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Idées pour faire face au Coronavirus
Série Covid-19 mise à jour (3/4) : Propositions de mesures à prendre
par CADTM Belgique
4 mai 2020

Quelques suggestions pour faire face à la situation : de manière immédiate (avec entre autres la mise en place d’une cotisation de crise) et de manière plus structurelle.

Podcast de la version du 23 mars (un immense merci à Sophie)

Ce texte fait partie d’une série de quatre articles. Ceux-ci seront mis à jour suivant l’évolution de la situation. N’hésitez pas à nous envoyer vos éventuelles idées ou remarques à info(at)cadtm.org. Publication originale le 23 mars. Dernière mise à jour : 04 mai.

Les autres articles de la série :

Les effets de la Covid-19 [1] illustrent à quel point le système économique actuel nous rend fragiles. Face aux basculements écologiques en cours, cette nouvelle pandémie mondiale [2] n’est qu’un avertissement. Un avertissement dont il faut nous saisir.

En parallèle de la pandémie (partie 1), une crise financière a démarré [3]. Les détenteurs de capitaux sont en train de négocier avec les gouvernements et les « corps intermédiaires » (dont les syndicats) pour maintenir au maximum les bénéfices qu’ils avaient prévus pour 2020 et, surtout, leur modèle économique. Les contradictions inhérentes au capitalisme sont en train de nous exploser à la figure et la manière dont nous allons réagir à cette expérience va être déterminante pour nos avenirs.

Nous aurions dû stopper la production non essentielle depuis la mi-mars et mettre en place une allocation de quarantaine, sous la forme d’une cotisation de crise

Cet avenir et le présent que nous sommes en train de traverser ne sont pas vécus de la même manière par tout le monde. Les plus précaires travaillent, malgré le manque criant de moyens, pour permettre le confinement (voire la fuite temporaire) des autres. Nous aurions dû stopper la production non essentielle depuis la semaine dernière (mi-mars) et mettre en place une allocation de quarantaine, sous la forme d’une cotisation de crise (partie 2). Les oublié·e·s sont encore plus soumis·es à l’injonction de disparaître qu’en temps « normal ».

Heureusement, les solidarités et luttes en cours font toute la différence (partie 3), et elles vont déterminer à quoi ressemblera « l’après Coronavirus ». Cette expérience peut être utilisée par le pouvoir en place comme « stratégie du choc » (à l’image de ce que tente l’État français), mais elle est aussi une brèche qui pourrait chambouler nos rapports sociaux et nos rapports au reste du vivant (partie 4).


Cette liste ne se veut pas exhaustive (par exemple elle ne traite pas de la fracture, du traçage ni de l’insécurité numériques ; de l’enseignement ; de la mobilité ; des taux de change qui provoquent des « pénuries » dans le Sud global ; …).

Une toute petite partie de ces mesures est déjà en cours, souvent grâce au travail et à la pression des mouvements sociaux. Dans les faits, une multitude d’arrangements s’est déjà installée entre « petit·e·s » gens et petites structures, sans avoir pour autant d’encadrement général.

Préparons-nous, dès maintenant, à proposer un autre récit et nous opposer à ce nouveau bail-out collectif

La manière dont ces mesures sont appliquées et, surtout, leurs suites sont très importants à suivre. Les gouvernements vont très probablement sortir une facture salée à la population dans quelques mois, plutôt que de questionner le système destructeur actuel il sera demandé de faire deux fois plus d’efforts afin de le maintenir. Un déficit de plus de 30 milliards d’euros minimum et une dette qui passerait de 99 % à 115 % du PIB. De nombreuses faillites. Préparons-nous, dès maintenant, à proposer un autre récit et nous opposer à ce nouveau bail-out collectif (collectiviser les pertes après avoir privatisé les bénéfices). Une injection massive d’argent public dans de nombreuses entreprises est une des principales mesures (au-delà des sauvetages bancaires, qui ont déjà commencé) que les plus riches vont exiger. Ils vont parfois même appeler cela des « nationalisations ». « Sauver l’économie » ne signifie strictement rien, si on ne parle pas de qui paie, pour quelle « économie », quels outils, quelles activités, contrôlées par qui et au service de qui. Ces « nationalisations » – terme quasi extrémiste en temps normal – s’effectuent sans prendre aucun contrôle sérieux des outils « nationalisés », qui seront revendus à perte dès que les deniers publics leur auront rendu une santé.

« Sauver l’économie » ne signifie strictement rien, si on ne parle pas de qui paie, pour quelle « économie », quels outils, quelles activités, contrôlées par qui et au service de qui.

À nous de ne pas laisser le scénario de 2008 se répéter. Il va falloir exproprier certaines propriétés pour les socialiser et répudier certaines dettes (c’est-à-dire ne pas les rembourser).

Sarah De Laet (Inter-environnement Bruxelles) sur Radio PANdemIK épisode #2

MESURES IMMÉDIATES

Sortir du Pacte de Stabilité Européen

Quelles que soient les décisions que prendra la Commission européenne – elle a déjà annoncé qu’elle ferait temporairement des exceptions concernant les déficits publics « autorisés » – il est évident que la proposition de désobéir aux traités budgétaires est on ne peut plus pertinente. Le « Pacte de stabilité » (sic) doit être suspendu. Il ne s’agit pas de faire une nouvelle exception « ad hoc », cette fois en raison d’une crise sanitaire, mais plutôt de remettre en discussion ces règles européennes illégitimes.

Investir immédiatement dans les soins de santé et les autres premières lignes

Fournir le matériel nécessaire (masques à particules, appareils respiratoires, tests)

Immédiatement fournir des salaires et conditions de travail décents aux personnels de première ligne. Les libérer des tâches administratives chronophages. En ce qui concerne les personnels de soin, fournir le matériel nécessaire (masques à particules, appareils respiratoires), augmenter le nombre de dépistages, former et engager du personnel (plutôt que de flexibiliser encore plus le secteur et réquisitionner des étudiant·e·s…) – également pour l’entretien, la logistique et toute tâche nécessaire à la gestion de la crise. Il ne s’agit pas uniquement de faire une « avance » d’1 milliard d’euros aux hôpitaux (à rembourser !), comme le propose la sinistre de la santé. Il est pitoyable que ce soit la population qui doive coudre des blouses faites maison pour fournir certains hôpitaux sous-financés.

