Intervention à la conférence internationale : « Résistances et Alternatives à la domination de la dette », La Havane 28-30 septembre 2005 [1]
1. Changements intervenus entre 1985 et 2005 en ce qui concerne la dette du Tiers Monde
1.1. En 1985, quand se sont réunies à Cuba plusieurs conférences sur le thème « la dette ne peut être remboursée » (« la deuda es impagable »), la crise de la dette, qui avait explosé en 1982, avait principalement affecté l’Amérique latine et la Caraïbe [2]. L’initiative prise par le gouvernement de Cuba concernait en premier lieu l’hémisphère occidental.
Au cours des douze années qui suivirent, tous les pays en développement (sauf la Chine) et l’ensemble de l’ex-bloc soviétique furent touchés par la crise de la dette. Les politiques néolibérales d’ajustement structurel furent progressivement appliquées dans plus de 160 pays.
Les pays les plus industrialisés n’échappèrent pas à la crise de l’endettement public et tous les gouvernements y appliquent aujourd’hui des politiques néolibérales qui ressemblent fortement à celles imposées dans les pays du Sud.
Les politiques gouvernementales appliquées dans l’ensemble de la planète, à quelques rares exceptions près, riment avec privatisations, augmentation des impôts payés par le peuple alors que ceux payés par les détenteurs de capitaux diminuent, marchandisation de tous les rapports sociaux et de tous les biens communs, augmentation des inégalités sociales, augmentation de la précarité, attaque contre les systèmes de sécurité sociale basés sur la solidarité, non-respect des équilibres écologiques, productivisme effréné, libre circulation des capitaux, des marchandises et des services mais graves restrictions de la circulation des personnes (sauf les capitalistes de toutes nationalités), course à l’armement, recours croissant à la force et à l’agression de la part des puissances des pays les plus industrialisés...
1.2. Au-delà des similitudes entre les politiques néolibérales s’appliquant au Sud et au Nord, il y a cependant une différence significative. La crise de la dette des pays du Sud est principalement une crise de la dette externe et celle-ci est utilisée comme un instrument pour renforcer la domination qu’exercent sur eux les pays les plus riches qui peuvent compter sur la docilité, voire la complicité de la plupart des gouvernements du Sud. La crise de la dette des pays du Nord est surtout une crise de la dette publique interne. Elle est utilisée par les capitalistes du Nord pour renforcer l’utilisation de l’Etat à leur profit. La part qui revient aux capitalistes dans le revenu national des pays du Nord a fortement augmenté depuis les années 1980 aux dépens de la part qui revient aux travailleurs. Il y a donc à la fois des similitudes et des différences dans la crise de la dette publique dans les pays du Nord et du Sud.
1.3. Parmi les évolutions qui ont marqué les 20 dernières années en matière de dette, il faut noter l’augmentation de la dette publique interne dans la plupart des pays du Sud. C’est particulièrement marqué en Amérique latine et en Asie. L’explosion de la dette publique interne est à mettre en relation avec le cocktail formé par la crise de la dette publique externe, les crises financières à répétition des années 1990 et l’application des remèdes de choc imposés par la Banque mondiale et le FMI. Systématiquement une grande partie des dettes des banques et des entreprises privées ont été prises en charge par les pouvoirs publics. Les dettes privées sont devenues publiques grâce à l’alchimie néolibérale. Cela touche tous les continents. Parmi les cas les plus fameux : le Mexique entre 1995 et 1998 et l’Indonésie en 1998-1999.
Dans la mesure, où une partie importante des banques des pays du Sud ont été achetées par des grands groupes bancaires du Nord, la dette publique interne est détenue en partie par les mêmes créanciers que la dette publique externe. Depuis trois ans, la Banque mondiale recommande chaleureusement aux pouvoirs publics du Sud de compléter l’endettement externe par l’endettement interne [3]. A noter qu’une partie de la dette interne est indexée sur une des monnaies fortes (dollar, yen ou euro), ce qui la rapproche également de la dette externe.
