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Fonds vautours : La France réagit aussi
par Fanny Gallois
10 avril 2018

Le 11 décembre 2016 est entrée en vigueur en France la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, dont un article vise spécifiquement à réguler l’action des fonds vautours sur le territoire français. Retour sur l’adoption de cette disposition et analyse de sa portée.

En 2007 déjà, alors que le contentieux concernant les fonds vautours s’était considérablement développé en France, notamment avec la mise en place de l’Initiative PPTE dont les fonds vautours entendaient profiter, une première proposition de loi « visant à lutter contre l’action des fonds financiers dits fonds vautours » avait été déposée au Parlement par le député UMP des Côtes-d’Armor, Marc Le Fur [1]. Cette proposition visait d’une part à empêcher la spéculation sur les titres de dette et d’autre part à empêcher les fonds vautours de bloquer les opérations de restructuration de dettes. Il s’agissait d’un texte assez large qui laissait une importante marge d’appréciation au juge. Déposé en août 2007 devant l’Assemblée nationale, ce texte n’a jamais été soumis à discussion.


1. Le dispositif anti fonds vautours adopté par la France

L’enjeu pour le législateur : identifier juridiquement les comportements prédateurs nuisibles et les distinguer du comportement des créanciers usuels, qui parient sur l’évolution économique réelle du pays débiteur

C’est à l’occasion des discussions sur le projet de loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique présentée par le ministre de l’Économie et des Finances, Michel Sapin [2], qu’un amendement visant à limiter les saisies par des fonds vautours, de biens d’États étrangers en France, a été déposé par des députés socialistes, et adopté. Ajouté sous le Titre IV de la loi, concernant le « renforcement de la régulation financière », cet article 60 interdit les saisies, par des créanciers détenteurs de parts de dette d’États étrangers, de biens appartenant à ces États, lorsque trois conditions sont réunies :

  1. l’État étranger figurait sur la liste des bénéficiaires de l’aide publique au développement au moment de l’émission de la créance ;
  2. l’État étranger était en défaut ou proche du défaut sur cette dette, au moment de son acquisition par le créancier ;
  3. la situation de défaut (ou de quasi défaut) sur cette créance date de moins de 4 ans (ou de moins de 6 ans en cas de « comportement manifestement abusif » du détenteur de la créance), ou une proposition de renégociation a été acceptée par une partie représentative des autres créanciers de cette dette.

Lorsque les titres de dette dont se prévalent ces créanciers ont fait l’objet d’une renégociation par une partie représentative des autres créanciers sur cette dette (représentant au moins 66 % du montant des créances), les saisies sont toutefois autorisées mais limitées à hauteur de ce que ces créanciers auraient obtenu s’ils avaient pris part à la renégociation.


2. Analyse du dispositif adopté

2.1. Cibler le comportement des fonds vautours plutôt que les fonds eux-mêmes

Bien que cette disposition vise spécifiquement l’action des fonds vautours, comme en témoigne l’exposé des motifs de l’amendement dont elle est issue, la disposition en elle-même ne fait pas directement référence aux fonds vautours mais plus globalement à tous les « détenteurs de titres de créances » qui tentent d’obtenir la saisie de biens d’États étrangers en France. Caractériser juridiquement les fonds vautours en eux-mêmes eut, en effet, été un exercice périlleux, car ces fonds ne se distinguent pas d’autres fonds d’investissement privés par leur nature ou leur structure juridique, mais uniquement par leur comportement prédateur. C’est pourquoi, comme les législateurs belges et anglais, le législateur français s’est attaché à caractériser les comportements répréhensibles plutôt que les agents en cause.


2.2. Une définition restrictive des comportements « vautours »

L’enjeu pour le législateur était double. Il s’agissait d’une part, d’identifier juridiquement les comportements prédateurs nuisibles, et de les distinguer du comportement des créanciers usuels (de « bonne foi »), y compris ceux qui acquièrent des dettes de pays étrangers, mais en pariant sur l’évolution économique réelle du pays débiteur (et non en jouant sur les valeurs des titres comme le font les fonds vautours). Il était nécessaire d’autre part d’assurer la proportionnalité entre les restrictions aux droits des créanciers induites par la disposition (droit de propriété du créancier ; principe d’égalité entre créanciers et droit au procès équitable) et l’intérêt général poursuivi (développement des pays ; stabilité du système financier international ; préservation des finances publiques françaises).

Pour cela, le législateur français fait le choix de caractériser directement dans la loi, le comportement « vautour », en en détaillant les conditions exactes d’une manière qui se veut exhaustive (liste de pays concernés ; situation de défaut ; délais et seuils). Un choix différent de celui fait par le législateur belge qui fournit également une liste de critères caractérisant les comportements vautours, mais qui accorde au juge un certain pouvoir d’appréciation (sur l’existence ou non de la recherche d’un « avantage illégitime » par le créancier).

Or, en décidant de ne laisser au juge aucune marge d’appréciation, le législateur français s’expose au risque de ne pas couvrir l’ensemble des situations dans lesquelles interviennent ou interviendront les fonds vautours.

Ainsi, par exemple, en établissant comme condition que la saisie demandée doit porter sur la dette d’un État figurant sur la liste des bénéficiaires de l’aide publique au développement [3], la disposition permet bien de cibler les comportements vautours à l’égard des pays pauvres, et même de pays à revenu intermédiaire, comme l’Argentine, qui ont déjà été victimes des fonds vautours. En revanche, cette liste ne couvre pas des pays à revenu élevé, comme la Grèce, qui ont pourtant déjà été ou pourraient être la cible des fonds vautours, ces derniers ne s’attaquant pas uniquement aux pays pauvres, mais plus généralement aux pays en difficulté financière.


2.3. Une disposition non-rétroactive, qui autorise les comportements prédateurs sur les créances acquises avant l’entrée en vigueur de la loi

Le champ d’application de l’article se limite aux créances acquises à compter de son entrée en vigueur.

Ce faisant, l’article autorise donc les comportements vautours sur tout le stock de créances acquises avant la date d’entrée en vigueur de la loi (le 11 décembre 2016). Cette limitation que s’impose le législateur est motivée par un souci de respect de la sécurité juridique, et plus précisément du principe de non-rétroactivité des lois qui veut que « la loi ne dispose que pour l’avenir ». Un principe qui connaît toutefois des exceptions, la rétroactivité d’une loi pouvant notamment être admise, lorsque l’intérêt général le justifie, ce qui est ici indéniablement le cas, indépendamment de la date d’acquisition des créances par les fonds vautours.

Cette limitation est d’autant plus dommageable que la plupart des créances émises aujourd’hui comprennent des « clauses d’action collective » (CAC) qui protègent les pays débiteurs des actions de blocage des fonds vautours, et que les créances les plus exposées aux actions des fonds vautours sont justement les créances plus anciennes qui ne prévoyaient pas de CAC.

La non-rétroactivité de la disposition aurait en outre pu porter sur la date des comportements prédateurs des fonds vautours plutôt que sur la date d’acquisition des titres de créance.


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète


Fanny Gallois

Coordinatrice de la Plateforme Dette & Développement.
http://dette-developpement.org/