A l’occasion de la semaine d’actions contre la dette et les institutions financières internationales se déroulant du 9 au 15 octobre 2017, le CADTM revient sur les principaux mécanismes et institutions au centre du « système-dette ».
Face à la catastrophe économique et au drame social des plans d’ajustement structurel imposés aux populations du Sud, de nombreuses voix se sont fait entendre dès les années 90 pour dénoncer les promoteurs de ces politiques : le FMI et la Banque mondiale. Au-delà des accusations des ONG et du milieu altermondialiste naissant, la critique s’est étendue là où on ne l’attendait pas, à l’image de Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, qui signait en 2002 un réquisitoire sans concessions à l’encontre du FMI [1]. Dans la foulée de ces condamnations, la remontée des prix des matières premières va permettre à une série de pays d’obtenir les devises nécessaires à un remboursement anticipé du FMI, se dégageant ainsi des catastrophiques conditionnalités adossées aux prêts de cette institution. Face à cette crise de légitimité et alors que la pénurie de clients commence à se faire sentir, les institutions de Bretton Woods vont multiplier les efforts pour se construire une nouvelle image.
Pour redorer son blason, la Banque mondiale va jouer la carte du changement de cap. En annonçant, à partir de 1999, l’abandon des PAS tant décriés et la réorientation de son action sur la lutte contre la pauvreté, la Banque mondiale prétend s’être parée d’une nouvelle morale, à l’instar de son président de l’époque, James Wolfensohn, qui disait aller tous les matins au bureau « en pensant [qu’il était] en train de faire le travail de Dieu » [2]. Rien de moins.
Quant au FMI, si la crise de la dette au Nord a été une belle opportunité pour se refaire une santé financière, ses dirigeants en ont aussi profité pour crier à tue-tête le soi-disant renouveau de l’institution. « On ne reconnaît plus le FMI ? De fait, il a changé ! » [3] assurait ainsi Dominique Strauss-Khan, à la télévision française en 2011. Quant à Christine Lagarde, lorsqu’un journaliste ghanéen l’interrogeait en 2014 sur la mauvaise image du FMI en Afrique, elle rétorquait sur le ton de l’ironie : « Ajustement structurel ? C’était avant mon mandat et je n’ai aucune idée de ce que c’est » [4].
Et à en croire une série de tribunes dans les médias dominants, au moment de l’annonce de l’intervention du FMI sur le sol européen, il semble que la propagande du renouveau ait fait son effet : « Enfin, le FMI a remédié à ses défauts bien connus. [...] Institution sans cœur, père fouettard planétaire et rejeton de l’impérialisme, le vieil FMI a vécu. Le nouveau sera-t-il à la hauteur de la mission en passe de lui être confiée ? » [5]
Mais surtout…est-il bien nouveau ?
En mars 2009, dans un document intitulé « Réponse du FMI à la crise financière et économique » l’institution affirmait avoir appris de ces erreurs et assurait que depuis la crise financière de 2008, aucun des prêts accordés n’était adossé aux conditions draconiennes utilisées dans le passé [6]. Un centre de recherche en économie londonien a décidé de mettre cette affirmation à l’épreuve des faits en étudiant dans le détail tous les accords conclus par le FMI depuis la crise des subprimes [7]. Le résultat est sans appel : sur les 41 pays engagés dans des prêts avec l’institution, 31 menaient des politiques de rigueur budgétaire dans un contexte de récession ou de croissance ralentie. Quant à la forme prise par ces politiques de rigueur, il est bien difficile de voir en quoi elle diffère de ce qui était imposé dans le cadre des PAS. Le cas des pays du monde arabe paraît emblématique de ce point de vue.
Le printemps arabe de 2011 n’a en effet pas manqué de susciter l’intérêt d’un FMI inquiet de voir ces pays, fraîchement libérés de leurs dictateurs, s’éloigner du giron néolibéral. Les déclarations rassurantes et compréhensives se sont donc multipliées à l’image de Christine Lagarde qui soulignait en décembre 2011 que le FMI avait « tiré d’importants enseignements du Printemps arabe » [8].
Alors que les rapports du FMI précédant les révolutions ne prenaient que très peu en compte ce que l’organisation nomme la « dimension sociale » – comportant la pauvreté, la question de l’équité, le chômage et les prestations sociales –, dès février 2011, le FMI annonce que la croissance doit être inclusive, créer de l’emploi et s’accompagner de politiques sociales pour les plus vulnérables. Le Fonds déclare même que certains des pays « en transition » sont en capacité d’augmenter la progressivité de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la propriété, et d’abandonner les exonérations et les niches fiscales, afin de dégager des moyens pour les infrastructures, la santé et l’éducation. Cela représente un changement certain dans le discours.
Mais un ancien analyste de la Banque mondiale, Mohammed Mossallem, a décidé de confronter cette nouvelle narration aux faits en étudiant les conditionnalités adossées aux accords de prêts passés avec la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et l’Égypte [9] après 2011. Or dans ces quatre pays les recommandations du FMI n’avaient rien à envier à celles imposées lors des plans d’ajustement structurel des années 80. En guise d’exemple, les conditionnalités pour la signature en 2013 d’un prêt de 1,74 milliard de dollars US à la Tunisie comportaient la réduction de l’impôt pour le secteur privé, une augmentation de l’impôt sur la consommation (l’impôt le plus injuste), la libéralisation de l’investissement, la diminution des subventions d’État couplée à une augmentation des prix de l’énergie, la dérégulation du marché du travail, le gel des salaires pour les travailleurs en service civil, ou encore des avancées vers la privatisation des banques publiques.
Quant au contenu des plans d’austérité imposés aux pays de la zone Euro depuis 2010, il s’inscrit dans la droite ligne du traitement infligé aux pays d’Afrique du Nord. La palme du cynisme revient au cas grec puisqu’une note interne prouve que le FMI savait avant même son application, que ce programme entraînerait « une sévère contraction de la demande et une profonde récession en conséquence, mettant à rude épreuve le tissu social » [10]. Plusieurs membres du conseil d’administration du FMI ont souligné les « immenses » risques du programme [11].
Contrairement à ses déclarations, le FMI « post-crise des subprimes » a donc bel et bien continué les injections austéritaires aux quatre coins de la planète.
Ainsi, le FMI continue de promouvoir sa potion amère, même quand il sait pertinemment qu’elle aggravera le cas du malade. Et l’institution va même plus loin : elle prescrit la même médication aux sujets sains !
