Cette initiative collective fait suite à la carte blanche « Gérer l’urgence puis réinventer l’avenir » (https://plus.lesoir.be/291488/article/2020-04-01/gerer-lurgence-puis-reinventer-lavenir )
Des syndicalistes, des membres d’associations, de collectifs, des citoyens engagés, ont décidé de lancer un front des luttes.
Le CADTM Belgique participe à cette démarche unitaire qui vise à créer une force capable de concrétiser des conquêtes sociales et une rupture écologique.
Pour rejoindre le front : http://www.gresea.be/Un-front-social-ecologique-et-democratique-pour-reinventer-l-avenir.
Une crise, qu’elle soit économique, politique, sanitaire, est toujours l’occasion d’une confrontation des récits. En fonction d’où nous parlons, de ce que nous représentons, de notre situation sociale, nous ressentons et racontons différemment les causes, le déroulement ou les conséquences de la pandémie liés au Coronavirus.
En 2008, le monde progressiste dans sa large diversité a perdu cette bataille des récits. Les inégalités économiques croissantes et la mauvaise gestion des banques n’ont pas été considérées durablement comme les causes de la crise. Rapidement, on a voulu nous faire croire que la crise bancaire et la dette privée étaient une « crise de la dette publique ». Ce mensonge a déterminé l’évolution économique, sociale et démocratique de l’Europe notamment. Les dispositifs de protection sociale, les services publics ou encore la culture, jugés trop chers, ont été sommés de se serrer la ceinture. Cette nouvelle cure d’austérité a fait des ravages dans notre système de santé, nos services publics et notre sécurité sociale, et a préparé les crises suivantes avec le macabre résultat que nous connaissons aujourd’hui. Elle a par contre permis aux milieux d’affaires, aux actionnaires, aux banques, aux multinationales, aux spéculateur·trices, d’accumuler des centaines de milliards et de renforcer leur pouvoir sur la société et sur nos vies.
Avec la pandémie de Coronavirus, la bataille du récit connaît un nouvel épisode. Le monde progressiste ne peut se permettre un nouvel échec, car nos services publics et notre sécurité sociale sont largement fragilisés par la décennie écoulée et parce que les basculements écologiques en cours nous promettent malheureusement de nouvelles catastrophes. De plus, le Coronavirus révèle, encore plus peut-être que les crédits « subprimes », les contradictions fondamentales du capitalisme. Défendre un récit de ce qui s’est passé et de ce qui se passe n’est pas qu’une affaire de morale ou de sincérité : c’est d’abord un problème d’intérêts divergents (ceux des travailleurs et des travailleuses ne sont pas ceux des rentier·ières) : le récit qui s’imposera transformera le monde – en bien ou en mal.
La pandémie et le confinement confirment plusieurs choses :
La question aujourd’hui n’est plus de savoir qui a tort, qui a raison, tant la réponse est évidente. La vraie question est de savoir comment bâtir et défendre ensemble le bien commun. Pour ce faire, il est essentiel d’organiser dès aujourd’hui le débat et la concertation des forces d’émancipation pour permettre à nos récits de se propager pour changer les rapports de force en faveur de la majorité de la population.
Le plus facile est sans doute d’affirmer sans détour ce que nous ne voulons pas – mais qui risque pourtant bien d’arriver si nous laissons faire :
À l’inverse de ces 4 risques très réels, nous sommes d’accord sur 4 principes généraux.
1. Mettre l’égalité et la dignité au cœur du projet
La Belgique est un des pays les plus riches de la planète, et l’article 23 de notre Constitution garantit à chacun·e le droit à une vie digne. On était pourtant déjà très loin du compte avant la crise du Coronavirus. Les inégalités ont explosé depuis 30 ans : 1 enfant sur 4 grandit dans une famille pauvre, 15 % des Belges vivent avec moins de 1.000 euros par mois et 48 % des travailleur·euses belges sont pauvres ; 400.000 ménages sont en situation de précarité énergétique, les femmes continuent à être largement discriminées à de multiples égards, un nombre croissant de personnes sont mal logées ou à la rue, les personnes en situation de handicap sont victimes de ségrégation, des êtres humains survivent sans papiers et d’autres sont enfermés pour cette raison… L’égalité réelle et la dignité doivent constituer les éléments fondamentaux pour repenser notre système. Afin d’avancer dans cette direction, une autre distribution de la richesse produite ainsi qu’un renforcement de la sécurité sociale sont fondamentales.
