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Aide publique à la domination belge : à bas !
par Kamilia Sahli
24 juillet 2017

Juillet 2017. M. Dimitris Avramopoulos, commissaire européen en charge des migrations et des affaires intérieures, déclare que « les retours vers les pays d’origine [des migrants arrivant en Europe] est un aspect indispensable d’une politique migratoire globale » et que « la situation migratoire telle qu’elle est maintenant n’est plus soutenable ». En parallèle, l’APD (« Aide Publique au Développement ») de la Belgique ne cesse de diminuer et continue à faire l’objet de vives critiques… Et pour cause ! L’APD est aujourd’hui en partie détournée à des fins de contrôles migratoires, sans qu’on ne s’intéresse aux causes profondes des migrations, ni au déracinement des personnes migrantes. De plus, les dépenses sécuritaires (11,3 milliards d’euros [1]) tout comme les dettes continuent, quant à elles, à augmenter. Nous verrons donc dans cet article que l’APD, en plus d’être façonnée en fonction de l’idéologie dominante néolibérale et des intérêts des créanciers, est en chute libre en terme de sommes allouées, et qu’en parallèle la Belgique est la première bénéficiaire de sa propre aide mais aussi une créancière toujours plus vorace…

Le montant de l’APD continue de dégringoler

Comme chaque année, le CNCD-11.11.11 fait un bilan de l’APD belge. Plusieurs éléments ont marqué l’année 2015. Tout d’abord, l’APD est en baisse depuis 2014 et s’est élevée en 2015 à 1,723 milliard d’euros, ce qui représente seulement 0,42% du RNB (Revenu National Brut) de la Belgique selon le CNCD-11.11.11. Par ailleurs, le nombre de pays partenaires a été réduit à quatorze PMA (« Pays les Moins Avancés »), autant dire qu’en plus d’une baisse en termes d’argent alloué, l’APD belge fait également l’objet d’une réduction du nombre de ses ’’partenaires’’.

De surcroît, l’APD belge suit la tendance mondiale. En effet, il est utile de rappeler qu’en 2015, l’aide au niveau mondial a atteint 131,6 milliards USD, ce qui représente une baisse de plus de 5 milliards en termes absolus par rapport à l’année précédente. « Et, alors que l’aide représentait 70% des flux financiers Nord-Sud dans les années 1970, elle en représente moins de 15% aujourd’hui, loin derrière les flux d’investissement privé et les transferts financiers des migrants vers leur pays d’origine » indique le rapport du CNCD-11.11.11.

Pourtant ce n’est pas l’argent qui manque en Belgique comme dans les autres pays de l’Union européenne d’ailleurs. En effet, les choix politiques belges en 2015 ont été marqués par des décisions en faveur de l’évasion fiscale, en parallèle à la baisse de l’APD. « Selon un rapport de la Commission européenne, la Belgique arrive deuxième dans l’Union européenne, derrière les Pays-Bas, au classement des pays qui organisent ou facilitent le plus cette optimisation fiscale. » Et, au passage, le manque à gagner pour financer les services publics est énorme. « Le FMI a ainsi récemment calculé la perte de recettes fiscales à 600 milliards USD par an au niveau global et à 200 milliards par an uniquement pour les pays en développement. » Atteindre l’objectif fixé lors du sommet mondial d’Addis-Abeba sur le financement du développement de juillet 2015, qui était de privilégier les ressources internes des pays du Sud, semble donc mal engagé… Et « l’avancée vers un monde plus juste » n’est donc manifestement pas au programme du gouvernement belge. Nous sommes donc en accord avec la position du CNCD-11.11.11 affirmant que « les bénéfices devraient être imposés là où les activités économiques qui sont à l’origine de ces bénéfices sont exercées et là où la valeur est créée. »

Rappelons également que le gouvernement belge fait appel à des cabinets d’audits, impliqués dans des affaires d’évasion fiscale, pour évaluer les ONG. Cette évaluation approfondie porte le nom de « screening ». Le précédent « screening » avait été confié au cabinet Price Water House Coopers. En 2016, c’est le cabinet Deloitte qui a été choisi pour sélectionner les acteurs de la coopération non gouvernementale aptes à recevoir les subsides de l’État. Alors que les subsides accordées aux ONG sont en baisse, Deloitte champion de l’évasion fiscale est grassement rémunéré pour réaliser ce « screening » [2]. Ce gaspillage d’argent public est incohérent et il serait évidemment plus utile de rediriger ces sommes vers l’aide au développement qui, en Belgique n’atteint toujours pas l’objectif de 0,7 % du Revenu national brut (RNB)...