1.4. Depuis 20 ans, l’endettement du Tiers Monde a fonctionné à la fois comme un puissant instrument de subordination des pays du Sud aux pays du Nord et comme un mécanisme permanent de transfert de richesse des producteurs du Sud vers les capitalistes du Nord, la Banque mondiale, le FMI, le Club de Paris, les gouvernants et capitalistes du Sud prélevant leur commission au passage. Ce dernier mécanisme de pompage de ressources est venu compléter et renforcer d’autres mécanismes déjà en fonctionnement : l’échange inégal, la fuite des cerveaux, le pillage des ressources naturelles,...
2. Retour sur les années 1980
2.1. L’initiative pionnière prise par Cuba en 1985 trouva un écho hors des frontières de l’Amérique latine. En Afrique subsaharienne, le jeune président burbinabè Thomas Sankara s’adressa dans ces termes à tous les chefs d’Etat africains présents à la 25e conférence de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) le 29 juillet 1987 à Addis Abéba [4] :
La dette c’est encore le néo-colonialisme ou les colonialistes qui se sont transformés en « assistants techniques ». En fait, nous devrions dire en assassins techniques. Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des « bailleurs de fonds ». (...) Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés, recommandés. On nous a présenté des dossiers et des montages financiers alléchants. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus.
La dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des normes qui nous sont totalement étrangères. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. (...)
Qui, ici, ne souhaite pas que la dette soit purement et simplement effacée ? Celui qui ne le souhaite pas peut sortir, prendre son avion et aller tout de suite à la Banque mondiale payer. Je ne voudrais pas que l’on prenne la proposition du Burkina Faso comme celle qui viendrait de la part de jeunes sans maturité, sans expérience. Je ne voudrais pas non plus que l’on pense qu’il n’y a que les révolutionnaires à parler de cette façon. Je voudrais que l’on admette que c’est simplement l’objectivité et l’obligation.
Je peux citer dans les exemples de ceux qui ont dit de ne pas payer la dette, des révolutionnaires comme des non-révolutionnaires, des jeunes comme des vieux. Je citerai par exemple : Fidel Castro. II a déjà dit de ne pas payer. Il n’a pas mon âge même s’il est révolutionnaire.
Trois mois plus tard, l’impétueux Thomas Sankara était assassiné. Depuis lors, son pays est devenu un élève docile de la Banque mondiale, du FMI et du Club de Paris sous la conduite de Blaise Compaoré.
2.2. En Amérique latine, la décennie des années 1980 voit la fin de plusieurs régimes dictatoriaux qui avaient été mis en place au cours des années 1960 (Brésil) et 1970 (Chili, Argentine, Uruguay,...). Ces régimes avaient tenté de détruire le mouvement populaire afin d’instaurer un modèle néolibéral subordonné aux pays les plus riches. Lors du retour de ces pays à des régimes civils, les gouvernants ont décidé d’assumer les dettes odieuses contractées par les dictatures. Le but atteint par la dictature militaire en terme de soumission aux intérêts des puissances du Nord et des capitalistes locaux le devenait alors grâce à la dictature des créanciers.
2.3. Entre 1980 et 2004, l’Amérique latine et la Caraïbe ont remboursé aux créanciers la somme de 2 109 milliards de dollars, qui équivaut à presque 9 fois le montant qui était dû [5]. Pour 1 USD dû en 1980, l’Amérique latine en a remboursé presque 9 mais en doit aujourd’hui plus de 3.
Si on prend en considération l’ensemble des 165 pays en développement (y compris l’ex-bloc soviétique), le total des remboursements effectués entre 1980 et 2004 atteint la somme de 5 300 milliards de dollars, ce qui représente presque 10 fois la somme due [6]. Pour 1 USD dû en 1980, les PED en ont remboursé presque 10 mais en doivent aujourd’hui presque 5.
2.4. Au niveau des protestations populaires contre les politiques du FMI et de la Banque mondiale, celles-ci ont commencé à prendre un caractère massif et parfois violent à partir d’avril 1984 quand le peuple dominicain s’est soulevé et a été durement réprimé. Des émeutes ont éclaté de manière répétée aux quatre coins de la planète. Le soulèvement de février 1989 à Caracas a été écrasé au prix de plusieurs milliers de morts. Certaines explosions ont entraîné la chute des gouvernements. De l’Equateur à l’Indonésie en passant par la Bolivie et l’Argentine, les peuples ont chassé des présidents qui appliquaient des politiques néolibérales.