La santé en lutte :
« L’État a failli et n’a pas produit et ne compte toujours pas fournir du matériel en suffisance pour protéger (et dépister) tout le personnel hospitalier ou extra hospitalier. La politique de rationnement expose les patient•e•s, le personnel de santé et son entourage à un risque sanitaire grave. C’est une politique dangereuse qui contribue à la propagation de la pandémie. Nous réclamons du matériel pour toutes et tous immédiatement, et ce à l’instar de plusieurs pays asiatiques qui ont réussi à endiguer l’épidémie. La situation en Chine puis celle en Italie nous avaient mis•es en garde : ce qui va manquer, ce sont également les respirateurs. Au plus on a de respi, au plus nous pourrons sauver des vies ! Simple. Sinon, nous serons amené•e•s à devoir faire des choix. Horribles. Pourquoi le matériel, qui est disponible puisqu’en vente par les firmes pharmaceutiques, ne peut-il pas être réquisitionné ? »

De plus en plus de personnes mettent des banderoles à leurs fenêtres, nous pouvons également nous prendre en photo en soutien à ces revendications.

Réquisitionner le matériel vital et plafonner les prix

Il faut réquisitionner les masques, gels désinfectants, thermomètres, appareils respiratoires, médicaments antiviraux et analgésiques, etc. (sans nécessairement prévoir de « dédommagement » au prix du marché comme le sinistre de l’intérieur l’a fait concernant ces 180 000 tests et réactifs). Pour la vente publique, les prix doivent être plafonnés (comme cela a partiellement été fait en France et en Itale). Cette mesure doit également être appliquée aux biens de première nécessité. En lieu et place de ces mesures de bon sens, le gouvernement a accordé depuis le 15 mars 300 licences d’exportation à des entreprises pour des masques (pas pour la solidarité internationale, mais pour suivre les prix du « marché »). En lieu et place de ces mesures, Comeos – la fédération des commerces qui se sera illustrée par son irresponsabilité dans la gestion des conditions de travail durant cette pandémie – annonce qu’elle va vendre des masques chirurgicaux (où étaient-ils pendant tout ce temps ?) à prix coûtant. Cela restera à vérifier (les prix « du marché » sont passés de quelques dizaines de cents à quelques euros la pièce…), en tout cas la fédération a menacé de vendre ces masques à l’étranger si elle ne pouvait pas les écouler par ses supermarchés (!). Les masques (jetables !) vont devenir le nouveau pécu, formidable. L’initiative est donc partout laissée à l’appréciation du capital privé, on voit qui fait la loi et ce que cela donne comme résultat…

Président de CPAS :
« Nous avons dû passer par une pharmacie qui a bien voulu nous dépanner pour avoir un bidon de cinq litres de solution hydroalcoolique. Nous avons été facturés à 400 euros pour cette solution. (…) le prix est passé à 300 euros pour un thermomètre.  »
Médecin généraliste :
« Dans nos maisons médicales, tout le monde est sur le pont depuis des jours. D’après les informations que nous recevons des hôpitaux et d’autres établissements de santé, les stocks baissent là aussi à vue d’œil. Or, certaines firmes semblent bien décidées à tirer profit de cette situation. Aujourd’hui, nous payons 70 euros un paquet de 50 masques chirurgicaux. Il y a quelques mois, le même paquet nous revenait à 6 euros. Le prix a donc plus que décuplé. »

Puisque le gouvernement ne fait pas son travail d’encadrement des prix, Test Achats a envoyé à l’ordre des pharmaciens une première liste d’officines qui spéculent sur la pandémie. Il faut noter les acteurs qui sont en train de spéculer sur cette pandémie pour les sanctionner lourdement (voir partie 4). En attendant, des plaintes peuvent être déposées ici.

Réquisitionner plusieurs secteurs clés et interdire les brevets pharmaceutiques

En premier lieu les hôpitaux, cliniques et centres de traitement privés afin de se diriger vers un service public de la santé avec gratuité de soins, géré par les travailleuses et travailleurs du secteur. Le textile et la confection doivent également être mis à contribution pour la production de masques. Socialiser l’industrie pharmaceutique en la mettant au service de la population, entre autres pour généraliser l’accès aux médicaments utiles. Aujourd’hui cette industrie très lucrative ne paie presque pas d’impôts et la concurrence en son sein limite la collaboration et l’échange d’informations pour trouver un vaccin et/ou une autre médication. Nous sommes en train de perdre énormément de temps. Sans compter que cette industrie pharmaceutique à but lucratif spécule sur son accessibilité future et que peu de mesures ont été prises pour contrer un accaparement monopolistique (si ce n’est celles prises en Allemagne, au Brésil, au Canada, au Chili, en Équateur, … et qui sont un début). Le même problème existe pour la médication, bien que la plupart des molécules utilisables sont déjà connues et dans le domaine public, les nouvelles « trouvailles » sont brevetées au vu de notre inconscience actuelle. Les informations précises livrées par une membre de MSF et trois universitaires sont édifiantes : la guerre internationale en cours plutôt que la coopération ; les subsides publiques au big pharma privé à but lucratif (80 millions d’euros de l’UE pour CureVac, par exemple) ; le fameux scandale des 45 laboratoires de biologie clinique agréés belges écartés de la production de tests de dépistage ; etc.