En effet, le FMI conduit annuellement une mission dans chacun des pays membres au titre du chapitre IV de ses statuts, qui dit que le Fonds « exerce une ferme surveillance sur les politiques de change des États membres et adopte des principes spécifiques pour guider les États membres en ce qui concerne ces politiques ». Cette mission se clôture par la remise d’un rapport dans lequel le FMI soumet une série de recommandations. Si les pays ne sont pas dans l’obligation de suivre ces « conseils », le parallèle entre les recommandations et les projets de lois soumis aux différents parlements dans les mois suivants cette visite laisse songeur. Il ne s’agit pas de dédouaner la responsabilité des dirigeants nationaux mais plutôt de constater qu’adhérents au même dogme libéral les actions du FMI et des responsables politiques locaux s’articulent parfaitement et même s’auto-alimentent.
De 2012 à 2015, toutes les missions du FMI en France ont conclu à une trop grande « rigidité structurelle » [12], notamment en matière de marché du travail, appelant de leur vœux la possibilité de « négociation des partenaires sociaux au niveau de l’entreprise » ou « la limitation de la hausse du coût du travail ». Fin 2015, le gouvernement de Manuel Valls soumettait au parlement la loi dite El Khomri qui se propose de réformer de fond en comble le code du travail : primauté des accords d’entreprises sur les accords de branches, et, partant, allongement de la journée de travail jusqu’à 12 heures, baisse du sur-salaire pour les heures supplémentaires, facilitation des plans sociaux, possibilité de licencier un salarié refusant un changement dans son contrat, etc. En bref, un niveau de dérégulation susceptible de redonner le sourire aux experts du Fonds.
Malgré une opposition citoyenne massive à ce projet de loi, le gouvernement a imposé son adoption sans vote du parlement. Mais là n’est pas l’essentiel pour le FMI qui accorde plus d’importance à la réforme qu’à la forme.
Ces dernières années cependant, on a vu se multiplier des rapports internes critiquant vivement les politiques du Fonds. Certains économistes de l’institution ont non seulement avoué une série d’erreurs sur le plan économique, mais ont aussi critiqué les fondements idéologiques sur lesquels repose l’action du FMI.
Janvier 2013. Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, dévoile que le FMI a très largement sous-estimé l’impact négatif de l’austérité sur la croissance économique. L’erreur dans les calculs est tout sauf anecdotique, puisqu’elle est estimée à environ 300 % [13] !
Février 2014. Après que deux étudiants démolissent une étude réalisée par d’anciens économistes en chef du FMI, qui affirmait qu’une dette publique supérieure à 90 % du PIB entraînait automatiquement un ralentissement de la croissance économique [14], des experts du FMI confirment qu’il n’existe pas de seuil critique de la dette publique. « Nous n’avons trouvé aucune preuve d’un seuil particulier d’endettement au-dessus duquel les perspectives de croissance à moyen terme seraient significativement compromises » [15].
Juin 2016. Trois économistes du Fonds sortent un papier intitulé “Le néolibéralisme a-t-il été surestimé ?” dans lequel ils affirment : « au lieu d’apporter la croissance économique, certaines politiques néolibérales ont accru les inégalités, et par la même occasion, compromis toute expansion économique durable ».
Au-delà de ces rapports, beaucoup d’analystes se sont émus de voir le FMI insister auprès des autres créanciers de la Grèce pour une restructuration de la dette à partir de l’été 2015. Autant de signes que de nombreux médias ont interprété comme les prémices d’un éventuel changement profond de l’institution. Sommes-nous donc à l’aune d’un changement radical dans lequel le FMI jouerait le rôle de précurseur d’une nouvelle ère économique ? Rien n’est moins sûr.
Tout d’abord, si les gros titres des journaux donnent l’illusion que les auteurs de ce type de rapports font preuve d’une grande hétérodoxie, une lecture attentive de leurs travaux montre que leurs propos restent relativement mesurés. Il ne s’agit pas de minimiser ces apports, ni de remettre en question la sincérité des économistes qui les ont rédigés. Il semble bien qu’une partie des experts du Fonds soient convaincus de l’échec des méthodes appliquées par le FMI et poussent à un relatif changement de cap. Mais il est important de montrer que les auteurs de ces rapports maintiennent leurs analyses dans le cadre d’un libéralisme qu’ils ne remettent pas profondément en question.
À titre d’exemple, l’étude des trois économistes interrogeant le néolibéralisme apporte certes des chiffres intéressants qui montrent très bien les limites de ce modèle [16], mais rappelle aussi qu’il y a « beaucoup de raisons de se réjouir de l’agenda néolibéral » [17]. De plus, les auteurs s’interrogent sur la pertinence de voir des États aux économies fortes tels que les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne s’infliger des cures d’austérité, ajoutant : « Il est vrai que de nombreux pays (comme ceux d’Europe du Sud) doivent pratiquer la consolidation budgétaire, notamment parce que les marchés ne leur permettront pas de continuer à emprunter sans cela. Pour autant la nécessité de « l’austérité » dans certains pays ne signifie pas qu’elle soit nécessaire pour tous » [18]. Il semble que les recettes austéritaires aient encore de beaux jours devant elles, du moins pour toutes les économies n’ayant pas les reins assez solides pour faire face à la compétition… néolibérale.
De plus, notons que le jeu de la contradiction n’est pas chose nouvelle au sein des institutions de Bretton Woods. Depuis leur création, une quantité importante de rapports internes sont venus pointer les errements et les limites de leurs propres actions. Mais la question est de savoir si cette autocritique aboutit à de réels changements dans les orientations de l’institution ou s’il s’agit comme le propose l’ancien ministre des Finances grecs, Yanis Varoufakis, de « confesser un péché pour fauter à nouveau » [19].
Il n’y a d’ailleurs rien de surprenant à ce que cette analyse nous vienne d’un responsable politique grec, tant l’intervention du FMI dans la république hellénique est emblématique de cette persistance dans l’erreur. Dès 2013, une étude du bureau indépendant d’évaluation du FMI [20] reconnaissait en effet que le premier plan de sauvetage de 2010 s’était soldé par « des échecs notables ». Le rapport pointait notamment du doigt des prévisions économiques trop optimistes et des contreparties aux prêts inadaptées. Mais, alors qu’on aurait logiquement pu s’attendre à voir un changement de cap - a fortiori de la part d’une institution qui prétend mener son action sur des bases scientifiques -, les mêmes recettes ont continué à être administré : par exemple, à peine un mois après la sortie de ce rapport, le comité exécutif du FMI conditionnait un versement de 1,72 milliards d’euros à un plan de réduction du secteur public permettant le licenciement de 4 200 employés d’État.
