En février 1918, la répudiation des dettes par le gouvernement soviétique a secoué la finance internationale et a suscité une condamnation unanime de la part des gouvernements des grandes puissances.
Cette décision de répudiation s’inscrivait dans la continuité du premier grand mouvement d’émancipation sociale qui a ébranlé l’empire russe en 1905. Ce vaste soulèvement révolutionnaire avait été provoqué par la conjonction de plusieurs facteurs : la débâcle russe dans sa guerre avec le Japon, la colère des paysans qui exigeaient des terres, le rejet de l’autocratie, les revendications des ouvriers… Le mouvement a débuté par des grèves à Moscou en octobre 1905 et s’est étendu comme une traînée de poudre à tout l’empire en adoptant différentes formes de lutte. Au cours du processus d’auto-organisation des masses populaires naquirent des conseils (soviets en russe) de paysans, des conseils d’ouvriers, des conseils de soldats…
1. La répudiation des dettes au cœur des révolutions de 1905 et de 1917 |
Dans son autobiographie, Léon Trotsky qui a présidé le Soviet de Saint-Pétersbourg (capitale de la Russie jusque mars 1918) explique que l’arrestation de toute sa direction le 3 décembre 1905 a été provoquée par la publication d’un manifeste dans lequel les membres de ce conseil élu appelaient à la répudiation des dettes contractées par le régime du tsar. Il explique également que cet appel de 1905 au non-paiement de la dette a fini par être concrétisé au début de l’année 1918 quand le gouvernement des soviets adopta le décret de répudiation des dettes tsaristes :
Nous fûmes appréhendés le lendemain de la publication de ce qu’on a appelé notre « manifeste financier », dans lequel était annoncée l’inévitable faillite du régime tsariste : on donnait catégoriquement à savoir que les dettes des Romanov ne seraient pas reconnues par le peuple, le jour où il remporterait la victoire [1].
Le manifeste du soviet des députés ouvriers déclarait nettement ceci :
« L’autocratie n’a jamais joui de la confiance du peuple et n’a pas été fondée par lui en pouvoirs. En conséquence, nous décidons que nous n’admettrons pas le paiement des dettes sur tous emprunts que le gouvernement du tsar aura conclus alors qu’il était en guerre ouverte et déclarée avec tout le peuple. »
La Bourse de Paris devait répliquer, quelques mois plus tard, à notre manifeste en accordant au tsar un nouvel emprunt de sept cent cinquante millions de francs. La presse de la réaction et des libéraux se gaussait des impuissantes menaces du soviet à l’égard des finances tsaristes et des banquiers d’Europe. Ensuite, on tâcha d’oublier le manifeste. Mais il devait rentrer de lui-même dans les mémoires. La banqueroute financière du tsarisme, préparée par tout le passé, éclata en même temps que la débâcle militaire. Et, après la victoire de la révolution, un décret du conseil des commissaires du peuple, en date du 10 février 1918, déclara purement et simplement annulées toutes les dettes du tsar. Ce décret est encore en vigueur [2]. Ils ont tort, ceux qui affirment que la révolution d’Octobre ne reconnaît aucune obligation. La révolution reconnaît fort bien ses obligations à elle. L’engagement qu’elle avait pris le 2 décembre 1905, elle l’a tenu le 10 février 1918. Elle a absolument le droit de dire aux créanciers du tsarisme « Messieurs, vous avez été prévenus en temps opportun ! »
Sous ce rapport comme sous tous les autres, 1905 avait préparé 1917.
Dans le livre intitulé 1905, L. Trotsky décrit la succession des évènements qui a amené à l’adoption du Manifeste financier par lequel le Soviet, cet organe de démocratie révolutionnaire, appelait à refuser de payer les dettes contractées par le tsar.
Un vaste champ d’activité s’ouvrait donc devant le Soviet. Autour de lui s’étendaient d’immenses friches politiques qu’il n’y avait qu’à labourer avec la forte charrue révolutionnaire [3]. Mais le temps manquait. La réaction, fiévreusement, forgeait des chaînes et l’on pouvait s’attendre, d’heure en heure, à un premier coup. Le comité exécutif, malgré la masse de travaux qu’il avait à accomplir chaque jour, se hâtait d’exécuter la décision prise par l’assemblée le 27 novembre 1905. Il lança un appel aux soldats et, dans une conférence avec les représentants des partis révolutionnaires, approuva le texte du Manifeste financier (…).
Le 2 décembre 1905, le manifeste fut publié dans huit journaux de Saint-Pétersbourg : quatre socialistes et quatre libéraux.
Voici le texte de ce document historique :
« Le gouvernement est au bord de la faillite. Il a fait du pays un monceau de ruines, il l’a jonché de cadavres. Épuisés, affamés, les paysans ne sont plus en mesure de payer les impôts. Le gouvernement s’est servi de l’argent du peuple pour ouvrir des crédits aux propriétaires. Maintenant, il ne sait que faire des propriétés qui lui servent de gages. Les fabriques et les usines ne fonctionnent plus. Le travail manque. C’est partout le marasme.
Le gouvernement a employé le capital des emprunts étrangers à construire des chemins de fer, une flotte, des forteresses, à constituer des réserves d’armes. Les sources étrangères étant taries, les commandes de l’État n’arrivent plus. Le marchand, le gros fournisseur, l’entrepreneur, l’industriel, qui ont pris l’habitude de s’enrichir aux dépens de l’État, sont privés de leurs bénéfices et ferment leurs comptoirs et leurs usines. Les faillites se multiplient. Les banques s’écroulent. Il n’y a pratiquement plus d’opérations commerciales.
« La lutte du gouvernement contre la révolution suscite des troubles incessants. Personne n’est sûr du lendemain.
« Le capital étranger repasse la frontière. Le capital « purement russe », lui aussi, va se mettre à couvert dans les banques étrangères. Les riches vendent leurs biens et émigrent. Les rapaces fuient le pays, en emportant les biens du peuple.
« Depuis longtemps, le gouvernement dépense tous les revenus de l’État à entretenir l’armée et la flotte. Il n’y a pas d’écoles. Les routes sont dans un état épouvantable. Et pourtant, on manque d’argent, au point d’être incapable de nourrir les soldats. La guerre a été perdue en partie parce que nous manquions de munitions. Dans tout le pays, l’armée, réduite à la misère et affamée, se révolte.
« L’économie des voies ferrées est ruinée par le gaspillage, un grand nombre de lignes ont été dévastées par le gouvernement. Pour réorganiser rentablement les chemins de fer, il faudra des centaines et des centaines de millions.
[…]
« Le gouvernement a dilapidé les caisses d’épargne et a fait usage des fonds déposés pour renflouer des banques privées et des entreprises industrielles qui, souvent, sont véreuses. Avec le capital des petits porteurs, il joue à la Bourse, exposant les fonds à des risques quotidiens.
« La réserve d’or de la Banque d’État est insignifiante par rapport aux exigences que créent les emprunts gouvernementaux et aux besoins du mouvement commercial. Cette réserve sera bientôt épuisée si l’on exige dans toutes les opérations que le papier soit échangé contre de la monnaie-or.
[…]
« Profitant de ce que les finances ne sont pas contrôlées, le gouvernement conclut depuis longtemps des emprunts qui dépassent de beaucoup la solvabilité du pays. Et c’est par de nouveaux emprunts qu’il paye les intérêts des précédents.
« Le gouvernement, d’année en année, établit un budget factice des recettes et des dépenses, déclarant les unes comme les autres au-dessous de leur montant réel, pillant à son gré, accusant une plus-value au lieu du déficit annuel. Et les fonctionnaires, qui n’ont au-dessus d’eux aucun contrôle, achèvent d’épuiser le Trésor.
« Seule l’Assemblée constituante peut mettre fin à ce saccage des finances, après avoir renversé l’autocratie. L’Assemblée soumettra à une enquête rigoureuse les finances de l’État et établira un budget détaillé, clair, exact et vérifié des recettes et des dépenses publiques.
« La crainte d’un contrôle populaire qui révélerait au monde entier son incapacité financière force le gouvernement à remettre sans cesse la convocation des représentants populaires.
« La faillite financière de l’État vient de l’autocratie, de même que sa faillite militaire. Les représentants du peuple seront sommés et forcés de payer le plus tôt possible les dettes.
« Cherchant à défendre son régime de malversations, le gouvernement force le peuple à mener contre lui une lutte à mort. Dans cette guerre, des centaines et des milliers de citoyens périssent ou se ruinent ; la production, le commerce et les voies de communication sont détruits de fond en comble.
« Il n’y a qu’une issue : il faut renverser le gouvernement, il faut lui ôter ses dernières forces. Il faut tarir la dernière source d’où il tire son existence : les recettes financières. C’est nécessaire non seulement pour l’émancipation politique et économique du pays, mais, en particulier, pour la mise en ordre de l’économie financière de l’État.
« En conséquence, nous décidons que :
« On refusera d’effectuer tous versements de rachat des terres et tous paiements aux caisses de l’État. On exigera, dans toutes les opérations, en paiement des salaires et des traitements, de la monnaie-or, et lorsqu’il s’agira d’une somme de moins de cinq roubles, on réclamera de la monnaie sonnante.
« On retirera les dépôts faits dans les caisses d’épargne et à la Banque d’État en exigeant le remboursement intégral.
« L’autocratie n’a jamais joui de la confiance du peuple et n’y était aucunement fondée.
« Actuellement, le gouvernement se conduit dans son propre État comme en pays conquis.
« C’est pourquoi nous décidons de ne pas tolérer le paiement des dettes sur tous les emprunts que le gouvernement du tsar a conclus alors qu’il menait une guerre ouverte contre le peuple. »
(Fin du texte du manifeste)
En bas du Manifeste publié dans la presse le 2 décembre 1905, apparaissait la liste suivante des organisations qui appuyaient cet appel à refuser de payer la dette tsariste et à asphyxier financièrement l’autocratie :
« Le soviet des députés ouvriers ;
« Le comité principal de l’Union panrusse des paysans ;
« Le comité central et la commission d’organisation du parti ouvrier social-démocrate russe ;
« Le comité central du parti socialiste-révolutionnaire ;
« Le comité central du parti socialiste polonais. »
Trotsky ajoute un commentaire final : « Bien entendu, ce manifeste ne pouvait par lui-même renverser le tsarisme, ni ses finances.
(…) Le Manifeste financier du soviet ne pouvait servir que d’introduction aux soulèvements de décembre. Soutenu par la grève et par les combats qui furent livrés sur les barricades, il trouva un puissant écho dans tout le pays. Tandis que, pour les trois années précédentes, les dépôts faits aux caisses d’épargne en décembre dépassaient les retraits de 4 millions de roubles, en décembre 1905, les retraits dépassèrent les dépôts de 90 millions : le manifeste avait tiré des réservoirs de l’État, en un mois, 94 millions de roubles ! Il fallut que l’insurrection fût écrasée par les hordes tsaristes pour que l’équilibre se rétablisse dans les caisses d’épargne... ».
La dénonciation du caractère illégitime et odieux des dettes tsaristes a joué un rôle fondamental dans les révolutions de 1905 et de 1917. L’appel à ne pas payer la dette a fini par se concrétiser dans le décret de répudiation de la dette adoptée par le gouvernement soviétique en février 1918.
2. De la Russie tsariste à la révolution de 1917 et à la répudiation des dettes |
La Russie a émergé de la fin des guerres napoléoniennes comme une grande puissance européenne, elle a participé à la formation de la Sainte-Alliance. La Sainte-Alliance a été constituée le 26 septembre 1815 à Paris, à l’instigation du Tsar Alexandre 1er, par trois monarchies européennes victorieuses de l’empire napoléonien, dans le but de raffermir leurs positions et de se prémunir contre des révolutions. Constituée dans un premier temps par l’Empire russe, l’Empire d’Autriche et le Royaume de Prusse, elle a été rejointe par la France (où la monarchie avait été restaurée) en 1818 et a été de fait appuyée par Londres.
La Russie tsariste : une grande puissance européenne
L’Empire russe a fait partie de la Troïka qui a mis sur le trône grec un prince bavarois en 1830 et a enchaîné le pays à une dette à la fois odieuse et insoutenable. Pour Moscou, le démantèlement progressif de l’Empire ottoman constituait un enjeu très important car les intérêts russes dans les Balkans étaient en jeu, de même que la circulation entre la mer Noire et la Méditerranée.
Jusqu’aux années 1870, les banquiers londoniens ont été les principaux financiers du tsar. À partir de la constitution de l’Empire allemand et de sa victoire sur la France en 1871, les banquiers allemands ont pris la place de Londres. Dès ce moment, l’Allemagne est devenue le principal partenaire commercial de la Russie. À la veille de la première guerre mondiale, 53 % des importations de la Russie provenaient d’Allemagne et 32 % de ses exportations lui étaient destinées. Par contre, au niveau financier, dès la fin du 19e siècle, les banquiers français ont supplanté les banquiers allemands. À la veille de la première guerre mondiale, 80 % de la dette externe russe étaient détenus par des « investisseurs » de France et la plupart des emprunts russes en cours avaient été émis sur la place de Paris.
En résumé, les capitalistes de France prêtaient à la Russie et y réalisaient des investissements (les capitalistes belges, en particulier les « industriels », investissaient également de manière importante en Russie [4]) tandis que les capitalistes allemands y écoulaient une partie de leur production et s’y approvisionnaient en matières premières.
Lorsque le soviet de Petrograd a adopté le manifeste financier pour appeler à répudier la dette tsariste, la Russie s’apprêtait à émettre, grâce au concours des banquiers et du gouvernement français, un nouvel emprunt massif. L’avertissement lancé par le soviet n’a pas été écouté par les financiers de Paris, l’emprunt a été réalisé. Douze ans plus tard, il a été répudié.