« Même si la production de vaccins pourrait être considérée comme un secteur stratégique pour la santé publique, les pays du nord ont perdu l’essentiel de leurs capacités productives, et celles qui existent de par le monde sont généralement concentrées dans quelques mains et n’ont d’ailleurs pas été conçues pour faire face à l’ampleur de la demande à venir. En d’autres termes, il y a et il y aura mise en concurrence féroce, entre producteurs, et entre pays... Par exemple, la société belge Univercells, qui a notamment reçu des fonds de la Fondation Gates, a acquis récemment des infrastructures près de la Région bruxelloise en vue de pouvoir produire dès septembre prochain deux cents millions de doses par an qui n’ont pas encore passé le stade des essais cliniques. On sait aujourd’hui que la moitié de cette production et de celles à venir a déjà été achetée par un pays tiers restant anonyme. »

Stopper le travail non essentiel

Nous aurions déjà dû le faire depuis le lundi 16 mars, en se préparant durant le week-end suivant le premier arrêté ministériel. L’inconsistance principale des mesures prises par l’État est d’appliquer un confinement pour la sphère dite privée SANS l’appliquer dans la sphère dite professionnelle, comme s’il s’agissait de deux réalités parallèles. Le deuxième arrêté ministériel n’avait rien dit de mieux, malgré l’épidémie qui s’étendait. Nous avons donc de répété la même « erreur » (ou plutôt choix politique) que les pays qui nous ont précédé, comme l’Italie, et ce principalement pour satisfaire les intérêts d’une minorité de propriétaires des moyens de production. En France, les injonctions contradictoires des autorités ont atteint le sommet du ridicule.

appliquer un confinement pour la sphère dite privée SANS l’appliquer dans la sphère dite professionnelle, comme s’il s’agissait de deux réalités parallèles

Dans les faits, seulement un tiers des salarié·e·s de secteurs non vitaux ont arrêté de travailler, un autre tiers a télétravaillé et le dernier… a continué de se rendre sur le lieu de travail. 40 % de ces personnes déclarent avoir vu leur charge de travail augmenter mais très peu ont reçu des « compensations » [4]. L’écrasante majorité des entreprises contrôlées ne respectent bien sûr pas les mesures sanitaires (quelle surprise) et l’impunité est la règle plus que l’exception. Les travailleurs/euses des secteurs non directement nécessaires sont réduit·e·s à se défendre entreprise par entreprise. La procédure officielle pour se plaindre est ridiculement longue. Comme en Italie, en Espagne, aux États-Unis ou au Chili et partout dans le monde, les arrêts de travail spontanés se multiplient fort heureusement (Audi Forest, Brico Liège, Atelier SNCB Schaerbeek, Ceva…). « Nous ne sommes pas de la chair à patron ». Rentrons en contact avec ces travailleurs/euses et aidons-les à mettre la pression sur leurs directions s’ils et elles le désirent (par téléphone, e-mails, réseaux asociaux, boycott, …). Mépriser les « inconscient·e·s » qui n’appliqueraient pas assez à notre goût « les » mesures de prévention étatiques ne nous mènera pas très loin, surtout si cela nous dédouane d’acter les contradictions de ces mesures et d’agir dessus.

Ouvrier d’une usine liégeoise : « Hier, ni mon permanent syndical ni le conseiller en prévention (!) de l’entreprise ni le contremaître ne m’ont pris au sérieux lorsque j’ai demandé s’il ne valait pas mieux fermer. Aujourd’hui, nous avons réussi à stopper l’usine jusqu’à nouvel ordre. S’il n’y a pas de décision collective pour toutes les entreprises non essentielles, nous allons devoir faire boule de neige en les fermant nous-mêmes. »

Pour les travailleurs/euses des secteurs essentiels [5], il faut maximiser les mesures de protection possibles (transports réduits au minimum ; distances de sécurité ; gants ; masques ; possibilités de se laver correctement et régulièrement les mains ; nettoyage régulier des surfaces communes du type poignées, boutons, tables, poubelles, wc,… ; éviter le plus possible les espaces fermés et les endroits fort fréquentés ; …). Ces mesures ne suffiront pas, et nous devons prendre la mesure de ce que toutes ces personnes sont en train de faire pour nous [6]. Si, pour ces secteurs vitaux, la direction qui en aurait les moyens ne met pas en place ces mesures de protection, il faut l’y contraindre (par une mobilisation interne et/ou un soutien externe). Les travailleuses/eurs savent mieux que personne ce qui doit être fait pour la prévention. Comme l’ont exprimé des travailleurs/euses de De Lijn :

« De Lijn s’est vanté dans la presse que les véhicules seraient nettoyés quotidiennement. Beaucoup de collègues ont entendu ça avec colère. C’est faux. Au mieux, les véhicules sont rapidement balayés. Il est impossible d’effectuer un nettoyage adéquat après toutes les économies réalisées et le manque de personnel que cela implique dans les services de soutien et les services techniques. (…) Les syndicats ont distribué des affiches aux chauffeurs de bus anversois avec le message ‘‘montez à l’arrière du bus’’ et ‘‘pas de vente de billets’’. Des rubans ont également été tendus dans les bus pour assurer qu’une distance soit respectée. Si la direction refuse de prendre soin de notre santé et de notre sécurité, à nous de le faire ! En fin de compte, la direction n’a pas eu d’autre choix que d’adopter ces mesures. Mais elle a tout d’abord refusé d’autoriser les rubans de démarcation. »

Grévistes de l'atelier SNCB Schaerbeek

Les directives ministérielles disent (à raison) que les client·e·s de magasins doivent avoir 10m2, qu’il ne faudrait pas se regrouper même à l’extérieur (à tort), qu’on ne peut pas encore revoir nos proches, mais que les ouvriers/ières (qui ne peuvent pas faire de télétravail) devraient se regrouper en intérieur avec une distance d’un mètre et demi permanente (ce qui est impossible) ? De qui se moque-t-on ? A-t-on besoin, en pleine pandémie, de produire des voitures, des électroménagers, de la publicité, de l’armement, du textile, … ? N’aurait-on pas plutôt besoin de questionner les activités nuisibles et utiles, et de soutenir les reconversions des unes vers les autres ? (voire partie 4).

En lieu et place de ce sursaut de survie, nous laissons le gouvernement décider un « déconfinement » (sic) sélectif et inégalitaire aujourd’hui, lundi 4 mai, au profit du maintien du système économique actuel et en opposition frontale avec les recommandations du monde médical. Les moyens des hôpitaux n’ont pas été sérieusement augmentés ; nous ne dépistons pas suffisamment ; les personnels de santé sont à 60 % en risque d’épuisement ; les lits en soins intensifs sont occupés à 50 % et non à 25 % comme l’exigeait le secteur de la santé ; une circulaire gouvernemental leur a été envoyée pour… qu’ils se préparent à une « deuxième vague » ; les masques ne sont pas disponibles où il le faut ; etc. Un « guide » de bonnes pratiques a été mis en place par les « partenaires sociaux » au sein du G10. On sait qu’il ne sera pas respecté, mais il constitue une base parmi d’autres pour exercer son droit de retrait [7] et/ou organiser des arrêts de travail. Nous en sommes réduit·e·s à l’autodéfense sanitaire.

