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Les deux premières lois contre les fonds vautours : la Belgique et le Royaume-Uni
par Tim Jones
18 avril 2018

La Belgique, précurseure dans la lutte contre les fonds vautours

La première loi prise contre les fonds vautours à l’échelle mondiale a été adoptée par le Parlement fédéral de Belgique le 6 avril 2008 [1], suite à l’indignation provoquée par l’action du fonds vautour Kensington International (filiale de Elliott), qui a réussi à se faire payer sur le dos du peuple congolais en saisissant des fonds publics belges destinées à deux projets de coopération au développement avec la République du Congo (Brazzaville).

Cette loi de 2008 dispose « Les sommes et les biens destinés à la coopération internationale belge ainsi que les sommes et les biens destinés à l’aide publique belge au développement - autres que ceux relevant de la coopération internationale belge - sont insaisissables et incessibles ».

Cette loi protège donc seulement l’argent belge dédié à la coopération au développement contre toute saisie des fonds vautours (et de tout autre créancier privé).

La loi anglaise de 2010 pousse un cran plus loin

Nous reproduisons ici plusieurs extraits de la présentation de Tim Jones au Sénat belge lors du 13e Séminaire international du CADTM sur la Dette et les Droits humains en 2014 [2].


La genèse de la loi britannique : le cas du Liberia

En 1978, la banque étasunienne Chemical Bank a prêté 6,5 millions de dollars au Liberia. À l’époque, les banques étasuniennes regorgeaient de fonds qu’elles souhaitaient prêter : les prix élevés du pétrole permettaient aux grands exportateurs tels que l’Arabie saoudite de conserver en banque de véritables fortunes. En 1989, alors qu’éclatait la guerre civile, le gouvernement libérien fit défaut sur la dette. La guerre civile a duré jusqu’en 2003. En 2008, les pays d’Afrique de l’Ouest intégrèrent l’Initiative PPTE et purent finalement, en 2010, voir une partie de leurs dettes allégée.

Suite à ce défaut de paiement, Chemical Bank revendit ses créances à plusieurs sociétés. Parmi elles, FH International Financial Services Inc. et la Sifida Investment Company qui ont obtenu en 2002 un jugement favorable d’un tribunal new-yorkais enjoignant au Liberia de leur verser 18,4 millions de dollars. Le Liberia faisant face à une guerre civile, il ne pouvait guère se défendre et continua à ne pas payer.

La dette fut alors vendue une seconde fois aux fonds vautours Hamsah Investments et Wall Capital, qui portèrent le litige devant les tribunaux anglais en réclamant le paiement de 20 millions de dollars. L’enjeu de remporter la bataille judiciaire était de pouvoir saisir les actifs du Liberia situés en Grande-Bretagne. Le tribunal statua en faveur des fonds vautours, imposant au Liberia de « tout faire » pour payer Hamsah et Wall Capital.


Que dit la loi britannique ?

En réaction à cette attaque contre le Liberia, le parlement britannique adopta en 2010 une loi en vue de limiter certaines activités des fonds vautours. Connue sous le nom de Debt Relief (Developing Countries), cette loi plafonne les remboursements aux sommes que les fonds vautours auraient obtenues s’ils avaient pris part aux allègements de dette au titre de l’Initiative PPTE. En 2013, cette législation a été transposée dans les territoires d’outre-mer et les dépendances de la Couronne de Jersey, Guernesey et l’île de Man.

La loi s’applique à toute affaire portée devant les tribunaux situés sur ces territoires entre un créancier spéculateur (dont font parties les fonds vautours) et un pays classé PPTE, y compris lorsque le fonds vautour a obtenu un jugement favorable rendu dans un autre pays. La loi limite donc la possibilité de saisir les actifs d’un État condamné se trouvant au Royaume-Uni. Enfin, la loi est pleinement rétroactive car elle concerne les dettes contractées avant 2004.


Limites et points positifs de la loi britannique

Limites :
- elle ne s’applique qu’aux 40 pays éligibles à l’initiative PPTE, qui est désormais quasi finalisée et ne concerne dès lors plus que quelques rares pays ;
- elle ne s’applique qu’aux dettes de ces pays, contractées avant 2004.

Points positifs :
- elle crée un précédent : les allègements de la dette peuvent être imposés à tous les créanciers, y compris les acteurs privés ;
- elle a protégé les PPTE de toute action en justice depuis son entrée en vigueur.

Dans le cas du Liberia, bien que Hamsah Investments et Wall Capital aient gagné leur procès en 2009, ces derniers n’ont pas pu saisir les actifs du Liberia au Royaume-Uni pour le montant auquel le Liberia avait été condamné. Une fois la loi adoptée en 2010, le maximum que pouvaient obtenir les fonds vautours de la part du Liberia était 2 millions de dollars.


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète


Notes :

[1Loi visant à empêcher la saisie ou la cession des fonds publics destinés à la coopération internationale, notamment par la technique des fonds vautours, M.B. 16 mai 2008
http://www.etaamb.be/fr/loi-du-06-avril-2008_n2008015073.html

Tim Jones

Jubilee Debt Campaign