I.Bretton Woods : Naissance du FMI et de la Banque mondiale
II.Fonds monétaire international (FMI)
III.Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) - Groupe Banque mondiale
IV.Relations FMI-Banque mondiale
V.La Banque mondiale, le FMI et le respect des droits humains ?
VI.Traduire la Banque mondiale en justice ?
I. Bretton Woods : Naissance du FMI et de la Banque mondiale
Le 1er juillet 1944, à l’inauguration de la Conférence monétaire et financière des Nations unies, connue sous le nom de conférence de Bretton Woods [1], devant les représentants de 44 pays, le discours d’ouverture de Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor des Etats-Unis et président de la conférence donna le ton de la réunion et, en fait, en incarna l’esprit. Il envisageait “ la création d’une économie mondiale dynamique dans laquelle les peuples de chaque nation seront en mesure de réaliser leurs potentialités dans la paix et de jouir toujours davantage des fruits du progrès matériel sur une Terre bénie par des richesses naturelles infinies ».
Il mit l’accent sur “ l’axiome économique élémentaire que la prospérité n’a pas de limite fixe. Elle n’est pas une substance finie qu’on puisse diminuer en la divisant ”. Et il conclut ainsi : “ La chance qui s’offre à nous, a été achetée dans le sang. Faisons-lui honneur en montrant notre foi dans un avenir commun ” [2].
Ce discours consensuel dissimulait les âpres discussions qui se déroulaient depuis des mois entre les délégations britannique (Lord J.M. Keynes en premier lieu) et américaine (H. Morgenthau et Harry White). Le débat entre Nord-américains et Britanniques avait été lancé dès avant l’entrée en guerre des Etats-Unis. Winston Churchill avait déclaré au président Roosevelt : “ Je pense que vous souhaitez abolir l’Empire britannique. (...) Tous vos dires le confirment. Malgré cela, nous savons que vous êtes notre seul espoir. Et vous savez que nous le savons. Sans l’Amérique, l’Empire britannique ne pourra pas tenir bon ” [3]. Les Etats-Unis réalisèrent leur objectif et les positions que J.M. Keynes défendit à Bretton Woods, bien que louées officiellement, furent marginalisées par H. Morgenthau.
La rédaction des statuts du Fonds Monétaire International occupa presque exclusivement les premières semaines de réunion. Ses dispositions étaient également en discussion depuis des mois. L’objectif premier des Etats-Unis était concentré sur la mise sur pied d’un système garantissant la stabilité financière de l’après-guerre : plus jamais de dévaluations concurrentielles, de restriction des échanges, de quotas d’importation et tout autre dispositif étouffant le commerce. Les Etats-Unis voulaient le libre-échange sans discrimination à l’égard de leurs produits - demande incontournable dans le sens où ils étaient alors le seul pays du Nord à disposer d’un excédent considérable de biens et de services. Ils recherchaient ensuite un climat favorable à leurs investissements dans les économies étrangères et enfin, le libre accès aux matières premières, accès limité précédemment par les empires coloniaux européens et japonais. Il était donc indispensable à leurs yeux d’organiser le système financier mondial pour que leur économie puisse disposer de partenaires commerciaux fiables et croître sans encombre.
La création du FMI mobilisait donc toutes les énergies dans le but de faciliter un commerce mondial libre. C’était l’Américain Harry White [4] qui dirigeait les négociations avec son concitoyen Henri Morgenthau. De son côté, Keynes s’était concentré au cours de la conférence à la fondation de la Banque mondiale. Il prévoyait que, si la reconstruction était la principale occupation de la banque, « dès que possible, et de plus en plus au fil du temps, elle devra remplir le devoir de développer les ressources et la capacité productive du monde, en accordant une attention particulière aux pays moins développés, d’améliorer partout le niveau de vie et les conditions de travail, de rendre les ressources du monde plus pleinement disponibles pour toute l’humanité » [5].
Pratiquement, la conférence mit en place un mécanisme appelant tous les Etats à régler selon leurs moyens une souscription au capital de la Banque, en or ou en devises convertibles en or. Ces souscriptions serviraient à leur tour de garantie pour les émissions obligataires auxquelles il serait procédé sur les marchés financiers. Ces émissions fourniraient la majeure partie des capitaux à prêter et les obligations seraient de premier ordre, des investissements cotés AAA, car les investisseurs les trouveraient crédibles et profitables. Keynes en attendait une gestion irréprochable : « Le produit de ces émissions ne sera employé que pour des motifs approuvés et de manière appropriée, après validation d’experts et de techniciens, de sorte que nous aurons contre le gaspillage et les dépenses abusives des garde-fous qui ont manqué pour nombre de ces prêts impayés consentis entre les deux guerres » [6].