2. Prendre soin de notre planète
Longtemps avant le Coronavirus, notre santé souffrait durement de la dégradation des conditions écologiques : dérèglement climatique, pollution de l’air, pesticides, paysages dévastés, extinction massive de la biodiversité favorisant les pandémies… Même s’il est trop tard pour éviter certaines catastrophes, il n’est pas trop tard pour en limiter l’ampleur et engager une véritable transition écologique juste. Cette transition passe nécessairement par une transformation radicale de nos modes de production et d’échanges. La situation présente nous invite à valoriser les activités essentielles (dont les activités régénératrices comme l’agriculture paysanne), dévaloriser les activités destructrices et faciliter les reconversions entre les deux.
3. Vers une démocratie réelle
Le droit de vote universel, la liberté d’expression, le droit de se réunir et d’agir et le multipartisme sont des caractéristiques essentielles de la démocratie. Mais elles ne sont pas suffisantes pour pouvoir parler de démocratie réelle. Les élu·es respectent-il·elles leurs engagements ? La séparation des pouvoirs n’est-elle pas de plus en plus mise à mal ? Les grands lobbys n’influencent-ils pas impunément les orientations prises ? Les marchés financiers ne dictent-ils par leurs lois ? Notre parlement est-il suffisamment représentatif ? Les politicien·nes corrompu·es sont-il·elles écarté·es du pouvoir ? Le vote blanc est-il reconnu ? Le rôle social et démocratique de la culture est-il apprécié à sa juste valeur ? Les citoyen·nes peuvent-il·elles intervenir sur les décisions importantes qui n’ont jamais été discutées auparavant ? Voulons-nous réellement vivre dans une société où chaque geste et chaque mouvement est surveillé et contrôlé, au mépris de nos libertés fondamentales ? Nous ne pouvons nous contenter de cette petite dose de démocratie et nos droits démocratiques ne peuvent en aucun cas devenir des variables d’ajustement. Les propositions, mais aussi les pratiques concrètes de terrain pour approfondir la démocratie sont nombreuses et il est fondamental d’en tenir compte.
4. Solidarité internationale
Parce qu’il est stupide et vain de vouloir changer le monde sur le dos de son·sa voisin·e, nous nous inscrivons radicalement dans une perspective internationaliste. La guerre économique et l’exigence de compétitivité, ça suffit ! Il s’agit d’une impasse, d’un modèle qui tire le monde entier vers le bas, avec des injustices encore plus criantes dans certaines régions et pour certaines catégories des populations. Tout comme l’enjeu des migrations ou celui du climat, la pandémie actuelle montre avec force et simplicité que nous avons besoin de relations internationales basées sur la coopération et la solidarité, et non pas sur des marchés concurrentiels ou sur des traités de libre-échange.
Ces 4 grands principes peuvent sans doute recueillir un large consensus parce qu’ils sont généraux : c’est leur force et leur faiblesse. Ce n’est pas avec des principes seuls, mais avec des propositions concrètes, stratégiquement pensées et appliquées dans la diversité en fonction des réalités vécues, que nous pèserons sur notre destin d’après-Corona. Nous voulons donc mettre en débat 4 priorités politiques.