Juin 2016, comme une impression de déjà vu. Le même bureau « indépendant » produit un rapport dressant le même constat d’échec de l’action du FMI en Grèce. Mais cette fois, les experts du Fonds apportent eux-mêmes les excuses pour justifier ce fiasco [21], et vont même jusqu’à affirmer que malgré toutes les limites de l’action du FMI, il est « impossible de construire un scénario alternatif ». Le fameux TINA (There Is No Alternative) ne semble donc pas avoir vraiment quitté les couloirs de l’institution !
Pourtant à la fin de l’été 2016, le FMI annonce qu’il refusera de participer au troisième plan d’aide qui prévoit de débloquer 86 milliards d’euros si une restructuration de la dette grecque n’est pas décidée par la Troïka [22]. Pour beaucoup, cette menace de retrait était la preuve d’une prise de conscience de l’institution. Cette analyse souffre malheureusement de deux maux : amnésie et européocentrisme. Il faut en effet se rappeler qu’en 2010, le FMI a accepté un « sauvetage » de la Grèce sans restructuration de dette, et ce en étant pleinement conscient du caractère insoutenable de celle-ci. Mais l’institution a été vivement critiquée notamment par les pays émergents siégeant en son sein pour la dangerosité et le manque de sérieux des plans d’aide accordés à l’Europe en général et à la Grèce en particulier. Alors que la règle initiale consiste à ne jamais prêter plus de 200 % du capital détenu par le pays demandeur, les dirigeants des pays dominants ont obtenu une modification du règlement autorisant un prêt dépassant les 3000 % [23] du quota grec [24] ! Les puissances émergentes telle que le Brésil ou la Chine n’ont absolument pas apprécié de voir le FMI s’engager dans un prêt d’une telle ampleur, prêts qu’ils savaient par ailleurs destinés à sauver les banques européennes. De plus, ces puissances émergentes, grandes fournisseuses de matières premières et de marchandises en Europe, craignaient qu’une austérité trop forte fasse baisser leurs carnets de commandes. Loin d’un plaidoyer pour une politique plus humaine, cette insistance pour un allègement du fardeau grec doit donc plutôt être entendue comme un moyen pour le FMI de conserver une légitimité à nouveau menacée, à plus forte raison depuis que les puissances émergentes ont lancé leur propre banque de développement dans le courant de l’année 2014 et que la Chine a mis sur pied sa propre banque d’investissement. Contrairement aux années 1980, le FMI n’est plus l’unique interlocuteur en matière de finance internationale, il se doit donc de prendre en compte un tant soit peu les puissances économiques montantes pour tenter de neutraliser la concurrence.
Enfin, en juillet 2016, le FMI a plaidé auprès du G20 pour une reprise des dépenses publiques afin de soutenir la croissance. Un discours effectivement bien inhabituel pour l’institution, et qui a amené de nombreux commentateurs à annoncer la fin de l’ère austéritaire. Mais une fois de plus, derrière les effets d’annonce, le détail des recommandations du Fonds ne laisse pas entrevoir un avenir si rose. Le FMI n’invite pas à en finir avec l’austérité sur l’ensemble de la planète, loin de là ! En réalité, l’invitation à augmenter les dépenses publiques s’adresse aux pays qui disposent des « marges de manœuvres budgétaires » pour le faire, à savoir quatre pays selon le FMI : les États-Unis, le Canada, l’Australie et l’Allemagne. De plus, Christine Lagarde a tenu à rappeler l’importance de poursuivre des réformes structurelles (réforme du travail, fiscalité…) qu’elle juge plus que jamais « nécessaires » [25].
Malgré les récents commentaires des observateurs, le FMI n’est donc pas en train de se transformer parce qu’il aurait subitement pris conscience de l’injustice sociale que provoquent ses programmes. En réalité, les quelques nuances qui peuvent être perçues dans son discours comme dans ses actes (rigueur intransigeante pour la majorité, légère relance pour quelques locomotives) ne sont absolument pas contradictoires avec son objectif fondamental : celui de l’imposition d’un modèle ultralibéral qui assure une circulation optimale des capitaux pour le plus grand profit de ceux qui en possèdent.
« Le FMI ne dit pas que l’austérité est trop forte, injuste, provoque trop de souffrance à court terme ou que les pauvres sont plus touchés que les riches. Il dit simplement que l’austérité risque de ne pas permettre d’atteindre l’objectif de réduction de la dette dans un délai raisonnable. » Wolfgang Münchau dans les colonnes du Financial Times, le 15 octobre 2012, suite à un rapport du FMI critiquant une austérité trop appuyée |
Depuis sa création, les règles de prises de décisions au sein du FMI bénéficie aux États-Unis et à ses alliés victorieux au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Profondément inégale, cette répartition du pouvoir qui repose sur la règle « 1 dollar = 1 vote » a été de plus en plus contestée par les pays émergents qui voulaient leur part du gâteau. Pour tenter d’établir un semblant de démocratie, et satisfaire la demande de ces pays en expansion, une réforme sur l’augmentation des quotes-parts [26] et le transfert des droits de vote avait finalement été approuvée par les États membres à la réunion de printemps du FMI en avril 2008.
Les dirigeants du Fonds n’ont pas tari d’éloge sur ce soi-disant rééquilibrage démocratique que Dominique Strauss-Kahn présentait en 2010 comme « la plus importante réforme jamais adoptée de la gouvernance du Fonds monétaire international » [27]. L’enthousiasme se fait pourtant bien moins grand lorsqu’on se penche sur son contenu. Il n’a en effet jamais été question d’adopter un système qui permette à tous les pays membres d’avoir voix au chapitre mais bien de contenter des pays émergents dont le poids économique était devenu trop important pour être ignorés. Par ailleurs, les interventions post-crise des subprimes en Europe ayant suscité de nombreuses critiques de la part des pays émergents, il s’agissait de faire un geste pour maintenir la légitimité de l’institution. Les 6 % de droits de vote qui ont été nouvellement répartis sont donc entièrement allés vers les BRICS, faisant ainsi passer la quote-part de l’Inde de 2,3 % à 2,6 %, celle du Brésil de 1,7 % à 2,2 %, celle de la Russie de 2,3 % à 2,6 %, et surtout celle de la Chine de 3,8 % à 6 %. Cette réforme minime a donc consisté à retirer une petite partie de leur pouvoir aux grandes nations européennes pour le transférer vers des BRICS qui refusent de se voir encore considérés comme des puissances de seconde zone.
