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Deuxième journée de l’ESU pour l’équipe du CADTM !
par Chiara Filoni , Camille Bruneau
30 août 2017

Cette deuxième journée de l’ESU était bien remplie et s’est déroulée dans l’enthousiasme des participant-e-s avides de débats et d’informations ! Entre des séminaires de plusieurs heures sur la conférence de l’OMC à Buenos Aires, l’expansion aéronautique, la finance, le revenu de base ou encore la souveraineté alimentaire, le CADTM a organisé un atelier sur les dettes privées.

Dettes privées, un autre outil de dépossession des peuples

Dans une salle bien remplie, Anouk Renaud a rappelé pourquoi nous nous intéressons aux dettes privées, une thématique qui peut paraître surprenante pour certain-e-s participant-e-s qui historiquement associent le CADTM au travail sur les dettes publiques. Le CADTM a en effet élargi son champs d’action et s’attaque désormais aux dettes privées, elles aussi sources d’illégitimité pour une bonne partie de la population. Ces dettes se retrouvent dans beaucoup de domaines et restent, comme toute forme de dette, un outil de transfert de richesse et de dépossession. Cet atelier a abordé quatre formes de dettes privées avec cinq intervenants : Khadija Maaras d’ATTAC CADTM Maroc, Geneviève Savigny de la Confédération paysanne, Florence Münch de l’Union des Étudiants de Toulouse ainsi que Cuca Hernandez et David Calomera d’ATTAC Espagne.


Microcrédits

Depuis son indépendance, le Maroc reste dépendant des institutions impériales ce qui n’a pas permis d’adapter les institutions économiques aux besoins de la population : le système est basé sur l’exportation et a hérité d’une dette coloniale qui a permis aux colons d’imposer leur volonté. A cela s’ajoute aujourd’hui une crise économique qui se traduit par des baisses de salaires, un chômage persistant et la privatisation des services publics, mesures qui touchent particulièrement les couches populaires et en premier lieu les femmes.

Le microcrédit, vendu comme la solution miracle, est apparu au Maroc dans les années 1990. Il est octroyé par divers fonds associatifs ou nationaux et a connu une croissance (en termes de montant des prêts et nombre de clients) en 2002. De 2008 à 2011, le secteur se retrouve en crise à cause des défaillances de remboursement : depuis, le mouvement des victimes du microcrédit a grandi malgré les efforts du gouvernement pour développer le secteur.

En fait, le microcrédit n’est rien d’autre qu’un instrument pour emprisonner les couches plus démunis de la population dans le circuit bancaire capitaliste : c’est pour cette raison que le CADTM a décidé d’intervenir. Les femmes représentent 67 % des bénéficiaires du microcrédit au Maroc et s’engagent surtout dans des petites activités. Certaines institutions ne prêtent qu’aux femmes, considérées comme plus sensibles aux pressions et fidèles aux prêts.

Les personnes ayant contracté un microcrédit au Maroc n’ont souvent pas de revenus stables, et la majorité des prêts ont étés octroyés pour la consommation personnelle et pas pour une activité commerciale. Mais ces crédits ne font que plonger encore plus ces personnes dans une précarité qui les forcent à multiplier les emplois pour rembourser leurs prêts.

De plus, les contrats sont souvent signés de façon illégitime et illégale : pour un public souvent analphabète, la compréhension de ces contrats est rendue difficile à cause du jargon juridique employé, très souvent non rédigé en langue arabe et qui ne citent pas les répercussions judiciaires juxtaposés à un défaut de paiement.

De plus, ces crédits ont des taux d’intérêt pharamineux allant jusque 35 %. Quelles sont les alternatives que le CADTM/ATTAC Maroc propose donc ? Certaines solutions pourrait se trouver dans un système public de crédit à taux zéro. Pour que cette solution soit mise en place on devrait également passer par la dénonciation de partenariats public-privés, la lutte contre les privatisations ou les subventions alimentaires.


Dettes paysannes

L’agriculture paysanne est aujourd’hui complètement intégrée dans le système capitaliste, qui, d’un côté avec la PAC et la modernisation productiviste, et de l’autre, le désir de vouloir léguer quelque chose à ses enfants, enferme les paysans dans un endettement littéralement meurtrier. Cet endettement, pouvant atteindre jusqu’à 500.000 euros pour une petite ferme, oblige les paysans à des situations de « travail compulsif ». Comme nous dit Geneviève Savigny la dette paysanne est en une phrase « marche ou crève ».

En effet, en supprimant les quotas qui permettait aux petit-e-s paysan-ne-s de recevoir des aides financières de l’État, il n’est souvent plus possible de vivre d’agriculture paysanne : 60 % des paysans français par exemple – une fois avoir payé leurs dettes – se retrouvent avec un salaire moyen de 350 euros par mois ! De plus, ce secteur est rythmé de burnout et suicides, en moyenne 100 par ans en France. En Inde, pays faisant parler de lui à ce sujet, 10.000 paysan-ne-s mettent fin à leur vie chaque année, le gouvernement essaie même de minimiser les statistiques, ne considérant pas les femmes comme agricultrices par exemple.