Il paraît que c’est pour « sauver l’économie », afin de sauver la population en bout de chaîne. Sauf que (sans compter leurs projets d’austérité à venir) la crise sociale qui est déjà en cours depuis des semaines ne reçoit aucune réponse. L’hypocrisie est donc limpide, s’il fallait encore nous en convaincre après la crise financière de 2008. Comme la CNE le rappelle, les choix faits illustrent parfaitement l’orientation choisie pour « l’après » covid-19.

Maintenir les salaires et interdire les licenciements

Rappelons qu’un tiers de la population n’a pas d’épargne et a donc directement besoin d’une source de revenu ou de gratuité.

Rappelons qu’un tiers de la population n’a pas d’épargne

Pour les entreprises qui en ont les moyens, les salaires doivent être maintenus pendant le confinement (et les contrats hors CDI doivent être prolongés). Cela signifie simplement que leurs dividendes versés en 2020 seront moins élevés.

Les entreprises qui ont profité de cette pandémie pour licencier abusivement du personnel doivent être sanctionnées.

Soutenir certaines entreprises et sous certaines conditions

Soutenir les petit·e·s indépendant·e·s et les PME (qui représentent 99,8 % des entreprises privées, 70 % des emplois et 70 % du PIB) dont les propriétaires n’auraient pas assez de patrimoine pour faire face à cette crise. 400 000 d’entre elles et eux ont dû interrompre leur activité. Plusieurs mesures ont donc été prises en ce sens, félicitées par l’UCM (Union des Classes moyennes) et le SNI (Syndicat neutre des Indépendants), mais elles ne suffiront pas pour tou·te·s (voir plus bas pour des mesures complémentaires). Les dispenses ou reports de paiement de contributions, les aides directes sous forme d’indemnités ainsi que le revenu de remplacement partiel – décidés par le fédéral et le régional – ne devraient pas se limiter aux indépendants à titre principal et ainsi exclure les indépendant·e·s complémentaires. Le secteur public ne doit pas être le seul à participer (voir plus bas). Leurs gros clients (dont les bénéfices 2019 ont été élevés et/ou dont les actifs sont suffisants) pourraient également être mis à contribution et abandonner certaines de leurs créances (en cas d’événements ou de contrats annulés, par exemple).

Les aides publiques aux entreprises doivent être conditionnées à des critères sociaux et environnementaux

Dans le même sens que les faillites d’entreprises ont été temporairement gelées (mais seulement pour les entreprises qui n’avaient pas de problème avant la pandémie, ce qui est révélateur des priorités du gouvernement), il faut prendre des mesures contre les OPA agressives. En effet, la situation est idéale pour des fonds d’investissement vautours qui vont vouloir profiter d’entreprises petites et moyennes temporairement en difficulté afin de les racheter à bas prix et ainsi concentrer encore plus la propriété des moyens de production que ce n’est déjà le cas aujourd’hui.

En ce qui concerne les sauvetages d’entreprises de manière plus générale, ceux-ci ne peuvent pas se faire de manière inconditionnelle. Les éventuelles injections publiques de capital devront, en toute logique, signifier une prise en main de l’orientation qui sera prise par l’entreprise capitalisée. Les aides, elles, doivent être conditionnées à des critères sociaux et environnementaux. Au grand minimum, les aides devront être refusées (ou récupérées) aux entreprises qui (aur)ont fait le choix de distribuer des dividendes à leurs actionnaires ou des bonus à leurs dirigeants, de racheter leurs propres actions sur les marchés, de licencier abusivement ou d’utiliser les paradis fiscaux via leur siège, des filiales ou des comptes (comme le Danemark, la Pologne ou les États-Unis ont annoncé le faire). Nous devrions même aller plus loin et analyser, secteur par secteur et entreprise par entreprise (l’aviation, l’automobile, mais pas seulement), l’importance du patrimoine de leurs actionnaires principaux qui ont profité les dix dernières années de leurs dividendes et aller ponctionner sur cet immense montagne de capital accumulé pour « sauver l’économie ».

Il faut refuser le récit selon lequel nous serions en train de sauver « l’économie » (ce qui ne veut strictement rien dire en tant que tel, si on ne précise pas quelle économie) afin de soi-disant sauver la population, et in fine « le social ». Le social est déjà en crise et le gouvernement ne réagit pas, par contre il agit – vite et fort – pour sauver une certaine économie. Malgré l’expertise très claire fournie sur ce qui est en train de se passer en termes sociaux et les mesures peu coûteuses proposées pour répondre à la situation, le gouvernement n’y a toujours pas fait référence car – comme l’explique Céline Nieuwenhuys (de la Fédération des services sociaux, seule participante de terrain au groupe d’experts chargé du « déconfinement ») la pression n’est pas assez forte sur le gouvernement qui écoute bien plus le patronat.

Il faut refuser le récit selon lequel nous serions en train de sauver « l’économie »

Comme dirait l’autre, s’ils veulent « relancer l’économie », qu’ils le fassent, mais alors loin, loin, et qu’elle ne revienne jamais (voir partie 4).

Appliquer des congés extraordinaires pour les parents en charge d’enfants

Qu’elles et ils ne soient pas obligé·e·s de faire du télétravail dans des conditions impossibles. Ces congés doivent être à charge des employeurs qui en ont les moyens (voir plus bas pour les autres). Le gouvernement vient enfin de prendre une décision en ce sens ce week-end (accès à temps partiel, dans certains cas et avec effet rétroactif – ce qui est une bonne nouvelle). Un peu tard, après 1 mois et demi de confinement, lorsqu’on sait que ce sont majoritairement des femmes qui arrêtent leur travail pour s’occuper des enfants à l’heure de décider le salaire à perdre. Cette mesure n’est donc pas prise pour aider les parents en général, et les mères en particulier, qui ont fait du télétravail mais pour faciliter le retour en entreprises à partir d’aujourd’hui 4 mai. La ligue des familles rappelle que les faibles montants prévus rend ce droit inaccessible pour énormément de familles, et souligne que les indépendant·e·s en sont exclu·e·s.