Les grands perdants de cette opération sont sans surprise les pays les plus pauvres, pour lesquels le Fonds s’est engagé, non sans cynisme, à « préserver » [28] les droits de vote. Le Bangladesh s’est sans doute senti renforcé dans son pouvoir d’action à la vue de cet engagement, lui qui dispose de 0,24 % de droits de vote pour défendre les intérêts de ses 155 millions d’habitants [29] ! Concrètement, ce transfert de droits de vote [30] des pays riches vers les pays émergents a fait passer la part de vote des pays en développement (pays émergents inclus) de 39,4 % à pas loin de 46 %. Cela laisse tout de même près de 55 % de droits de vote aux pays riches qui ne représentent que 18 % de la population mondiale.
Pour leur part, les Etats-Unis sortent vainqueurs de cette opération puisqu’ils gardent la mainmise sur la structure. En ne cédant que 0,3 % de leurs droits de vote [31], ils conservent en effet leur si précieux droit de veto.
« Ces réformes vont renforcer la position dominante des Etats-Unis dans cette institution cruciale tout en fournissant au Fonds une solide assise financière » Jacob Lew, secrétaire au Trésor américain, 2015 |
Soulignons également que, malgré les bénéfices de la réforme pour l’oncle Sam, le camp républicain a refusé d’entériner la réforme devant le Congrès pendant plus de cinq ans, jugeant l’augmentation du poids des BRICS disproportionnée ! Au-delà du fond du propos qui en dit long sur la définition que peuvent donner les élus républicains de la démocratie, il est révélateur de voir comment une réforme amendée par quelque 187 pays a pu être bloquée pendant plus de cinq ans par un seul Etat… Vous avez dit « démocratie » ?
Face à la catastrophe d’Ebola, le FMI – appuyé par les déclarations du G20 – s’est engagé dans un « plan d’aide » de 330 millions de dollars US à destination des trois pays les plus touchés par l’épidémie : la Sierra Leone, le Liberia et la Guinée. À cette occasion, la directrice du Fonds, Christine Lagarde, a déclaré : « lorsqu’il s’agit de soigner la population, de prendre les précautions pour tenter de contenir la maladie, il est nécessaire d’augmenter les déficits » [32], ajoutant que « le FMI n’a pas l’habitude de dire cela ».
En annonçant ce plan d’aide, le FMI a – comme dans le cas du Tsunami de 2005 – tenté de se faire passer pour un bon samaritain prêt à des actes généreux en cas de grandes catastrophes. Des chercheurs anglais [33] de l’Université d’Oxford et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine ont pour leur part tenu à rappeler la responsabilité de l’institution dans l’épidémie en mettant en lumière quelques-unes des mesures catastrophiques imposées par le Fonds dans le cadre de plus de 25 ans d’ajustement structurel : en Sierra Leone, en 1995 le nombre de fonctionnaires a été réduit de 28 % en l’espace d’une année ; le personnel soignant local est passé de 0,11 pour 1000 personnes en 2004 à 0,02 en 2008 ; lorsque le pays a lancé son système de soins de santé gratuits en 2010, le FMI a insisté « sur le besoin de mesurer soigneusement les implications budgétaires » d’un tel programme et sur leur préférence « pour une approche plus graduelle des augmentations de salaire dans le secteur de la santé ». Les chercheurs rappellent ainsi « qu’une des principales raisons de l’étendue si rapide de l’épidémie a été la faiblesse du système de santé dans la région. » et que si de nombreuses raisons pouvaient expliquer cette faiblesse, l’action du FMI, présent dans les trois pays depuis de nombreuses années, devait compter parmi celles-ci.
De plus, le plan d’aide apporté par le FMI ressemble plus à un nouveau piège qu’à un véritable soutien. Premièrement, sur les 330 millions de dollars US d’aide annoncés, 160 millions correspondent à de nouveaux prêts. Ces « aides » vont donc alourdir l’endettement de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone [34] qui, à terme, devront faire des coupes budgétaires dans leurs services publics, dont ceux de la santé, pour rembourser ces « aides ».
Deuxièmement, sur les 170 millions de dollars US restants, 100 millions correspondent à de faux allégements de dette à l’égard du FMI. Ces allégements appelés « dons pour dettes » servent avant tout l’intérêt des créanciers de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone, puisqu’ils font du remboursement de la dette la priorité budgétaire de ces pays, malgré la grave crise humanitaire qu’ils traversent. Le FMI précise en effet que « ces dons seront utilisés pour rembourser les paiements futurs du service de la dette ». Ces allégements se feront via un nouveau fonds fiduciaire, créé par le FMI le 5 février 2015, appelé « Fonds d’assistance et de riposte aux catastrophes ». Ce nouveau fonds remplace un autre fonds fiduciaire pour l’allégement de la dette qui avait été mis en place en 2010 à la suite du tremblement de terre en Haïti. L’accès à ce fonds d’assistance est notamment conditionné au fait d’avoir un programme avec le FMI. Il va sans dire que ces « allégements de dette » sont, comme toute autre « aide » accordée par le FMI, conditionnés à la poursuite des politiques d’ajustement structurel.
Troisièmement, le montant de ces allégements est minime. Le stock total de la dette de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone s’élève à 3 milliards de dollars US. Il est donc évident que l’allégement de 100 millions de dollars US accordé par le FMI n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux qui ne changera rien au cycle infernal du système dette.
À partir de la fin des années 1990, une pluie de critiques est venue s’abattre sur la Banque mondiale : dénoncée tant par l’aile conservatrice états-unienne [35] que par la « société civile » [36], il devint de plus en plus difficile pour l’institution de promouvoir les plans d’ajustement structurel qui se trouvaient être au centre de la polémique. Face à cette crise de légitimité, la Banque mondiale va multiplier les pirouettes sémantiques et les modifications de surface, mais la logique néolibérale de son action, inscrite dans son code génétique, va bien se maintenir. Parmi ces subterfuges, on trouve notamment l’initiative Pays Pauvre Très Endetté (PPTE) qui, via un allègement de dette limité et contrôlé par les IFI, permet – encore aujourd’hui – d’imposer aux pays les plus pauvres des politiques similaires aux plans d’ajustement structurel (aujourd’hui appelés DSRP) et à les maintenir dans la spirale de la dette.