II. Fonds monétaire international (FMI)
Objectifs du FMI
Né lors de la conférence de Bretton Woods, le FMI a été mis en place officiellement le 27 décembre 1945 après 29 ratifications. Il est avant tout une institution monétaire intergouvernementale basée sur la coopération internationale. En tant que tel, le FMI est une organisation internationale à part entière. Au départ, le FMI était une institution chargée de défendre le nouveau système de changes fixes. La décision unilatérale du gouvernement des Etats-Unis de déclarer l’inconvertibilité du dollar en or en août 1971 a profondément changé la mission du FMI sans que ses statuts n’aient été modifiés en conséquence.
Les missions du FMI sont soigneusement définies dans ses statuts :
« i) promouvoir la coopération monétaire internationale au moyen d’une institution permanente fournissant un mécanisme de consultation et de collaboration en ce qui concerne les problèmes monétaires internationaux ;
ii) faciliter l’expansion et l’accroissement harmonieux du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel [7] et au développement des ressources productives de tous les États membres, objectifs premiers de la politique économique ;
iii) promouvoir la stabilité des changes, maintenir entre les États membres des régimes de change ordonnés et éviter les dépréciations concurrentielles des changes ;
iv) aider à établir un système multilatéral de règlement des transactions courantes entre les États membres et à éliminer les restrictions de change qui entravent le développement du commerce mondial ;
v) donner confiance aux États membres en mettant les ressources générales du Fonds temporairement à leur disposition moyennant des garanties adéquates, leur fournissant ainsi la possibilité de corriger les déséquilibres de leurs balances des paiements sans recourir à des mesures préjudiciables à la prospérité nationale ou internationale ;
vi) conformément à ce qui précède, abréger la durée et réduire l’ampleur des déséquilibres des balances des paiements des États membres. »
De manière générale, le FMI est chargé d’assurer la stabilité du système monétaire et financier international, c’est-à-dire, le système international de paiements et de change des monnaies nationales qui rend possible le commerce entre les pays. Le FMI est censé prévenir les crises mais aussi contribuer à leur résolution lorsqu’elles arrivent. Une nouvelle mission a été attribuée de fait au FMI depuis l’éclatement de la crise de la dette en 1982 : il s’agit de gérer la crise de la dette et de contribuer à la réduction la pauvreté dans le monde. De ce point de vue, cela place le FMI sur le même terrain que le groupe de la Banque mondiale et des banques de développement régionales (Banque interaméricaine de développement, Banque africaine de développement et Banque asiatique de développement).
Pour atteindre ses objectifs, le FMI exerce trois activités principales : surveillance, assistance technique [8] et prêts.
Notre analyse du bilan est sévère. Les consultations annuelles avec les pays membres et les recommandations de ses experts n’ont pas permis au FMI de prévoir et d’éviter les crises majeures de ces dernières années. Selon certains de ses détracteurs [9], les politiques dictées par le FMI les ont même aggravées.
Fin 2003, 87 pays bénéficiaient au titre de l’aide financière de prêts octroyés par le FMI, pour un montant de 107 milliards de dollars. Les conditions qui accompagnent systématiquement ces prêts reflètent l’étendue du contrôle que cherche à exercer le FMI sur les gouvernements des PED.
Le FMI accorde aussi un appui financier par le biais de son mécanisme de prêt concessionnel - la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) - et par l’allégement de la dette dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (Initiative PPTE).
Comment fonctionne le FMI ?
En 2004, 184 pays en étaient membres, le Timor oriental étant le dernier en date (adhésion en mai 2002). Chacun de ces pays nomme un gouverneur pour le représenter, en général le ministre des Finances ou le gouverneur de la Banque centrale. Ils se réunissent au sein du conseil des gouverneurs, instance souveraine du FMI, qui siège une fois par an (à l’automne) à l’occasion de l’Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale. Ce conseil est chargé de prendre les décisions importantes comme l’admission des nouveaux pays ou la préparation du budget.
Parmi ces gouverneurs, 24 siègent au Comité monétaire et financier international (CMFI). Cet organe directeur se réunit deux fois par an (au printemps et à l’automne) et est chargé de conseiller le FMI sur le fonctionnement du système monétaire international.
Pour la gestion quotidienne des missions, le conseil des gouverneurs délègue son pouvoir au conseil d’administration composé de 24 membres dont les activités sont guidées par le CMFI. Chacun des huit pays suivants a le privilège de pouvoir nommer un administrateur : les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, la Chine et la Russie. Les seize autres sont nommés par des groupes de pays. Ce conseil d’administration, presque exclusivement masculin, se réunit en principe au moins trois fois par semaine.