Première guerre mondiale
La première guerre mondiale opposait deux camps de puissances capitalistes : d’un côté l’Empire allemand et ses alliés l’Empire austro-hongrois, la Bulgarie, et l’Empire ottoman. Le deuxième était composé de la Grande-Bretagne, la France, l’Empire russe, la Belgique, la Roumanie, l’Italie, le Japon et, à partir de février 1917, les États-Unis.
Depuis des années, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, la Russie tsariste se préparaient à la guerre. L’Allemagne, en pleine progression économique, cherchait à étendre son territoire tant en Europe que dans le domaine colonial.
La France cherchait à prendre sa revanche sur l’Allemagne et notamment à obtenir l’Alsace et la Lorraine annexées par l’Allemagne suite à la défaite française de 1871. La Grande-Bretagne, la France et la Russie voulaient aussi étendre leur domaine colonial, notamment sur les ruines de l’Empire ottoman.
La gauche, dans les différents pays belligérants, avait dénoncé, plusieurs années auparavant, les préparatifs de cette guerre.
Au Congrès de Stuttgart (1907) de l’Internationale socialiste, la résolution votée à l’unanimité affirmait :
« Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, (les partis socialistes) ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste ».
En 1913, au Congrès extraordinaire de Bâle, l’Internationale avait adressé un avertissement solennel aux gouvernements : « Que les gouvernements sachent bien que dans l’état actuel de l’Europe et dans les dispositions d’esprit de la classe ouvrière, ils ne pourraient, sans péril pour eux-mêmes, déclencher la guerre. » [5]
Jean Jaurès, grande figure du socialisme français, résuma ce message, en termes succincts, dans la phrase finale de son discours au Congrès de Bâle : « En accentuant le danger de guerre, les gouvernements devraient voir que les peuples pourraient facilement faire leurs comptes : leur propre révolution leur coûterait moins de morts que la guerre des autres ».
Au moment décisif, en août 1914, plusieurs grands partis socialistes (le parti social démocrate d’Allemagne, celui d’Autriche, ceux de Belgique, de France et de Grande-Bretagne) ont voté avec leur bourgeoisie les crédits pour financer la guerre. Le coût en vies humaines a été extrêmement élevé. Le total des décès dus au conflit mondial s’élève à 18,6 millions, 9,7 millions de militaires et 8,9 millions de civils. Entre 1914 et février 1917, le nombre de décès en Russie causés par la participation du Tsar à la première guerre mondiale s’éleva à 3 300 000 dont 1 800 000 parmi les militaires et 1 500 000 parmi les civils [6].
De la révolution de février 1917 à celle d’octobre
Lorsque la révolution éclata en février 1917, avec une importante grève des femmes (elle a démarré le 23 février 1917 [7], journée internationale pour les droits des femmes [8]), la population russe voulait se débarrasser du régime autocratique tsariste, elle voulait du pain, elle désirait également la fin de la guerre, l’accès à la terre pour des dizaines de millions de paysans qui en étaient privés et qui étaient forcés de risquer leur vie dans une guerre dont les objectifs leur étaient totalement étrangers.
Le nouveau régime, dirigé par le socialiste modéré Kerensky [9] qui succéda au tsar se refusa à distribuer la terre aux paysans, voulu poursuivre la guerre et fût incapable de nourrir la population. Il s’engagea également à rembourser les dettes contractées par le régime tsariste auprès des créanciers étrangers et il réalisa de nouveaux emprunts afin de poursuivre la guerre.
Dan, un des principaux dirigeants mencheviks opposés au parti bolchevik, décrit l’ébullition révolutionnaire dans les mois qui précédèrent octobre 1917 : les masses « commencèrent de plus en plus fréquemment à exprimer leur mécontentement et leur impatience dans des mouvements impétueux, et finirent (…) par se tourner vers le communisme (…). Les grèves se succédèrent. Les ouvriers cherchèrent à répondre à la hausse rapide du coût de la vie par des augmentations de salaires. Mais tous leurs efforts échouèrent par suite de la dévalorisation continue de la monnaie de papier. Les communistes lancèrent dans leurs rangs le mot d’ordre du « contrôle ouvrier », et leur conseillèrent de prendre en mains eux-mêmes la direction des entreprises, afin d’empêcher le « sabotage » des capitalistes. De l’autre côté, les paysans commencèrent à s’emparer des domaines, à chasser les propriétaires fonciers et à mettre le feu à leurs manoirs… » [10].
La révolution d’octobre 1917
L’insatisfaction provoquée par la politique de Kerensky produisit une deuxième révolution en octobre 1917 (le 7 novembre 1917 selon le nouveau calendrier adopté plus tard). Le nouveau gouvernement [11], soutenu par le congrès des soviets, s’engagea à réaliser la paix, distribuer la terre et, pour trouver les moyens de relancer l’économie du pays, répudier la dette et nationaliser le secteur bancaire [12].
La répudiation des dettes
Début janvier 1918, le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette étrangère et début février 1918, il décréta la répudiation de toutes les dettes tsaristes ainsi que les dettes contractées par le gouvernement provisoire afin de poursuivre la guerre entre février et novembre 1917. En même temps, il décida d’exproprier tous les avoirs des capitalistes étrangers en Russie afin de les restituer au patrimoine national. La dette publique russe en 1913 s’élevait à 930 millions de £ (soit grosso modo 50 % du PIB). Entre le début de la guerre et le moment où les Bolcheviques arrivent au pouvoir avec leurs alliés les Socialistes Révolutionnaires de gauche, la dette a été multipliée par 3,5 et atteignait 3 385 millions de £.
En répudiant les dettes, le gouvernement soviétique mettait en pratique la décision prise en 1905 par le soviet de Petrograd et les différents partis qui le soutenaient. Cela provoqua une protestation unanime des capitales des grandes puissances alliées.
Décret sur la Paix
Le gouvernement soviétique proposait une paix sans annexion et sans compensation/réparation. Il y ajoutait la mise en pratique du droit à l’autodétermination des peuples. Il s’agissait de l’application de principes totalement novateurs ou révolutionnaires dans les relations entre les États.
3. La révolution russe, la répudiation des dettes, la guerre et la paix |
Début janvier 1918, le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette étrangère et début février 1918, il décréta la répudiation de toutes les dettes tsaristes ainsi que les dettes contractées par le gouvernement provisoire afin de poursuivre la guerre entre février et novembre 1917. En même temps, il décida d’exproprier tous les avoirs des capitalistes étrangers en Russie afin de les restituer au patrimoine national. En répudiant les dettes, le gouvernement soviétique mettait en pratique la décision prise en 1905 par le soviet de Petrograd et les différents partis qui le soutenaient. Cela provoqua une protestation unanime des capitales des grandes puissances alliées.
Décret sur la Paix
Le gouvernement soviétique proposait une paix sans annexion et sans compensation/réparation. Il y ajoutait la mise en pratique du droit à l’autodétermination des peuples. Il s’agissait de l’application de principes totalement novateurs ou révolutionnaires dans les relations entre les États. Il est avéré que cette politique du gouvernement soviétique a, à la fois, contrarié et influencé celle du président Woodrow Wilson [13] qui avait fait du droit à l’autodétermination des peuples un élément central de la politique extérieure des EU [14]. Les motivations des bolcheviques et celles du gouvernement des EU étaient certes différentes. Les EU, qui n’avaient pas un important domaine colonial, avaient tout intérêt à affaiblir les empires britannique et allemand, les puissances coloniales belges, françaises, hollandaises… afin d’occuper leur place par d’autres méthodes. Le meilleur argument diplomatique et humanitaire était le droit à l’autodétermination des peuples africains, caribéens, asiatiques qui subissaient encore le joug colonial. Pour les bolcheviques, il s’agissait de mettre fin à l’Empire tsariste qu’ils dénonçaient comme une prison des peuples.
La volonté de faire la paix constituait une des causes fondamentales qui avaient provoqué le soulèvement révolutionnaire de 1917. L’écrasante majorité des soldats russes refusait la poursuite de la guerre. Ils étaient presqu’en totalité des paysans qui souhaitaient retourner vers leurs familles et travailler la terre. De plus, depuis de longues années, bien avant le début effectif de la guerre, les bolcheviques, dans le cadre de l’Internationale socialiste dont ils ont fait partie jusqu’à la trahison d’août 1914, se sont opposés à la politique de préparation de celle-ci, affirmant qu’il fallait un combat commun pour mettre fin au capitalisme et à sa phase impérialiste ainsi qu’à son domaine colonial.
Pour mettre en pratique cette orientation, le gouvernement soviétique était forcé d’entamer des négociations séparées avec Berlin et ses alliés car, en 1917, Londres, Paris et Washington voulaient poursuivre la guerre. Le gouvernement soviétique a bien essayé d’amener ces capitales alliées à la table de négociation mais sans succès. Après avoir signé un armistice avec l’empire allemand mi-décembre 1917, il a fait traîner les négociations avec Berlin pendant 5 mois. Il avait l’espoir de voir plusieurs peuples d’Europe, en premier lieu le peuple allemand, se soulever contre leur gouvernement pour obtenir la paix. Il a également espéré en vain que le président Wilson apporterait un soutien à la Russie soviétique face à l’Allemagne [15]. Il voulait également démontrer à l’opinion publique internationale qu’il souhaitait une paix générale tant à l’Ouest qu’à l’Est et que ce ne serait qu’en dernier ressort qu’il serait amené à signer une paix séparée avec Berlin.
Dés décembre 1917, le gouvernement soviétique commença à rendre public de nombreux documents secrets qui montraient comment les grandes puissances européennes se préparaient à se répartir des territoires et des peuples au mépris de leur droit à l’autodétermination. Il s’agissait notamment d’un accord entre Paris, Londres et Moscou datant de 1915 qui prévoyait que lors de la victoire, l’empire tsariste aurait le droit de prendre Constantinople, la France récupèrerait l’Alsace-Lorraine et Londres pourrait prendre le contrôle de la Perse [16]. Début mars 1918, le gouvernement soviétique signait le traité de Brest-Litovsk avec Berlin. Le prix était très élevé, l’Empire allemand s’octroyait une grande partie du territoire occidental de l’Empire russe : une partie des pays baltes, une partie de la Pologne et l’Ukraine. En résumé, ce traité amputait la Russie de 26 % de sa population, de 27 % de la surface cultivée, de 75 % de la production d’acier et de fer.
L’intervention des puissances alliées contre la Russie soviétique
L’appel du gouvernement soviétique à réaliser la révolution partout dans le monde, combiné à sa volonté de mettre fin à la guerre, à la répudiation des dettes réclamées par les puissances alliées et aux mesures de nationalisation, décida les dirigeants occidentaux à se lancer dans une action massive d’agression contre la Russie soviétique afin de renverser le gouvernement révolutionnaire et de restaurer l’ordre capitaliste. L’intervention étrangère commença pendant l’été 1918 et se termina fin 1920 quand les capitales occidentales constatèrent leur échec et durent reconnaître que le gouvernement soviétique et l’armée rouge avaient repris le contrôle du territoire. 14 pays participèrent avec des troupes à cette agression. La France envoya 12 000 soldats (en mer Noire et au Nord), Londres en envoya 40 000 (principalement au Nord), le Japon 70 000 (en Sibérie), Washington, 13 000 (au Nord avec les Britanniques et les Français), les Polonais, 12 000 (en Sibérie et à Mourmansk), la Grèce 23 000 (en mer Noire), le Canada 5 300 [17]. À noter que l’intervention japonaise se prolongea jusqu’octobre 1922. Selon Winston Churchill, ministre de la guerre dans le gouvernement britannique, les troupes étrangères alliées atteignirent 180 000 soldats.
Le gouvernement français était le plus violemment opposé au gouvernement soviétique et ce, dès le début. Plusieurs raisons l’expliquent : 1. il craignait l’extension en France du mouvement révolutionnaire initié par le peuple russe, l’opposition à la poursuite de la guerre était forte dans la population française ; 2. la décision soviétique de répudier la dette affectait la France plus que tout autre pays étant donné que les emprunts russes avaient été émis à Paris et étaient en majorité détenus en France.
Il est avéré que le gouvernement français en 1917 avait entamé des pourparlers secrets avec Berlin afin d’arriver à un accord de paix qui prévoyait de laisser l’empire allemand s’étendre à l’Est au détriment de la Russie révolutionnaire à condition que soit restituée à la France l’Alsace et la Lorraine. Le refus de Berlin de faire cette concession à Paris mit fin à cette négociation [18].
L’armistice du 11 novembre 1918 signé entre les capitales occidentales et Berlin prévoyait que les troupes allemandes pouvaient rester provisoirement dans les territoires « russes » qu’elles occupaient. En vertu de l’article 12 de l’armistice, l’Allemagne devait évacuer tous les anciens territoires russes « dès que les Alliés jugeront le moment convenable, eu égard à la situation interne de ces territoires » [19]. Cela visait à permettre à l’armée impériale d’empêcher le gouvernement soviétique de récupérer rapidement le contrôle du territoire concédé à l’Allemagne par le traité de Brest-Litovsk. L’idée des Alliés était de permettre à des forces antibolcheviques de prendre le contrôle de ces territoires et d’en faire un point d’appui pour renverser le gouvernement.