Bien entendu, nous ne partons pas d’une page blanche : de multiples propositions alternatives portées par des mouvements sociaux et citoyens étaient et sont toujours d’actualité. D’autres émergent face à l’urgence sanitaire ou aux leçons durement apprises depuis 3 mois. Un front populaire n’a pas pour vocation d’émettre des exclusives, il est logique et désirable que coexistent des revendications multiples. Notre préoccupation est de dégager quelques revendications fondamentales qui permettront aux mouvements, collectifs, propositions et agendas de se renforcer mutuellement autour de ces priorités afin de créer les conditions d’une société plus égalitaire, plus écologique et plus démocratique.
4 propositions politiques fortes :
2 propositions pour créer des moyens budgétaires massifs, et 2 propositions pour les utiliser pour le bien commun :
Au-delà des réponses apportées aux situations d’urgence, comment faire mouvement social dans la durée, et répandre dans les esprits et dans la réalité politique les 4 priorités ci-dessus ?
La situation actuelle représente tout autant une opportunité d’infléchir ou de renverser les structures du capitalisme qu’une immense menace de les conforter et de voir se renforcer un État autoritaire et discriminant.
Pour saisir cette opportunité, il nous faut construire un front d’alliances larges pour gagner un rapport de force favorable. Cela ne veut pas dire nier les spécificités. Par contre, il nous faut éviter l’éparpillement, ou pire, une division des forces qui nous rendrait incapables d’éviter que le scénario de 2008 ne se reproduise : socialisation des pertes via des « sauvetages » de grandes entreprises, licenciements massifs, nouvelles mesures d’austérité, pressions pour augmenter le rythme des privatisations, attaques supplémentaires sur les droits sociaux, la sécurité sociale et le code du travail, reprise de la course à la croissance et à la compétitivité, augmentation des inégalités et de la précarité, poursuite de la destruction des écosystèmes…
Pour ce faire, quoique conscient·es de l’urgence, nous refusons la précipitation politique. Un mouvement social large, solidaire, populaire, puissant et offensif ne se construit pas en quelques jours sur les réseaux sociaux.
Dès lors, nous instaurons un comité de liaison au service du front social, écologique et démocratique que nous appelons de nos vœux. Nous le faisons avec détermination, mais avec modestie : d’autres initiatives existent en Wallonie et à Bruxelles, y compris sectorielles, avec qui nous pouvons nous coordonner (si elles acceptent nos options fondamentales), et bien sûr en Flandre, au niveau fédéral et en Europe. Notre modestie consiste aussi à nous inspirer des mobilisations larges de ces 10 dernières années, en analysant leurs réussites et leurs limites.
Nous poursuivons les 3 objectifs suivants :
Nous sommes conscient·es que pour réussir à créer un front dynamique, légitime et solide dans le temps, il est essentiel de partir des expériences existantes, de les valoriser et de faire remonter des propositions concrètes issues de l’intelligence collective née de l’expérience de l’épidémie et des précédentes.
Les coopératives de couturières, les syndicats étudiants, les organisations paysannes, les réseaux d’initiatives solidaires (colis alimentaires et d’hygiène dans les quartiers, etc.), les équipes populaires, les centres sociaux, les organisations de livreurs, les collectifs de personnes sans-papiers, les associations qui s’occupent des personnes sans-abri, les comités de soutien aux personnes enfermées, les associations de parents de quartiers populaires, les gilets jaunes, les collectifs de chômeur·euses et d’allocataires sociaux, les regroupements d’habitant·es pour la défense des territoires… doivent, avec les autres formes plus « traditionnelles » d’organisation, prendre la place qu’ils méritent dans le champ du débat politique et dans un front commun.
Fort·es de ce rassemblement large et diversifié, et tout en respectant l’autonomie d’action de chacun·e, nous pourrons nous coordonner sur certaines priorités ou agendas afin de « taper sur le même clou » tous et toutes ensemble à différents moments.
Ce front, à la fois espace politique de discussion et outil au service des luttes en cours, pourra alors devenir un moteur puissant pour encourager la solidarité intersectorielle et décloisonner les luttes.
Source : Gresea
[1] Cette partie se structure comme suit : 4 « Non » ; 4 principes généraux ; 4 propositions concrètes à débattre.