Le conseil d’administration élit un directeur général pour cinq ans. A l’encontre des principes démocratiques, une règle tacite veut que ce poste soit réservé à un Européen. Après le Français Michel Camdessus, en poste de 1987 à 2000, et l’Allemand Horst Köhler, de 2000 à 2004, c’est l’Espagnol Rodrigo Rato qui occupe le sommet de l’organigramme. Il gère une équipe de 2.690 hauts fonctionnaires issus de 141 pays, basés à Washington pour la plupart. Depuis les années 1960, une fonction de directeur général adjoint a été créée et le « numéro deux » du FMI est toujours un représentant des États-Unis. En réalité, il a une influence prépondérante. Lors de la crise asiatique en 1997-1998, Stanley Fischer, qui occupait ce poste, a pris les devants par rapport à Michel Camdessus à plusieurs reprises. Dans la crise argentine de 2001-2002, Anne Krueger, qui l’a remplacé après avoir été nommée par George W. Bush et son secrétaire d’État au Trésor Paul O’Neill, a joué un rôle beaucoup plus actif que Horst Köhler. Cela a été également le cas dans la négociation cruciale sur la question de la mise en place d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine des Etats en 2002-2003.
Depuis 1969, le FMI possède une unité de compte qui lui est propre et qui règle ses activités financières avec les pays membres : le Droit de tirage spécial (DTS). Égal à un dollar à l’origine, il est maintenant évalué quotidiennement à partir d’un panier de monnaies fortes (le dollar pour 45%, le yen pour 15%, l’euro pour 29% et la livre sterling pour 11%). A la mi-mai 2004, un DTS valait environ 1,43 $. Le montant total des ressources du FMI s’élevait à 213 milliards de DTS (environ 316 milliards de dollars).
Tout pays qui devient membre du FMI se doit de verser un droit d’entrée appelé « quote-part ». De ce fait, il devient actionnaire du FMI puisqu’il contribue à son capital. Cette quote-part n’est pas libre : elle est calculée en fonction de l’importance économique et géopolitique du pays. Elle doit être versée pour 25% en DTS ou dans une des devises le composant (ou en or avant 1978) et les 75% restants dans la monnaie locale du pays. Ainsi, le FMI est un très important détenteur d’or, car de nombreux pays ont payé leur cotisation au FMI avec ce métal précieux. En 2002, les réserves d’or du FMI s’élevaient à 103 millions d’onces (3.217 tonnes), estimées à plus de 41 milliards de dollars. Si ces réserves n’interviennent pas dans les prêts du FMI, en revanche, elles lui confèrent une stabilité et une stature essentielle aux yeux des acteurs financiers internationaux.
En février 2004, les ressources du FMI se répartissaient en l’équivalent de 174 milliards de dollars inutilisables pour les prêts (or, monnaies faibles) et 151 milliards de dollars utilisables (essentiellement les monnaies des pays de la Triade), dont 33 milliards de dollars déjà engagés et 118 milliards de dollars disponibles.
Ces cotisations des États permettent au FMI de se constituer des réserves qui seront prêtées aux pays en déficit temporaire. Ces prêts sont conditionnés par la signature d’un accord dictant les mesures que le pays doit prendre pour recevoir l’argent attendu : ce sont les programmes d’ajustement structurel. Cet argent est mis à disposition par tranches, après vérification que les mesures exigées sont bien mises en œuvre.
En règle générale, un pays en difficulté peut emprunter au FMI annuellement jusqu’à 100% de sa quote-part et en tout jusqu’à 300%, sauf procédure d’urgence. Le prêt est à court terme et le pays est censé rembourser le FMI dès que sa situation financière s’est améliorée. Au cours des dernières années, plusieurs pays ont remboursé de manière anticipée le prêt du FMI de manière à s’émanciper des conditions fixées par lui. C’est le cas de la Corée du Sud et de la Thaïlande après la crise qui les a frappées en 1997-1998.
Le taux d’intérêt du DTS permet de calculer le taux d’intérêt des financements du FMI accordés aux pays membres. En mai 2004, le taux d’intérêt auquel les pays en difficultés empruntaient au FMI était de 2,69%. Dans le même temps, le FMI rémunérait les pays riches pour les sommes qu’ils lui prêtent à un taux de 1,59%. La différence permet au FMI de financer son fonctionnement au jour le jour.
Mais au-delà, la quote-part d’un pays détermine largement l’influence qu’il aura (ou n’aura pas...) au sein du FMI. A partir de cette quote-part, un savant calcul permet de déterminer le nombre de droits de vote de chaque pays : il correspond à 250 voix plus une voix pour 100.000 DTS de quote-part. Ce système est plus proche d’une entreprise que d’une institution intergouvernementale normale. Mais il diffère également d’une société anonyme cotée en bourse : alors qu’un actionnaire classique peut décider d’acheter de nouvelles actions en Bourse pour augmenter son influence dans l’assemblée générale des actionnaires, un pays ne peut pas décider d’accroître sa quote-part au FMI pour peser plus lourdement au sein de cette institution. La seule possibilité de changement dans la répartition des quotes-parts est la révision pratiquée tous les cinq ans par le FMI lui-même, et pour laquelle nous allons voir que les États-Unis disposent d’une minorité de blocage.