Par ailleurs, en 2002, très peu de temps après que la Banque annonce officiellement la fin des plans d’ajustement structurel, un nouvel outil appelé « Doing Business » (« faire des affaires ») voit le jour… Le hasard fait décidément bien les choses ! Ce rapport annuel se propose de classer les 189 pays membres de la Banque mondiale selon leur capacité à aménager un bon « climat des affaires » pour les investisseurs. La constitution de ce classement se fonde sur les présupposés classiques de la Banque mondiale, aussi tenaces qu’erronés, et que l’on pourrait résumer comme suit : « les entreprises prospéreront d’autant plus dans un pays qui permet un cadre réglementaire léger, et peu coûteux ; et la bonne santé de ces entreprises entraînera nécessairement une économie florissante qui permettra le développement des États et la réduction des inégalités ». Partant de cette logique, les critères qui améliorent le climat des affaires et qui permettent d’obtenir un bon classement sont les suivants : une déréglementation maximale, une fiscalité amicale pour le secteur privé, une législation qui protège le moins possible les droits des travailleurs et qui les met en concurrence les uns les autres.
Cette incitation à la déréglementation a été pointée par une série de rapports émanant tant d’ONG que d’études de la Banque elle-même. L’une d’entre elles [37], réalisée cinq ans après les premiers pas du « Doing Business », prouve que la Banque mondiale accorde le meilleur score aux pays qui ont une faible législation, peu protectrice du marché du travail. La Banque mondiale dégrade ainsi la note des pays qui protègent le plus l’emploi (Argentine et Bulgarie en 2008). À l’inverse, les pays qui ont la réglementation la plus faible sont les mieux notés. On trouve ainsi en tête du classement 2008, Singapour, les États-Unis et les Îles Marshall.
Plus récemment, une étude conduite par Trevor Manuel, un ancien ministre des affaires sud-africain, s’est montrée extrêmement critique vis-à-vis du « Doing Buisness », affirmant qu’il était « impensable que la Banque continue à ce jour à publier un rapport qui vante les plus faibles taux d’imposition des sociétés comme l’idéal pour le développement. Le problème des pays en développement tient au fait qu’ils ont levé trop peu et non trop de taxes auprès des sociétés transnationales », ajoutant que si « le fait de classer des pays peut sembler dépourvu de jugement de valeur, il s’agit en réalité d’une méthode arbitraire qui consiste à résumer une quantité importante d’informations complexes en un seul chiffre. [38] »
Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a réagi à ce rapport en annonçant que les recommandations qui y étaient faites seraient rapidement prises en compte pour faire évoluer le « Doing Business » [39]. Trois ans après cette déclaration, les pays qui limitent leurs taxes aux entreprises obtiennent toujours un meilleur classement et les quelques modifications apportées aux indicateurs ne remettent aucunement en question la philosophie globale de l’exercice [40]. Dans cette même déclaration, Jim Yong Kim tenait d’ailleurs à réaffirmer son soutien à ce classement qu’il estime être un « catalyseur important des réformes économiques à travers le monde ».
Et il n’y a en effet aucun doute sur ce dernier point ! Les gouvernements des pays en voie de développement se vouent une compétition acharnée afin d’offrir au secteur privé – et en particulier aux transnationales – les conditions les plus attractives car ils sont pleinement conscients que la Banque mondiale et les créanciers bilatéraux orientent leurs lignes de prêts notamment en fonction des résultats obtenus à ce classement. Selon la Banque, en 2014 le « Doing Business » aurait inspiré plus d’un quart des 2100 réformes enregistrées depuis sa création [41].
Et la Banque ne semble pas vouloir s’arrêter en si bon chemin ! À la demande expresse du G8 qui invitait en 2012 à « réfléchir aux options pour élaborer un index pour noter les pays sur le climat des affaires dans le secteur agricole » [42], elle a développé l’outil « Enabling the Business of Agriculture » (EBA, ou « Améliorer le climat des affaires dans l’agriculture », ACAA) sensé nous permettre de relever les défis majeurs du siècle à venir, à savoir principalement nourrir les 9 milliards d’individus prévus pour 2050 [43]. L’EBA (financé par la fondation Bill et Melinda Gates et les gouvernements états-unien, anglais, danois et néerlandais), dont la méthodologie est calquée sur celle du « Doing Business », propose également un classement des pays sur des critères tels que l’enregistrement des terres agricoles, l’accès aux semences, l’approvisionnement en engrais ou encore la production agricole sous contrat [44].
En valorisant l’accès aux intrants de type industriel (tels que les herbicides, pesticides, ou engrais non-organiques) et en poussant à une agriculture sous contrat, qui constitue avant tout un formidable moyen pour l’industrie agroalimentaire d’accaparer les moyens de production et de faire supporter l’ensemble des risques liés à la production sur le producteur, l’EBA permet aux grandes multinationales de l’agro-business d’étendre encore un peu plus leur influence. La logique prônée par la Banque va totalement à l’encontre de la réalité et des intérêts de l’agriculture familiale qui concerne pourtant 80 % des exploitations agricoles dans les pays en développement.
Limité dans un premier temps à un projet pilote qui concernait 10 pays volontaires, le rapport 2016 s’était déjà étendu à 40 pays et l’ambition est bien de couvrir un maximum de pays au plus vite !
New name, same game ! Au fil des critiques et des remises en question, les institutions financières internationales sont devenues maîtres dans l’art de la sémantique « brouilleuse de piste » ! Après les plans d’ajustement structurel devenus « stratégies de réduction de la pauvreté et pour la croissance » au Sud et plans « d’austérité » ou de « rigueur » au Nord, ce classement nous offre un nouvel exemple de leurs pirouettes lexicales. Initialement nommée « Faire des affaires dans l’agriculture » (« Doing Business in Agriculture »), le rapport s’est ensuite appelé « Évaluation des affaires dans l’agriculture » (« Benchmarking the Business of Agriculture ») et enfin « Améliorer le climat des affaires dans l’agriculture » (« Enabling the Business of Agriculture »). Cette stratégie permet de brouiller les pistes et pose un obstacle supplémentaire à l’accès à l’information : les mouvements sociaux luttant contre ces politiques avec peu de moyens mettent parfois des mois et des années à sensibiliser la population à un nouveau dispositif à l’acronyme barbare… qui change subitement de nom ! |
Par ailleurs les indicateurs de ce nouveau classement vont clairement faciliter un phénomène appelé « accaparement des terres » qui consiste à faciliter l’acquisition de très grandes surfaces arables par de grandes compagnies, la plupart du temps étrangères, au détriment des petits agriculteurs locaux.
Si la Banque mondiale se cache derrière le fait qu’elle reconnaît les systèmes coutumiers de droits fonciers, elle pousse clairement à s’engager dans une agriculture intensive et mécanisée qui oblige les agriculteurs à s’endetter. Or pour bénéficier d’un crédit, les paysans doivent présenter des droits de propriété formels. Ces indicateurs encouragent donc les gouvernements à mener des réformes de leurs systèmes fonciers. Ces réformes consisteront à l’enregistrement et à la commercialisation des terres remettant totalement en question dans de nombreux pays des systèmes de partage des terres millénaires.
