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« Que faire des banques ? » ... Parlons-en avec Éric Toussaint et Jeanne Chevalier
par CADTM , Eric Toussaint , Jeanne Chevalier
9 juillet 2018

Dix ans après le déclenchement de la crise financière de 2007-2008, les banques et les assurances constituent toujours un risque boomerang pour les économies de la zone euro. En Belgique, en France comme dans le reste de l’Europe les réglementations mises en œuvre dans la période après crise ont été dictées par le lobby bancaire et sont loin de pouvoir résoudre les problèmes.

Pour cette raison, il est urgent de mettre en place des alternatives au fonctionnement du secteur bancaire d’aujourd’hui afin d’éviter une nouvelle crise économique. Il faut exiger que l’action des banques favorise le financement de projets d’intérêt public et général et ne soit plus guidé par la maximisation des profits de leurs actionnaires.

Nous en avons discuté avec Jeanne Chevalier (coordinatrice du livret « Banques » de la France Insoumise) et Éric Toussaint (porte-parole du CADTM International) lors de la conférence « Que faire de banques ? » qui s’est tenue le 22 mai 2018 à l’ULiège.

La longue récession provoquée par la déréglementation du secteur bancaire en œuvre depuis les années 1980 et par la crise qui en a résulté n’ont pas trouvé de réponses sérieuses de la part des autorités successives, ni aux États-Unis ni dans l’Union européenne.

Selon Jeanne Chevalier, l’Union bancaire entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2016 et conçue pour remédier à la crise bancaire en Europe ne sera pas capable de prévenir les prochaines crises. Le deuxième pilier de cette nouvelle réglementation, le Mécanisme de résolution unique, prévoit par exemple la création d’un fond unique qui à travers les contributions annuelles des banques devrait permettre de faire face aux pertes qui ne pourront pas être assumées par le nouveau système de renflouement interne [1]. Or, ce fonds est largement insuffisant puisque par exemple les banques allemandes refusent d’y contribuer de peur d’avoir à « renflouer » les autres banques européennes.

De la même manière, comme nous le rappelle Éric Toussaint, les réglementations de Bâle I-II-III représentent un échec puisque sur le papier elles imposent aux banques d’avoir à leur disposition l’équivalent de 8% de leur bilan en fonds propres. Dans la réalité, les grandes banques jouent sur la pondération des risques, qui leur permet de baisser fortement le ratio entre leurs fonds propres et leurs engagements financiers. Le ratio réel fonds propres / engagements financiers s’établit autour de 3 %, ce qui veut dire qu’ils peuvent avoir un effet de levier de 33 [2].

Éric ajoute que des mesures minimales auraient dû être prises dès le lendemain de l’éclatement de la crise pour réguler l’état de santé des banques.

Outre le fait d’empêcher les banques d’avoir leur propre système de pondération des risques et de les obliger à avoir un ratio entre leurs fonds propres et leur investissements d’environ 5%, on aurait dû imiter ce que le gouvernement Roosevelt a imposé dans les années 30, c’est-à-dire le Banking Act qui séparait les activités de dépôts des activités spéculatives entre deux types distincts d’institutions financières, de sorte que les dépôts citoyens ne puissent être mis en péril par les activités à haute fréquence.

A contrario, Trump s’est fait élire sur l’abolition du Dodd Frank Act, une loi adoptée pendant le premier mandat d’Obama et censée empêcher les renflouements des banques par l’État, favoriser la responsabilité et la transparence des banques, interdire la spéculation, limiter la participation dans le hedge funds ou des fonds de private equity.

Enfin, avec la libéralisation totale du système financier, la titrisation des actifs est désormais une pratique courante pour les banques. Il faudrait enfin les empêcher de pratiquer ces manipulations !

Les deux conférenciers sont d’accord sur le fait qu’une bulle boursière (qui a déjà failli se déclencher au mois de janvier dernier) pourrait éclater bientôt : la valeur des titres en bourse ne correspond pas de fait avec la valeur des entreprises et cela cause un effet pervers.

Une autre source de déclenchement d’une crise pourrait se trouver dans les dettes étudiantes qui représentent aujourd’hui plus de 1400 milliards de dollars à rembourser. Ou encore venir par les entreprises privées non financières [3] : entre 2010 et mi-2017 aux États-Unis ces dernières ont accumulé une dette de 7800 milliards de dollars à force d’acheter en bourse leurs propres obligations, ce qui alimente un rachats massifs d’actions tout à fait artificiel tout en en faisant augmenter le prix

Pour en venir enfin aux solutions possibles, Jeanne Chevalier prône la création d’un pôle bancaire public qui serait composé par des banques publiques, des banques (« véritablement ») mutualistes (où les salariées auraient un droit de vote sur les décisions prises par l’entreprise) et des banques privées. Ces dernières continueraient à fonctionner à peu près de la même manière, mais elles devraient s’adapter à un contexte où la course générale ne serait pas orientée tant vers la maximisation de profits que vers les investissements d’intérêt général.

Éric Toussaint et le CADTM, eux, prônent un changement radical du système bancaire et voient la solution proposée par la France Insoumise comme une possible phase de passage avant que soit mise en place la socialisation du secteur bancaire.

Une socialisation du secteur bancaire est bien sûr un travail de longue haleine qui fait de l’éducation permanente la clé de son succès. Comment faire en sorte que les citoyen-ne-s auto-représentés dans les AG de la banque prennent les bonnes décisions d’intérêt général et pas uniquement au service de leurs propres intérêts particuliers ? La socialisation d’une entreprise impliquerait la participation de tous les secteurs de la société (au-delà des actionnaires) directement intéressés par les décisions de la banque : des employé-e-s de la banque aux client-e-s en passant par les administrateurs-trices locaux-ales, des représentant-e-s des ONG et les syndicats, ces représentant-e-s pourraient par exemple se constituer en comités sociétaux. Cette diversité et cette exhaustivité de la représentation permettraient de créer des mécanismes de contrôle réciproque et faire en sorte que l’intérêt général soit garanti.

Il s’agit d’un défi que les mouvements de gauche devraient saisir pour promouvoir un véritable changement par le bas et une gestion démocratique de nos sociétés et de nos banques !

Ici la vidéo complète de la soirée.

Partie 1


Partie 2


Partie 3


Partie 4


Partie 5


CADTM
Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Jeanne Chevalier

est cadre du secteur public bancaire, militante associative dans le domaine de la culture et responsable de la rédaction du livret programmatique « Banques » de la France Insoumise.