L’historien britannique E. H. Carr montre à quel point l’intervention contre la Russie soviétique était impopulaire : « Lorsque les hommes d’État alliés se réunirent à Paris pour la conférence de la Paix, en janvier 1919, ils discutèrent de l’occupation de la Russie par les troupes alliées ; le premier ministre britannique, Lloyd George, déclara à ses collègues que « s’il tentait actuellement d’envoyer un millier de soldats britanniques en occupation en Russie, les troupes se mutineraient » et que « si l’on entreprenait une opération militaire contre les bolcheviks, l’Angleterre deviendrait bolchevique ». Lloyd George, à son ordinaire, cherchait à frapper les esprits, mais, en même temps, son intuition percevait bien les symptômes. Au début 1919, il y eu de graves mutineries dans la flotte française et dans les unités militaires françaises débarquées à Odessa ainsi que dans d’autres ports de la mer Noire ; au début d’avril, elles furent précipitamment évacuées. Quant aux troupes multinationales sous commandement anglais sur le front d’Arkhangelsk, le directeur des opérations militaires au ministère anglais de la guerre fit savoir que leur moral était « si bas qu’elles étaient une proie aisée pour la propagande bolchevique, très active et insidieuse, que l’ennemi répand avec une énergie et une habileté sans cesse accrues ». Beaucoup plus tard, des rapports officiels américains révélèrent le détail de la situation. Le 1er mars 1919, des troupes françaises qui avaient reçu l’ordre de monter en ligne se mutinèrent. Quelques jours plus tôt, une compagnie d’infanterie britannique « refusa d’aller au front ». Peu après, une compagnie américaine « refusa pendant un certain temps de retourner au front ». Devant ces évènements, le gouvernement britannique décida en mars 1919 d’évacuer le nord de la Russie – évacuation qui ne fut complète que six mois plus tard. » [20]
Winston Churchill était un des principaux faucons dans le camp occidental. Profitant de l’absence de Lloyd George et du président des EU, lors d’une conférence au sommet tenue à Paris les 19 février 1919, Churchill intervint pour convaincre les autres gouvernements de compléter leur intervention par un soutien direct aux forces des généraux russes blancs, il proposa de leur envoyer « des volontaires, des techniciens des armes, des munitions, des tanks, des aéroplanes, etc. » et à « armer les forces antibolcheviques » [21].
Les Alliés tentèrent de convaincre les nouvelles autorités allemandes (pro-occidentales) de participer à l’action contre la Russie bolchevique. Malgré une très forte pression des capitales occidentales, en octobre 1919, le Reichstag, le parlement allemand, au sein duquel les socialistes (SPD) et les libéraux étaient majoritaires, vota à l’unanimité contre l’adhésion de l’Allemagne au blocus décrété par les Alliés contre la Russie soviétique. Pour être complet, il faut ajouter que dans le même temps des généraux allemands comme Ludendorff et, en particulier, Von der Goltz qui dirigeait les derniers débris organisés de l’ancienne armée impériale, soutenaient des actions militaires à l’Est pour venir en aide aux généraux russes blancs antibolcheviques. Ils le faisaient avec le soutien des capitales occidentales [22].
Il est évident que tant les gouvernements occidentaux ainsi que ceux des puissances centrales qui avaient été vaincues (Empire allemand et l’Autriche-Hongrie) craignaient l’extension à leur pays de la révolution. Lloyd George écrivait dans un document confidentiel au début de l’année 1919 : « L’Europe toute entière est gagnée par l’esprit révolutionnaire. Il y a chez les ouvriers un sentiment profond, non seulement de mécontentement, mais de colère et de révolte contre les conditions d’avant-guerre. L’ordre établi sous ses aspects politique, social, économique est remis en question par les masses de la population d’un bout à l’autre de l’Europe » [23]. Cette peur de la révolution n’était pas imaginaire et elle explique largement la violence de l’agression contre la Russie bolchevique.
L’intervention étrangère soutint les attaques des généraux russes blancs et prolongea la guerre civile qui fut très meurtrière (celle-ci provoqua plus de morts que la guerre mondiale en Russie [24]). Le coût de l’intervention étrangère en vie humaines et en dégâts matériels était considérable et le gouvernement soviétique a exigé plus tard que cette question soit prise en considération dans les négociations internationales à propos de la répudiation de la dette (voir plus loin).
Le blocus économique et financier contre la Russie soviétique, le blocus de l’or russe
À partir de 1918, la Russie soviétique a fait l’objet d’un blocus de la part des puissances alliées. Le gouvernement soviétique était prêt à payer en or l’importation de biens dont il avait un besoin absolu. Mais aucune des grandes banques et aucun gouvernement du monde ne pouvait alors accepter l’or soviétique sans entrer en conflit direct avec les gouvernements alliés. En effet, Paris, Londres, Washington, Bruxelles… considéraient que l’or russe devait leur revenir afin d’indemniser les capitalistes qui avaient été expropriés en Russie et afin de rembourser les dettes. Ce fut un obstacle très difficile à surmonter pour le commerce soviétique. Aux États-Unis, toute personne ou entreprise voulant réaliser une transaction avec de l’or ou entrer dans le pays avec de l’or devait réaliser la déclaration suivante : « Le soussigné propriétaire d’un lot d’or... déclare et garantit, par la présente, que cet or n’est pas d’origine bolcheviste et n’a jamais été en possession du soi-disant Gouvernement bolcheviste de Russie. Le soussigné, en outre... garantit, pour toujours, aux États-Unis, sans aucune restriction ni aucune réserve quelconque, le droit sur ce dit or. » [25].
Il faut ajouter qu’après la capitulation allemande de novembre 1918, la France a réussi à récupérer la forte rançon en or que Berlin avait obtenu de la Russie en application du traité de paix de Brest-Litovsk signé en mars 1918 [26]. La France refusait de rétrocéder cet or à la Russie en considérant qu’il s’agissait d’une partie des réparations que l’Allemagne devait payer à Paris. A noter que le blocus de l’or russe s’est poursuivi partiellement pendant des années. C’est ainsi que la France a encore réussi en 1928 à obtenir des autorités de Washington qu’elles interdisent un paiement en or russe pour un contrat entre la Russie et une société privées des États-Unis.
4. La révolution russe, le droit des peuples à l’autodétermination et la répudiation des dettes |
Le traité de Versailles est finalement signé le 28 juin 1919 sans que la Russie soviétique y prenne part. Néanmoins, le Traité de Versailles annulait le Traité de Brest-Litovsk. En vertu de l’article 116 du Traité de Versailles, la Russie pouvait demander des réparations à l’Allemagne. Ce qu’elle ne fit pas car elle voulut être cohérente avec sa position en faveur d’une paix sans annexion et sans demande d’indemnité. D’une certaine manière, ce qui lui importait c’est que le Traité de Brest-Litovsk soit aboli et que les territoires annexés par l’Allemagne en mars 1918 soient rendus aux peuples qui en avaient été spoliés (peuples baltes, peuple polonais, peuple ukrainien, peuple russe…), en accord avec le principe du droit à l’autodétermination défendu par le nouveau gouvernement soviétique.
Les traités avec les républiques baltes, la Pologne, la Perse, la Turquie…
Ce droit est ainsi invoqué dans les premiers articles de chacun des traités de paix signés entre la Russie soviétique et les nouveaux États baltes en 1920 : l’Estonie le 2 février, la Lituanie le 12 juillet et la Lettonie le 11 août. Ces traités de paix sont similaires et l’indépendance de ces États – qui avaient été intégrés de force dans l’Empire tsariste – y est systématiquement affirmée dans le premier ou le second article. À travers ces traités, la Russie réaffirme son opposition à la domination du capital financier et sa décision de répudier les dettes tsaristes. En effet, le traité signé le 2 février avec l’Estonie énonce : « L’Estonie ne portera aucune part des responsabilités dans les dettes et toutes autres obligations de la Russie (…). Toutes les réclamations des créanciers de la Russie pour la part de dettes concernant l’Estonie doivent être dirigées uniquement contre la Russie. » Des dispositions similaires à l’égard de la Lituanie et de la Lettonie figurent dans les traités signés avec ces États. En plus de réaffirmer que des peuples ne devraient pas avoir à payer des dettes illégitimes contractées en leur nom mais pas dans leur intérêt, la Russie soviétique reconnaît ainsi le rôle d’oppresseur joué par la Russie tsariste à l’égard des nations minoritaires composant l’Empire.
Cohérente avec les principes qu’elle proclame, la Russie soviétique va plus loin. Dans ces traités de paix, elle s’engage à restituer aux nations baltes opprimées les biens accaparés par le régime tsariste (et notamment les biens culturels et académiques tels que les écoles, les bibliothèques, les archives, les musées) ainsi que les biens individuels qui ont été évacués des territoires baltes durant la Première Guerre mondiale. À titre de réparations pour les dommages causés durant la Première Guerre mondiale à laquelle la Russie tsariste a participé, la Russie soviétique annonce dans ces traités sa volonté d’accorder 15 millions de roubles-or à l’Estonie, 3 millions de roubles-or à la Lituanie et 4 millions de roubles-or à la Lettonie, ainsi que le droit pour ces trois États d’exploiter le bois des forêts russes à proximité de leurs frontières. Tandis que les créances de l’État russe sur les ressortissants des États baltes sont transférées aux nouvelles autorités indépendantes, les traités de paix signés avec la Lituanie et la Lettonie précisent que les dettes des petits propriétaires paysans envers les anciennes banques foncières russes désormais nationalisées ne sont, quant à elles, pas transférées aux nouveaux gouvernements, mais « sont purement et simplement annulées ». Ces dispositions s’étendent également aux petits propriétaires estoniens en vertu de l’article 13 du traité de paix signé avec l’Estonie, qui prévoit que les « exonérations, droits ou privilèges particuliers » accordés à un nouvel État issu de l’Empire tsariste ou à ses citoyens, s’étend aussitôt à l’Estonie ou à ses citoyens.
En signant ces traités, la Russie soviétique, tout en mettant en application les principes qu’elle veut défendre, cherche à sortir de l’isolement dans lequel les puissances impérialistes l’ont plongée depuis la Révolution d’Octobre. Les États baltes sont les premiers à rompre le blocus imposé à la Russie, et ces accords de paix ouvrent la voie à des échanges commerciaux entre les différentes parties. En mars 1921, un accord de paix similaire est signé entre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie d’un côté, et la Pologne de l’autre côté. Ce document décharge la Pologne de toute responsabilité concernant les dettes contractées en son nom par l’Empire tsariste, prévoit la restitution des biens accaparés par la Russie tsariste, et le paiement de réparations à la Pologne par la Russie et l’Ukraine à hauteur de 30 millions de roubles-or. La signature de ce traité est plus significative encore que pour les États baltes : la Pologne est une puissance-clé dans l’isolement de la Russie voulu par les puissances capitalistes alliées.
Le traité d’amitié signé entre la Russie soviétique et la Perse le 26 février 1921 est encore un signe de la volonté de la Russie soviétique de favoriser l’émancipation des opprimés par leur droit à l’autodétermination. Par ce traité, la Russie déclare rompre avec la « politique tyrannique des gouvernements colonisateurs » de la Russie tsariste, et renonce aux territoires et aux intérêts économiques qu’elle possède en Perse. Dès le premier article de ce document, il est indiqué : « L’ensemble des traités et conventions contractés entre la Perse et la Russie tsariste, qui a écrasé les droits du peuple perse, sont nuls et non avenus. » Puis l’article 8 dénonce clairement les dettes réclamées à la Perse par le régime tsariste : le nouveau gouvernement russe renonce à la politique économique du régime tsariste en Orient, « qui consistait à prêter de l’argent au gouvernement perse, non pas dans l’objectif de participer au développement économique du pays, mais dans des objectifs de soumission politique », et, dès lors, il annule les créances russes sur la Perse.
Quelques semaines plus tard, le gouvernement soviétique renonce à toutes les obligations, y compris monétaires, de la Turquie envers la Russie en vertu des accords signés par le gouvernement tsariste [27].
5. La presse française à la solde du tsar |
Avec le renversement du tsarisme en février 1917 et l’arrivée au pouvoir des bolcheviks alliés aux socialistes-révolutionnaires de gauche en octobre, de nombreux documents qui étaient jusque-là confidentiels sont mis à disposition du public (voir plus loin). Cela permet à Boris Souvarine, militant communiste franco-russe, de consulter les archives impériales de Russie. Il découvre une vaste opération de corruption de la presse française datant d’avant la Première Guerre mondiale et visant à promouvoir auprès des citoyens français l’investissement dans les titres de la dette tsariste. Cette affaire, dans laquelle des personnages influents sont corrompus mais aussi maître-chanteurs, est dénoncée par le quotidien L’Humanité durant plusieurs mois entre 1923 et 1924, à travers un feuilleton quotidien intitulé « L’abominable vénalité de la presse française ».
Comment le régime tsariste achetait la presse française pour continuer à émettre des titres de la dette
Depuis la fin du 19e siècle, la place financière de Paris était privilégiée par l’Empire tsariste comme lieu d’émission de ses emprunts. Les titres étaient achetés par de nombreux petits rentiers français. Au début du 20e siècle, ces emprunts sont d’autant plus importants pour le maintien du régime tsariste – grande puissance peu développée économiquement – que celui-ci s’enlise dans une guerre avec le Japon de 1904 à 1905 et qu’il cherche à contenir le mécontentement, réprimant ainsi le mouvement révolutionnaire de 1905. En 1906, sorti défait de la guerre contre le Japon, le régime émet un important emprunt à Paris. Arthur Raffalovitch, diplomate et conseiller secret du Ministère des Finances russes à Paris, est chargé jusqu’à la Première Guerre mondiale de promouvoir les emprunts russes à Paris. Ce sont ses correspondances avec sa hiérarchie dans le gouvernement du tsar qui ont été consultées par Boris Souvarine et qui ont permis de révéler l’affaire de corruption et de chantage impliquant de nombreux grands journaux, notamment parisiens (comme Le Figaro, Le Petit Journal, Le Temps ou encore Le Matin), de grandes banques françaises (notamment le Crédit lyonnais et la Banque de Paris et des Pays-Bas, future BNP Paribas), des sénateurs et ministres français. Parmi ceux-ci, on trouve Raymond Poincaré, mis en cause pour le rôle qu’il a joué alors qu’il était chef du gouvernement et Ministre des Affaires étrangères en 1912 (son Ministre des Finances, Louis-Lucien Klotz, est lui aussi mis en cause). Poincaré a occupé par la suite le poste de Président de la République de 1913 à 1920, et est de nouveau chef du gouvernement et Ministre des Affaires étrangères lorsque le scandale éclate. Notons que l’affaire ne l’a pas gêné : il reste chef du gouvernement jusqu’en juin 1924, et le redevient en 1926 en occupant en prime... le poste de Ministre des Finances ! Le rôle du syndic des agents de change de Paris – qui vendaient les titres de la dette aux investisseurs – a, quant à lui, été central dans le chantage auquel le gouvernement du tsar a été soumis. Entre 1900 et 1914, 6,5 millions de francs auraient été versés à la presse française par le gouvernement russe.