Des déséquilibres manifestes dans le mécanisme de pondération des voix
Le conseil d’administration du FMI accorde une place prépondérante aux États-Unis (plus de 17% de droits de vote), suivis par le Japon, l’Allemagne, le groupe emmené par la Belgique, puis la France et le Royaume-Uni. À titre de comparaison, le groupe emmené par la Guinée équatoriale, qui regroupe 24 pays d’Afrique noire (francophones et lusophones), possède moins de 1,5% des droits de vote. La Chine ne détient que 2,95% des droits de vote alors que l’Arabie saoudite en détient 3,23%. Ce dernier exemple montre que le poids relatif en droits de vote est dans certains cas lié prioritairement à des facteurs politiques et géostratégiques. L’Arabie saoudite est un allié traditionnel des Etats-Unis, occupe une place géostratégique et dispose d’une des plus grandes réserves de pétrole connues.
Tableau 1. Répartition des droits de vote entre les 24 administrateurs du FMI en mai 2004
Pays | % | Groupe présidé par | % | Groupe présidé par | % |
---|---|---|---|---|---|
Etats-Unis | 17,14 | Belgique | 5,15 | Indonésie | 3,18 |
Japon | 6,15 | Pays-Bas | 4,86 | Égypte | 2,95 |
Allemagne | 6,01 | Espagne | 4,29 | Suisse | 2,62 |
France | 4,96 | Italie | 4,19 | Brésil | 2,47 |
Royaume-Uni | 4,96 | Canada | 3,72 | Inde | 2,40 |
Arabie saoudite | 3,23 | Norvège | 3,52 | Iran | 2,38 |
Chine | 2,95 | Australie | 3,34 | Chili | 2,00 |
Russie | 2,75 | Nigeria | 3,01 | Guinée équatoriale | 1,42 |
Source : FMI [La somme donne 99.97 et non 100, car la Somalie n’a pas pris part à l’élection des administrateurs.]
Les déséquilibres sont manifestes et les pays de la Triade parviennent sans mal à réunir la majorité des droits de vote et ont donc toute facilité pour orienter les décisions du FMI.
Graphique 1. Droits de vote de quelques administrateurs du FMI (avril 2004)
Source : FMI
Graphique 2. Droits de vote de quelques administrateurs au FMI (avril 2004)
Source : FMI [(gr) signifie que l’administrateur préside un groupe de pays]
Leur pouvoir est disproportionné si on le compare à celui des PED dont les droits de vote sont réduits eu égard à la taille des populations qu’ils représentent.
Tableau 2. Comparaison entre la population et sa représentation au sein du FMI
Pays ou groupe | Population en 2001 (en millions) | Droits de vote au FMI (%) |
---|---|---|
Chine | 1.285 | 2,95 |
Inde | 1.033 | 2,40 |
Etats-Unis | 288 | 17,14 |
Russie | 145 | 2,75 |
Groupe présidé par le Gabon | 195 | 1,42 |
Japon | 127 | 6,14 |
France | 60 | 4,96 |
Arabie saoudite | 23 | 3,23 |
Source : FMI ; PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2003
Cette répartition déséquilibrée des droits de vote est complétée par le fait que les États-Unis sont parvenus à convaincre leurs partenaires qu’une majorité de 85% était requise pour toutes les décisions importantes engageant l’avenir du FMI, comme la révision des statuts, l’allocation et l’annulation de DTS, l’augmentation ou la réduction du nombre d’administrateurs à élire, les décisions d’effectuer certaines opérations ou transactions sur l’or, la détermination de l’évaluation du DTS, la modification des quotes-parts, la suspension temporaire de certaines dispositions ou des opérations et transactions sur DTS, etc. Les États-Unis étant le seul pays à détenir plus de 15% des droits de vote, cela leur confère d’office une minorité de blocage pour tout changement d’envergure au FMI. Au fil des ans, les réajustements des droits de vote ont vu l’émergence de nouvelles nations. Mais si les États-Unis ont accepté de revoir leur part à la baisse, ils ont pris soin de la maintenir au-dessus de la barre des 15%.
Tableau 3. Évolution des droits de vote au FMI de 1945 à 2000
Pays | 1945 | 1981 | 2000 |
---|---|---|---|
Pays industrialisés, dont : | 67,5 | 60,0 | 63,7 |
Etats-Unis | 32,0 | 20,0 | 17,7 |
Japon | - | 4,0 | 6,3 |
Allemagne | - | 5,1 | 6,2 |
France | 5,9 | 4,6 | 5,1 |
Royaume-Uni | 15,3 | 7,0 | 5,1 |
Pays pétroliers, dont : | 1,4 | 9,3 | 7,0 |
Arabie saoudite | - | 3,5 | 3,3 |
PED, dont : | 31,1 | 30,7 | 29,3 |
Russie | - | - | 2,8 |
Chine [10] | 7,2 | 3,0 | 2,2 |
Inde [11] | 5,0 | 2,8 | 2,0 |
Brésil | 2,0 | 1,6 | 1,4 |
Source : Yves Tavernier, Rapport de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale française sur les activités et le contrôle du FMI et de la Banque mondiale, 2000
Quand la crise frappe un de ses États membres, le premier intervenant est en général le FMI
Pris dans la spirale de la dette, les PED n’ont bien souvent d’autre recours que de s’endetter de nouveau pour rembourser. Les prêteurs éventuels demandent au FMI d’intervenir pour garantir la poursuite des remboursements. Celui-ci accepte à condition que le pays concerné s’engage à suivre la politique économique qu’il lui dicte : ce sont les fameuses conditionnalités du FMI, détaillées dans les plans d’ajustement structurel (PAS). La politique économique de l’État débiteur passe sous contrôle du FMI et de ses experts. Une nouvelle forme de colonisation s’installe car la dette crée à elle seule les conditions d’une nouvelle dépendance.
