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Comment le micro-crédit et l’inclusion financière portent préjudice aux droits humains ?
par Philip Mader
27 novembre 2017

Ce papier se base sur un exposé donné à la conférence du réseau européen pour la souveraineté alimentaire qui s’est tenue à Bruxelles, les 28 et 29 septembre 2017. Il ne doit pas être vu comme un document académique exhaustif mais comme matière à réflexion.

Le microcrédit et l’inclusion financière sont des pratiques qui se chevauchent ; chacun basé sur la même idée que faire des affaires avec les pauvres sera bénéfique pour les deux parties. Des bénéfices financiers pour les créanciers conjuguée à une réduction de la pauvreté et un accès au développement pour les pauvres.

Muhammad Yunus, le fondateur de la Grameen Bank au Bangladesh, a longtemps promu l’idée « d’un droit humain au crédit ». Mais c’est une idée fallacieuse parce que le crédit n’est pas un besoin humain universel pas plus qu’il n’est jamais accordé sans conditions. C’est le comportement qui ouvre l’accès au crédit et le défaut de paiement le referme. Les droits humains eux sont inconditionnels, ils ne peuvent être gagnés ou perdus.

La micro-finance s’est développée dans le cadre de l’ajustement structurel au cours des années 1980, et est de plus en plus impliquée dans la privatisation de l’accès aux services publics, par exemple en matière de crédit à l’eau (avec l’accès payant à l’eau), de prêts à l’éducation, de micro-assurance maladie, des crédits pour des soins de santé, etc. C’est maintenant une industrie mondialement connue de prêts avec des taux d’intérêt élevés (35 % par an en moyenne). Avec un volume de 100 milliards de dollars US de prêts, c’est un gisement significatif de capitaux pour des investisseurs. Le faible montant des transactions est largement compensé par leur très grand nombre et les montants élevés des honoraires prélevés.

Mais plusieurs crises du microcrédit ont eu lieu ces dernières années, parmi les plus connues, on note les suicides et les violences à l’encontre de personnes endettées en 2010 en Inde mais aussi celles des mouvements de résistance des victimes du microcrédit au Maroc. Les résultats décevants révélés par les principales études d’impact ont aussi conduit à un affaiblissement de la tendance considérant le micro-crédit comme un outil de lutte la pauvreté.

Le microcrédit se perpétue néanmoins sans changement majeur sous le nouveau label d’« inclusion financière ».


Qu’est-ce que l’inclusion financière ?

L’inclusion financière élargit la portée de la micro-finance. Avec elle, les crédits aux pauvres ne sont plus seulement l’affaire des établissements de micro-finance mais des acteurs majeurs du secteur financier (comme les grands banques, les sociétés de cartes de crédit, les réseaux de téléphonie mobile) devraient travailler avec les pauvres qui devraient pouvoir bénéficier d’une « véritable inclusion financière » (NdT comprendre être une nouvelle source de profits pour ce secteur.)

En matière d’inclusion financière, le crédit demeure toujours la source de revenu principale, mais les comptes numériques et les paiements numériques sont de plus en plus importants. Les technologies numériques sont censées réduire les coûts de transaction pour les fournisseurs. Pour mener ces activités de paiement, le G20 a créé plusieurs plates-formes de lobbying, qui préconisent l’inclusion financière et la fin des paiements en espèces. Ceci crée un nouveau marché captif qui donne lieu à des frais de transaction, génère de nombreuses données et de nouvelles possibilités de contrôle social.


Quels sont les problèmes principaux avec le microcrédit et l’inclusion financière ?

1- D’un point de vue rhétorique et pratique considérer la pauvreté comme un défaut d’accès au financement (au lieu de l’identifier comme un produit de systèmes économiques injustes) implique le développement financier privé en lieu et place de politiques publiques. Les gouvernements financent de plus en plus les institutions financières au lieu des biens et infrastructures publics.

2- Une « financiarisation de la pauvreté » a eu lieu. Les pauvres doivent payer les riches pour « leur seule chance » (Muhammad Yunus) d’échapper à la pauvreté et un hypothétique développement. Si les pauvres n’utilisent pas correctement les outils financiers, ils sont accusés de leur pauvreté.

3- Le programme est basé sur de faibles théories. Au niveau macro, les systèmes financiers sont supposés être des moteurs de la croissance. Au niveau micro, les transactions financières sont censées permettre aux pauvres d’améliorer la gestion du peu d’argent qu’ils ont et faciliter la sortie de la pauvreté. Aucune de ces deux théories n’est donc très plausible.

4- Il n’y a guère de preuve que les services financiers réduisent la pauvreté : leur impact, même selon leurs défenseurs, est estimé à « zéro ».

5- Il y a des risques et des dangers intrinsèques bien documentés, y compris les pièges de l’endettement, la vulnérabilité socio-économique des emprunteurs, l’accroissement des secteurs informels, des pressions grandissantes à l’intérieur des communautés, ou encore les violences domestiques.

6- Les exemples d’abus de ces crédits abondent : l’accaparement des terres au Cambodge ; le travail des mineurs et la vente d’organes au Bangladesh ; la collaboration des entreprises de micro-crédit avec des usuriers en Inde.

En réponse à ces défis éthiques, l’industrie de la micro-finance a commencé à instituer des systèmes pour « la gestion de la performance sociale » et des normes « de micro-finance responsable ». Le problème est qu’ils ne sont pas contraignants et qu’ils se concentrent sur des processus plutôt que sur des résultats. Ils n’ont donc aucun pouvoir. Pire, l’entrée de nouveaux acteurs globaux importants dans l’espace de la finance inclusive soulève de vastes nouveaux défis de régulation et d’éthique. La question est : qui surveillera la conduite de MasterCard, Visa, ou de Vodafone avec les clients les plus vulnérables du monde ?


L’inclusion financière et les droits humains

L’inclusion financière en tant que programme favorisé par les institutions de financement du développement, les institutions financières internationales et le G20, pose des risques significatifs aux droits humains fondamentaux d’un certain nombre de manières :

- Premièrement, l’utilisation de l’argent public et de fonds de développement pour l’établissement de secteurs financiers privés peut porter préjudice aux droits économiques, sociaux et culturels des personnes dans les pays en développement si les services publics essentiels (comme l’eau, la santé et l’éducation) sont négligés en conséquence.

- Deuxièmement, des services financiers inadaptés peuvent mener à un déni des droits en particulier avec des pratiques prédatrices en matière de prêt mais également en raison de la collecte des données financières rassemblées sans consentement et employées à des fins de surveillance. Les Etats devraient s’assurer que les prestataires de service financiers répondent à leur devoir de diligence dans le prêt, en particulier envers les populations vulnérables et illettrées.

- Troisièmement, les Etats doivent s’assurer que les débiteurs peuvent exercer leurs droits de manière significative, avoir accès à des recours légaux et à une protection réglementaire contre des prêts inappropriés. La liberté de choix pour l’emploi de services financiers – ce que l’inclusion financière vise – n’est pas suffisante ; les populations vulnérables ont besoin d‘une protection active contre des dettes abusives et des pratiques financières inappropriées.


Traduction : Virginie de Romanet


Philip Mader

is a Research Fellow at the Institute of Development Studies in Brighton, UK.