Pour la confédération paysanne les solutions se trouvent dans la mise en application de prix justes mais aussi d’une souveraineté alimentaire pour tous les peuples. La solution officielle pourtant reste d’investir dans l’agriculture « intelligente » et high-tech, qui ne correspond pas aux exigences des populations et qui contribue à endetter encore plus les paysan-ne-s. Dans le monde, 70 % de l’agriculture reste paysanne, mais avec des choix politiques et économiques comme la fin des quotas, des fermes mettent fin à leurs activités tous les jours avec des conséquences néfaste pour la de survie ses producteurs, le respect de l’environnement et la qualité de notre nourriture.


Dettes étudiantes

Comme le met en avance Florence Münch, les universités d’aujourd’hui sont des entreprises géantes en compétition les unes avec les autres. L’idée de la privatisation des services publics comme l’éducation nous vient de Milton Friedman, qui parlait lui-même « d’esclavage partiel ».

Au Royaume-Uni, il y a quelques décennies, l’éducation était gratuite pour toutes et tous. Aujourd’hui, les frais universitaires s’élèvent à 9000 livres, ce qui force la plupart des 2,3 millions d’étudiant-e-s à contracter des prêts. Aux États-Unis, on suppose que la prochaine bulle financière sera due à l’endettement étudiant, qui représente plus de 1000 milliards de dollars (soit jusqu’à 200.000 dollars par étudiant-e-s) : une somme qui ne sera en majorité jamais recouverte !

Dans beaucoup de pays, les prêts sont octroyés en suivant un modèle de RPR (remboursement proportionnel au revenu) et l’État offre souvent une garantie aux banques en faisant en sorte qu’elles en ressortent dans tous les cas gagnantes !

Ce système d’endettement défavorise bien entendu les plus démuni-e-s, qui mettront plus longtemps à payer, et ce sont souvent les femmes qui ont le plus de difficulté. Ce système transforme le choix des études en contrainte de rentabilité, ce qui dirige les étudiant-e-s vers les carrières privilégiés par le système. Les universités, elles aussi, se conforment : depuis le processus de Bologne, les programmes s’adaptent aux exigences d’employabilité. Il y a de moins en moins de recherche fondamentale, d’échanges, de critique et de partage.

Heureusement au Québec, au Chili, en Espagne, en Grèce suite à l’augmentation des frais d’inscriptions des universités publiques se multiplient les luttes étudiantes. Pour le CADTM tout comme pour Florence, il ne sera pas possible de sortir de ce cycle d’endettement sans sortir du capitalisme : même avec certaines victoires, nous restons entraînés par la vague de marchandisation. Pour sauver l’échange de connaissance, refusons le capitalisme !


Dettes hypothécaires

Comme nous l’expliquent David Calomera et Cuca Hernandez, la dette hypothécaire est un problème majeur en Espagne à cause du caractère abusif des prêts hypothécaires et aux pratiques de saisie et des expulsions forcées en cas de retard ou défaut de paiement. Pour en comprendre les causes, il est important de faire référence à l’aspect culturel hérité de la période postfranquiste qui transforme les prolétaires en propriétaires : les normes dictent qu’il faut posséder une maison. En 2007, 87 % des logements étaient achetés, beaucoup plus que la moyenne européenne. Pour cela il faut s’endetter, puisque il y a très peu de logements sociaux et une longue liste d’attente qui obligent les familles à s’endetter auprès des banques.

Mais la loi hypothécaire imposée par décret sous la dictature de Franco en 1946, toujours en vigueur, permet aux banques – en cas de défaut de paiement – de récupérer ses biens pour moitié de leur valeur tout en continuant à exiger le paiement du solde manquant et des intérêts de 20 % dus au retard de paiement.

Face à cette situation les mouvements sociaux se mobilisent. La PAH (coordination des affectés par les hypothèques) agit tous les jours pour empêcher les expulsions forcés. En 2013, Attac Espagne avec d’autres syndicats a présenté une proposition législative qui a récolté plus d’un million de signatures pour en finir avec ce système et permettre de dépasser cette loi abusive et injuste.

Pour approfondir le sujet une personne du public nous conseille le film « Afectados » [1].


Agriculture et alimentation alternatives dans une nouvelle Europe

Ce séminaire a fait un topo de quelques luttes paysannes dans le monde.
Le 20 mai dernier en France, un paysan s’est fait abattre par les gendarmes car il refusait de s’adapter aux normes et a choisi la fuite.

De fait, aujourd’hui les législations et développements technologiques asphyxient les paysan-ne-s et détruisent notre environnement à toute allure, imposant une agriculture malsaine, profondément capitaliste et déshumanisée.