Mettre en place une allocation de quarantaine

Pour toutes les personnes qui ne continuent pas à travailler dans les secteurs essentiels ou qui ne peuvent pas travailler à domicile, et dont l’entreprise n’aurait pas les moyens de maintenir le salaire [8], fournir une allocation de quarantaine (de 2 000€ bruts/mois). Les personnes qui ont un patrimoine net (patrimoine net = patrimoine moins les dettes diverses) supérieur à 75 000€ (première demeure exclue) ne seraient pas nécessairement éligibles à cette allocation. Au-delà de cette discrimination positive, elle doit être fournie indépendamment du statut et du type de contrat (travail dit au noir, intérimaires, free-lance, travailleuses du sexe, les 140 000 étudiant·e·s de l’Horeca, les nombreuses personnes privées de droit aux allocations, certain·e·s peti·te·s indépendant·e·s, artistes …). Les personnes qui ont déjà un revenu de remplacement (congés maladie, chômage de longue durée, chômage temporaire – porté à 70 % du salaire ce 1er février – pour raisons économiques ou pour force majeure, mutuelle, cpas, …), mais inférieur à ce montant, le verraient compléter.

Financer ces mesures par une cotisation de crise

Il n’y a aucune raison que cette crise soit payée par la majorité sociale (diminutions ou reports d’impôts pour les entreprises, nouvelles exonérations de cotisations sociales, nationalisations temporaires d’entreprises privées ou privatisées, chômage temporaire financé par les fonds publics [9] …). Toutes ces mesures sont une socialisation des pertes, gardons-le à l’esprit. Si nous laissons faire cela, l’effet principal sera de maintenir le plus possible les plus-values d’une extrême minorité de la population en parallèle d’une austérité féroce pour combler le déficit public. Pour l’instant, nous en sommes pour 2020 à 13 milliards de dépenses en plus et 10 milliards de recettes en moins que prévu. La dette publique, elle, devrait passer de 99 % à 115 % du PIB. Comme ACiDe l’a écris, ce montant est sous-évalué et d’autres scénarios que celui de 2008 sont possibles.

La dette publique devrait passer de 99 % à 115 % du PIB.

Il faut au contraire appliquer une cotisation de crise aux entreprises dont les profits sont les plus élevés (« pas de dividendes en 2020 » - pour les profits 2019, abandonnés et non simplement reportés - ce sera leur contribution) et sur les ménages dont les patrimoines et revenus sont les plus élevés. Ce très bon article du Gresea montre qu’une socialisation de 2 % des dividendes permettrait de financer les salaires des travailleurs/euses qui sont passés du portefeuille privé au portefeuille public en quelques jours. Au-delà des profits annuels (flux), il y a énormément (le mot est tellement faible…) de marge : les patrimoines cumulés (stock) en Belgique sont évalués à ≃ 3 000 milliards d’euros, dont la moitié appartient actuellement aux 10 % les plus riches à eux seuls.

Rq : Pour l’instant, (un partie de) ces plus riches se limitent à faire quelques petits dons (qui nous paraissent gigantesques à nous, mais qui sont petits pour eux) afin de valoriser leur image, d’alimenter un mythe d’unité contre un ennemi commun (voir partie 4) et – accessoirement – de jouir de déductions fiscales.

Instaurer un moratoire sur le paiement de la dette publique

Rien que pour les intérêts, ce sont plus de dix milliards de nos impôts qui sont utilisés à enrichir les créanciers et que nous pourrions libérer pour des dépenses utiles.

Couvrir l’ensemble de la population en assurances maladie et hospitalisation

Ce sera la contribution des compagnies d’assurances, secteur particulièrement lucratif, pour cas de force majeur.

Stopper les contrôles et la « disponibilité » des allocataires

Comme la Grapa et le Forem ont commencé à le faire.

Geler ou annuler certains remboursements de crédits, loyers et factures

Il s’agirait de certains prêts hypothécaires pour première demeure, de certains prêts aux PME ou petit·e·s indépendant·e·s, des loyers et factures qui seraient impayables dans la situation présente. Ces mesures doivent être prises sans laisser courir les intérêts.

Une partie de ces mesures ont été prises, mais pas suffisamment et – surtout – seulement pour sauver certains acteurs économiques solvables (pas, ou trop peu, pour soulager les personnes et structures déjà dans la précarité).

L’accord qui a été passé le dimanche 22 mars entre la Banque nationale de Belgique, le Ministère des finances et les banques privées est illustratif sur ce point. Cet accord permet des reports de paiement jusqu’à 6 mois (c’est-à-dire jusqu’au 30 septembre 2020) pour les entreprises, indépendant·e·s et emprunteurs hypothécaires. Après trois semaines, ce report avait été accordé à 100 000 entreprises et 66 000 ménages (pour un montant total de 14 milliards). Rien n’est prévu pour les crédits à la consommation, qui concernent les emprunteurs les plus précarisé·e·s et ont les taux d’intérêt les plus élevés. De plus, cette mesure n’est prévue que pour les acteurs qui ne connaissaient pas de problème avant la crise. Le but n’est donc pas de soutenir les acteurs économiques (et la population) en général, mais de maximiser le nombre d’acteurs solvables qui pourront, in fine (après leurs suspensions de paiement temporaires), rembourser les crédits et ainsi minimiser les pertes auxquelles devront faire face les banques, malgré la situation exceptionnelle. Dans le même ordre d’idées, un moratoire sur les faillites d’entreprises a été mis en place, mais uniquement pour les entreprises qui n’étaient pas en difficulté avant le 18 mars.

Cette mesure concerne uniquement les acteurs qui ne connaissaient pas de problème avant la crise...

Stopper les coupures pour factures impayées, comme la Wallonie et Bruxelles l’ont fait pour le gaz, l’électricité et l’eau.

Stopper les expulsions de logement, comme en Wallonie et à Bruxelles. Des collectifs se sont mis en place pour organiser une grève des loyers – les loyers sont un des éléments entièrement absents du « débat », laissant l’arbitraire à l’œuvre – et pour organiser un front de résistance aux expulsions à venir (compte tenu du nombre de ménages à qui ont va retirer tout ou partie de leurs revenus).

