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L’ABC de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui est en panne
par CADTM
10 février 2020

FMI et Banque mondiale n’étaient pas les seules institutions qui devaient voir le jour pour consolider le monde économique de l’après-Seconde Guerre mondiale. Les discussions entre Alliés, essentiellement États-Unis et Grande-Bretagne, avaient abouti à l’idée de la création d’une Organisation internationale du commerce (OIC), chargée d’organiser les règles du commerce mondial.

La Charte de La Havane instituant une Organisation internationale du commerce a été signée en mars 1948 par 53 pays. Mais, n’ayant pas été ratifiée par le Congrès des États-Unis [1], seuls ont survécu les accords de réduction des barrières douanières, signés en 1947 dans le cadre de la préparation de l’OIC et entrés en vigueur début 1948. Prévue initialement pour être temporaire et dotée d’un dispositif institutionnel limité, elle est finalement restée pérenne sous le nom de GATT - General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers) pendant un demi-siècle.

Le libre-échange ou le renard dans le poulailler

Le libre-échange, horizon indépassable de l’OMC, est en fait la stratégie adoptée par les économies dominantes qui ont réussi à devenir des acteurs économiques puissants afin de le rester

En presque 50 ans, le GATT organisa 8 cycles de négociations visant à pousser plus loin la libéralisation du commerce. Le dernier, appelé cycle de l’Uruguay (1986-1994), aboutit à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en avril 1994 lors de la Conférence de Marrakech. L’adoption de l’acte final [2] de ce cycle a constitué un véritable tournant : il a nettement élargi le champ de la négociation à des secteurs non couverts jusque-là par le GATT (agriculture, textile, services, etc.) et a intégré pour la première fois la question de la protection de la propriété intellectuelle au sein du commerce international. L’OMC était chargée de structurer ces négociations élargies et de promouvoir avec une force décuplée l’intensification de la libéralisation commerciale. L’OMC regroupe 164 pays et est présidée (depuis 2013) par le Brésilien Roberto Azevêdo.

Le libre-échange, horizon indépassable de l’OMC, est en fait la stratégie adoptée par les économies dominantes qui ont réussi à devenir des acteurs économiques puissants afin de le rester : une fois l’ascendant pris, les puissants ont tout intérêt à dire « maintenant, on laisse agir les forces du marché. » Pour l’OMC, libéraliser, c’est contraindre les pays du Sud à abandonner toute forme de protection de leur économie et à les ouvrir aux appétits féroces des entreprises transnationales.

« Toute nation qui, par des tarifs douaniers protecteurs et des restrictions sur la navigation, a élevé sa puissance manufacturière à un degré de développement tel qu’aucune autre nation est en mesure de soutenir une concurrence libre avec elle ne peut rien faire de plus judicieux que de larguer ces échelles qui ont fait sa grandeur, de prêcher aux autres nations le bénéfice du libre-échange, et de déclarer sur le ton d’un pénitent qu’elle s’était jusqu’alors fourvoyée dans les chemins de l’erreur et qu’elle a maintenant, pour la première fois, réussi à découvrir la vérité. »

Friedrich List, économiste, 1840

Le trio FMI-Banque mondiale-OMC

Aux côtés du couple FMI-Banque mondiale, l’OMC complète la puissante machine de guerre mise en place pour empêcher les pays du Sud de protéger les secteurs vitaux de leur économie face aux féroces appétits des transnationales

Aux côtés du couple FMI-Banque mondiale, l’OMC complète la puissante machine de guerre mise en place pour empêcher les pays du Sud de protéger les secteurs vitaux de leur économie face aux féroces appétits des transnationales. En guise d’illustration, l’article III alinéa 5 des accords de Marrakech instituant l’OMC : « En vue de rendre plus cohérente l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial, l’OMC coopérera […] avec le Fonds monétaire international et avec la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et ses institutions affiliées ». Ces deux institutions ont par ailleurs un statut d’observateur au sein de l’OMC. L’OMC est dotée de son propre tribunal d’arbitrage des différends entre États, l’Organe de règlement des différends, lui permettant d’imposer ses règles au mépris de la souveraineté populaire.