Lorsque l’affaire éclate, la corruption de la presse n’est pas un événement nouveau en ce qui concerne le monde de la finance, puisqu’un scandale datant de la fin du 19e siècle avait révélé que l’emprunt devant financer la construction du canal de Panama et émis en France avait été promu par les mêmes méthodes. Dans l’affaire des emprunts russes, le gouvernement tsariste et les banques françaises qui émettaient les titres achetaient de la « publicité » aux grands journaux, qui vantaient alors la situation financière russe et la soutenabilité de la dette du tsar. D’après les correspondances de l’agent tsariste Raffalovitch, cette publicité comportait également des actes de censure – des évènements tels que la mauvaise posture de la Russie dans sa guerre contre le Japon ou le mouvement révolutionnaire de 1905 n’auraient pas fait bonne figure auprès de potentiels investisseurs. Ces échanges indiquent même des abonnements factices à certains journaux ! Le syndic des agents de change, les directeurs de journaux et les responsables politiques corrompus ont profité de cette situation pour faire chanter le gouvernement russe, exiger des paiements plus importants et maximiser leurs gains.
Les révélations de L’Humanité sont basées sur des documents authentiques. Parmi les journaux incriminés par L’Humanité, seul Le Matin porte plainte contre le journal communiste. Dès le premier jour du procès, Vladimir Kokovtsov, Ministre des Finances du tsar quasiment sans interruption de 1904 à 1914 et chef du gouvernement tsariste de 1911 à 1914, est appelé à comparaître. Réactionnaire et exilé en France, il n’a pas d’intérêt à accuser directement la presse, mais il certifie l’honnêteté de son ancien collaborateur Raffalovitch. Il faut noter que si L’Humanité est finalement condamnée, c’est purement pour la forme puisque le tribunal reconnaît l’authenticité des correspondances dévoilées et n’accorde au Matin que 10 000 francs sur les 1 500 000 que celui-ci réclamait à L’Humanité. Précisons enfin qu’en 1924, Maurice Bunau-Varilla, qui possède Le Matin et est directement mis en cause dans l’affaire, ne cache plus ses sympathies pour les nationalismes autoritaires qui se mettent en place en Europe afin de lutter contre le communisme. Il soutient l’Italie fasciste puis, quelques années plus tard, l’Allemagne nazie. Sous l’occupation et le régime de Vichy, Le Matin devient collaborationniste, et est interdit à la Libération.
6. Les titres russes ont eu une vie après la répudiation |
Alors qu’en février 1918, les titres russes ont été répudiés par le gouvernement soviétique, ils ont continué à faire l’objet de transactions jusque dans les années 1990.
La politique du gouvernement français et d’autres gouvernements est directement liée à cette vie après la mort.
Les emprunts russes ne meurent jamais
En 1919, le gouvernement français a dressé une liste des détenteurs de titres russes en France : 1 600 000 personnes déclarèrent en détenir. Il semble que les titres russes représentaient 33 % des obligations étrangères détenues par des résidents en France. Cela représentait 4,5 % du patrimoine des Français. 40 à 45 % de la dette russe étaient détenus en France. L’un des principaux titres russes qui s’échangeaient à la bourse de Paris était le fameux emprunt de 1906 qui avait été dénoncé à l’avance par le Soviet de Petrograd en décembre 1905. Cet emprunt massif avait été émis à Paris en juin 1906 pour un montant de 2,25 milliards de francs. Il était destiné à permettre au régime tsariste de continuer à payer les anciennes dettes et à rétablir les finances après la débâcle de la guerre russo-japonaise. Le Crédit lyonnais [28], la banque française qui s’était spécialisée dans l’émission de la dette russe, tirait de ces emprunts 30 % ses revenus avant 1914.
Pendant la période qui a précédé et qui a suivi la répudiation des dettes par le gouvernement soviétique, 72 % des titres de l’emprunt de 1906 se trouvaient en France et faisaient l’objet de transactions à la bourse de Paris.
Un très haut niveau de complicité unissait le régime tsariste, le gouvernement français, les banquiers français qui émettaient les titres russes (Crédit lyonnais en première ligne, mais également la Société générale et la Banque de l’union parisienne [29]), les grands agents de change et la presse française qui était achetée par l’émissaire du tsar.
Les banquiers faisaient de gros bénéfices grâce aux commissions perçues au moment de l’émission et grâce aux opérations spéculatives de vente et d’achats sur les titres russes. Ils faisaient cela sans prendre de risques importants puisque ce sont les petits porteurs qui les prenaient. Les propriétaires des journaux empochaient les pots-de-vin remis par l’émissaire du tsar. Des membres clés du gouvernement se faisaient également graisser la patte. Sur le plan politique et diplomatique, le tsar était un allié de premier choix pour le gouvernement de la France et les grands groupes capitalistes français qui investissaient en Russie (comme les capitalistes belges).
Pendant la guerre, c’est le gouvernement français qui payait les intérêts auxquels avait droit chaque porteur de titre. L’intérêt était de 5 %. Le montant des intérêts versés par le gouvernement français à la place de l’empire russe était ensuite ajouté à la dette que la Russie devait à la France. Le renversement du tsar par le peuple russe en février 1917 constitua une mauvaise affaire pour le gouvernement français qui mit ses espoirs sur le gouvernement provisoire puisque celui-ci affirma qu’il honorerait les dettes contractées par le tsar. Les choses se gâtèrent vraiment quand les bolcheviks et leurs alliés les socialistes de gauche furent portés au gouvernement par les soviets en novembre 1917. Lorsque le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette en janvier 1918, le gouvernement français versa de nouveau les intérêts des titres russes aux porteurs de titres. Lorsque le gouvernement soviétique répudia toutes les dettes du tsar et celles du gouvernement provisoire, la France décida d’utiliser les grands moyens et se prépara à envoyer des troupes en Russie. Dès juillet 1918, quatre mois avant que l’armistice ne soit signé avec l’empire allemand, le gouvernement envoya des troupes françaises se joindre aux troupes britanniques qui avaient pris Mourmansk au Nord de la Russie. Ensuite, d’autres militaires furent envoyés pour occuper Arkhangelsk. Après la signature de l’armistice avec Berlin, la France envoya des troupes en Mer Noire pour bombarder avec les bateaux de guerres des positions de l’armée rouge. Cela provoqua une mutinerie parmi les matelots français. L’agression contre la Russie soviétique n’était bien sûr pas seulement motivée par la répudiation de la dette, les différentes puissances qui y participèrent voulaient mettre fin à un foyer de contagion révolutionnaire. Mais les intérêts financiers de la France et de ses capitalistes ont constitué un puissant moteur. Les autorités françaises soutenaient financièrement les généraux russes blancs dans leur lutte pour renverser les bolcheviks car ils avaient proclamé qu’ils reconnaissaient les dettes du tsar. Paris soutenait également les politiciens et les militaires polonais, ukrainiens et ceux des républiques baltes qui obtenaient leur indépendance ou luttaient dans cette perspective avec l’espoir que les autorités des nouveaux États indépendants prendraient en charge une part des dettes tsaristes. Quand les soviétiques signèrent à partir de 1920 des traités avec les républiques baltes et la Pologne par lesquels ils considéraient que ces pays ne devaient prendre aucune charge des dettes tsaristes, Paris le prit très mal.
Que se passa-t-il pour les porteurs de titres russes après la répudiation des dettes rendue publique en février 1918 ?
En France, en septembre 1918, le gouvernement proposa un échange de titres russes contre des titres de la dette française. Les porteurs de titres russes pouvaient acquérir des titres du nouvel emprunt que réalisait le gouvernement français. Ils pouvaient remettre les titres russes qu’ils détenaient pour recevoir en échange des titres français. En juillet 1919, le gouvernement français renouvela l’opération. Les autorités de Rome, de Londres et de Washington firent de même : elles échangèrent des titres russes respectivement contre des titres italiens ou britanniques ou étatsuniens. Le gouvernement japonais quant à lui indemnisa à 100 % les porteurs japonais de titres russes [30].
Il est clair qu’en procédant de la sorte, les gouvernements de ces pays sont venus en aide aux banquiers qui auraient dus être rendus responsables du financement du régime tsariste et payer pour les conséquences de la répudiation des dettes odieuses. Dans le cas français, le gouvernement français était activement co-responsable avec les banquiers du soutien au régime du tsar. Le gouvernement français avait systématiquement poussé une partie de sa base sociale, les rentiers de la classe moyenne, à acquérir des titres russes.
Une précision importante : en France, une grande partie des titres russes ne furent pas échangés contre des titres français. Les titres russes donnaient un rendement supérieur aux titres français. Le taux d’intérêt sur les titres russes de 1906 s’élevait à 5 % tandis que le taux moyen sur les titres de l’État français était de 3 %.
Entre 1918 et 1922, des rumeurs diffusées par la presse financière et par le gouvernement laissaient entendre que le gouvernement soviétique allait tomber et que son successeur allait assumer la dette tsariste. De plus, lors de la conférence de Gênes et à d’autres moments, la même presse laissait entendre que Moscou allait finalement accepter de reconnaître la dette. On assista à une situation surréaliste : des titres émis par un gouvernement qui n’existait plus, des titres répudiés, continuaient à s’acheter et se vendre à la bourse de Paris. C’est un exemple parfait de capital fictif.
Entre 1918-1919, le prix de revente des titres russes oscilla entre 56,5 % et 66,25 % de la valeur faciale (ils avaient été vendus au départ à 88 % de la valeur faciale). Le prix des titres souverains français à la même époque oscillait entre 61 et 65 %. La différence entre le prix des titres russes répudiés et des titres français était donc faible. Il est certain que le spéculateur (et les banquiers sont les premiers sur la liste) fait une très bonne affaire s’il achète à 56 quand les petits porteurs s’en débarrassent parce qu’ils sont effrayés par telle ou telle rumeur lancée par la presse (et en sous-main les banquiers) et s’il le revend à 66.
7. Le grand jeu diplomatique autour de la répudiation des dettes russes |
En avril-mai 1922, durant cinq semaines, se réunit une importante conférence de très haut niveau. Le premier ministre britannique, Lloyd George, y joua un rôle central ; Louis Barthou, ministre du président français, Raymond Poincaré également.
L’objectif central était de convaincre la Russie soviétique [31] à la fois de reconnaître les dettes qu’elle avait répudiées en 1918 et d’abandonner ses appels à la révolution mondiale.
La négociation de Gênes (1922)
D’autres points figuraient à l’agenda de cette conférence qui réunit des délégués de 34 pays à l’exception des États-Unis mais ils ne firent pas vraiment l’objet de grands débats. Parmi ces points : adopter des règles en matière monétaire, notamment à propos du système du Gold exchange standard qui a été adopté cette année-là. Vu l’absence des États-Unis, les décisions à ce propos ont été prises ailleurs.
Les puissances invitantes étaient au nombre de 5 : la Grande-Bretagne (l’ex-principale puissance mondiale qui venait d’être dépassée par les États-Unis), la France (la troisième puissance mondiale suite à la défaite de l’Allemagne), la Belgique (qui avant-guerre était la cinquième puissance mondiale en termes d’exportation), le Japon (dont l’empire était en pleine expansion en Asie de l’Est) et l’Italie.
Sur les 5 puissances invitantes, l’une, le Japon, avait encore des troupes d’occupation en Sibérie soviétique. Il ne les retira définitivement que six mois après la fin de la conférence, en octobre 1922. Les 12 autres pays qui avaient, en 1918, envoyé des troupes armées afin de renverser le gouvernement soviétique et d’en finir avec l’expérience révolutionnaire, avaient mis fin à l’occupation du territoire soviétique depuis la fin de l’année 1920. Les troupes étrangères, dont le moral guerrier était au plus bas, avaient en effet été retirées après que leur gouvernement ait constaté à regret que les généraux russes blancs étaient définitivement battus par l’armée rouge et que l’intervention étrangère était incapable d’y remédier. Dès lors il s’agissait d’obtenir, par des voies diplomatiques et par le chantage, ce que les armes n’avaient pas pu réaliser.
Les grandes puissances pensaient qu’à la conférence, le gouvernement soviétique allait finir par reconnaître les dettes qui avaient été répudiées car la situation économique et humanitaire russe était dramatique. La guerre civile avait laissé un pays exsangue et à partir de l’été 1921, des récoltes catastrophiques avaient causé une terrible famine. Les capitales occidentales pensaient que le gouvernement soviétique était à genou et qu’elles arriveraient à leur fin en conditionnant l’octroi des prêts et des investissements dont la Russie avait besoin à la reconnaissance préalable des dettes et à l’octroi de réparation aux entreprises occidentales qui avaient été expropriées.
La France qui restait la grande puissance la plus agressive à l’égard de la Russie soviétique (il en allait de même à l’égard de l’Allemagne [32]), était appuyée par les autorités belges. De son côté, la Grande-Bretagne qui avait été moins affectée par la répudiation des dettes était plus ouverte au dialogue avec Moscou et avait signé en mars 1921 un accord commercial anglo-russe qui mettait fin au blocus et signifiait une reconnaissance de facto [33] de la Russie soviétique.