Selon la campagne « Our land – our business » », une coalition qui regroupe plus de 260 ONG mobilisées contre les politiques de la Banque mondiale en matière d’agriculture, ce sont près de 200 millions d’hectares de terres (l’équivalent de près de deux tiers de l’Inde) qui ont été accaparés entre 2000 et 2011 [45] ! Un phénomène qui prive les communautés locales de leurs ressources fondamentales et menace ainsi leur sécurité alimentaire.
La lutte s’organise contre les accapareurs de Terre : « Bolloré dégage ! » Le groupe Bolloré est l’actionnaire principal (39 %) de la Socfin qui détient des plantations industrielles de palmiers à huile et d’hévéas au Cameroun, au Liberia, au Cambodge et en Côte d’Ivoire. Depuis 2008, l’expansion de ces plantations est continue. Les surfaces plantées des sociétés africaines de la Socfin sont passées de 87 303 à 108 465 ha entre 2011 et 2014, soit une augmentation de 24 % qui se fait au détriment des communautés locales. Après une tentative de médiation entre les actionnaires du groupe et les représentants des communautés de ces quatre pays, le dialogue a finalement été rompu par les propriétaires de la Socfin qui refuse de considérer les communautés comme des interlocuteurs légitimes ! Les paysans privés de terres ont donc lancé une série d’occupations coordonnées sur les plantations Socfin dans ces quatre pays en avril et mai 2015. Les victimes de la même multinationale ont décidé d’unir leurs forces pour contraindre l’entreprise à respecter leurs droits comme le soulignait au moment de l’action un paysan camourenais : « ces terres nous ont été volées. Nous venons maintenant les reprendre et les occuper jusqu’à ce qu’un accord avec Bolloré et la Socfin soit trouvé ». Une mobilisation qui montre par ailleurs la pertinence de coordonner les forces au Nord et au Sud puisque cette série d’occupations s’est clôturée par le blocage de l’Assemblée générale du groupe Bolloré en France [46]. De ses plantations à ses luxueux bureaux parisiens, Bolloré n’a pas fini d’entendre la voix de toutes celles et ceux qui souffrent de son business dévastateur. Bolloré dégage ! |
À la vue de tous ces nouveaux dispositifs, qui se proposent de livrer encore un peu plus les pays en développement à la compétition du « tous contre tous », on a bien du mal à voir en quoi la Banque mondiale serait devenue, comme elle le prétend, une organisation luttant contre la pauvreté.
On pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’une organisation qui prétend lutter contre la pauvreté intègre le respect des droits humains comme un des critères fondamentaux de son action. Mais, alors que la Banque se trouve dans l’obligation de respecter toute règle du droit international général incluant les instruments de protection des droits humains [47], cela fait 70 ans que ces principes ne passent pas le seuil des bureaux feutrés de Washington. Selon Philip Alston, Rapporteur Spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains, et auteur d’un rapport sur la question en août 2015 : « la Banque mondiale s’assied sur les droits humains. Elle les considère davantage comme une maladie infectieuse que comme des valeurs et obligations universelles. [48] »
En janvier 2006, le Conseiller général de la Banque mondiale, Roberto Dañino, a produit un texte dans lequel il proposait la prise en considération des droits humains, mais uniquement si ceux-ci avaient un impact du point de vue économique. En octobre 2006, la conseillère générale qui l’a remplacé, Ana Palacio, a alors qualifié l’intervention comme une « invitation mais non une obligation à prendre en compte les droits humains ». De nouveau interpellée sur le sujet en 2012, elle a, par les voix de sa conseillère générale Anne-Marie Leroy et de son vice-président pour la région Afrique, Maktar Diop, réitéré son refus de prendre en compte les droits humains, considérant que cela pourrait être un obstacle aux prêts ou accroître leur coût !
Pour justifier ce refus, la Banque se cache donc derrière sa mission qui, se limitant à des considérations économiques, l’empêcherait d’aborder des notions trop politiques. On a du mal à comprendre en quoi cette mission prétendument technique la placerait au-dessus du droit international. De plus, il est intéressant de constater que la Banque n’a eu aucun problème à trouver des justifications lorsqu’il s’agissait d’intégrer des questions comme la corruption, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme ou la gouvernance qui ne faisaient initialement pas partie de ses prérogatives. Une approche que Philip Alston qualifie à juste titre de politique de deux poids, deux mesures.
S’estimant au-dessus des lois, la Banque mondiale n’en finit plus de bafouer les droits fondamentaux des peuples du Sud. Parmi de trop nombreux exemples, citons le cas de l’entreprise Dinant au Honduras [49]. En 2010, Dinant avait été impliquée dans un conflit foncier au cours duquel six paysans avaient été abattus par les forces de sécurité privées de la firme. L’enquête subséquente du CAO [50], un organisme de surveillance interne de la Banque, a démontré que la Banque était au courant des problèmes entourant les activités de Dinant. Mais aucune condamnation n’a suivi. Citons également l’enquête de terrain réalisée dans quatorze pays, couplée à un travail d’analyse de milliers de rapports par le Consortium international pour le journalisme d’investigation (ICIJ) [51], qui révèle que les projets financés par la Banque mondiale ont contraint près de 3,4 millions de personnes à quitter leur domicile depuis 2004, parfois avec le recours de policiers armés chargés de les expulser. Loin d’être des cas isolés, les instances onusiennes, nationales et les comités d’experts indépendants ne cessent de confirmer que plusieurs projets financés par la Société financière internationale (SFI) se sont traduits par de graves infractions aux droits humains : accaparement des terres, répression, arrestations arbitraires ou meurtres afin de faire taire les mouvements de protestation contre certains projets financés par la Banque.
Mais malgré la gravité de ses agissements, la Banque jouit d’une totale impunité. En 2016, un tribunal de Washington a tout simplement autorisé l’institution à ne pas répondre de ses actes devant la justice étasunienne. Des paysans et pêcheurs indiens demandaient au tribunal une réparation pour le préjudice social et environnemental causé par une centrale de charbon construite près des terres où ils vivent et travaillent et qui avait été financée par la Banque. Le tribunal reconnaît la responsabilité de l’institution. Mais alors qu’un principe élémentaire du droit est de réparer le dommage qu’on a causé du fait de sa propre faute, les juges de Washington ont rendu une décision qui va à l’encontre de ce principe. Ils considèrent en effet que la Banque mondiale jouit d’une immunité en tant qu’Organisation internationale, ce qui lui garantit une impunité pour toutes ses actions qui violeraient les droits des populations. Pire, plus ses actions illégales sont nombreuses et plus les juges états-uniens protègent la Banque, au motif que la multiplication d’actions en justice contre elle risquerait d’entraver le bon déroulement de ses activités !