La Belgique : première bénéficiaire de sa propre aide

Ironie de la situation : la Belgique serait la première bénéficiaire de sa propre aide dans la mesure où les frais d’accueil des demandeurs d’asile sont comptabilisés dans cette ’’aide’’ ; de l’argent dépensé sur son propre sol et ne bénéficiant aucunement aux pays ’’partenaires’’ donc. « En outre, une provision exceptionnelle de 57 millions d’euros a été comptabilisée, en vue de financer l’accord UE-Turquie sur les réfugiés syriens et le fonds fiduciaire d’urgence de l’UE destiné à « lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière en Afrique ». Or, un rapport de juin 2016 du Parlement européen a émis des critiques à l’égard du fonds fiduciaire, en reprochant à l’UE de détourner l’APD des objectifs de développement durable au profit de politiques migratoires restrictives susceptibles de bénéficier à des régimes autoritaires plutôt qu’aux populations les plus vulnérables » selon Arnaud Zacharie, Secrétaire général du CNCD-11.11.11. En revanche, l’argent alloué à l’aide humanitaire d’urgence a augmenté. Ainsi, au lieu de penser la résolution des problèmes de manière globale, le gouvernement belge semble estimer qu’agir une fois que les crises surviennent est une stratégie viable et sûrement plus rentable… Une logique loin de la prise en compte du problème d’endettement voire de surendettement des pays du Sud donc.

De plus, il est important de rappeler qu’une partie de l’APD belge reste liée. La stratégie de domination et de contrôle des économies des pays du Sud n’est donc jamais bien loin… Et là encore, l’exemple de la Tunisie et de la reconversion de ses dettes à l’égard de la France et de la Belgique illustre bien cette logique. Dans le cas présent – mais d’autres pays en sont aussi victimes – il s’agit tout simplement d’une stratégie perverse faisant perdre au gouvernement tunisien sa souveraineté et donnant aux créanciers français et belges le pouvoir de décider des projets d’investissement au bénéfice de leurs entreprises. La satisfaction et le respect des besoins et droits humains se retrouvent donc à nouveau relégués au second plan. Par ailleurs, il faut savoir que « les allègements de dettes sont comptabilisés dans l’APD, ce qui permet de la gonfler artificiellement. On parle donc d’« aide fantôme ». Sont comptabilisés dans l’APD non seulement les allègements de dettes mais aussi les prêts accordés à des taux concessionnels (inférieurs à ceux du marché), les frais liés à l’accueil des étudiants étrangers ainsi que certaines dépenses liées à la répression des demandeurs d’asile… ».


La logique mercantile de l’APD

La doctrine néolibérale ayant malheureusement toujours le vent en poupe chez l’élite politico-économico-financière, le ministre De Croo n’est pas en reste. « Depuis le début de son mandat, il a affirmé sa volonté que la Coopération belge au développement s’engage ardemment dans le soutien du secteur privé au niveau local dans le Sud, et en particulier celui des petites et moyennes entreprises ». En effet, l’aide au secteur privé et notamment à l’entreprise BIO s’est élevée à 42,23 millions d’euros en 2015. Parallèlement, « le budget de l’aide belge diminuant, les financements privés sont de plus en plus recherchés, à travers les opérations de blending et les partenariats public-privé (PPP) ».

Au sein de l’exécutif, on estime que l’aide au développement devrait être envisagée autrement, notamment en raison de la pression qui s’exerce sur le budget des États. La question est de savoir comment et sur ce point, le CADTM est clairement en désaccord avec les choix du ministre De Croo. « L’accent doit à cet égard être mis davantage sur l’obtention de résultats, plutôt que sur l’attribution de moyens uniquement. » Comme si les acteurs de la solidarité internationale ne se souciaient pas déjà de l’efficacité de leurs interventions… Quant à l’implication du privé dans la solidarité internationale, lorsque l’on voit l’impact des partenariats public-privé ou des entreprises du Nord dans les pays du Sud, il faut sérieusement se poser des questions sur la pertinence de cette stratégie.