En cas de crise aiguë (comme au Mexique en 1982 et en 1994, en Asie du Sud-Est en 1997, en Russie et au Brésil en 1998, en Turquie en 2000, en Argentine en 2001-2002, au Brésil en 2002, etc.), le FMI mobilise des sommes considérables pour éviter la banqueroute des créanciers des pays endettés. Par exemple, 105 milliards de dollars prêtés par le FMI et le G7 aux pays d’Asie du Sud-Est en 1997 (où la crise, accentuée par les mesures imposées par le FMI, a mis au chômage 24 millions de personnes) ; 31 milliards de dollars prêtés par le FMI pour la Turquie entre fin 1999 et 2002 (la Turquie, allié géostratégique des États-Unis, proche du pétrole et du gaz de l’Asie centrale, voisin de l’Irak et de l’Iran, est ainsi devenue en août 2002, le plus gros débiteur du FMI) ; plus de 21 milliards de dollars à l’Argentine en 2001 ; 30 milliards de dollars pour le Brésil pour 2002-2003-2004 (pour éviter la contagion de la crise argentine et pour influencer l’orientation du président élu en octobre 2002). Cependant, ces milliards injectés ne servent jamais à accorder des subventions aux produits de base pour aider les populations les plus pauvres ni à créer des emplois ou à protéger les producteurs locaux : le FMI impose de rembourser d’urgence les créanciers. Ce sont souvent d’ailleurs des créanciers privés qui ont réalisé des opérations spéculatives dans les pays concernés puis s’en sont retirés de manière brutale en provoquant ou en aggravant la crise. Pire, quand des organismes privés sont en cessation de paiement, le FMI et la Banque mondiale imposent souvent aux États de prendre la dette à leur charge, ce qui revient à la faire payer par les contribuables... Les sommes prêtées augmentent alors la dette du pays concerné et le quittent immédiatement puisqu’elles sont transférées aux créanciers du Nord. Comme le FMI a pris l’habitude de remplir ce rôle, les créanciers n’hésitent pas à prendre des risques de plus en plus élevés dans leurs opérations financières, en sachant qu’en cas de défaut de paiement, le FMI sera là pour les renflouer, en tant que prêteur en dernier ressort. La contrepartie est un alourdissement important de la dette extérieure du PED en question.
La conditionnalité s’est attachée au fonctionnement des prêts du FMI depuis les années 1950 mais ce n’est pas avant 1968 que des directives formelles ont été élaborées. Jusqu’au début des années 1980, la conditionnalité était essentiellement axée sur les politiques macroéconomiques. Par la suite, la complexité des critères de réalisation attachés aux crédits du FMI a pris une ampleur considérable. En cas de problème, le FMI suggère que le gouvernement du pays endetté a lui-même proposé cette politique et que, lui, FMI, s’est contenté de l’accompagner.
Des critiques de Michel Aglieta et Sandra Moatti
Dans leur ouvrage intitulé Le FMI : de l’ordre monétaire aux désordres financiers, Michel Aglieta et Sandra Moatti [12] expriment plusieurs critiques à l’égard de l’orientation du FMI et de ses principaux actionnaires que nous reprenons à notre compte :
Un club dans le club : « En 1962, les pays riches du groupe des 10 signaient la conclusion des Accords généraux d’emprunt (AGE) par lequel ils s’engageaient à prêter leur monnaie au Fonds s’il en avait besoin pour financer les tirages de l’un d’entre eux. Cette négociation s’est déroulée largement en dehors des circuits habituels du Fonds, même si le Conseil d’administration les a approuvés. Cet organe intergouvernemental restreint est en contradiction avec l’organisation tendanciellement universelle que prétend être le FMI. Depuis lors, le G10 a pris l’habitude de se réunir conjointement avec les administrateurs du Fonds et les ministres des pays du G10, celle de se concerter à la veille de la réunion annuelle du FMI » [13].