Pour sa part, le gouvernement soviétique était éventuellement disposé à accepter de rembourser une partie des dettes contractées par le tsar si, en échange, les autres puissances reconnaissaient officiellement (= reconnaissance de jure) la Russie soviétique, lui octroyaient des prêts d’État à État, encourageaient les entreprises privées, affectées par l’expropriation de leurs filiales et de leur bien en Russie, à accepter comme indemnisation des concessions pour exploiter les ressources naturelles en particulier dans les zones désertiques de Sibérie. Le gouvernement soviétique voulait de la sorte que les capitalistes étrangers investissent avec leur propre bourse des capitaux frais dans des activités permettant à l’économie soviétique de se consolider. Le gouvernement refusait en outre la mise en place d’organismes multilatéraux pour gérer les prêts, les investissements ou les litiges qui pourraient s’y rapporter. Il voulait que le pouvoir soviétique garde son entière autonomie face aux puissances étrangères. Il n’était pas question de renoncer à l’exercice de la souveraineté.
Si ces conditions étaient réunies, Moscou était disposé à promettre de reprendre le paiement d’une partie de la dette tsariste dans un délai de trente ans. La délégation soviétique affirma clairement à plusieurs reprises au cours de la conférence qu’il s’agissait d’une concession qu’elle était prête à réaliser afin d’arriver à un accord mais, qu’au fond, elle considérait que la Russie soviétique était parfaitement en droit d’avoir répudié toute la dette tsariste (de même que celle contractée par le gouvernement provisoire entre février et octobre 1917). Finalement la conférence s’est terminée sur un désaccord et la délégation soviétique a maintenu la répudiation.
Pour comprendre le déroulement de la conférence, il convient également de prendre en compte la relation particulière qui s’est établie entre Berlin et Moscou après le Traité de Versailles de juin 1919.
Le gouvernement de Berlin était composé d’une coalition entre les socialistes (SPD), les centristes (ancêtre de la CDU d’Angela Merkel) et les libéraux (l’ancêtre du FDP actuel), il était fondamentalement pro-occidental et anti-soviétique. Mais comme il était affecté par le paiement des énormes réparations imposées par le Traité de Versailles et croulait sous la dette qui en découlait, il était enclin à dialoguer et à passer des accords avec Moscou. Cette tendance était renforcée par la volonté des grandes firmes industrielles allemandes (dont AEG et Krupp) d’écouler une partie de leur production vers le marché russe dont il avait été le principal partenaire commercial à partir des années 1870, comme nous l’avons vu. En se rendant de Moscou à Gênes, la délégation soviétique a fait une halte prolongée à Berlin pour y mener des négociations et se concerter avec les autorités allemandes avant de se retrouver face aux puissances invitantes dans la ville italienne. En pleine conférence de Gênes, alors que les puissances invitantes adoptaient une attitude intransigeante à l’égard de Moscou, éclata un coup de théâtre : les délégations allemande et soviétique qui s’étaient réunies dans la ville voisine de Rapallo, ont signé un important accord bilatéral qui est resté dans l’histoire comme le Traité de Rapallo.
Il est tout à fait intéressant de revenir sur le déroulement de la conférence de Gênes, sur les négociations qui s’y déroulèrent et sur les arguments qui furent utilisés de part et d’autre.
Les grandes puissances convocantes voulaient mettre un maximum de pression sur la Russie soviétique en indiquant qu’un objectif fondamental de la conférence consistait dans « la reconnaissance par tous les pays de leurs dettes publiques et l’octroi de compensations. » [34]
Les grandes puissances affirmaient dans leur convocation que le « sentiment de sécurité ne peut être rétabli que si les nations (ou les Gouvernements des Nations) désirant obtenir des crédits étrangers s’engagent librement à reconnaître toutes les dettes et obligations publiques qui ont été ou qui seront contractées ou garanties par l’État, les municipalités et les autres organismes publics, et à reconnaître également l’obligation de restituer, de restaurer ou, à défaut, d’indemniser tous les intérêts étrangers pour les pertes ou les dommages qui leur ont été causés du fait de la confiscation ou de la séquestration de la propriété » [35].
D’emblée Georges Tchitcherine, le chef de la délégation soviétique rétorqua : « l’œuvre de la reconstruction économique de la Russie, et, avec elle, le travail tendant à mettre fin au chaos économique européen, seront dirigés sur une voie fausse et fatale, si les nations économiquement plus puissantes, au lieu de créer les conditions nécessaires à la renaissance économique de la Russie et de lui faciliter sa marche vers l’avenir, l’écrasent sous le poids d’exigences au-dessus de ses forces, survivances d’un passé qui lui est odieux. » [36]
Dans la discussion, face aux soviétiques qui affirmaient que le peuple et son nouveau gouvernement n’avait pas à assumer les dettes contractées par le régime tyrannique antérieur, Lloyd George répondit : « lorsqu’un pays assume des obligations contractuelles envers un autre pays ou envers les nationaux de celui-ci pour des valeurs reçues, ce contrat ne saurait être dénoncé, chaque fois qu’un pays change de Gouvernement, ou, au moins, faudrait-il que ce pays restituât les valeurs qu’il a reçues » [37]
8. En 1922, nouvelle tentative de soumission des Soviets aux puissances créancières |
Les gouvernements occidentaux ont présenté un programme complet d’exigences visant à résoudre en leur faveur le contentieux qui concernait la répudiation des dettes et les expropriations décrétées par le gouvernement soviétique. Elles ont été présentées à Gênes le 15 avril 1922, 5 jours après le début de la conférence, dans un document intitulé « Rapport du comité des experts de Londres sur la question russe ».
Les exigences occidentales à l’égard de Moscou
L’article 1 disait : « Article 1.
Le Gouvernement Soviétique russe devra accepter les obligations financières de ses prédécesseurs, c’est-à-dire du Gouvernement Impérial russe et du Gouvernement provisoire russe, vis-à-vis des Puissances étrangères et de leurs ressortissants. »
La forme et le contenu de tout le document indiquent très clairement qu’il s’agissait d’une série d’impositions que les puissances occidentales voulaient dicter au pouvoir soviétique.
Toujours dans le premier article, on trouvait une disposition qui allait directement à l’encontre des traités que la Russie soviétique avait signés en 1920-1921 avec les républiques baltes et avec la Pologne (qui avaient obtenu leur indépendance après la chute du régime tsariste) qui prévoyaient, comme nous l’avons vu, que ces États ne devraient pas assumer des dettes tsaristes.
« Il en est de même de la question de savoir si et dans quelle mesure les États nouveaux issus de la Russie et actuellement reconnus, ainsi que les États ayant acquis une partie du territoire russe, devront supporter une part des obligations envisagées dans les présentes dispositions. »
L’article 3 rendait redevable le gouvernement soviétique des actes posés par le régime tsariste :
« Article 3.
Le Gouvernement Soviétique russe devra s’engager à assumer la responsabilité de tous les dommages matériels et directs, nés ou non à l’occasion de contrats et subis par les ressortissants des autres Puissances, s’ils sont dus aux actes ou à la négligence du Gouvernement Soviétique ou de ses prédécesseurs… »
C’était évidemment en contradiction totale avec la position de Moscou.
L’article 4 donnait presque tous les pouvoir à des organes étrangers aux autorités soviétiques :
« Les responsabilités prévues par les articles précédents seront fixées par une Commission de la dette russe et par des Tribunaux Arbitraux Mixtes à créer. »
L’annexe 1 précisait la composition de la Commission de la dette russe et ses compétences. Le gouvernement soviétique serait clairement en minorité dans la Commission :
« Annexe I.
Commission de la dette russe.
1. Il sera constitué une Commission de la dette russe, composée de membres nommés par le Gouvernement russe, de membres nommés par les autres Puissances, et d’un Président indépendant, qui sera choisi d’accord entre les autres membres et en dehors d’eux, ou qui, à défaut d’accord, sera désigné par la Société des Nations, s’exprimant, par exemple, par son Conseil ou par la Cour de Justice Internationale. »
La commission aura le pouvoir d’émettre de la nouvelle dette russe pour payer les anciennes dettes tsaristes et pour indemniser les capitalistes étrangers dans les entreprises ayant été nationalisées :
« La Commission aura les attributions ci-après : a) régler la constitution et la procédure des Tribunaux Arbitraux Mixtes, qui doivent être institués conformément aux dispositions de l’Annexe II, et donner toutes instructions nécessaires en vue d’assurer l’unité de leur jurisprudence ; (…)
délivrer les nouvelles obligations russes, en conformité avec les dispositions de l’Annexe II, aux personnes qui y ont droit en vertu des décisions des Tribunaux Arbitraux Mixtes : aux porteurs de titres d’État anciens ou autres titres ou valeurs, en échange desquels les nouvelles obligations russes doivent être remises ; aux personnes y ayant droit à titre de consolidation d’intérêts et de remboursement de capital. »
La commission dominée par les créanciers devait avoir des pouvoirs exorbitants allant jusqu’à déterminer quelles ressources de la Russie devraient être utilisées pour rembourser la dette :
« Déterminer, s’il y a lieu, dans l’ensemble des ressources de la Russie celles qui devront être spécialement affectées au service de la dette ; par exemple, un prélèvement sur certains impôts ou sur les redevances ou taxes frappant les entreprises en Russie. Contrôler, le cas échéant, si la Commission le juge nécessaire, la perception de tout ou partie de ces ressources affectées, et en gérer le produit. »
Pour les puissances invitantes, il s’agissait de faire accepter à la Russie soviétique une institution de tutelle bâtie sur le modèle de ce qui avait été imposé à la Tunisie, à l’Égypte, à l’Empire ottoman et à la Grèce au cours de la seconde moitié du 19e siècle [38]. Cela ressemble également fortement à ce qui a été imposé à la Grèce à partir de 2010.
L’annexe III donnait les pleins pouvoirs en ce qui concerne l’émission de la dette russe à la Commission de la dette dans laquelle les autorités soviétiques étaient marginalisées :
« Toutes les indemnités pécuniaires accordées à la suite de réclamations formulées contre le Gouvernement soviétique seront réglées par la remise de nouvelles obligations russes pour le montant fixé par les Tribunaux Arbitraux Mixtes. Les conditions dans lesquelles ces obligations seront remises, ainsi que toutes autres questions naissant de la conversion des anciens titres, et des opérations concernant les nouvelles émissions, seront déterminées par la Commission de la dette russe.
2. Les obligations produiront un intérêt, dont le taux sera fixé par la Commission de la dette russe. »
Alors que le gouvernement soviétique avait dit très clairement qu’il refusait de payer les dettes contractées après le 1er août 1914 pour mener la guerre, le texte de l’annexe III affirmait « en raison de la situation économique très grave dans laquelle se trouve la Russie, lesdits Gouvernements créanciers sont prêts à abaisser le montant des dettes de guerre que la Russie a contractées envers eux ».
9. La contre attaque soviétique : le traité de Rapallo de 1922 |
Ce texte qui constituait un véritable acte de provocation de la part des puissances occidentales amena la délégation soviétique à contacter dans les heures qui suivirent la délégation allemande qui était tenue un peu à l’égard de la conférence par Paris et Londres. Ces capitales espéraient convaincre les Russes soviétiques de faire les conditions mentionnées plus haut ou, en tout cas, une partie d’entre elles pour, ensuite, négocier avec les Allemands dans une situation favorable. La question russe était clairement prioritaire.
Joffé, un des responsables de la délégation soviétique, téléphona aux Allemands à 1 heure du matin du dimanche de Pâques 16 avril 1922 pour leur proposer de se rencontrer immédiatement afin d’essayer d’arriver à un accord bilatéral. Le biographe de Walther Rathenau, le ministre allemand de l’économie, raconte que les membres de la délégation allemande se réunirent en pyjama dans la chambre d’hôtel de Rathenau pour décider s’ils acceptaient l’invitation soviétique. Ils acceptèrent et quatorze heures plus tard, le dimanche 16 avril 1922 à 17h00, le Traité de Rapallo était signé entre l’Allemagne et la Russie soviétique [39]. Ce traité comportait la renonciation mutuelle à toute exigence d’ordre financier, y compris les réclamations allemandes touchant aux décrets soviétiques de nationalisation « à condition que le Gouvernement de la R. S. F. S. R. ne donne pas satisfaction aux réclamations similaires introduites par d’autres États » [40]. Il faut souligner que la Russie soviétique était en cela cohérente avec la position que le gouvernement soviétique avait adoptée en matière de proposition de paix dès le lendemain de la révolution : une paix sans annexion et sans réparations. Rappelons que l’Empire allemand avait imposé à la Russie en mars 1918 des conditions draconiennes, lors du traité de Brest-Litovsk, en annexant des territoires russes et en exigeant une rançon de guerre très lourde. Ensuite ce traité avait été annulé en juin 1919 par celui de Versailles par lequel les puissances occidentales imposaient à la République d’Allemagne une amputation de son territoire et de lourdes réparations. De son côté, par le traité de Rapallo, la Russie soviétique signait un accord de paix qui contenait un renoncement mutuel à des réparations et ce, alors que l’article 116 du Traité de Versailles donnait le droit à la Russie d’obtenir des indemnités financières de la part de l’Allemagne. Cette démarche de la Russie soviétique était également cohérente avec les traités qu’elles avaient signés en 1920-1921 avec les républiques baltes et avec la Pologne.
Une autre clause du Traité de Rapallo prévoyait que l’Allemagne financerait la création d’entreprises mixtes destinées à renforcer le commerce entre les deux pays.
En résumé, le traité de Rapallo signé à l’initiative de la délégation soviétique constitua une riposte ferme à l’attitude très agressive et dominatrice des puissances occidentales.
Ensuite, la délégation soviétique prit le temps de communiquer sa réponse officielle aux puissances occidentales en réaction aux exigences formulées le 15 avril par celles-ci.
10. À Gênes (1922), les contre-propositions soviétiques face aux impositions des puissances créancières |
Le 20 avril 1922, Tchitcherine communiqua la réponse soviétique aux propositions occidentales divulguées le 15 avril.
