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Presse internationale
Stiglitz : ceux qui doivent être dédommagés sont les Boliviens et non pas les compagnies.
FMI : conséquences de grande portée après la nationalisation en Bolivie
par Rosa Rojas
6 juin 2006

Selon l’organisation financière internationale, la manière dont la Bolivie négociera avec les compagnies concernées sera le facteur clé.

La faillite du modèle néolibéral imposé par les États-Unis est évidente, maintient le lauréat du Nobel de l’Économie.

La Paz, 18 mai. Joseph Stiglitz, lauréat 2001 du prix Nobel de l’Économie, a décrit aujourd’hui la récente nationalisation des hydrocarbures en Bolivie comme un processus de « restitution de biens » qui appartiennent déjà au gouvernement bolivien et a considéré comme « nécessaire » que la Bolivie reçoive une « juste compensation » pour ses ressources naturelles.

Par contraste, depuis Washington, le FMI mettait en garde contre les « conséquences économiques de grande portée » après la décision du Président bolivien Evo Morales, à qui il réclamait des compensations, ajoutant que l’événement pourrait décourager les investisseurs étrangers, selon les agences de presse.

« La décision du gouvernement bolivien de nationaliser le secteur des hydrocarbures a potentiellement de grosses conséquences économiques » a souligné le porte-parole de l’organisation financière internationale, Mahsood Ahmed. Ce fait, conjugué à la manière dont la Bolivie négociera avec les compagnies concernées, sera un facteur clé, selon Ahmed.

« La manière dont le gouvernement bolivien va mettre cette décision en pratique, pourrait, me semble-t-il, avoir un impact sur les capitaux privés - locaux ou étrangers - disponibles pour l’investissement dans cet important secteur de l’économie bolivienne » a précisé le fonctionnaire du FMI au cours de sa première rencontre avec la presse.

Le FMI, qui a envoyé une mission d’expertise en Bolivie pour étudier l’évolution de son économie, invite le gouvernement, selon Ahmed, à entamer dans les six prochains mois des négociations avec les compagnies étrangères et, dans certains cas, avec les gouvernements étrangers, sur les modalités de la mise en pratique de cette nationalisation.

Selon le porte-parole du FMI, ces discussions devraient porter sur les compensations pour les biens nationalisés, sur la nature des nouveaux contrats et sur une hausse possible des prix à l’exportation vers le Brésil et l’Argentine, les principaux partenaires de la Bolivie. « Pour nous il est important que ces négociations aboutissent à un accord mutuel » concluait Ahmed.

Cependant Joseph Stiglitz, l’économiste américain ancien vice-président de la Banque Mondiale, a fait valoir que la faillite du modèle néolibéral, imposé par le Consensus de Washington pour tenter de réduire au minimum le rôle de l’État dans les économies nationales, était manifeste et il a souligné que la Bolivie, naguère l’une des meilleures élèves du modèle néolibéral, « a souffert tous les maux (de son application) mais n’a retiré aucun bénéfice de l’expérience - il est clair qu’il doit y avoir un changement dans son modèle économique ».

Dans ce contexte, Stiglitz n’a pas voulu qualifier la nouvelle politique énergétique menée par Evo Morales de « nationalisation », mais bien de « récupération » des ressources boliviennes, ou de « retour à la Bolivie de biens qui étaient déjà les siens ». Il indiquait aussi que la Bolivie devait recevoir un juste prix pour l’exploitation de ses ressources naturelles.

« Lorsqu’une personne se fait voler, disons un tableau et qu’ensuite celui-ci lui est rendu, nous n’appelons pas cela une renationalisation, mais bien le retour d’un bien qui lui appartenait antérieurement » a expliqué Stiglitz. De même, il a mis en question les contrats existant entre l’État bolivien et les multinationales pétrolières, soulignant « qu’en réalité il n’y avait pas vente puisqu’il n’y avait ni conformité aux lois ni approbation par le Congrès - quand il n’y a pas de propriété à nationaliser, il ne peut y avoir nationalisation ».

Cela veut dire qu’il était nécessaire de changer les conditions antérieures « d’une manière ou d’une autre » a ajouté Stiglitz.

Mais d’après Stiglitz d’autres questions se posent : d’abord, est-ce que les investisseurs recevront une compensation appropriée pour leurs investissements - « et le gouvernement a dit qu’il y en aurait bien une » ; ensuite, la question de savoir si la valeur que la Bolivie devrait recevoir pour l’exploitation de ses ressources naturelles s’accumule en faveur du peuple bolivien, - « et le gouvernement a dit qu’il en sera ainsi ».

L’ancien vice-président de la Banque Mondiale a traduit l’une des principales critiques des organisations financières internationales, mentionnant que le gouvernement bolivien doit exécuter des programmes de développement dans le domaine des hydrocarbures, des minerais et du gaz, tout en s’occupant d’investissements et de promotion dans les domaines de l’éducation et de la santé.

Concernant les accords de libre échange, Stiglitz a fait remarquer que de tels traités « ne sont pas bons » parce qu’ils minent la structure de production des pays ; « ils ne conviennent pas aux pays en développement - ce n’est pas négocier, mais plutôt imposer ».

Ces traités peuvent coûter très cher en termes de souveraineté nationale. Dans le cas du Mexique, note Stiglitz, l’inégalité économique entre ce pays et les États-Unis a augmenté après la signature de l’Accord de Libre Echange. Stiglitz considère qu’il faut nécessairement prendre en compte le rapport coûts et profits. Il vaut mieux pas d’accord de libre échange qu’un accord mal conçu, maintient le lauréat du Nobel.

La veille au soir, l’économiste professeur à la Columbia Business School avait rencontré Evo Morales et différentes personnalités officielles. Aujourd’hui il est nommé docteur honoris causa par l’Université de San Andres (UMSA) et l’Université Publique de El Alto (UPEA).

Entre-temps, l’Espagne a désigné ce jeudi Bernardino Leon, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et à l’Amérique latine comme négociateur avec le gouvernement bolivien ; il travaillera avec Repsol-YPF, une compagnie concernée par la nationalisation des hydrocarbures dans la république andine, à qui le gouvernement espagnol a également réclamé des garanties légales.

Au Brésil, Marco Aurelio Garcia, conseiller du Président brésilien pour les relations internationales, affirmait que « le climat de confiance » entre le Brésil et la Bolivie « était rétabli » après l’impact causé par la nationalisation des hydrocarbures, qui touche la société brésilienne de monopole d’État Petrobras.


Voir en ligne : La Jornada

Source : La Jornada (Mexique), 19 mai 2006

Traduction : Marie Meert.

Rosa Rojas

Rosa Rojas