Un exemple de dérogation courante du FMI à ses propres statuts : « L’article VI précise qu’aucun Etat membre ne peut faire usage des ressources générales du Fonds pour faire face à des sorties de capitaux importantes ou prolongées. Le Fonds peut inviter un Etat membre à prendre les mesures de contrôle propres à empêcher un tel emploi de ses ressources générales. Si l’Etat membre ne prend pas les mesures de contrôle appropriées, le Fonds peut le déclarer irrecevable à utiliser les ressources du Fonds. L’utilisation des ressources du Fonds dans les crises financières de la fin des années 1990 a de quoi surprendre au regard de cet article, toujours en vigueur » [14].
« Cet article VI démontre également que le FMI n’a pas les caractéristiques pour devenir le prêteur en dernier ressort. Il n’a pas vocation à réguler la liquidité par des actions à très court terme mais à favoriser des ajustements durables de balance des paiements. C’est cependant de cette fonction qu’il a été chargé (et accepté d’assumer, NDA) au cours des vingt dernières années » [15].
« Les principaux actionnaires du FMI ne le chargent plus tant d’une responsabilité dans la gestion du système monétaire international, sur la base de règles de change mutuellement acceptées, qu’ils ne lui confèrent un mandat implicite de gestionnaire de crises et de garant de la discipline des pays endettés. (...) Comment une institution de coopération monétaire entre gouvernements, conçue pour veiller à la stabilité du système de changes dans un contexte de mouvements de capitaux limités, s’est-elle adaptée à un rôle de tuteur des pays en développement dans un système financier de plus en plus intégré et sous la menace croissante d’un risque systémique ? En s’instaurant guide de l’ajustement [16]. Au moment où les grands pays industrialisés se dérobent à toute influence véritable du FMI, ils lui délèguent un rôle central dans le suivi des pays en développement » [17].
« Dans les années 1970, la part du Fonds dans le financement des PVD a régressé jusqu’à ne représenter qu’à peine 3% à la fin de la décennie : les emprunteurs préféraient alors se soustraire aux règles de conditionnalité édictées par le Fonds et s’adresser aux banques commerciales. Dans ces conditions, le Fonds n’était guère en mesure d’imposer une discipline aux Etats emprunteurs. Il n’avait pas davantage de prise sur l’environnement global. Les termes de l’échange des pays en développement non pétroliers s’étaient dégradés constamment depuis 1978 et, à partir de 1980, l’inversion de la hiérarchie entre taux d’intérêt réel et taux de croissance, aggrave leurs déficits courants. Ainsi, c’est l’appréciation du dollar et la montée en flèche des taux d’intérêt américains en 1980-81, dues au défaut complet de coopération monétaire internationale, qui ont précipité la hausse fatale de la dette. Le FMI n’avait donc pas rempli le rôle qui lui avait été dévolu » [18].
« Le statut de créancier privilégié des institutions financières internationales, et en particulier du FMI, est un élément fondamental. Les créances de ces institutions sont considérées comme non rééchelonnables, et à plus forte raison, non effaçables. Les créanciers bilatéraux du Club de Paris acceptent cette hiérarchie, même si leurs engagements supplémentaires et leurs efforts de rééchelonnement permettent aux pays débiteurs d’honorer leurs paiements au FMI, car la protection des ressources du Fonds est une garantie pour la préservation de leurs propres engagements. Les liens entre Club de Paris et FMI tiennent donc largement au fait que les membres de l’un sont les principaux actionnaires de l’autre, d’où une forte convergence d’intérêts » [19].
III. Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) - Groupe Banque mondiale
Née le même jour que le FMI, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement était une institution sans précédent. Sa structure fondamentale, telle qu’élaborée dans les Articles de sa charte, est restée inchangée. Aujourd’hui, elle emploie environ 10.000 personnes, dont grosso modo 7.000 sont basées à Washington.
Les buts principaux de la Banque étaient de “ porter assistance à la reconstruction et au développement des territoires des nations membres en facilitant l’investissement de capital dans un but productif ” et “ de promouvoir une croissance équilibrée du commerce international à longue échéance ” (Art. I).
Il s’agissait également selon l’article 1 d’améliorer, sur le territoire des Etats membres, la productivité, le niveau de vie et la condition des travailleurs (Art. I).
Mode de gouvernement de la Banque
En principe, la plus haute instance de la Banque est le Conseil des Gouverneurs, chaque pays étant représenté par un gouverneur. Les gouverneurs de la Banque sont habituellement les ministres des Finances ou les présidents des banques centrales des nations respectives.
Théoriquement, les gouverneurs choisissent le président de la Banque mais, en pratique, le président a toujours été un citoyen des Etats-Unis choisi par le gouvernement des Etats-Unis, habituellement par le ministère des Finances (Treasury Department).
Globalement, le fonctionnement de la Banque mondiale est proche de celui du FMI. La répartition des droits de vote à la BIRD y diffère légèrement.