La réponse indiquait que : « La Délégation russe reste d’avis que la situation économique actuelle de la Russie et les circonstances qui l’ont amenée justifient amplement, pour la Russie, sa libération totale de toutes ses obligations citées dans les propositions susmentionnées, par suite de la reconnaissance de ses contre-réclamations. » [41]
Malgré son désaccord avec les exigences exorbitantes des puissances occidentales, la délégation russe se disait cependant prête à faire des concessions concernant la dette contractée par le tsar avant l’entrée en guerre le 1er août 1914. Elle avançait toute une série de propositions.
Elle s’engageait, en cas d’accord, à commencer le paiement de la dette trente ans plus tard : « La reprise des versements découlant des engagements financiers acceptés par le Gouvernement de Russie (…), y compris le paiement des intérêts, commencera après une période de 30 ans écoulés à dater du jour de la signature du présent accord. » [42]
La délégation russe disait qu’elle ne signerait un accord avec les autres gouvernements que si ceux-ci reconnaissaient pleinement le gouvernement soviétique et si des crédits d’État à État étaient accordés par ceux-ci, non pas pour l’aider à rembourser sa dette mais pour lui permettre de reconstruire son économie. Concrètement, cela signifiait que le gouvernement soviétique demandait d’abord à recevoir de l’argent frais de manière à relancer l’économie du pays, ce qui permettrait après un délai de trente ans de commencer le remboursement d’une partie de la dette contractée par le régime tsariste avant le 1er août 1914.
Les contre propositions occidentales sur la dette russe
Le 2 mai 1922, les puissances invitantes firent de nouvelles propositions à la délégation russe mais, bien que sur certains points elles faisaient de petites concessions (notamment en proposant un délai de 5 ans avant la reprise du paiement de la dette), elles introduisirent de nouvelles conditions inacceptables notamment sur le plan politique. La Clause 1 précisait que « toutes les Nations devraient s’engager à s’abstenir de toute propagande subversive de l’ordre et du système politique établis dans d’autres pays, le Gouvernement Soviétique russe n’interviendra en aucune manière dans les affaires intérieures et s’abstiendra de tout acte susceptible de troubler le statu quo territorial et politique dans d’autres États. »
Cela signifiait notamment que le gouvernement soviétique devait renoncer à appeler les peuples coloniaux à faire respecter leur droit à l’autodétermination. Concrètement, il aurait à s’interdire de soutenir l’indépendance des colonies comme l’Inde, les colonies africaines des différents empires, en particulier les empires britannique et français. Il aurait fallu aussi que le gouvernement soviétique n’apporte plus son soutien à des grèves et à d’autres formes de luttes dans les autres pays.
La Clause 1 ajoutait : « Il supprimera également sur son territoire toute tentative d’aider des mouvements révolutionnaires dans d’autres États. » [43] Pratiquement cela signifiait ne plus apporter son soutien à l’Internationale communiste (connue également comme la Troisième Internationale) qui avait été créée en 1919 et avait son siège à Moscou.
En matière de dette, la clause 2 réaffirmait la position des puissances occidentales : « le Gouvernement Soviétique russe reconnaît toutes les dettes et obligations publiques, qui ont été contractées ou garanties par le Gouvernement Impérial Russe ou par le Gouvernement provisoire russe ou par lui-même vis-à-vis des Puissances étrangères. »
Le point 2 de la clause 2 refusait la demande soviétique qui consistait à faire valoir son droit à des indemnités pour les pertes matérielles et humaines causées à la Russie par l’agression à laquelle les puissances étrangères s’étaient livrées pendant et après la révolution. Le texte disait : « Les Alliés ne peuvent pas admettre la responsabilité invoquée contre eux par le Gouvernement Soviétique russe, pour les pertes et dommages subis pendant la révolution en Russie depuis la guerre ».
La clause 6 exigeait la mise en place d’une commission arbitrale internationale dans laquelle la Russie serait minoritaire « Cette Commission sera composée d’un membre nommé par le Gouvernement Soviétique russe, d’un membre nommé par les porteurs étrangers, de deux membres et d’un Président, lesquels seront nommés par le Président de la Cour Suprême des États-Unis ou, à son défaut, par le Conseil de la Société des Nations ou le Président de la Cour Permanente Internationale de Justice de La Haye. Cette Commission décidera toutes questions concernant une remise d’intérêts ainsi que les modes de paiement du capital et des intérêts, en tenant compte de la situation économique et financière de la Russie. »
En résumé, les puissances invitantes remplaçaient la commission de la dette russe proposée par eux le 15 avril par une commission arbitrale disposant de pouvoirs très étendus et dans laquelle la Russie serait minoritaire.
La réponse soviétique réaffirme le droit à la répudiation des dettes
Le 11 mai 1922, la délégation soviétique communiqua une réponse qui allait entériner l’échec des négociations de Gênes et qui réaffirmait avec force le droit à la répudiation des dettes.
Tchitcherine affirma que « plus d’un parmi les États présents à la Conférence de Gênes a répudié dans le passé des dettes et des obligations contractées par lui, plus d’un État a confisqué et séquestré des biens de ressortissants étrangers ou de ses propres ressortissants sans que pour cela ils aient été l’objet de l’ostracisme appliqué à la Russie des Soviets. »
Tchitcherine souligne qu’un changement de régime par la voie d’une révolution entraîne la rupture des obligations prises par le régime antérieur. « Il n’appartient pas à la Délégation Russe de légitimer ce grand acte du peuple russe devant une assemblée de puissances dont beaucoup comptent dans leur histoire plus d’une révolution ; mais la Délégation russe est obligée de rappeler ce principe de droit que les révolutions, qui sont une rupture violente avec le passé apportent avec elles de nouveaux rapports juridiques dans les relations extérieures et intérieures des États.
Les gouvernements et les régimes sortis de la révolution ne sont pas tenus à respecter les obligations des gouvernements déchus. »
La souveraineté des peuples n’est pas liée par les traités des tyrans
Tchitcherine poursuit : « La Convention française, dont la France se réclame comme son héritière légitime, a proclamé le 22 septembre 1792 que la « souveraineté des peuples n’est pas liée par les traités des tyrans ». Se conformant à cette déclaration, la France révolutionnaire non seulement a déchiré les traités politiques de l’ancien régime avec l’étranger, mais encore a répudié sa dette d’État. Elle n’a consenti à en payer, et cela pour des motifs d’opportunité politique, qu’un tiers. C’est le « tiers consolidé », dont les intérêts n’ont commencé à être régulièrement versés qu’au début du XIX siècle. Cette pratique, érigée en doctrine par des hommes de loi éminents, a été suivie presque constamment par les gouvernements issus d’une révolution ou d’une guerre de libération. Les États-Unis ont répudié les traités de leurs prédécesseurs, l’Angleterre et l’Espagne. » [44]
Tchitcherine, sur la base de précédents historiques soutient que la Russie soviétique avait le droit de procéder à des nationalisations de biens étrangers sur son territoire : « D’autre part les gouvernements des États vainqueurs, pendant la guerre et surtout lors de la conclusion des traités de paix, n’ont pas hésité à saisir les biens des ressortissants des États vaincus situés sur leur territoire et même sur les territoires étrangers.
Conformément aux précédents, la Russie ne peut pas être obligée d’assumer une responsabilité quelconque vis-à-vis des puissances étrangères et de leurs ressortissants pour l’annulation des dettes publiques et pour la nationalisation des biens privés. »
Face à la demande d’indemnités avancées par les puissances occidentales, Tchitcherine rétorque : « Autre question de droit : le Gouvernement russe est-il responsable des dommages causés aux biens, droits et intérêts des ressortissants étrangers du fait de la guerre civile, en dehors de ceux qui leur ont été causés par les actes mêmes de ce Gouvernement, c’est-à-dire de l’annulation des dettes et de la nationalisation des biens ? Ici encore la doctrine juridique est toute en faveur du Gouvernement russe. La révolution, de même que tous les grands mouvements populaires, étant assimilée aux forces majeures, ne confère à ceux qui en ont souffert aucun titre à l’indemnisation. Quand les citoyens étrangers, appuyés par leurs gouvernements, demandèrent au gouvernement du tsar le remboursement des pertes qui leur avaient été causées par les événements révolutionnaires de 1905-1906, ce dernier repoussa leurs demandes en motivant son refus par la considération que, n’ayant pas accordé de dommages-intérêts à ses propres sujets pour des faits analogues, il ne pouvait pas placer les étrangers dans une position privilégiée. »
Tchitcherine conclut cette partie de son argumentation par : « Ainsi donc au point de vue du droit la Russie n’est nullement tenue à payer les dettes du passé, à restituer les biens ou à indemniser leurs anciens propriétaires, non plus qu’à payer des indemnités pour les autres dommages subis par les ressortissants étrangers soit du fait de la législation que la Russie dans l’exercice de sa souveraineté s’est dotée, soit du fait des événements révolutionnaires. »
Ensuite le responsable de la délégation soviétique réaffirme la disposition de la Russie soviétique à faire des concessions de manière volontaire afin de tenter d’arriver à un accord.
« Pourtant, dans un esprit de conciliation et pour arriver à une entente avec toutes les puissances, la Russie a accepté » de reconnaître une partie de la dette.
Tchitcherine montre sa maîtrise des jurisprudences en affirmant « La pratique et la doctrine sont d’accord pour imposer la responsabilité des dommages causés par l’intervention et le blocus aux gouvernements qui en sont les auteurs.
Pour ne pas citer d’autres cas, nous nous contenterons de rappeler la décision de la Cour Arbitrale de Genève du 14 septembre 1872 condamnant la Grande-Bretagne à payer aux États-Unis 15 millions de dollars pour les dommages causés à ces derniers par le corsaire Alabama City qui, dans la guerre civile entre les États du Nord et les États du Sud, avait aidé ces derniers.
L’intervention et le blocus des alliés et des neutres contre la Russie constituaient de la part de ces derniers des actes de guerre officiels. Les documents publiés à l’annexe II du premier Mémorandum russe prouvent avec évidence que les chefs des armées contre-révolutionnaires n’étaient tels qu’en apparence et que leurs véritables commandants étaient les généraux étrangers envoyés spécialement à cet effet par certaines puissances.
Ces puissances ont pris non seulement une part directe à la guerre civile, mais en sont les auteurs. »
Dans un document annexe fournit par la délégation soviétique, celle-ci développe le raisonnement suivant : « Les dettes d’avant-guerre faites par la Russie à l’étranger sont plus que compensées par les dommages énormes et durables causés à notre richesse nationale par l’intervention, le blocus et la guerre civile, organisés par les Alliés. (…) Mais ce qui a été fait d’une main (emprunts d’avant-guerre) a été détruit de l’autre (interventions, blocus, guerre civile). C’est pourquoi la seule mesure équitable serait de considérer les dettes d’avant-guerre comme amorties par les dommages causés et d’ouvrir une ère nouvelle de relations financières. » [45]
Tchitcherine réaffirme que la Russie est prête à faire des concessions si on lui accorde des crédits réels : « dans son désir d’obtenir un accord pratique, la Délégation russe, (…), est entrée dans la voie de plus amples concessions et s’est déclarée disposée à renoncer conditionnellement à ses contre-prétentions et à accepter les engagements des gouvernements déchus en échange d’une série de concessions de la part des puissances, dont la plus importante est la mise à la disposition du Gouvernement russe de crédits réels se montant à une somme préalablement déterminée. Malheureusement cet engagement des puissances n’a pas été tenu. »
Le responsable de la délégation soviétique rejette la prétention des puissances invitantes à réclamer de la Russie qu’elle rembourse les crédits octroyés au tsar et au gouvernement provisoire pour poursuivre une guerre que le peuple rejetait : « De même le Mémorandum repose tout entière la question des dettes de guerre, dont l’annulation était une des conditions de la renonciation de la Russie à ses contre–prétentions ».
Concernant la volonté des puissances invitantes d’imposer à la Russie une commission internationale d’arbitrage, Tchitcherine répond que si cette commission est instituée : « La souveraineté de l’État russe devient le jeu du hasard. Elle peut être mise en échec par les décisions d’un tribunal arbitral mixte composé de quatre étrangers et un Russe qui décident en dernier lieu si les intérêts des étrangers doivent être restaurés, restitués ou indemnisés. »
Enfin Tchitcherine dénonce le fait que des puissances comme la France exigent bec et ongles que la Russie soviétique indemnise quelques capitalistes sans prendre en considération la masse de petits porteurs de titres russes que la Russie serait prête à indemniser : « la Délégation russe constate que les États intéressés, en réservant toute leur sollicitude pour un groupe restreint de capitalistes étrangers et en faisant preuve d’une intransigeance doctrinaire inexplicable, ont sacrifié les intérêts (…) de la foule des petits porteurs d’emprunts russes et des petits propriétaires étrangers dont les biens ont été nationalisés ou séquestrés, et que le Gouvernement russe avait l’intention de comprendre parmi les réclamants dont il reconnaissait la justice et le bien-fondé. La Délégation russe ne peut s’empêcher d’exprimer sa surprise que des puissances comme la France, qui possède la majorité des petits porteurs d’emprunts russes, aient montré le plus d’insistance pour la restitution des biens, en subordonnant les intérêts des petits porteurs d’emprunts russes à ceux de quelques groupes exigeant la restitution des biens ».