Il ne s’agit ici que d’un échantillon de preuves. Le FMI et la Banque mondiale n’ont rien changé de leur logique d’action ultralibérale et ne le feront jamais pour la simple et bonne raison que les institutions de Bretton Woods ont été conçues pour produire ce type de politique. Il serait illusoire d’espérer réformer de telles institutions. Elles doivent tout simplement être dissoutes.
Cet article a notamment été écrit sur base des articles suivants :
Antoine Hermelin : http://www.cadtm.org/L-evolution-des-politiques-de-la
Emma Sanders : http://www.cadtm.org/Actions-contre-les-accaparements
Jerôme Duval : http://www.cadtm.org/La-reforme-sur-la-repartition-des
Nathan Legrand : http://www.cadtm.org/Le-FMI-n-a-tire-aucune-lecon-des
Olivier Bonfond : http://www.cadtm.org/La-Commission-europeenne-et-le-FMI
Renaud Vivien : http://www.cadtm.org/Banque-mondiale-une-zone-de-non ; http://www.cadtm.org/Les-pays-accables-par-Ebola
Virginie De Romanet : http://www.cadtm.org/La-Banque-mondiale-sous-les-feux
Yao Desire : http://www.cadtm.org/Doing-Business-et-Benchmarking
[1] Joseph E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, juillet 2002
[2] J. D. Wolfensohn, cité par S. Anderson (directrice du Programme d’économie mondiale à l’Institute for Policy Studies de Washington), Courrier international, n° 549, 10-16 mai 2001, p. 63.
[3] Propos tenus sur le plateau de France 2 le 20 février 2011. cité dans l’article d’alternative économique Le FMI a-t-il vraiment changé ?, n°301, avril 2011. voir : dtwin.org/WordDD/wp-content/uploads/2011/LeFMIchange.htm
[4] Propos tenus lors d’une conférence de presse à Washington le 12 avril 2014 et repris par le journal Le Monde : http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/04/13/le-fmi-a-change-assure-christine-lagarde_4400402_3234.html
[5] http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/03/20/le-fmi-grand-gagnant-du-prochain-g20-de-londres-par-alain-faujas_1170509_3232.html
[6] « à la différence de la crise asiatique de 1997, aucun programme postérieur à la crise de 2008 n’a cherché à réaliser un excédent à court terme ». Voir l’étude du CEPR, Center for economic and policy research : http://cepr.net/documents/publications/imf-2009-10.pdf
[7] Voir l’étude du CEPR, Center for economic and policy research : http://cepr.net/documents/publications/imf-2009-10.pdf
[9] En 2016, les négociations n’avaient toujours pas abouti en raison des mobilisations sociales et de l’instabilité politique Cependant, les recommandations qui accompagnaient les négociations de prêts entre le FMI et l’Égypte restaient similaires aux recettes mises en œuvre dans le passé. La suppression des subventions d’État sans mesure de protection sociale, résultant en l’augmentation des prix de l’énergie, la dévaluation, et des mesures favorisant le secteur privé en sont quelques exemples.
[10] Dossier pénal transmis au Parlement grec par le procureur chargé des crime économiques (septembre – novembre 2012) concernant les déclarations de l’ancien représentant de la Grèce au FMI P Roumeliotis :, Strictement confidentiel, mai 2010. FMI, Réunion du Conseil d’admission sur la demande de la Grèce, 09/05/2010 http://gesd.free.fr/ imfinter2010.pdf
[11] Dossier pénal transmis au Parlement grec par le procureur chargé des crimes économiques (septembre – novembre 2012) concernant les déclarations de l’ancien représentant de la Grèce au FMI P Roumeliotis :, Strictement confidentiel, Mai 2010.FMI, Réunion du Conseil d’admission sur la demande de la Grèce, 09/05/2010 http://gesd.free.fr/ imfinter2010.pdf
[12] Voir les conclusions des missions de la consultation au Titre de l’Article IV du FMI de 2012, 2013, 2014, 2015 : http://www.imf.org/fr/news/articles/2015/09/28/04/52/mcs051915 ; http://www.imf.org/fr/news/articles/2015/09/28/04/52/mcs051514 ; http://www.imf.org/fr/news/articles/2015/09/28/04/52/mcs060413b ; http://www.imf.org/fr/news/articles/2015/09/28/04/52/mcs102912
[13] Hubert Huertas, « Extraordinaire : l’austérité est une erreur mathématique ! », France culture, 9 janvier 2013
[14] « Ce doctorant qui a fait trembler les défenseurs de l’austérité », Le Soir, 22 avril 2013
[15] Marie Charrel, « Le FMI admet qu’il n’existe pas de seuil critique de la dette publique », Le Monde, 18 février 2014
[16] Voir notamment l’article de Romaric Godin qui présente les grandes conclusions de l’étude : http://www.latribune.fr/economie/international/quand-le-fmi-critique-le-neoliberalisme-574748.html et dans lequel on peut lire : « toute consolidation budgétaire de 1 % du PIB conduit à une hausse de 0,6 point du taux de chômage à long terme et à une hausse de 1,5 point du coefficient de Gini qui estime les inégalités ».
[17] « There is much to cheer in the neoliberal agenda. » https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2016/06/pdf/ostry.pdf
[18] Voir Neoliberalism : oversold ? p.40 : https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2016/06/pdf/ostry.pdf
[19] Yanis Varoufakis, « IMF : Confessing to the sin in order to repeat it », July 31, 2016.
[20] IMF, Ex Post Evaluation of Exceptional Access under the 2010 Stand-By, June 2013.
[21] « Les auteurs tentent même de le dédouaner pour ses erreurs de prévision : après tout, disent-ils, il s’agissait d’un programme qui devait conduire à un ajustement « particulièrement ambitieux » (challenging). L’évaluation est donc « compliquée » et ne saurait être « fondée sur une comparaison entre les prévisions et les résultats […] Il ne reste, pour expliquer cet énorme écart entre prévisions et réalisations, qu’à invoquer la perte de « confiance » des marchés, l’erreur technique sur les multiplicateurs, et un dernier argument qui va conduire à éveiller un terrible soupçon. Le FMI aurait négligé le fait que l’économie grecque est une petite économie fermée, dont une petite partie seulement des exportations est sensible à la compétitivité. ». Mais on ne voit pas très bien sur quoi d’autre on pourrait la fonder » voir Michel Husson : http://www.cadtm.org/Grece-les-erreurs-du-FMI
[22] A ce jour, la participation du FMI à ce troisième plan d’aide n’est toujours pas certaine car un bras de fer est toujours en cours sur la question de la restructuration de la dette grecque entre l’Eurogroupe et le FMI.
