Avenir du mouvement, traduction politique des idées véhiculées par le Forum, danger de récupération par tel ou tel courant de la gauche, impact réel du FSM ? Pour tenter de mieux comprendre les enjeux de cette réflexion, nous avons rencontré l’un des protagonistes de ces débats, Christophe Ventura, responsable « international » d’Attac-France.
Le Courrier : Le mouvement altermondialiste s’est réuni pour la sixième fois et pourtant la même question semble tarauder les participants : pourquoi est-on là ?
Christophe Ventura : Essentiellement pour deux raisons. La première, continuer à nous construire dans le cadre du Forum et permettre au mouvement altermondialiste de s’adapter à sa propre évolution ainsi qu’à celle des politiques néolibérales. La deuxième raison de notre présence est liée à la singularité de cette édition 2006 : elle se tient au cœur du processus bolivarien, dans un pays emblématique de la rupture avec le néolibéralisme que l’on constate aujourd’hui en Amérique latine. Ce Forum a donc été l’occasion d’une confrontation particulièrement riche. D’un côté l’espace public international autonome du FSM, constitué d’entités venant des horizons les plus différents (des ONG aux organisation caritatives, syndicats et mouvements sociaux). De l’autre, le processus bolivarien, vivant, enraciné dans la société, qui permet à tous les participants au Forum de se faire une idée sur une alternative concrète dans laquelle s’articulent certaines des propositions du mouvement.
On a parlé d’une récupération possible par les pouvoirs politiques du FSM, ici par Hugo Chavez, le président vénézuélien. Un tel danger vous semble-t-il réel ?
Je crois que c’est là une idée trop vite émise. D’une part, le mouvement altermondialiste n’est pas récupérable. Le prétendre, c’est faire un contresens d’entrée. Ce mouvement est tellement divers, composé d’entités tellement différentes, que l’idée même d’une récupération ne tient pas. D’autre part, les participants du Forum ont déjà, pour la plupart, leur idée sur le Venezuela, positive ou plus critique. Je pense donc qu’il n’y a aucune ambiguïté possible quant à une éventuelle « récupération ». C’est d’ailleurs l’un des principes qui avaient été clarifiés d’emblée par les mouvements sociaux, ceux-là même qui ont pris la décision de venir à Caracas pour le FSM. Et, puis franchement, je ne pense pas que Chavez ait besoin de cette récupération. Le fait que le Forum se tienne à Caracas, grâce en partie à l’appui logistique du pays, n’implique pas une mainmise sur le FSM : il est normal que les autorités publiques fournissent les moyens d’un tel Forum. Dans ce contexte, Chavez remplit simplement le cahier des charges du FSM, comme, avant lui, l’état du Rio Grande do Sul au Brésil ou Bamako au Mali par exemple.
Ne serait-ce pas plutôt un FSM, peut-être en fin de cycle, qui tenterait aujourd’hui de « récupérer » la démonstration qu’offre le Venezuela de la possibilité d’alternatives concrètes sur des dossiers chers aux altermondialistes (réforme agraire, lutte contre les OGM, nouveaux rapports Nord-Sud etc.) ?
A titre personnel, c’est effectivement mon opinion. Il y a une cohérence entre les analyses et les grilles de lecture proposées par des organisations comme Attac - et le mouvement altermondialiste en général - et ce qui se met en pratique ici au Venezuela. Ce pays constitue en effet un laboratoire irrigué par des politiques de type altermondialiste.
Et maintenant où va-t-on ? L’an dernier, le « Manifeste de Porto Alegre » - une série de douze propositions visant à donner un cadre général à la réflexion politique du mouvement - avait été présenté par certaines des « personnalités » du FSM. Quelle initiative souhaiteriez-vous voir émerger du sixième Forum social mondial ?
L’an dernier, le Manifeste de Porto Alegre avait été porté par des individus, ce qui ne peut avoir qu’un impact limité sur l’ensemble du mouvement. Ma seule attente du FSM, c’est qu’il continue d’être ce qu’il est : un lieu de rencontre, d’élaboration de projets futurs au sein ou en dehors du Forum. Nous avons toujours besoin de cet outil, mais peut-être pas chaque année. Pourquoi pas un Forum mondial tous les deux ans et des Forums continentaux, régionaux et hémisphériques entre-temps, pour continuer le travail ? Je pense aussi que le FSM doit pouvoir permettre à des organisations, pas des individus, de disposer d’un espace capable de mettre en place un projet politique qu’elles assument : c’est d’ailleurs ce que propose François Houtart (directeur du Centre Tricontinental, ndlr). Ceci permettrait de répondre à un besoin fort : l’élaboration d’un projet politique lisible, clair, accessible, mis a la disposition de ceux qui souhaitent le porter.
Propos recueillis par Renaud Lambert.
Source : www.lecourrier.ch, janvier 2006.