Créer des fronts anti-expulsion
Grève des loyers
Caisse de grève
Pétition
Occupations
Manifester
Participer à l’action du syndicat des locataires en vue d’un gel des loyers

Réquisitionner des bâtiments

Que ce soit pour compenser le manque de lits dans les hôpitaux, pour pouvoir loger les personnes « coincées dehors », soutenir les femmes (de plus en plus) battues, ou pour pouvoir reloger les personnes qui habitent dans des immeubles surpeuplés et insalubres (41 % des enfants à Bruxelles, par exemple…) en cette période de soi-disant confinement, il faut réquisitionner tout ce qui est actuellement inutilisé : innombrables bâtiments – logements et bureaux – vides en bon état, chambres d’hôtels (comme ces exemples à Etterbeek et Anderlecht), institutions équipées (comme le Parlement européen par exemple, mais un peu tard…), appartements air-bnb, logements de luxe, résidences secondaires (tertiaires, voire plus), …

Stopper les expulsions, et de manière générale la répression, des occupations de bâtiments abandonnés. Supprimer la loi « anti-squat » (sic) votée fin 2018 (dont une partie venait d’être abrogée par le Conseil d’État grâce au recours porté par des mouvements sociaux).

Dépeupler les prisons et transformer les centres fermés en centres d’accueil

Dans de nombreux pays, et comme à chaque « crise » vécue au dehors, la situation à l’intérieur des prisons et des centres fermés est tout simplement catastrophique. Les grèves de la faim, émeutes et tentatives de suicide se multiplient. Luttons pour faire lever l’interdiction de visites aux personnes enfermées. Des vitrines, gants, désinfectants, les inscriptions limitées et une organisation de non-contacts intelligente (du type « entrées-sorties » qui évitent les files) permettraient que les personnes puissent continuer à visiter leurs proches enfermé·e·s sans pour autant augmenter le danger de contagion (en tout cas moins que les conditions actuelles). Au grand minimum, des vidéoconférences auraient dû être organisées, ce qui n’est le cas que depuis quelques temps et de manière insuffisante (voir les témoignages). Les droits fondamentaux de ces personnes enfermées ne peuvent leur être retirés pour une situation qui n’est pas de leur fait. L’expérience des pays en avance sur nous par rapport à la propagation du virus montre qu’il serait beaucoup plus intelligent de prendre des mesures rapides de dépeuplement de ces cages (permissions, amnisties, …), comme la Tunisie a commencé à le faire. À la prison de Lantin, 100 détenus ont été libérés en un mois, et il y reste malgré tout 850 personnes enfermées pour 650 cellules, c’est dire si la surpopulation est la norme dans les prisons belges…

Trois cents personnes auraient été « libérées », avec un ordre d’expulsion (!). Les autres continuent de vivre dans ces cages sans défense juridique, visite, mesure d’hygiène ni information. Les demandes d’asile sont suspendues (ce qui est illégal). Les personnes sans papiers doivent au contraire être régularisées pour raison humanitaire (comme au Portugal). L’accès à la carte d’aide médicale urgente doit être facilité.

La répression aux frontières de l’Europe-forteresse (voire l’élimination) doit faire place à l’accueil digne.

Eric Toussaint :
« L’Union européenne et ses institutions toutes nues face à la pandémie de coronavirus : le président du conseil européen n’a même pas une équipe de 10 médecins à envoyer en Lombardie ou en Espagne (c’est Cuba qui s’en charge). Par contre elle dépense 420 millions d’euros pour Frontex, sa police des frontières suréquipée. L’UE n’a pas d’hôpitaux de campagne ou de réserves de ventilateurs ou de masques pour venir en aide à un pays membre. Par contre, elle est équipée de drones européens pour espionner les mouvements de personnes en détresse qui cherchent à obtenir le droit d’asile. »

Annuler les dettes de pays appauvris

Le remboursement des dettes illégitimes que de nombreux pays appauvris du Sud global doivent (sic) à la Belgique représente très, très peu, de rentrées pour l’État (quelques dizaines de millions d’euros par an, soit l’équivalent de la taxe sur les limonades) mais empêche ces pays de faire face à de telles crises et d’appliquer leur droit à l’autodétermination. Les fausses solutions apportées par le FMI et la Banque mondiale sont les mêmes qu’au moment du séisme meurtrier à Haïti (2010) ou d’Ebola (2014), c’est pourquoi le CADTM et d’autres organisations ont interpellé le gouvernement afin de suspendre ces dettes. Si ce 13 avril Macron annonçait fièrement que nos États allaient annuler massivement la dette des pays africains, moins de vingt-quatre heures plus tard cette « annulation massive » se transformait en un simple report de paiement pour une partie de cette dette seulement (les sommes dues pour les huit deniers mois de l’année) et pour une petite partie de ces pays.

Anticiper une potentielle crise alimentaire

Nous ne développerons pas ici (vous pouvez trouver plus d’informations dans cet article), mais la chaîne alimentaire capitaliste très fragile doit désormais composer avec un manque de main d’œuvre saisonnière, des blocages ou ralentissements de flux, des restrictions aux exportations et des mouvements de consommation paniques qui augmentent (ou, plus souvent, créent) des problèmes de disponibilité. C’est dans les régions appauvries que la crise alimentaire risque d’être la plus sévère. Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) estime que le nombre de personnes au bord de la famine pourrait doubler en 2020 et atteindre 265 millions de personnes.

En ce qui concerne la Belgique, nous pouvons entre autres citer la nécessité de : plafonner les prix et sanctionner lourdement les acteurs (de la distribution, entre autres) qui organiseraient des stockages spéculatifs ; rouvrir les marchés locaux (qui ne sont pas plus dangereux que les supermarchés en bâtiments si certaines mesures de base sont appliquées) ; libérer des friches cultivables et en faciliter l’usage ; soutenir les cantines populaires (plutôt que de les réprimer) et les banques alimentaires d’une manière bien plus sérieuse que ce qui est fait actuellement par le gouvernement (qui a libéré… moins d’1€ par personne concernée) ; renforcer les mouvements paysans comme le MAP qui est le membre belge de la Via Campesina ; etc.

Revoir la composition des task forces

Principalement formées par des personnes nanties, qui ne côtoient pas le terrain, « experts » acquis à la cause des gouvernements. C’est une des catastrophes en cours, et l’expertise associative proposée gratuitement est pour l’instant rejetée par les autorités qui se osent encore se prétendre au service de la population.

