Carte Blanche publiée sur le site du journal L’Écho le 6 mars 2018, signée par 37 professeur-e-s des universités francophones belges (ULG, ULB, UCL, Mons).
Les fonds vautours ne sont pas seulement inutiles, ils sont dangereux économiquement. Ils renforcent et amplifient l’instabilité économique et empêchent le redémarrage économique des États qui en sont victimes.
Les fonds vautours sont des institutions financières, domiciliées dans les paradis fiscaux, qui rachètent à très bas prix des dettes d’États en difficulté, et multiplient ensuite les procédures judiciaires dans différentes juridictions contre l’État emprunteur ; cela afin d’obtenir des rendements très importants.
Paul Singer est à la tête d’Elliott Associates, le plus grand des fonds vautours. Ce milliardaire américain s’est attaqué au Pérou en 1996 : il a acheté pour 12 millions de dollars de dettes et, 4 ans plus tard, a forcé le gouvernement péruvien à payer 55 millions. Ce cas prouvait que ce mécanisme de rachat de dette était très profitable et a entrainé la croissance de ces pratiques.
Des fonds qui exploitent les pays en difficulté
Pour assurer ses missions et se financer, un État émet des titres de dette , achetés par des investisseurs. Suite à des difficultés économiques, cet État peut ne plus arriver à rembourser les intérêts de sa dette, et les prix des titres de dette de ce pays chutent sur les marchés financiers. Les fonds vautours rachètent alors une part importante des dettes, à une fraction de leur valeur d’origine. Ensuite, ces fonds intentent un très grand nombre d’actions en justice pour exiger le paiement de la valeur d’origine des dettes, en y ajoutant des intérêts, des pénalités et des frais de justice. De plus, les fonds vautours refusent de participer aux négociations entre l’État en difficulté et ses créanciers qui aboutissent souvent à un ré-échelonnement de sa dette (baisse des taux d’intérêt et allongement du calendrier des remboursements) et parfois même une réduction de celle-ci.
Des profits colossaux, jusqu’à 20 fois la valeur de leur investissement initial, aux dépens des populations.
Les profits des fonds vautours peuvent être colossaux, jusqu’à 20 fois la valeur de leur investissement initial, aux dépens des populations. L’ONU conclut ainsi que ces fonds « compromettent la capacité des gouvernements de garantir le plein exercice des droits fondamentaux de la population ». Les fonds vautours, qui agissent dans des conditions douteuses vis-à-vis du droit international, obtiennent néanmoins, dans la majorité des cas, des jugements nationaux qui leur sont favorables.
Ces fonds vautours sont aussi des acteurs politiques puissants via le travail de lobby qu’ils effectuent ou le financement de campagnes politiques. Par exemple, Paul Singer fut régulièrement l’un des plus gros contributeurs des campagnes républicaines aux États-Unis, notamment celle de George W. Bush . Ces fonds déstabilisent également les gouvernements des pays surendettés. Une de leurs astuces consiste à s’assurer que des fonctionnaires influents des gouvernements ciblés fassent secrètement partie du groupe des investisseurs qui rachètent la dette dévalorisée. Ces fonctionnaires vont alors se battre au sein des gouvernements pour s’assurer que les dettes soient entièrement payées.
Il ne s’agit pas de blâmer les États emprunteurs. Le surendettement des pays vient souvent d’évolutions extérieures à leurs économies nationales. Par exemple, à partir de 1979, la banque centrale américaine a décidé de monter ses taux d’intérêts, ce qui a causé une hausse importante des taux d’intérêts mondiaux. Durant les années 1980, des désaccords au sein de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole ont entrainé une forte chute du prix du pétrole. Les prix d’autres matières premières (dont le charbon) ont également diminué. Ces deux changements, que nul n’avait anticipé, ont entrainé un surendettement massif de nombreux pays pauvres.
Et la Belgique dans tout ça ?