Tableau 4. Répartition des droits de vote entre les administrateurs de la Banque mondiale en mai 2004
Pays | % | Groupe présidé par | % | Groupe présidé par | % |
---|---|---|---|---|---|
Etats-Unis | 16,39 | Autriche | 4,80 | Thaïlande | 2,54 |
Japon | 7,87 | Pays-Bas | 4,46 | Koweït | 2,72 |
Allemagne | 4,49 | Venezuela | 4,50 | Suisse | 3,04 |
France | 4,30 | Italie | 3,50 | Brésil | 3,59 |
Royaume-Uni | 4,30 | Canada | 3,85 | Inde | 3,40 |
Arabie saoudite | 2,78 | Islande | 3,34 | Pakistan | 3,37 |
Chine | 2,78 | Australie | 3,45 | Argentine | 2,32 |
Russie | 2,78 | Ouganda | 3,41 | Guinée-Bissau | 1,99 |
Source : Banque mondiale [La Somalie n’a pas pris part à l’élection.]
En 2004, les neuf pays industrialisés les plus riches contrôlaient plus de 50% des voix. En revanche, quarante-cinq pays africains ne disposent ensemble que de 5,40% des votes et de deux directeurs exécutifs sur vingt-quatre.
Graphique 3. Droits de vote de quelques administrateurs à la BIRD (avril 2004)
Source : Banque mondiale ; (gr) signifie que l’administrateur préside un groupe de pays.
Les directeurs exécutifs résidant à Washington, se rencontrent fréquemment (au moins une fois par semaine) et doivent approuver chaque prêt et le principal de la politique de la Banque. Les décisions courantes requièrent une majorité simple des votes mais toute action pour changer les articles de la charte constitutive ainsi que pour modifier la répartition des droits de vote requiert l’approbation d’au moins trois cinquièmes des membres et de 85% du total des actions de vote. Cela signifie que les Etats-Unis avec 16,39% de voix ont un droit de veto sur tout changement de statut et de répartition des droits de vote, bref sur toute réforme des institutions de Bretton Woods [20].
Débuts de la Banque mondiale : le Plan Marshall supplante la BIRD dans la tâche de reconstruction
Destinée par J.M. Keynes dans son aspect “ Reconstruction ” à être l’institution en mesure de prêter des capitaux aux pays qui avaient été “ dévastés par la guerre pour leur permettre de relever leurs économies ruinées et de remplacer les moyens de production perdus ou détruits ”, on s’attendait à ce que les activités de la Banque, au début, se concentrent sur la reconstruction européenne et que sa fonction la plus importante soit de garantir les investissements privés. On pensait que les prêts directs seraient, au mieux, une activité secondaire.
Mais la Banque, par la volonté des Etats-Unis, n’a en fait pratiquement pas participé à la reconstruction de l’Europe d’après-guerre. C’est le plan Marshall, mis sur pied par les Etats-Unis seuls, qui a rempli ce rôle. La Banque a destiné seulement quatre prêts à la reconstruction pour un total de 497 millions de dollars tandis que le plan Marshall a transféré environ 13 milliards de dollars. En tant qu’agence de reconstruction, la Banque n’a donc pas été véritablement active. Ce dont l’Europe, partiellement détruite par la guerre, avait besoin, ce n’était pas de prêts porteurs d’intérêts pour des projets spécifiques qui demandaient une longue préparation, mais l’octroi rapide de dons et de prêts concédés à intérêt très bas ou nul : ils devaient être utilisés pour soutenir la balance des paiements et aussi pour des importations de produits de base dont elle avait désespérément besoin.
Présentation des cinq composantes du Groupe de la Banque mondiale
La Banque mondiale en tant qu’institution internationale, est un conglomérat d’institutions et d’organisations internationales. En tant que telle, elle comprend cinq organisations : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale de développement (AID), le Centre international de règlement de différends relatifs aux investissements (CIRDI), la Société financière internationale (SFI) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI). Ce conglomérat est connu sous le nom de Groupe de la Banque Mondiale qui possède des antennes locales dans 67 pays.
a) La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD)
Au départ, son action était dirigée à la fois vers les pays industrialisés et vers les pays en développement. Aujourd’hui, son action est principalement orientée sur les PED (en ce compris les pays en transition vers une économie de marché). La Banque possède un capital apporté par les pays membres et surtout emprunte sur les marchés internationaux de capitaux. La Banque finance des projets sectoriels, publics ou privés, à destination des pays du tiers-monde et de l’ex-bloc soviétique qui forment ensemble les pays en développement.
La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (42 membres en 1947, année du début de ses activités ; 184 membres en 2003) octroie des prêts concernant de grands secteurs d’activité (agriculture et énergie), essentiellement aux pays à revenus intermédiaires.
Types de prêts accordés par la BIRD :
Pour les prêts qu’elle octroie, la Banque ne prélève pas tellement sur son capital propre ; elle les finance par l’émission d’obligations qui sont considérées comme un placement particulièrement sûr puisqu’elles sont garanties par tous les Etats fondateurs, jusqu’à concurrence de 100% de leurs quotes-parts respectives.
b) L’Association internationale pour le développement (AID)
L’Association internationale pour le développement (AID, ou IDA selon son appellation anglophone, 164 membres en 2003), fondée en 1960, s’est spécialisée dans l’octroi à très long terme (35 à 40 ans, dont 10 de grâce) de prêts à taux d’intérêt nuls ou très faibles à destination des pays les moins avancés (PMA).