Selon la Confédération paysanne, pour une agriculture paysanne, il faut tout d’abord des paysan-ne-s, de la terre, des semences et de l’eau. Ces quatre aspects sont continuellement remis en questions : les paysan-ne-s à travers les contraintes économiques et les pressions politiques ; les semences, la terre et l’eau à cause du monopole de firmes comme Monsanto, qui tuent les microbes et les sols et du développement de nouvelles technologies dites « naturelles » (comme les aliments « biofortifiés ») permettant d’inonder les marchés de semences OGM pourtant interdites, crées dans des laboratoires et donc clairement pas adaptées aux sols. Aujourd’hui, la norme est d’adapter l’environnement aux plantes choisies, et non plus d’adapter les plantes à leurs sols, ce qui appauvrit dramatiquement la biodiversité. Face à ces logiques délirantes, une seule solution reste possible : la désobéissance civile !

Autre exemple, au Maroc, le gouvernement sous le couvert de plans de développement économique et du tourisme ou de plans environnementaux, expulse répétitivement de nombreuses tribus de leurs terres. Ces derniers se retrouvent dans une situation de précarité extrême sans accès à la terre ; les oasis se retrouvent asséchées pour entretenir des clubs de golfs ou des hôtels de luxe. Le « plan vert » de 95 milliards d’euros qui réserve 20 milliards à « l’agriculture solidaire », justifie en réalité le rattachement des petites exploitations paysannes aux grands investisseurs afin que ces derniers donnent des crédits et imposent des normes aux premières. En 2016, 165.000 petits paysan-ne-s ont disparu-e-s ; les restant-e-s sont classé-e-s comme « ruraux non-salariés » : la notion même d’agriculture est méprisée.

Massa est un paysan victime d’accaparement de terres au Mali tout comme un nombre grandissant d’autres villageois. Il est maintenant le porte-parole de la convergence des luttes de l’Afrique de l’Ouest. Il nous contextualise d’abord la situation, en décrivant la société pastorale de laquelle il est issu, ou l’agriculture, l’élevage et la pêche pourvoient aux besoins de 85 % des communautés.

En 1905, le premier système foncier est mis en place, en contradiction totale avec les conceptions précédente d’usage de la terre : celle-ci n’était pas à vendre, elle était pour tout le monde. Les colons déclarent que la terre appartient désormais à l’État, ce qui à première vue ne choque personne : pour les villageois, cela signifiait forcement qu’elle appartenait donc toujours au peuple.

Mais cette décision sera en réalité à l’origine de la dépossession actuelle des terres puisque cela ouvre la porte aux impositions de la Banque mondiale et du FMI à travers les plans d’ajustements structurels (PAS) : la terre sera privatisée et des titres fonciers seront accordés à différents propriétaires, sans consultations avec les paysan-ne-s qui en avaient toujours l’usage. Ces dernier-e-s se retrouvent expulsé-e-s de leurs terres, leurs villages rasés au sol, leurs habitant-e-s battu-e-s et tué-e-s par l’armée qui défend des intérêts des privés et de la petite bourgeoisie. De plus, ces derniers se voient octroyés des permis d’exploitation de plusieurs milliers d’hectare de terre arable.

De cette manière, la petite paysannerie est détruite au nom du développement et cette destruction est, pour Massa, la première cause du ralliement des jeunes aux divers groupes armés présents au Mali.

L’accaparement de ces terres et la destruction de la souveraineté alimentaire ont des conséquences très profondes : migrations de masse d’un côté, prix grimpants de produits agricoles, endettement du à l’achat de pesticides, maladies, monocultures, perte de savoir, d’autonomie et de droits pour ceux et celles qui décident de rester.

Pour finir quelques mots sur la situation de la lutte contre l’accaparement des terres en Andalousie. Dans cette région la majorité de la terre appartient désormais à seulement deux propriétaires, ce faisant, une bonne partie des paysan-e-s vit dans une situation de pauvreté. Il est dans ce sens important de rappeler l’histoire d’Andres Bolado, paysan, prisonnier politique en 2017, qui avec ses camarades de route occupe des terres pour dénoncer un système spéculatif qui n’amène que misère et considère la terre, l’eau, le soleil comme des marchandises. Ils refusent de plier l’échine face à l’injustice et à un gouvernement de plus en plus despotique.

La journée s’est terminée par une conférence gesticulée de Julie Tessuto sur la culture du viol et le féminisme : des plus jeunes aux plus âgé-e-s, femmes comme hommes, nous étions réuni-e-s pour partager et échanger toutes sortes d’anecdotes sur le sexe et le genre dans une ambiance légère, entre révolte et rire !

Le combat continue

Première journée


Chiara Filoni

CADTM Belgique

Camille Bruneau

Sociologue