En outre, d’après l’ONG Fian (FoodFirst Information and Action Network), « une partie significative de l’APD dans le secteur de l’agriculture échappe aux orientations de la Note stratégique et sert davantage à financer des projets favorisant l’agrobusiness aux dépens des petits producteurs locaux. » Des études montrent ainsi que les investissements de BIO, les projets de la Banque mondiale ou encore le financement de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique à travers l’Union européenne et la Région flamande sont en réalité des projets augmentant la pression exercée sur les terres ainsi que sur les ressources naturelles. La dette écologique des pays du Nord envers ceux du Sud n’est donc pas prête de diminuer…


La Belgique endette toujours plus les pays du Sud

Les contributions multilatérales obligatoires et volontaires s’élèvent respectivement à 10,96 millions d’euros et 115,79 millions d’euros. La Belgique s’est donc montrée bien plus généreuse pour ses contributions « non-obligatoires » que dans le cadre de ses obligations. Pourquoi ? Ça, on aimerait bien le savoir… D’autant que « la Banque mondiale s’assied sur les droits humains, elle les considère davantage comme un maladie infectieuse que comme des valeurs et des obligations universelles [3] » souligne le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme et l’extrême pauvreté Philip Alston dans un rapport présenté à l’Assemblée générale de l’ONU le 4 août 2015 [4]. Comme l’a souligné également le Conseil consultatif belge sur la cohérence des politiques [5], plusieurs projets financés par la Banque mondiale se sont traduits par de graves infractions aux droits humains : accaparement des terres, répression, arrestations arbitraires ou meurtres afin de faire taire les mouvements de protestation contre certains projets financés par la banque.

Notons également que les prêts directs d’États à États, entre 2012 et 2015, ont très nettement augmenté. En effet, ceux-ci ont été multipliés par plus de 10. Du côté des « annulations multilatérales de dettes », celles-ci sont en baisse : passant de 20,59 millions d’euros en 2012 à 16,50 millions en 2015. De la même manière, « l’annulation de dettes via l’Office du Ducroire » a connu une chute vertigineuse de 211,62 millions d’euros en 2012 à 5,76 millions en 2014 et termine à zéro en 2015. « En outre, ’’l’aide’’ a majoritairement été allouée pour refinancer l’endettement croissant des pays pauvres. « Les créanciers considèrent généralement l’aide comme un élément des recettes publiques qui permet aux pays destinataires d’assumer une dette extérieure plus importante. Les pays créanciers prennent d’une main ce qu’ils donnent de l’autre. La deuxième phase de l’aide a ainsi eu pour objectif principal de refinancer la dette des pays en développement dans le contexte des programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale » , rappelle le CNCD-11.11.11.

En parallèle, ni la dette des pays du Sud, ni celle de la Belgique ne diminuent. Les sommes qui sont remboursées par la Belgique à ses créanciers chaque année sont colossales. Pourtant, une grande partie de la dette belge est illégitime notamment en raison des sauvetages bancaires et cette dette a par ailleurs augmenté depuis la crise de 2007. Des montants qui pourraient servir au financement des services publics et de l’APD… Quant aux impacts des politiques d’austérité, rappelons que les coupes budgétaires touchent toutes les dépenses, notamment sociales et primordiales pour la société, sauf les services de la dette. Le remboursement avant tout ! Et bien non, l’illégitimité des dettes devrait être exposée sur la place publique et ces dettes illégitimes ne pas être remboursées. Ceci permettrait de libérer des fonds pour les dépenses utiles et d’intérêt général, les services publics tels que l’éducation ou l’accès au logement.

De leur côté, les PED ont remboursé 18 fois ce qu’il devaient en 1980 mais dans le même temps, leur niveau d’endettement a été multiplié par plus de 12. Entre 1980 et 2014, les remboursements au titre du service de la dette extérieure sont vertigineux, dépassant 8184,967 milliards de dollars courants [6]. Or une grande partie de ces dettes sont tout à à fait illégitimes, odieuses, insoutenables et/ou illégales et devraient donc être annulées sans condition. Ce qui permettrait de libérer des fonds nécessaires aux populations de ces États.