Ainsi, la Banque mondiale et le FMI imposent des conditionnalités d’inspiration néolibérale très strictes qui accroissent au forceps l’ouverture des économies des pays endettés au marché mondial, marché dominé par les pays les plus industrialisés et les transnationales qui y ont en majorité leur siège. Le renforcement de la connexion des économies des pays du Sud au marché mondial, tel qu’il est hiérarchisé, se fait au détriment de leurs producteurs locaux, de leur marché intérieur et des possibilités de renforcer les relations Sud-Sud.

Contrairement à ce que prétend le dogme néolibéral, une plus grande ouverture et une plus forte connexion au marché mondial constituent un obstacle au développement des pays du Sud. L’insertion intégrale d’un pays du Sud dans le marché mondial est génératrice de déficit structurel de la balance commerciale (les importations croissent plus vite que les exportations), déficit qui a tendance à être comblé par des emprunts extérieurs [3]. Pour la plupart des pays du Sud, la boucle est bouclée : il s’agit du cercle vicieux de l’endettement et de la dépendance.

De surcroît, le domaine de nuisance de l’OMC dépasse largement le cadre commercial. L’OMC est une pièce clé du dispositif mis en place par les tenants de la mondialisation néolibérale pour la renforcer encore. Les politiques recommandées par le trio Banque mondiale-FMI-OMC sont parfaitement cohérentes et suivent un agenda bien précis et aux multiples facettes (politiques, économiques, financières, géostratégiques…), que les mouvements sociaux ne doivent cesser de combattre.

« Les pays qui veulent des accords de libre-échange avec les États-Unis doivent satisfaire à des critères qui ne sont pas seulement économiques et commerciaux. Au minimum, ils doivent aider les États-Unis à atteindre leurs objectifs de politique étrangère et de sécurité nationale. »

Robert Zoellick, représentant spécial des États-Unis pour le commerce entre 2001 et 2005

L’OMC en panne

L’OMC est aujourd’hui en panne. L’administration de Donald Trump applique une politique commerciale unilatérale agressive tant à l’égard de la Chine et de l’Union européenne qu’à l’égard d’autres puissances économiques. Washington a empêché en 2019 la désignation de juges à la cour d’appel de l’OMC, ce qui l’empêche de fonctionner [4]. Les négociations du cycle de Doha lancées en 2001 peinent à aboutir depuis des années, minées entre autres par des désaccords autour de la Chine, laquelle a rejoint l’OMC en 2001. Le paradoxe est que pourtant, depuis près de vingt ans, la libéralisation se poursuit, même sans nouvel accord à l’OMC. Les accords de libre-échange bilatéraux, régionaux et plurilatéraux se substituent aux accords multilatéraux afin de repousser encore davantage les frontières du libre-échange là où l’OMC n’y est pas encore parvenue. Néanmoins, la politique de l’administration Trump crée un chaos certain dont il est difficile de prévoir l’issue.

Il faut supprimer l’OMC et la remplacer par une nouvelle organisation mondiale multilatérale. Une telle organisation devrait viser, dans le domaine du commerce, à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et environnementaux. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (notamment les conventions de l’Organisation internationale du travail – OIT) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question qu’une organisation multilatérale possède en son sein son propre tribunal comme c’est actuellement le cas de l’OMC. Il faut donc supprimer l’Organe de règlement des différends.


Notes :

[1Voir Susan George, « Une autre organisation du commerce international était possible... », Le Monde diplomatique, janvier 2007.

[2Cet acte final est constitué de 20 000 pages de textes. Voir :
www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/omc/historique.shtml

[3L’exemple de la Chine ne contredit pas cette argumentation : la Chine a une insertion très particulière dans le marché mondial puisqu’elle maintient de très importantes protections et la taille de son marché intérieur est considérable.

CADTM