MESURES STRUCTURELLES

Les mesures que le CADTM et d’autres mouvements sociaux préconisent depuis plusieurs décennies sont on ne peut plus d’actualité. Nous ne les reprenons pas dans leur diversité ici, uniquement quelques-unes. Vous pouvez en retrouver de manière plus complète dans les documents suivants :

- Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples

- Cahier de revendications communes sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance

Revaloriser les métiers de première ligne

Il s’agit d’une revendication féministe et ouvrière de longue date. La société toute entière repose sur les métiers dévalorisés, voire méprisés : aides-soignantes, garde d’enfants, institutrices/teurs, secteur du nettoyage, livreurs/euses, éboueurs/euses, magasiniers/ères, etc. Il est temps d’inverser l’échelle de valeur. Ces métiers ne devront pas seulement recevoir une prime de remerciement, mais voir leurs conditions de travail (dont le salaire et la pension) fortement améliorées.

Cette « crise » doit nous mener à un changement radical concernant le travail de la reproduction sociale

Cette « crise » doit nous mener à un changement radical concernant le travail (généralement gratuit, souvent invisibilisé) de la reproduction sociale, effectué dans l’écrasante majorité par des femmes. Les hommes doivent prendre leur part et ce travail de reproduction doit être mis au centre de nos vies. Les services publics de base et les communs doivent être renforcés en ce sens. Concernant la montée (prévisible) des violences contre les femmes en contexte de confinement, il ne faut pas uniquement mettre en place une task force mais aussi débloquer des moyens tout de suite (comme en Australie). Enfin, le droit à l’avortement ne doit pas être suspendu durant le confinement.

Refinancer les hôpitaux et en améliorer la gestion

À l’heure de régler nos comptes, le sous-financement organisé de la santé (et de la sécurité sociale en général) – voir partie 4 – sera au centre des conflits. Il ne s’agit pas d’accepter une « avance » comme le propose la Ministre de la santé, qui devra ensuite être remboursée à coups de flexibilisation du secteur. Il ne s’agit pas non plus d’accepter que les conquêtes sociales soient détournées de leurs objectifs.

La santé en lutte :
« Lors de notre lutte de 2019 pour un refinancement des soins de santé, nous avions obtenus de l’État un fonds structurel de 400 millions d’euros par an pour faire face au manque d’effectifs dans les hôpitaux. Toujours pas d’application, ce fonds devait répondre en partie à la difficulté de soigner toujours plus de patient·e·s avec toujours moins de personnel. Aujourd’hui, paraît-il que ce fond sera absorbé par l’État, avec la bénédiction de certaines directions syndicales, pour lutter contre le Covid-19. N’aurions-nous pas pu trouver de l’argent ailleurs que dans nos conquêtes sociales ? Dans les cadeaux fiscaux faits aux grandes firmes pharmaceutiques, dans les centaines de milliards cachés dans les paradis fiscaux, par exemple ? Nous donnons chaque jour de nos personnes pour soigner, nettoyer, brancarder, ravitailler… N’est-ce pas suffisant ? Doit-on en plus de ça sacrifier le peu de moyens obtenus par notre lutte ? Le personnel de santé se retrouvera, après la crise Covid-19, épuisé, sans un sou, toujours en manque d’effectifs, à devoir reconquérir le peu d’avancée sociale obtenue au bout d’une année de lutte, de grèves et de manifestation… »

Pire, Maggie De Block (Open VLD) a refusé de garantir le niveau de financement des institutions de soin (au même moment où le sinistre des Finances et les banques se mettaient d’accord pour une garantie de 50 milliards sur leurs nouvelles lignes de crédit). Cela signifie que les hôpitaux – qui ont été contraints d’annuler leurs consultations et autres opérations non urgentes – pourraient mettre du personnel en chômage temporaire pour se maintenir financièrement (!).

Ensuite, les hôpitaux, soumis comme la plupart des secteurs à la marchandisation et au management, font partie des entreprises (sic) à la gestion particulièrement opaque. Il faut ouvrir leurs comptes et en démocratiser le fonctionnement. Les quelques scientifiques écouté·e·s par les Ministères ont eu beaucoup de mal à se faire (un peu) entendre, cette forme « démocratique » n’est pas assez robuste face aux enjeux présents et à venir. Les décisions fondamentales doivent être prises par des comités de travailleuses/eurs, de patient·e·s, d’expert·e·s invité·e·s et de représentant·e·s élu·e·s.

Pour ne citer qu’un indicateur, le nombre de lits dans les hôpitaux belges est passé de plus de 90 000 unités en 1985 à moins de 70 000 trente ans plus tard (ou de 9,3 à 6,2 lits par 1 000 habitant·e·s...) [10]. On n’arrête pas le progrès…

Auditer les dettes publiques et les répudier si nécessaire

Faire une enquête approfondie, sous contrôle populaire, des comptes de toutes les structures publiques pour en annuler les dettes illégales et illégitimes. Suspendre leur remboursement pendant la durée de l’enquête. Ces annulations ne doivent pas inclure les dettes détenues par des organismes publics ni des petits porteurs de titres (extrêmement peu nombreux aujourd’hui). Des mesures complémentaires doivent être prises pour ne pas affecter indirectement de petit·e·s épargnant·e·s impliqué·e·s dans les investissements de leurs fonds de pension, compagnies d’assurance ou SICAV (en fonction des patrimoines et revenus disponibles). Cela permettrait de libérer des sommes considérables pour réorienter le budget public et augmenter très fortement les dépenses en santé, entre autres.

Ces audits peuvent se réaliser à tous les niveaux de pouvoir et pour toutes les structures publiques. Ils doivent être menés par les travailleurs/euses et des usagers/ères. Par exemple, les communes qui étaient déjà en grande difficulté financière, ainsi que les hôpitaux publics dont l’opacité de la gestion est problématique depuis longtemps. Un audit citoyen permanent permettrait de contrôler les dépenses et les recettes de manière continue.