Dans les années 2000, le même Paul Singer continue sa funeste entreprise. Une de ses filiales, rachète des titres de dette du Congo-Brazzaville pour 1,8 millions de dollars. Elle réclame ensuite le paiement de 118 millions de dollars et fait saisir des fonds destinés à ce pays, s’accaparant ainsi l’aide au développement qui lui était destinée. L’une des saisies était un don d’un montant de près de 600.000 euros provenant de la Coopération belge au développement. Ce détournement a entraîné l’adoption d’une première loi belge en 2008 contre les fonds vautours, qui protège les biens de la coopération au développement de toute saisie.
En 2015, le Parlement belge adopte une nouvelle loi bien plus ambitieuse et efficace : elle empêche ces spéculateurs d’obtenir, en Belgique, plus que ce qu’ils ont payé pour racheter les dettes des pays endettés. C’est une avancée remarquable. Actuellement, seuls 3 pays au monde ont mis en place des lois pour contrer les fonds vautours : la Belgique, le Royaume-Uni et la France.
Récemment, Paul Singer a déposé une requête devant la Cour constitutionnelle, afin d’annuler la loi belge. Les fonds vautours ne s’arrêtent donc pas au pillage des États endettés. Ils veulent, en plus, attaquer les maigres avancées à l’encontre de leurs pratiques nuisibles. Le CNCD-11.11.11, son homologue néerlandophone 11.11.11, et le CADTM interviennent en justice pour défendre, aux côtés de l’État belge, cette loi de 2015.
Les professeurs d’universités suivants vous invitent à vous mobiliser contre les pratiques de ces fonds vautours. Parce que ces fonds ne sont pas seulement inutiles, ils sont dangereux économiquement. Ils renforcent et amplifient l’instabilité économique et empêchent le redémarrage économique des États qui en sont victimes.
SIGNATAIRES :
Alaluf Mateo, professeur de sociologie à l’ULB
Ansoms An, professeure d’économie et de développement à l’UCL
Borriello Arthur, maître de conférences en science politique, ULB
Born Charles-Hubert, professeur de droit à l’UCL
Cartuyvels Yves, professeur de droit à l’USL-B
Charlier Sophie, professeur de droit à l’UCL
David Eric, Professeur émérite de droit international, Président du Centre de droit international, ULB
de Beer Daniel, professeur de droit à l’USL-B
Demeulemeester Jean-Luc, Professeur d’économie et histoire de la pensée économique, ULB
de Munck Jean, professeur de sociologie et philosophie à l’UCL
Deruette Serge, professeur de Sciences politiques à l’UMONS
De Schutter Olivier, professeur de droit à l’UCL
Delrez Marc, professeur de littérature anglophone à Ulg
Deroubaix Jean-Claude, enseignant en sociologie à l’U-Mons
Dimier Véronique, professeure de science politique, ULB
Durand Pascal, professeur ordinaire, Faculté de Philosophie et Lettres, ULg
Ferreras Isabelle, professeure de sociologie à l’UCL
Gevers Michel, professeur en science de l’ingénieur à l’UCL
Gillis Pierre, physicien, professeur honoraire à l’UMONS
Gosseries Axel, professeur de droit et philosophie à l’UCL
Gobin Corinne, maître de recherche FNRS-ULB en sciences politiques
Gourbin Catherine, professeure de démographie à l’UCL
Hambye Philippe, professeur de linguistique à l’UCL
Jacquemain Marc, professeur de sociologie à l’ULg
Jamar David, Professeur de sociologie, Université de Mons
Kellner Thierry, professeur en science politique, ULB
Laurent Pierre-Joseph, professeur d’anthropologie à l’UCL
Lemaître Andreia, professeure d’économie et de développement à l’UCL
Marc-Emmanuel Mélon, professeur en science de la communication à l’ULg
Pagnoulle Christine, professeure de philosophie à l’ULg
Pasetti Quentin, assistant en Sciences politiques à l’UMONS
Pleyers Geoffrey, professeur de sociologie à l’UCL
Roudart Laurence, Professeur de Développement agricole, ULB
Servais Olivier, professeur d’anthropologie à l’UCL
Vandewattyne Jean, Chargé de Cours, UMONS, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Service de Psychologie du Travail
Van Ypersele Jean-Pascal, professeur de science environnemental à l’UCL
Yépez Del Castillo Isabel, professeure de sociologie à l’UCL