3. L’exemple de l’Argentine
L’Argentine a démontré qu’un pays pouvait suspendre de manière prolongée le paiement de la dette.
Dans la nuit du 19 au 20 décembre 2001, le peuple argentin s’est soulevé contre la politique antisociale du président De la Rua et de son sinistre ministre de l’Economie Domingo Cavallo. L’Argentine, lâchée par le FMI, a suspendu le paiement de sa dette extérieure publique à l’égard des créanciers privés pour un montant de plus de 80 milliards de dollars.
Le FMI, la Banque mondiale, les gouvernements des pays les plus industrialisés, la grande presse internationale avaient annoncé que le chaos s’installerait si l’Argentine arrêtait les paiements. Or qu’est-il arrivé ? L’Argentine loin de s’enfoncer définitivement dans la récession commença à renouer avec une croissance soutenue à partir de 2003 et celle-ci se poursuivit en 2004.
Le gouvernement argentin proposa aux détenteurs privés de la dette argentine d’échanger leurs titres contre des nouveaux de moindre valeur. Après de longues négociations qui s’étendirent de 2002 à début 2005, plus de 76 % des créanciers privés acceptèrent une proposition d’échange au travers de laquelle ils renoncent à environ 50% de la valeur des anciens titres qu’ils détenaient.
L’Argentine a fait la démonstration qu’il est possible de défier les créanciers privés en arrêtant pour une période prolongée les paiements.
Faut-il pour autant féliciter le gouvernement argentin ? Je ne le pense pas. En effet, le gouvernement a eu le tort de ne pas rompre les accords avec le FMI et la Banque mondiale. Le gouvernement argentin a voulu maintenir ceux-ci et il s’est engagé à dégager un surplus fiscal de manière à garantir le remboursement de la dette aux institutions de Bretton Woods. Le gouvernement aurait pu s’appuyer sur la sentence Olmos et décréter que la dette réclamée par le FMI et la Banque mondiale était odieuse et, de ce fait, nulle.
Le FMI et la Banque mondiale étaient fortement fragilisés en 2001-2002-2003 à la suite de leur échec patent en Argentine, au Brésil, en Russie et en Asie du Sud Est. Le montant de la dette dont ils réclamaient le paiement était important et un défaut de paiement de la part de l’Argentine les aurait mis dans une situation extrêmement difficile.
C’est le FMI et la Banque mondiale qui avaient besoin d’un accord avec l’Argentine, pas celle-ci.
En ce qui concerne l’accord final avec les créanciers privés, il garantit à certains d’entre eux une augmentation de leur rémunération proportionnelle à la croissance économique du pays. Pourquoi les créanciers auraient-ils droit à bénéficier de la croissance alors que celle-ci est le fruit des efforts accomplis par ceux et celles qui produisent la richesse d’une nation, en un mot le peuple ?
Les montants que le gouvernement argentin s’est engagé à rembourser dans les prochaines années sont tellement élevés qu’ils rendront impossible la mise en place d’une politique alternative au modèle néolibéral. Les demandes sociales, pourtant justes, ne pourront pas être satisfaites.
Ceci étant dit, il n’en reste pas moins que l’Argentine a démontré qu’un pays pouvait aujourd’hui arrêter de rembourser la dette de manière prolongée sans que les créanciers soient capables d’organiser des représailles efficaces.
Si les péronistes Rodriguez Saa, Duhalde et Kirchner, qui se sont succédés à la présidence de l’Argentine depuis décembre 2001, ont pu, ne fût-ce que timidement, résister aux créanciers privés pendant trois ans, comment se fait-il que Lula, président du Brésil, ait été parfaitement docile et n’a remis en cause à aucun moment le remboursement de la dette. Une alliance de plusieurs pays latino-américains face aux créanciers aurait modifié la situation au bénéfice des peuples.
