identité des créanciers de la dette publique. Travailler à cette échelle est aussi plus facile pour un groupe citoyen car c’est précisément le niveau le plus connu et celui sur lequel il est possible d’avoir l’impact le plus important, à la fois pour les citoyen-ne-s et les politiques.

Ainsi, une bonne connaissance du terrain et un travail en amont avec le quartier ou la ville, tout comme auprès d’autres groupes militants, sont considérés comme des conditions préalables pour la réussite d’une telle action d’investigation et de mobilisation. Enfin, il faut savoir profiter des opportunités politiques qui revêtent un caractère scandaleux, tels que le sauvetage d’une banque ou des épisodes de corruption liés à des financements de projets publics, ou encore l’impact de l’austérité (augmentation de la facture de l’électricité ou de la TVA) afin d’attirer l’attention du public et se faire connaître par la population.

Ces expériences nous apprennent également que la proximité avec des interlocuteurs politiques, tel que le PCF à Grenoble en France ou Podemos en Espagne, mènent trop souvent à l’abandon par ces représentantEs politiques des pratiques citoyennes de base, le regard se détournant rapidement vers d’autres priorités que sont les jeux d’influence, les stratégies politiques ou l’agenda institutionnel. C’est pour cela qu’il est essentiel de maintenir la pression citoyenne sur les politiques et de continuer le travail d’audit par le bas, malgré les difficultés d’accès à l’information et l’impact politique parfois décevant. Cela a par ailleurs un retour positif en termes d’autonomie politique par rapport au niveau institutionnel, et à l’ancrage de nos revendications pour l’annulation des dettes illégitimes.

Merci à Josua Grabener pour ses notes et à Simon Perrin pour sa relecture.


Notes :

[1Il existe un réseau des municipalités espagnoles contre la dette illégitimes et les coupes budgétaires. Pour plus d’info

Chiara Filoni

CADTM Belgique