[23] Très exactement 3 212 % du quota grec. Soit 32 fois le montant du quota de la Grèce au FMI.
[24] Face aux nombreuses critiques le FMI est d’ailleurs revenu sur cette règle au début de l’année 2016. Voir : http://www.lesechos.fr/04/02/2016/LesEchos/22122-033-ECH_pourquoi-le-fmi-a-change-sa-doctrine-de-politique-de-pret.htm
[25] Au mois de mai 2015 le FMI incitait d’ailleurs la France à aller plus loi que la réforme du travail qui était encore en débat à ce moment là.
[26] La quote-part d’un pays membre détermine son engagement financier maximum envers le FMI ainsi que son pouvoir de vote. Fin mars 2008, le total des quotes-parts s’établissait à 217,4 milliards de droit de tirage spécial (DTS) (soit environ 354,3 milliards de dollars US).
[27] Voir : http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2010/10/23/97002-20101023FILWWW00353-dsk-se-felicite-de-la-reforme-du-fmi.php
[30] Voir : « Communiqué de presse : Le Conseil d’administration du FMI approuve une vaste réforme des quotes-parts et de la gouvernance » https://www.imf.org/fr/News/Articles/2015/09/14/01/49/pr10418
[31] Voir « Acceptances of the Proposed Amendment of the Articles of Agreement on Reform of the Executive Board and Consents to 2010 Quota Increase » (Last Updated : 24 avril 2017) https://www.imf.org/external/np/sec/misc/consents.htm#a2
[32] Voir « Managing Director’s Remarks on the Impact of Ebola », 9 Octobre 2014 : http://www.imf.org/external/mmedia/view.aspx?vid=3830643908001
[33] Voir « The International Monetary Fund and the Ebola outbreak » http://www.thelancet.com/pdfs/journals/langlo/PIIS2214-109X(14)70377-8.pdf
[34] A noter que la Sierra Leone a signé un nouveau plan d’aide de 224,2 millions de dollars US au mois de juin 2017.
[35] Sorti en 2000 le rapport Meltzer, du nom de l’universitaire conservateur qui s’est vu commander cette étude par le congrès étatsuniens, dénonce l’inefficacité des projets soutenus par la banque mondiale et révèle que la plupart des prêts ne sont pas destinés aux pays les plus pauvres. Pour en savoir plus : http://www.cadtm.org/IMG/article_PDF/article_1619.pdf
[36] Suite à la campagne « Banque mondiale : 50 ans, ça suffit » portée par de nombreuses ONG à l’échelle mondiale en 1995, une série d’entre-elles acceptent de rentrer en dialogue avec la BM dans le cadre d’une évaluation des plans d’ajustement structurel. Mais face aux résultats catastrophiques révélés par les nombreuses enquêtes de terrain, la Banque mondiale s’est petit à petit retirée du projet, refusant de prendre en compte les conclusions et recommandations qui en sont ressorties. Pour en savoir plus : http://www.cadtm.org/IMG/article_PDF/article_1619.pdf
[37] Voir The Doing Business Indicators : Measurement issues and political implications (Janine Berg ; Sandrine Cazes) : http://www.ilo.org/public/english/employment/download/elm/elm07-6.pdf
[38] “The act of ranking countries may appear devoid of value judgement,« states the panel’s report, »but it is, in reality, an arbitrary method of summarising vast amounts of complex information as a single number.
[39] Voir :http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2013/06/07/world-bank-president-jim-yong-kim-statement-on-the-independent-panel-review-of-doing-business
[40] Voir notamment les critiques émise par Eurodad : http://eurodad.org/Entries/view/1546302/2014/11/20/World-Bank-s-Doing-Business-2015-cosmetic-changes-to-a-fundamentally-flawed-report ; http://www.eurodad.org/Entries/view/1546503/2015/11/25/Doing-Business-ranking-at-odds-with-how-business-is-done-in-the-developing-world-how-the-World-Bank-s-flagship-publication-influences-policy-makers ; http://www.eurodad.org/Entries/view/1546493/2015/10/29/Doing-Business-2016-s-reformed-indicator-will-favour-land-grabbing
[41] Doing Business 2014. Understanding Regulations for Small and Medium-Size Enterprises. The World Bank and International Finance Corporation, 2013. https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/16204/19984.pdf?sequence=1 (accessed March 4, 2015).
[42] « Fact sheet : G-8 action on Food Security and Nutrition ». Communiqué de presse, The White House, 18 mai 2012, cité dans The Oakland Institute, « Les Mythes de la Banque mondiale sur l’Agriculture et le Développement », 2014, p.5
[43] World Bank Group, « Améliorer le climat des Affaires dans l’Agriculture, Rapport d’Etape », 2015, p. V.
[44] Dans le modèle d’agriculture sous contrat, « L’agriculteur accepte de fournir certaines quantités d’un produit agricole donné qui doit répondre aux normes de qualité établies par l’acheteur et qui doivent être prêtes à une date fixée par l’acheteur. En contrepartie l’acheteur s’engage à acheter le produit et dans certains cas à soutenir la production en fournissant par exemple des intrants, l’aménagement du terrain et des avis techniques. », http://www.fao.org/ag/ags/contract-..., consulté le 20 avril 2015.
[47] Le Comité de l’ONU pour les droits économiques, sociaux et culturels a rappelé dans une déclaration officielle datée du 24 juin 2016 que la Banque mondiale comme toute autre organisation internationale doit impérativement respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme, les principes généraux du droit international et les Pactes de 1966 sur les droits humains. Voir : E/C.12/2016/1 « Public debt, austerity measures and the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights ». Statement by the Committee on Economic, Social and Cultural Rights.
De plus, la Banque mondiale et le FMI, en tant qu’agences spécialisées de l’ONU, sont liés par les objectifs et principes généraux de la Charte des Nations Unies, parmi lesquels figurent le respect des droits humains et des libertés fondamentales.
[48] Report of the Special Rapporteur on extreme poverty and human rights », téléchargeable ici : http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/70/274
[49] Cette société hondurienne productrice d’huile de palme était le troisième client de la banque hondurienne Ficohsa, dans laquelle la SFI a investi 70 millions de dollars US en 2011. Lire l’article « Comment la Banque mondiale finance le massacre de dizaines de paysans » http://www.cncd.be/Comment-la-Banque-mondiale-finance
[50] CAO : Compliance Advisor Ombudsman