Si l’Argentine seule l’a fait, malgré les limites signalées ci-dessus, il est clair qu’une alliance latino-américaine contre les créanciers pourrait donner des résultats très positifs.
4. Situation inédite en 2004-2005
La combinaison des bas taux d’intérêt, des primes de risque à la baisse et des prix des matières premières à la hausse, a produit une très forte augmentation des réserves de change des pays en développement (PED).
Celles-ci s’élevaient fin 2004 à près de 1.600 milliards de dollars [7]. Une somme jamais atteinte auparavant. Une somme supérieure au total de la dette extérieure publique de l’ensemble de PED !
L’augmentation de la solvabilité des principaux PED leur a permis de s’endetter (plus de 200 mds $ de dettes nouvelles de 2002 à 2004) en émettant des titres de la dette publique et privée sur les marchés financiers du Nord.
Bien que certains PED se désendettent partiellement à l’extérieur (Russie, Venezuela, par exemple), d’autres continuent à s’endetter fortement (Brésil, Mexique... auxquels s’ajoute l’Argentine après la conclusion des négociations avec ses créanciers). Tous ou presque augmentent leur dette publique interne.
La conjoncture actuelle offre une occasion exceptionnelle aux gouvernements des PED pour modifier substantiellement ou même radicalement leur situation. Il est possible de réaliser le désendettement.
La Chine avec 600 milliards de dollars de change pourrait à elle seule, si son gouvernement autocratique le souhaitait, modifier la situation internationale en faveur des peuples des PED. Que dire d’un front uni Chine-Russie face aux gouvernements des principaux pays industrialisés ? Ces deux pays pourraient modifier la donne sur le plan mondial s’ils avaient un projet commun alternatif. Plus largement, les gouvernements d’un nombre important de PED répartis sur quatre continents (Asie, Amérique latine, Afrique et Europe orientale - si on inclut la Russie comme le font le FMI et la BM) détiennent provisoirement la clé du changement. Ils sont créanciers nets de la principale puissance mondiale et des banques privées du Nord pris globalement. Ils pourraient en principe se passer totalement du FMI en remboursant ce qui lui est encore dû. Ils pourraient créer un fonds de soutien aux autres PED moins bien dotés qu’eux en devises (à commencer par les 50 Pays les moins avancés -PMA-) pour leur permettre de se désendetter très rapidement (le montant à réunir pour désendetter les PMA est faible).
Jamais auparavant, la situation n’a été aussi favorable aux pays périphériques d’un point de vue financier. Et pourtant, personne ne parle d’un changement des règles du jeu. C’est que les gouvernements de Chine, de Russie et des principaux PED (Inde, Brésil, Nigeria, Indonésie, Mexique, Afrique du Sud...) n’expriment aucune intention de changer dans la pratique la situation mondiale au bénéfice des peuples.
Et pourtant, sur le plan politique, s’ils le voulaient, les gouvernements des principaux PED, 50 ans après Bandoeng, pourraient constituer un puissant mouvement capable d’imposer des réformes démocratiques fondamentales de tout le système multilatéral. Ils pourraient adopter une politique modérée - rembourser de manière anticipée les dettes avec une importante décote - ou une politique radicale - répudier la dette et appliquer un ensemble de politiques rompant avec le néolibéralisme. Le contexte international leur est favorable car la principale puissance mondiale est embourbée dans la guerre en Iraq, dans l’occupation de l’Afghanistan ; elle est confrontée à de très fortes résistances en Amérique latine débouchant sur des échecs cuisants (Venezuela, Cuba, Equateur...) ou sur une impasse (Colombie).