Tchitcherine conclut sur la responsabilité des puissances invitantes dans l’échec de la négociation : il affirme que pour qu’un accord soit atteint il aurait fallu que « les puissances étrangères ayant organisé l’intervention armée en Russie renoncent à parler à la Russie le langage d’un vainqueur avec un vaincu, la Russie n’ayant pas été vaincue. Le seul langage qui aurait pu aboutir à un accord commun était celui que tiennent l’un vis-à-vis de l’autre des États contractants sur un pied d’égalité. (…)
Les masses populaires de Russie ne sauraient accepter un accord dans lequel les concessions n’auraient pas leur contre-partie dans des avantages réels. »
11. Dette : Lloyd George versus les soviets |
En séance plénière, Lloyd George fit une réponse qui en dit long :
« La Russie peut d’une manière abondante obtenir des secours, mais si elle veut les obtenir, il ne faut pas qu’elle s’y prenne de cette façon, et qu’elle ait en quelque sorte l’air de faire exprès de provoquer et d’outrager les sentiments, appelez les préjugés, les sentiments de la vaste majorité des gens (…)
J’ai parlé de préjugés. Je vais vous en citer deux ou trois, puisqu’ils ont été foulés aux pieds dans votre mémorandum du 11 mai. En Europe occidentale, lorsqu’un homme vend des marchandises à un autre, il a un préjugé curieux : il aime à être payé. Un autre préjugé est celui-ci : si un homme prête de l’argent à son voisin, sur sa demande, contre promesse de remboursement, il s’attend à ce qu’on le rembourse. Voilà encore un autre préjugé : si ce voisin vient le trouver et lui demande encore des secours, naturellement le premier lui demande : « Est-ce bien dans votre intention de me rembourser ? Remboursez d’abord ce que je vous ai prêté ». Si à cela l’emprunteur répond : « Mes principes ne me permettent pas de payer », si étrange que cela puisse paraître à la Délégation russe, cet occidental est tellement plein de préjugés que, très probablement, il ne voudra pas prêter de nouvelles sommes d’argent. Ce n’est pas une question de principe - je sais ce que sont les principes révolutionnaires - mais en dehors de la Russie, qu’est-ce vous voulez, il y a de drôles de gens, avec de drôles d’idées ! Et si vous voulez avoir affaire à nous, il faut nous prendre comme nous sommes. Ce sont là des idées que nous avons en quelque sorte sucées avec le lait, que nous avons héritées de générations d’ancêtres honnêtes et laborieux, et ici je désire avertir la délégation russe qu’il ne faut pas qu’elle s’attende, dans cette route que nous allons prendre ensemble vers la paix finale, à ce que nous laissions tomber froidement nos préjugés sur le bord de la route. Ces préjugés, ces idées, elles plongent leurs racines profondément dans le sol de l’Europe occidentale. Il y a des milliers d’années qu’elles y sont enracinées. (…) Quand vous écrivez à quelqu’un pour obtenir de nouvelles sommes d’argent, ce n’est pas véritablement le moyen de réussir que de consacrer la plus grande partie de votre lettre à une savante dissertation pour justifier la doctrine de la répudiation des dettes. Ce n’est pas cela qui vous aidera à obtenir des crédits. C’est peut-être une doctrine très sûre, mais cela n’est pas diplomatique. (…) En terminant, je voudrais vous implorer, parlant comme un homme qui a toujours été en faveur de cette idée d’aller au secours de cette noble nation, de lui demander, quand elle viendra à La Haye, de ne plus chercher à fouler aux pieds nos idées d’Occident. » [46]
La réponse de Tchitcherine :
Après avoir déploré d’avoir « été empêchés de poser devant la Conférence la question du désarmement », il répond à Lloyd George : « M. le Premier Ministre de la Grande Bretagne me dit que si mon voisin m’a prêté de l’argent, je dois le lui payer, eh bien j’y consens en l’espèce, cherchant la conciliation, mais alors j’ajoute que si ce voisin a fait irruption chez moi et, ayant tué mes fils, a brisé mon mobilier, a brûlé ma maison, il doit commencer au moins par me rétablir ce qu’il a détruit. » [47]
Il faut préciser également qu’au cours de la négociation sur le reste de l’agenda de la conférence de Gênes, la délégation soviétique est intervenue à plusieurs reprises pour que des décisions soient prises afin d’organiser un désarmement général. La France avait réagi de manière violente en refusant purement et simplement que ce point soit mis en discussion. Pour le gouvernement de la France, il était hors de question de réduire les dépenses d’armement. Bien sûr, cette orientation était à cent lieues de celle du peuple français, mais on avait affaire à un gouvernement de droite belliciste qui dirigeait son agressivité à la fois contre l’Allemagne et contre la Russie (sans parler des peuples colonisés). En 1921, la France avait encore essayé de mettre sur pied une alliance avec la Roumanie (qui avait annexé la Bessarabie, une partie du territoire de l’ancien empire russe) et la Pologne dirigée contre la Russie soviétique. La France envisageait de déclarer conjointement avec ces deux pays la guerre à la Russie soviétique [48].
Par ailleurs la délégation soviétique proposait que toutes les nations soient invitées à la conférence de Gênes, il fallait notamment que les peuples colonisés puissent être représentés directement. Les organisations ouvrières auraient dû également être invitées. La délégation soviétique critiquait les propositions générales en matière économique.
Tchitcherine déclara que « Le chapitre VI du Rapport de la Commission économique, qui a trait au travail, s’ouvre par la constatation générale de l’importance du concours des travailleurs pour la restauration économique de l’Europe. Cependant, nous ne trouvons point ce qui serait le plus nécessaire aux travailleurs, nous n’y trouvons aucune mention de la législation de protection ouvrière, en dehors de la question du chômage ; nous n’y trouvons non plus aucune proposition concernant les coopératives, quoique ces dernières soient un instrument de premier ordre pour l’amélioration des conditions du travailleur. Il est regrettable au plus haut degré, qu’au cours des travaux de la première Sous-commission les propositions relatives aux coopératives aient été écartées. Mais il y a plus encore : l’article 21, qui mentionne les conventions de la Conférence du travail de Washington, prive ces conventions d’une grande partie de leur importance pratique en consacrant le droit des participants à ne pas les ratifier. Ce fait que la Délégation russe s’est efforcée d’écarter, s’explique par le désir de certains Gouvernements, comme la Suisse, de ne pas adopter la journée de huit heures. La Délégation russe considère la journée de huit heures comme le principe fondamental du bien-être du travailleur, et elle élève une objection formelle contre la latitude explicitement donnée aux Gouvernements de ne pas l’appliquer. » [49]
Devant l’échec des négociations à Gênes, les puissances invitantes et la Russie se mirent d’accord pour se revoir un mois plus tard, à La Haye, afin d’essayer de réaliser un accord de la dernière chance. Le rendez-vous eut lieu mais aboutit également à un échec le 20 juillet 1922. La France et la Belgique, soutenues cette fois dans les coulisses par Washington qui était absent, avaient durci encore un peu plus leur position [50].
12. La réaffirmation de la répudiation des dettes débouche sur un succès |
Avant que ne se tienne la conférence de Gênes, la Russie soviétique avait réussi à signer des traités bilatéraux avec la Pologne, les républiques baltes, la Turquie, la Perse… Surtout, elle réussit à signer un accord commercial avec la Grande-Bretagne. Cet accord, signé en 1921, avait validé les lois soviétiques de nationalisation aux yeux des tribunaux britanniques et les entreprises qui commerçaient avec la Russie ne risquaient plus d’être inquiétées [51].
Pendant la conférence de Gênes, la Russie obtint également un succès avec la signature d’un traité avec l’Allemagne par lequel chaque partie renonçait à demander des réparations.
On aurait pu croire que l’échec de la conférence de Gênes et de celle de La Haye allait amener les puissances capitalistes à durcir leur position à l’égard de Moscou. C’est le contraire qui se passa. Le gouvernement soviétique a manifestement bien calculé. Les différents pays capitalistes ont considéré séparément qu’il fallait passer des accords avec Moscou car le marché russe offrait un important potentiel de même que les ressources naturelles du pays. Chaque capitale, sous la pression des entreprises privées locales, voulut passer un accord avec Moscou afin de ne pas laisser les autres puissances profiter des possibilités du marché russe.
En 1923-24, malgré l’échec de la conférence de Gênes, le Gouvernement des Soviets fut reconnu de jure par l’Angleterre, l’Italie, les pays scandinaves, la France, la Grèce, la Chine et quelques autres pays. En 1925, s’ajouta le Japon.
Paris réduisit fortement ses exigences. En France, un décret du 29 juin 1920 avait créé une commission spéciale pour la liquidation des affaires russes, qui avait pour mission de « liquider et de recouvrer tous les fonds de l’ancien État russe, quelle que soit leur origine ». Six jours avant la reconnaissance du Gouvernement des Soviets le 24 octobre 1924, le Gouvernement français supprimait cette commission. Une véritable victoire pour Moscou.
Quelques mois auparavant, le gouvernement travailliste britannique avait passé un accord avec l’URSS par lequel les Britanniques acceptaient les réclamations soviétiques pour les dommages causés par l’intervention britannique dans la guerre civile entre 1918 et 1920 [52]. Lloyd George avait pourtant déclaré à Gênes qu’il n’en était pas question. Le gouvernement promettait d’octroyer, sous certaines conditions, sa garantie pour l’émission d’un emprunt soviétique sur le marché financier de Londres.
Deux ans à peine après l’échec de Gênes, alors que l’URSS maintenait la répudiation des dettes, le gouvernement britannique s’apprêtait à donner sa garantie pour un emprunt soviétique ! Le dirigeant soviétique Kamenev pouvait écrire dans la Pravda le 24 septembre 1924 : « Le traité avec l’Angleterre est une base effective pour la reconnaissance expresse de notre nationalisation de la terre et d’entreprises, de la répudiation des dettes et de toutes les autres conséquences de notre révolution. » [53]
Finalement, quand les Conservateurs revinrent au pouvoir quelques mois plus tard, ils refusèrent de ratifier ce traité mais néanmoins une entreprise britannique importante s’engagea à investir dans des mines d’or en renonçant officiellement à toute demande d’indemnité pour la nationalisation qu’elle avait subie en 1918.
À partir de 1926, malgré la répudiation des dettes, des banques privées européennes et des gouvernements commencent à accorder des prêts à l’URSS
Le 26 juin 1926, l’URSS signait un accord de crédit avec des banques allemandes. En mars 1927, c’est la banque Midland de Londres qui octroya un crédit de 10 millions de £.
En octobre 1927, la municipalité de Vienne accordait un crédit de 100 millions de shillings. En 1929, la Norvège consentait un crédit de 20 millions de couronnes.
Les dirigeants républicains des États-Unis fulminaient. Le secrétaire d’État Kellogg a dénoncé l’attitude conciliante des Européens, dans son discours du 14 avril 1928, devant le Comité national Républicain : « Aucun État n’a été capable d’obtenir le paiement de dettes contractées par la Russie sous des Gouvernements précédents, ou le dédommagement de ses citoyens pour la propriété confisquée. Il y a donc tout lieu de croire que la reconnaissance des Soviets et l’ouverture des négociations n’ont d’autre effet que d’encourager les maîtres actuels de la Russie dans leur politique de répudiation et de confiscation... » [54].
Finalement les États-Unis, en novembre 1933, sous la présidence de F. Roosevelt reconnurent de jure l’URSS. Le 13 février 1934, le Gouvernement des États-Unis créait l’Export and Import Bank dans le but de financer le commerce avec l’Union soviétique. Quelques mois plus tard, la France, afin de ne pas être exclue du marché soviétique, proposa elle-même des crédits à l’URSS afin que celle-ci achète des produits français.
Alexander Sack, qui était opposé à la répudiation des dettes et farouchement antisoviétique, concluait son étude sur les réclamations diplomatiques contre les Soviets par ces quelques phrases qui indiquent clairement qu’il est tout à fait possible de répudier des dettes sans pour autant être voué à l’isolement et à la faillite, bien au contraire :
« Au moment du vingtième anniversaire du régime soviétique, les réclamations étrangères à son égard présentent le tableau mélancolique d’une pétrification, sinon d’un abandon. L’Union soviétique se vante d’être actuellement un des pays les plus industrialisés ; elle a une balance commerciale favorable ; elle occupe le deuxième rang dans la production de l’or dans le monde. Son Gouvernement est, à présent, universellement reconnu et des crédits commerciaux lui sont accordés, pratiquement, autant qu’il en désire. Malgré cela, l’Union n’a pas reconnu, ni payé, aucune des dettes résultant de ses décrets de répudiation, de confiscation et de nationalisation. » [55]
Conclusion
Cette étude s’est concentrée sur la répudiation des dettes par le gouvernement soviétique. Elle a montré que cette décision remontait à un engagement pris lors de la révolution de 1905. Le contexte international a été analysé : les traités de paix, la guerre civile, le blocus, la conférence de Gênes et les nombreux accords de prêts qui ont suivi malgré la poursuite de la répudiation des dettes passées.
Par manque d’espace, je n’ai pas abordé l’évolution du régime soviétique : l’étouffement progressif de la critique, la dégénérescence bureaucratique et autoritaire du régime [56], les politiques catastrophiques en matière agricole (notamment la collectivisation forcée sous Staline) et en matière industrielle, l’imposition sous Staline dans les années 1930 d’un régime de terreur.
Le sort des membres de la délégation qui a représenté le gouvernement soviétique à Gênes illustre l’évolution dramatique du régime et les effets de la politique représentée par Staline. La délégation était composée de : Georges Tchitcherine, Adolph Joffé, Maxime Litvinov, Christian Rakovski, Leonid Krassine. A part ce dernier qui décède de maladie en 1926 à Londres, le sort des autres est significatif. Georges Tchitcherine est entré en disgrâce en 1927-1928. Adolph Joffé se suicide le 16 novembre 1927, laissant une lettre d’adieu à Trotsky, véritable testament politique. Son enterrement est l’une des dernières grandes manifestations publiques « autorisée » de l’opposition antistalinienne. Maxime Litvinov, le 3 mai 1939, est démis de ses fonctions dans des circonstances violentes : la Guépéou encercle son ministère, ses assistants sont battus et interrogés. Litvinov étant juif et ardent partisan de la sécurité collective, son remplacement par Molotov accroît la marge de manœuvre de Staline et facilite les négociations avec les Nazis. Celles-ci débouchent sur le pacte germano-soviétique en août 1939 qui a eu des conséquences funestes. Après l’attaque nazie de 1941 contre l’URSS, Litvinov reprendra du service. Christian Rakovski, camarade de Trotsky dès avant la première guerre mondiale, qui s’était opposé à la bureaucratie dès le début des années 1920 a été exécuté en 1941 par la Guépéou sur ordre de Staline. |
Cette évolution tragique montre une fois encore qu’il ne suffit pas de répudier des dettes odieuses pour apporter une solution aux problèmes multiples de la société. Il n’y a aucun doute là-dessus. Pour que la répudiation des dettes soit réellement utile, il faut qu’elle fasse partie d’un ensemble cohérent de mesures politiques, économiques, culturelles et sociales qui permettent de faire la transition vers une société libérée des différentes formes d’oppression dont elle souffre depuis des millénaires.