Des stratégies de développement douteuses

Enfin, ce rapport du CNCD-11.11.11 revient sur les débats concernant l’aide au développement, son efficacité, sa pertinence etc. mais la question centrale n’est-elle pas la suivante : comment des solutions techniques et locales peuvent-elles répondre à des problèmes politiques et sociaux globaux ? En effet, ce type de solutions ne peut avoir qu’une efficacité partielle et les ONG ne font que se substituer aux États pour résoudre les problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité, par exemple, soit de services publics. Ainsi, la question de la technicité accrue au sein des ONG dites ’’développementalistes’’ se pose a fortiori lorsque l’on parle de pertinence et d’efficacité des ONG, et donc de ce que finance réellement l’APD. Le fait que l’APD serve à financer des ONG mettant sur pied des projets nécessitant des technicien/nes qui apportent des solutions au niveau local (projets d’eau et assainissement, de construction d’hôpitaux, éducatifs etc.) et mettant donc de côté les enjeux politiques et sociaux plus larges des pays et régions dans lesquels ils interviennent est un problème. Un problème, d’une part car aucun changement politique bénéfique pour les populations ne pourra avoir lieu de cette manière. Et un problème d’autre part, car malheureusement, malgré toute la bonne volonté du personnel de ces ONG, l’APD fait partie du système néolibéral et ne le remet donc pas en question, voire le renforce en imposant des modèles de développement aux pays du Sud et en affaiblissant les États.

Pour toutes les raisons évoquées dans cet article, le CADTM dénonce donc l’APD de la Belgique et exige l’annulation totale et inconditionnelle des dettes du Sud à l’égard de la Belgique, qui sont largement odieuses, illégales et illégitimes. Le montant total de ces créances envers les pays du Sud ne s’élève qu’à environ 2 milliards d’euros. Cela représente ainsi environ trois fois moins que le prix des derniers F16 [7]. Par ailleurs, cette annulation de dettes ne devra pas être comptabilisée dans l’APD. Un exemple à suivre serait le suivant : l’annulation par la Norvège en 2006 de ses créances envers cinq pays du Sud au motif que ces dettes étaient reconnues comme illégitimes.

L’aide au développement devrait ainsi être rebaptisée « fonds de réparation » ou encore « contribution de réparation et de solidarité » afin de libérer l’expression de sa connotation condescendante et de tenir compte de la dette historique des pays du Nord envers ceux du Sud. Ce changement d’appellation pourrait constituer une première étape symbolique dans l’établissement de nouvelles bases pour les futures relations Nord/Sud.


Sources :


Notes :

[1Somme dépensée pour renvoyer les migrants entre 2000 et 2015 d’après le collectif The Migrant Files. D’après l’article du Monde, paru en juin 2015 : http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/06/18/l-ue-depense-des-fortunes-pour-renvoyer-les-migrants-illegaux_4657057_3214.html

[2Le coût du dernier « screening » selon les données budgétaires des appels d’offres, se situent entre 550 000 et 650 000 euros (pour Deloitte et le cabinet BDO). Il faut rajouter à cela, pour les coupoles, fédérations et ONG, les coûts indirects en embauches de personnel et équivalents temps plein, indispensables pour répondre aux exigences du « screening »

[3http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/70/274 Lire aussi l’article « La Banque mondiale sous les feux de la critique du Rapporteur Spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains » http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=12427#nb1

[4« La Banque mondiale sous les feux de la critique du Rapporteur Spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains » http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=12427#nb1

[5Voir son avis portant sur « le mandat de la Belgique au sein de la Banque mondiale » accessible sur http://www.ccpd-abco.be/. Le Conseil consultatif sur la cohérence des politiques a été créé en avril 2014. Il a pour mission principale de donner des avis aux autorités fédérales belges pour plus de respect de la cohérence des politiques en faveur du développement. Ces avis sont préparés par des experts du monde syndical, des ONG et du monde académique réunis dans une ‘commission thématique’. Ils sont ensuite étudiés et validés par le Conseil consultatif sur la cohérence des politiques présidé par Olivier De Schutter. Le CADTM Belgique a participé à l’élaboration de cet Avis sur la Banque mondiale.

[6Source : International Debt Statistics sur la base de données de la Banque mondiale. Les données pour les années 1983, 1984, 1997, 1998 sont manquantes. Les remboursements au titre du service de la dette sont donc à revoir à la hausse.

[7Les F16 sont des avions de chasse utilisés par les forces militaires de divers pays tels que les États-Unis, la Belgique, le Danemark ou la Norvège, entre autres.

Kamilia Sahli

Stagiaire au CADTM Belgique.