Je suis persuadé que cela ne se matérialisera pas : ni le scénario modéré, ni le scénario radical ne seront mis en œuvre à court terme. L’écrasante majorité des dirigeants actuels des PED sont totalement englués dans le modèle néo-libéral. Dans la plupart des cas, ils sont tout à fait attachés aux intérêts des classes dominantes locales qui n’ont aucune perspective d’éloignement réel (sans parler de rupture) par rapport aux politiques suivies par les grandes puissances industrielles. Les capitalistes du Sud se cantonnent dans un comportement de rentier et quand ce n’est pas le cas, ils cherchent tout au plus à gagner des parts de marché. C’est le cas des capitalistes brésiliens, sud-coréens, chinois, russes, sud-africains, indiens... qui demandent à leurs gouvernements d’obtenir des pays les plus industrialisés telle ou telle concession dans le cadre des négociations commerciales bilatérales ou multilatérales. De plus, les concurrences et les conflits entre gouvernements des PED, entre capitalistes du Sud, sont réelles et peuvent s’exacerber. L’agressivité commerciale des capitalistes de Chine, de Russie, du Brésil à l’égard de leurs concurrents du Sud provoque des divisions tenaces.
Seule l’irruption des peuples sur la scène historique pourrait changer le cours des choses mais on ne voit pas encore de signes solides allant dans ce sens.
5. La conjoncture exceptionnelle actuelle démontre l’impasse du modèle néo-libéral pour les peuples des pays du Sud
Selon la théorie économique dominante, le développement du Sud est retardé à cause d’une insuffisance de capitaux domestiques (insuffisance de l’épargne locale). Toujours selon la théorie économique dominante, les pays qui souhaitent entreprendre ou accélérer leur développement doivent faire appel aux capitaux extérieurs en utilisant trois voies : primo, s’endetter à l’extérieur ; secundo, attirer les investissements étrangers ; tertio, augmenter les exportations pour se procurer les devises nécessaires à l’achat de biens étrangers permettant de poursuivre leur croissance. Pour les pays les plus pauvres, il s’agit aussi d’attirer des dons en se comportant en bons élèves des pays développés.
La réalité contredit la théorie : ce sont les pays en développement qui fournissent des capitaux aux pays les plus industrialisés, à l’économie des Etats-Unis en particulier.
La Banque mondiale ne dit pas autre chose : « Les pays en développement pris ensemble sont des prêteurs nets à l’égard des pays développés » [8].
Il n’est pas vrai que les PED doivent recourir à l’endettement pour financer leur développement. De nos jours, le recours à l’emprunt sert essentiellement à assurer la poursuite des remboursements. Malgré l’existence d’importantes réserves de change, les gouvernements et les classes dominantes locales du Sud n’augmentent pas l’investissement et les dépenses sociales. Une exception dans le monde capitaliste : le gouvernement du Venezuela qui s’oppose aux classes dominantes locales et à l’impérialisme des Etats-Unis et de l’Union européenne.
Tôt au tard, les peuples se libéreront de l’esclavage de la dette et de l’oppression exercée par les classes dominantes au Nord et au Sud. Ils obtiendront par leur lutte la mise en place de politiques qui redistribuent les richesses et qui mettent fin au modèle productiviste destructeur de la nature. Les pouvoirs publics seront alors contraints de donner la priorité absolue à la satisfaction des droits humains fondamentaux.
6. Propositions pour l’avenir
Est-on d’accord pour demander l’annulation de la dette extérieure publique de l’ensemble des PED ?
Est-on d’accord pour rejeter les conditionnalités imposées par les créanciers ?
Est-on d’accord de soutenir les PED qui mettent fin au remboursement des dettes et qui augmentent les dépenses sociales ?
Est-on d’accord de soutenir les pays qui rompent les accords avec le FMI et la Banque mondiale ?
Est-on d’accord pour soutenir les audits de la dette, qu’ils soient réalisés à l’initiative des citoyens ou des autorités, ou des deux ?
Est-on d’accord pour exiger la réparation de la dette historique et de la dette écologique du Nord envers le Sud ?
7. Nouveaux défis
En 1985, un gouvernement a pris l’initiative pionnière de lancer une campagne pour le non paiement de la dette. Cette campagne touchait principalement l’Amérique latine et la Caraïbe.
En 1998-1999, le mouvement Jubilé dans lequel les églises chrétiennes jouaient un rôle trop important a réuni plus de vingt millions de signatures. Massif certes mais aussi trop modéré dans sa revendication d’annulation de la partie impayable de la dette des pays les plus pauvres. Cette campagne touchait presque exclusivement les communautés chrétiennes.