Recommencer les emprunts publics obligatoires

Les banques, les autres secteurs particulièrement lucratifs et les ménages les plus riches doivent prêter à la collectivité à un taux de 0 % d’intérêt (voire à un taux négatif, afin d’organiser une redistribution indirecte de la richesse). Comme cela fut le cas pendant longtemps, l’État devrait réactiver le « Circuit du Trésor » (selon l’expression française), consistant notamment à contraindre les banques actives sur son territoire à acheter de la dette publique selon ses propres conditions et non selon celles des marchés financiers. Dans l’autre sens, les ménages à faible patrimoine et gagnant moins de 100.000 euros par an pourraient acheter des bons d’État émis à un taux réel (inflation comprise) de 2%.

Concernant la BCE, ses facilités de mise à disposition de liquidités et ses rachats de titres (aux banques, donc) devraient au grand minimum être assortis de conditionnalités sociales et écologiques. Comme nous le disons depuis maintenant plus de dix ans, elle devrait également pouvoir prêter directement aux pouvoirs publics selon ces critères. Enfin, puisqu’il y a déjà beaucoup trop de dettes, d’argent, de capital, il serait préférable que la BCE annule purement et simplement les dettes publiques qu’elle détient dans son bilan (plutôt que d’en créer de nouvelles) et de privilégier la solution précédente (prendre dans le capital déjà accumulé) pour les besoins d’investissements collectifs.

Instaurer une véritable justice fiscale

Revendication historique et permanente des luttes sociales : réaliser une réforme radicale de la fiscalité pour qu’elle soit réellement progressive et qu’elle puisse prendre en considération à la fois les revenus et les patrimoines :

> Supprimer la TVA sur les biens et les services de première nécessité – comme la nourriture, l’électricité, le gaz et l’eau – jusqu’à un certain niveau de consommation ;

> Augmenter radicalement la TVA sur les biens et les produits de luxe ;

> Ré-augmenter l’impôt sur les tranches de patrimoine les plus élevées et l’appliquer réellement ;

> Ré-augmenter l’impôt sur les bénéfices des sociétés et l’appliquer réellement. Il faut aussi, et surtout, ré-augmenter les cotisations sociales ;

> Fixer un impôt spécifiques pour les GAFAMs (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), Netflix & co, qui sont en train de produire des profits colossaux en cette période de confinement ;

> Combattre réellement l’évasion fiscale des plus grosses multinationales (environ 250 milliards s’envolent de Belgique vers des paradis fiscaux chaque année). La lutte contre la fraude fiscale ne récupère que +- 500 millions d’euros par an. Ces cinq dernières années, le personnel du SPF Finances chargé des contrôles a été diminué de moitié et les contrôles de deux tiers…

En finir avec la crise structurelle du logement

En plus des réquisitions immédiates (voir plus haut), il faut réinvestir dans le logement social, plafonner les prix et exproprier les plus grands spéculateurs immobiliers. Le logement doit progressivement être reconnu comme valeur d’usage essentielle plutôt que comme valeur d’échange.

Socialiser les secteurs vitaux

D’une part, il faut déprivatiser, c’est-à-dire racheter les entreprises privatisées pour un euro symbolique à ceux qui en ont profité. Les bénéfices de ces entreprises publiques pourront renforcer le financement des activités socialement nécessaires comme la santé, l’éducation, la culture, le transport public, le logement, l’accueil digne des personnes migrantes, les moyens pour combattre les violences contre les femmes et l’aide aux plus démuni·e·s. Il faut également stopper les subsides publics aux entreprises privées de l’aviation, de l’armement, etc.

D’autre part, il faut exproprier sans indemnité les banques et les assurances, afin de créer un service public de l’épargne, du crédit et des assurances sous contrôle citoyen (d’où le terme « socialiser » plutôt que « nationaliser »). Il faut faire de même avec les autres secteurs vitaux (énergie, eau, transports, santé, …) et questionner notre rapport collectif à l’emploi et à la production (voir partie 4).

Acter les basculements écologiques en cours

La crise du Covid-19, comme d’autres avant elle et d’autres après elle, est liée à la destruction écologique. Nous ne détaillerons pas ici les programmes écosocialistes ou d’écologie sociale, mais l’arrêt du gaspillage et de la surproduction, les économies d’énergie structurelles, la relocalisation des productions et le soutien à l’agriculture paysanne font partie des mesures nécessaires (mais insuffisantes) pour faire face aux basculements écologiques en cours. Cela implique une sortie du rapport de production capitaliste.


Notes :

[1Covi = corona virus, d = disease et 19 = 2019. Corona = couronne de petites protéines pointues. Grâce à ses piques, le virus s’accroche aux membranes cellulaires des voies respiratoires et parvient parfois à pénétrer dans la cellule humaine (en brisant une protéine, ACE2, produite par ces membranes) pour y libérer son matériel génétique.

[2Épidémie = propagation d’une maladie infectieuse à un grand nombre de personnes ; Pandémie = propagation qui s’étend à toute la population ; Pandémie mondiale = qui s’étend à tous les continents.

[4Il est intéressant de noter que les institutions « publiques » ne font des enquêtes qu’auprès des employeurs, main dans la main avec les fédérations patronales.

[5Ce qui est essentiel ou ne l’est pas est un débat en soi, et qu’il faudra provoquer après cette tempête, mais citons par exemple : tous les secteurs du soin, leurs fournisseurs, l’énergie, l’eau, l’alimentation (sa production, livraison, stockage et distribution), le retrait et traitement des déchets, les pompes funèbres et crématoriums, pharmacies, pompiers, certains transports, l’acheminement de carburant, les services à domicile, sites classés Seveso, télécoms, certains médias, services de paiement, versements des allocations, soutiens social, etc.

[6D’ailleurs, les professions ne sont pas encodées concernant les victimes du covid-19, comme par hasard.

[7En Belgique, le droit de retrait est consacré à l’article I.2-26 du Code du bien-être au travail. Ce droit méconnu n’aurait pour l’instant jamais été utilisé, il est individuel et utilisable en cas de « danger grave et imminent » (notion qui n’est pas définie dans la réglementation).

[8Il faut ouvrir les comptes de l’entreprise pour vérifier cela, ce que les syndicats peuvent faire. Il faut également aller plus loin et vérifier si les propriétaires de l’entreprise n’ont pas les moyens sur leur patrimoine accumulé.

[9Plus d’1,3 millions de demandes en quelque semaines.

[10Source : OMS

CADTM Belgique