Réciproquement, pour de nombreux pays, il est très difficile d’envisager de commencer une telle transition tout en prétendant continuer à payer des dettes odieuses léguées du passé. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire. Le dernier en date : la soumission de la Grèce aux diktats des créanciers depuis 2010 et les effets terribles de la capitulation en juillet 2015 d’un gouvernement qui prétendait poursuivre le remboursement de la dette afin d’obtenir une réduction de celle-ci.
Épilogue
En 1997, 6 ans après la dissolution de l’URSS, Boris Eltsine passait un accord avec Paris pour mettre définitivement fin au contentieux sur les titres russes. Les 400 millions de dollars obtenus de la Fédération de Russie en 1997-2000 par la France ne représentent qu’environ 1 % des sommes réclamées à la Russie soviétique par les porte-paroles des créanciers français représenté par l’État [57]. Il faut également souligner que l’accord entre la Russie et le Royaume-Uni du 15 juillet 1986 a permis l’indemnisation des porteurs britanniques pour 1,6 % de la valeur actualisée des titres.
Ce taux d’indemnisation est dérisoire et indique une fois de plus qu’un pays peut répudier sa dette.
En août 1998, affectée par la crise asiatique et les effets de la restauration capitaliste, la Russie a suspendu unilatéralement le paiement de la dette pendant six semaines. La dette publique externe s’élevait à 95 milliards de dollars, dont 72 milliards de dollars à l’égard des banques privées étrangères (30 milliards de dollars dus aux banques allemandes et 7 milliards dus aux banques françaises, parmi lesquelles le Crédit lyonnais) et le reste était dû principalement au Club de Paris ainsi qu’au FMI. La suspension totale de paiement suivie d’une suspension partielle au cours des années suivantes a amené les différents créanciers à accepter une réduction qui a oscillé entre 30 et 70 % selon les cas. La Russie, qui était en récession avant de décréter la suspension de paiement a connu ensuite un taux de croissance annuel de l’ordre de 6 % (période 1999-2005). Joseph Stiglitz, qui a été, entre 1997 et 2000, l’économiste en chef de la Banque mondiale, souligne : « Empiriquement, il y a très peu de preuves accréditant l’idée qu’un défaut de paiement entraîne une longue période d’exclusion d’accès aux marchés financiers. La Russie a pu emprunter à nouveau sur les marchés financiers deux ans après son défaut de paiement (de 1998) qui avait été décrété unilatéralement, sans consultation préalable avec les créanciers. […] Dès lors, en pratique, la menace de voir le robinet du crédit fermé n’est pas réelle. » [58].
En résumé de deux phrases : Il est possible de répudier ou de suspendre unilatéralement le paiement de la dette et de relancer l’économie. Ce n’est pas une condition suffisante pour régler tous les problèmes mais cela s’avère à la fois indispensable et utile dans certaines circonstances.
Remerciements : L’auteur remercie pour leur aide, leur relecture et leurs suggestions : Pierre Gottiniaux, Nathan Legrand, Brigitte Ponet et Claude Quémar. L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.
[1] Cet extrait du livre Ma vie est disponible en ligne : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv16.htm
[2] Trotsky a rédigé ce texte en 1930.
[3] Cet extrait du livre 1905 est disponible en ligne : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/1905/1905.pdf
[4] En 1914, on trouvait des tramways exploités par des entreprises belges dans 26 villes russes. Selon le ministre belge, Henri Jaspar, qui évoquait au parlement belge les intérêts de la Belgique en Russie avant-guerre : « la fonte que nous fabriquions en Russie représentait 1/3 de la production totale de fonte russe ; les poutrelles, les laminés, les traverses représentaient 42 % de la production totale russe ; les produits chimiques fabriqués par les Belges en Russie représentaient 75 % des produits chimiques fabriqués dans la Russie entière ; les glaces représentaient 50 % de la production russe, les verres à vitre 30 % ». Selon ce ministre, 161 entreprises belges étaient présentes en Russie avant la guerre. Sources : Annales parlementaires, Chambre, 1921-1922, p. 883-884 ; séance du 23 mai 1922. Voir aussi Documents parlementaires, Sénat, 1928-1929, n° 88, Rapport de la Commission des Affaires étrangères, p. 37-38. Ces documents sont cités par Jean Stengers, Belgique et Russie, 1917-1924 : gouvernement et opinion publique, Revue belge de philologie et d’histoire, Année 1988, Volume 66, Numéro 2 pp. 296-328 http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1988_num_66_2_3628
[5] J. Longuet, Le mouvement socialiste international, Paris, 1931, p. 58.
[6] Les pays les plus touchés, outre la Russie, ont été l’Empire allemand avec 2 millions de morts parmi les militaires et 420 000 civils, la France (colonies incluses) avec 1,4 million de militaires et 300 000 civils, l’Autriche-Hongrie avec 1,1 million de militaires et 470 000 civils, le Royaume-Uni (colonies incluses), 885 000 militaires et 110 000 civils, l’Empire ottoman, 800 000 militaires et 4,2 millions de civils et le Royaume de Serbie 1 250 000 victimes, dont 800 000 civils, soit un tiers de sa population. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pertes_humaines_de_la_Premi%C3%A8re_Guerre_mondiale
[7] En 1917, la Russie utilisait encore le calendrier julien, qui « retarde » d’environ 13 jours par rapport au calendrier grégorien qui a été adopté en 1918 et qui correspond au calendrier occidental. Ainsi la révolution de février 1917 a eu lieu lors de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars dans le calendrier actuel. De même la révolution d’octobre a eu lieu le 7 novembre. Dans le reste du texte, les dates correspondent au calendrier actuel (c.-à-d. grégorien).
[8] Voir Léon Trotsky. 1930. Histoire de la révolution russe, 1. Février. Le Seuil, 1967, Paris, chapitre 7.
[9] Alexandre Fedorovitch Kerensky (1881-1970), avocat, travailliste (son parti : troudovik) a été le chef du gouvernement provisoire en 1917.
[10] Dan, dans Martov-Dan : Geschichte der russischen Sozialdemokratie, Berlin 1926, pp. 300-301. Cité par Ernest Mandel, Octobre 1917 : Coup d’État ou révolution sociale, IIRF, Cahiers d’étude et de recherche numéro 17/18, Amsterdam, 1992, p. 9. http://www.ernestmandel.org/fr/ecrits/txt/1992/octobre_1917.htm
[11] Le gouvernement était composé d’une alliance entre le parti bolchevique et les socialistes révolutionnaires de gauche.
[12] EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 2. L’ordre économique, Édition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 16.
[13] Thomas Woodrow Wilson, né à Staunton le 28 décembre 1856 et mort à Washington, D.C. le 3 février 1924, est le vingt-huitième président des États-Unis. Il est élu pour deux mandats consécutifs de 1913 à 1921.
[14] Voir la déclaration de W. Wilson de février 1918 « every territorial settlement in this war must be made in the interest and for the benefit of the population concerned, and not as part of any mere adjustment compromise of claims amongst rival states ». Voir également cette déclaration de 1919 lors de la signature du pacte de création de la Société des Nations « The fundamental principle of this treaty is a principle never aknowledged before… that the countries of the world belong to the people who live in them ». Ces deux citations proviennent de Odette Lienau, Rethinking Sovereign Debt : Politics, Reputation, and Legitimacy in Modern Finance, Harvard University, 2014, p. 62-63. http://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674725065
[15] En janvier-février 1918, le président Wilson a adopté une attitude publique apparemment bienveillante à l’égard de la Russie soviétique. Voir notamment le point 6 de sa déclaration en 14 points au Congrès des EU le 8 janvier 1918 https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatorze_points_de_Wilson
Mais en pratique finalement Wilson n’a pas voulu apporter d’aide aux soviétiques.
[16] Voir EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 22. P. 24 de l’édition française de 1974.
[17] Voir notamment https://fr.wikipedia.org/wiki/Intervention_alli%C3%A9e_pendant_la_guerre_civile_russe
[18] C’est Lloyd George qui a rendu compte de ces pourparlers dans ses mémoires : Lloyd George, War Memoirs, IV, 1934, 2081-2107. Voir EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 22. P. 36 de l’édition française de 1974.
[19] Voir EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 28. P. 317 de l’édition française de 1974.
[20] EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 13. P. 136-137 de l’édition française de 1974.
[21] Cité par E. H. Carr, tome 3, p. 122 de l’édition française de 1974.
[22] E. H. Carr, tome 3, p. 316 de l’édition française de 1974.
[23] Cité par E. H. Carr, tome 3, p. 139 de l’édition française de 1974.
[24] Sur la guerre civile russe, lire Jean-Jacques Marie, La guerre civile russe (1917-1922), 2005.
[25] The New York Times, 2 avril 1921 cité par Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée, p. 301. Pour la version en anglais voir : http://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.hoil/dipclsov0001&div=1
[26] Voir : Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée
[27] Carr, t. 3, p. 311-312.
[28] Créée en 1863. Le Crédit lyonnais est surtout connu pour le scandale qui a entouré son sauvetage par l’État français fin du siècle passé. En quasi faillite dans les années 1990, suite à la crise de l’immobilier, la banque est nationalisée et recapitalisée avant de passer sous le contrôle du Crédit agricole en 2003. Le sauvetage aura coûté au total 14,7 milliards d’euros à la collectivité.
[29] Banque d’affaire créée en 1904, qui a fusionné en 1973 avec le Crédit du Nord.
[30] Landon-Lane J., Oosterlinck K., (2006), « Hope springs eternal : French bondholders and the Soviet Repudiation (1915-1919) », Review of Finance, 10, 4, pp. 507-535.
[31] Lorsque la conférence de Gênes s’est réunie l’Union des républiques socialistes soviétiques n’était pas encore née. Elle a été créée en décembre 1922 et a été dissoute en décembre 1991. A la conférence de Gênes la délégation soviétique représentait officiellement la République Socialiste Fédérale des Soviets de Russie, pour simplifier nous utilisons le terme de Russie soviétique.
[32] Des troupes françaises ont occupé Düsseldorf, une des principales villes de la Rhénanie, en mars 1921 (voir Carr, T. 3. Page 345). De janvier 1923 à juillet-août 1925, des troupes françaises et belges ont occupé la vallée de la Ruhr et ses sites de production industrielle afin de s’approprier les matières premières (charbon, minerais) et les produits industriels en guise de paiement des réparations que l’Allemagne tardait à verser. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_de_la_Ruhr
[33] La reconnaissance d’un nouvel État nouveau est soit définitive, - on parle d’une reconnaissance de jure (de plein droit) - soit encore provisoire ou limitée - on parlera alors d’une reconnaissance de facto (de fait).
La Grande-Bretagne a reconnu de facto la Russie soviétique en 1921, et de jure en 1924.
[34] Les Documents de la Conférence de Gênes, Rome, 1922, 336 pages, p. IX
[35] Op. Cit.
[36] Op. Cit.
[37] Op. Cit., p. 13.
[38] Pour rappel, une Commission internationale de mise sous tutelle financière pour le paiement de la dette a été imposée en 1869 à la Tunisie, en 1876 à l’Égypte, en 1881 dans l’Empire ottoman et en 1898 à Grèce.
[39] Voir Carr, T. 3, p. 385.
[40] Traité de Rapallo, 16 avril 1922, article 2, cité par Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée, p. 288. Pour la version en anglais voir : http://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.hoil/dipclsov0001&div=1
[41] Op. Cit., p. 195.
[42] Op. Cit., p. 198.
[43] Op. Cit., p. 206.
[44] Op. Cit., p. 221-222
[45] Cité par Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée, note 152, p. 291. Pour la version en anglais, voir ici.
[46] Op. Cit., p. 118.
[47] Op. Cit., p. 140
[48] Voir Carr, T. 3, p. 355.
[49] Gênes, Op. Cit., p. 92.
[50] Carr, t. 3, p. 436-440.
[51] L’article 9 de l’accord anglo-russe disait : « Le Gouvernement britannique déclare qu’il n’intentera aucune action aux fins de saisir ou de prendre possession de n’importe quel or, fonds, titres ou marchandises et de tout autre article qui ne peut être identifié comme étant la propriété du Gouvernement britannique, qui pourraient être exportés de la Russie en payement des importations ou comme garanties pour de tels payements, ou n’importe quelle propriété mobilière ou immobilière qui pourrait être acquise par le Gouvernement soviétique russe sur le territoire du Royaume-Uni. » Cité par Sack, p. 301. Voir aussi à ce propos Carr, T. 3, p. 360.
[52] Sack, p. 306-307
[53] Sack, note 209, p. 307
[54] Sack, p. 315.
[55] Sack, p. 321-322.
[56] J’ai analysé cela dans l’étude : Éric Toussaint, “Lénine et Trotsky face à la bureaucratie – Révolution russe et société de transition”, publié le 21 janvier 2017, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37007
[57] Voir sur le site du sénat français, les ACCORDS RELATIFS AU RÈGLEMENT DÉFINITIF DES CRÉANCES ENTRE LA FRANCE ET LA RUSSIE ANTÉRIEURES AU 9 MAI 1945 http://www.senat.fr/seances/s199712/s19971210/sc19971210010.html
[58] Stiglitz in Barry Herman, José Antonio Ocampo, Shari Spiegel, Overcoming Developing Country Debt Crises, OUP Oxford, 2010, p. 49.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.