Serons-nous capables en 2006-2007 de lancer une puissante campagne mondiale globale touchant un maximum de communautés ? Je crois que c’est possible car de larges convergences sont apparues ces dernières années entre des mouvements sociaux et des campagnes qui, jusqu’il y a peu, éprouvaient des difficultés à agir ensemble.
Espérons que nous serons à la hauteur de ce défi.
[1] Ce texte est une version retravaillée et augmentée de l’intervention d’Eric Toussaint lors de la séance inaugurale de la conférence « Résistances et Alternatives à la domination de la dette » qui s’est tenue à La Havane du 28 au 30 septembre et qui a réuni plus de 400 délégués provenant d’une cinquantaine de pays. Cette conférence était organisée par la coalition internationale Jubilé Sud, le réseau international CADTM, le chapitre cubain de l’Alliance sociale hémisphérique, l’Alliance des Peuples du Sud Créanciers de la Dette écologique, Afrodad -Zimbabwe, KAIROS-Canada, SLUG Norvège, l’Observatoire de la Dette dans la Globalisation -ODG- Barcelone, 50 ans, ça suffit -Etats-Unis-, Christian Aid -Grande Bretagne-, le programme Globalisation et Justice économique du Conseil Mondial des Eglises, le programme sur la dette illégitime de la Fédération luthérienne mondiale, Eurodad, Action Aid International -Grande Bretagne-, la Coalition Dette et Développement -Irlande-, Jubilee Debt Campaign -Grande Bretagne-. Cette conférence fait suite à la conférence de Dakar de décembre 2000 intitulée « Des Résistances aux alternatives » qui avait été convoquée par le CADTM, Jubilé Sud, le CNCD -11.11.11 -Belgique- et le CONGAD -Sénégal-.
[2] Pour être complet elle avait également touché l’Europe centrale et de l’Est (principalement la Pologne, la Roumanie et la Hongrie) qui faisait partie, à l’époque, du bloc soviétique.
[3] Voir notamment GDF 2005
[4] Voir texte complet reproduit dans Damien Millet, L’Afrique sans dette, CADTM-Syllepse, Liège-Paris, 2005, p. 205.
[5] En 1980, la dette externe de l’Amérique latine et de la Caraïbe s’élevait à 243 milliards de dollars. Fin décembre 2004, elle atteignait la somme de 773 milliards de dollars.
[6] En 1980, la dette externe de tous les pays en développement s’élevait à 541 milliards de dollars. Fin décembre 2004, elle atteignait la somme de 2 600 milliards de dollars.
[7] Source : World Bank, Global Development Finance 2005, Washington DC, April 2005, p. 165. A la fin de 2004, les PED disposent d’environ 1.600 mds sous forme de réserves de change (1.591 mds $ voir p. 165) soit plus que le total de leur dette publique externe (1.555 mds $ p. 161). La Chine, la Malaisie, la Thaïlande, l’Inde, la Corée du Sud, ont des réserves de change supérieures à leur dette publique externe. Les PED d’Asie pris ensemble ont des réserves de change qui représentent plus du double de leur dette publique externe (ou encore 30% de plus que l’ensemble de leur dette externe publique et privée - voir tableau p. 161 et 165). Les réserves de la Chine à elle seule représentent 7 fois sa dette publique externe.
Pour l’Afrique du Nord et le Proche Orient, les réserves de change s’élèvent à 141 mds $ alors que la dette externe publique s’élève à 127 mds $. Les réserves de l’Algérie s’élèvent à 41 mds $ contre une dette publique externe de 27 mds $.
[8] « Developping countries, in aggregate, were net lenders to developed countries.” (World Bank, Global Development Finance 2003, p. 13). Dans l’édition 2005 du Global Development Finance, p. 56, la Banque écrit : « Les pays en developpement sont maintenant exportateurs de capitaux vers le reste du monde. » (« Developping countries are now capital exporters to the rest of the world.” World Bank, GDF 2005, p. 56).
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.