Les interventions de la BIRD se font au taux du marché, ce qui est avantageux pour des pays qui n’ont pas encore un accès facile aux financements privés, mais trop cher pour les pays les plus pauvres. Pour mener à bien sa mission de financement du développement, le groupe de la Banque mondiale s’est donc doté d’un instrument de financement concessionnel réservé aux pays les plus pauvres qui n’ont pas accès aux marchés de capitaux. Les pays très pauvres sont ceux dont le produit national brut par habitant est inférieur à 865 dollars par an (en dollars de 1994). L’autre critère est celui de la performance dans la mise en œuvre des politiques internes. Ces politiques se référent à la gestion économique, aux politiques structurelles et à la gestion du secteur public. Le troisième critère se réfère aux politiques de réduction de la pauvreté. Mais c’est avant tout la performance dans l’application des politiques qui garantira qu’un pays déterminé reçoit les prêts ou les dons.
En raison de ces conditions, l’AID ne peut mobiliser que des fonds publics, c’est-à-dire, des fonds provenant des donations volontaires. Cependant, les restrictions budgétaires et le refus de contribuer au fonds de l’AID de la part des pays développés limitent considérablement les crédits destinés aux pays les plus pauvres. La mission principale de l’AID est d’aider les PED les plus pauvres à réduire la pauvreté. A cet égard, elle octroie des prêts et des dons. Suivant l’article I de ses statuts, l’AID doit promouvoir le développement, la croissance de la productivité et le relèvement du niveau de vie dans les pays pauvres. En tant qu’institution reliée à la BIRD, elle participe activement à la mise en place des politiques décidées par celle-ci.
L’AID et la BIRD partagent le même personnel, et les projets financés par l’AID doivent satisfaire aux mêmes critères que les projets aidés par la BIRD. Ainsi, c’est la Banque mondiale qui chaque année fait une évaluation de la mise en œuvre des politiques concernant les prêts et dons reçus de l’AID. La surveillance de la mise en œuvre des politiques nationales est également à la charge de la Banque mondiale, à travers son Département d’opérations. Le président de la BIRD est ex officio Président de l’AID.
En vue, notamment, de distribuer le nombre de voix au sein des organes de gestion stratégique de l’AID, les membres sont répartis en deux groupes. Les membres du premier groupe effectuent leurs versements en monnaies convertibles librement utilisables et échangeables par l’association dans le cadre de ses activités. Il s’agit principalement des grands pays industriels auxquels s’ajoutent l’Afrique du Sud, la Russie, les Emirats arabes unis et le Koweit. Les membres du deuxième groupe versent 10% de leur souscription initiale en monnaies librement convertibles et les 90% restant, ainsi que toutes autres souscriptions et contributions, dans leur propre monnaie ou dans des monnaies librement convertibles. Les ressources versées par ces pays sont utilisables uniquement, nonobstant un accord entre le pays et l’AID, pour financer des projets localisés sur le territoire de ces membres.
Les ressources apportées représentent 90% du total de l’AID. Fournies « gratuitement » puisqu’elles sont assimilables à des subventions à l’investissement financées par les budgets nationaux, elles peuvent être utilisées pour des crédits sans intérêt aux membres les plus pauvres. Par ailleurs, la BIRD peut doter l’AID de ressources (subventions) prélevées sur ses bénéfices. En raison de l’extension de sa couverture géographique, d’une prise de conscience accrue de l’urgence de besoins non satisfaits et des modalités de remboursement de ses crédits, l’Association a dû, à plusieurs reprises, faire appel aux Etats membres en vue d’accroître ses ressources. Elle a ainsi organisé, depuis 1960, plusieurs sessions de reconstitution des ressources.
c) La Société financière internationale (SFI)
La Société financière internationale (SFI) est la filiale de la Banque qui a en charge le financement d’entreprises ou d’institutions privées du tiers-monde. Les statuts officiels de la Société financière internationale ont été préparés par la BIRD en 1955. Elle a été officiellement créée durant l’été 1956. Après la création de la BIRD, plusieurs responsables avaient plaidé en faveur de la création d’une nouvelle entité complémentaire de celle de la Banque. Il s’agissait d’une institution adjointe à la Banque et qui serait chargée de promouvoir l’investissement privé dans les pays pauvres. Vers la fin des années 40, le président de la Banque mondiale, Eugène R. Black, et son vice-président, un ancien banquier et directeur de General Foods Corporation, Robert L. Garner, précisèrent considérablement cette idée. Convaincus de l’importance du rôle de l’entreprise privée, ce dernier et, notamment, son adjoint, Richard Demuth, collaborèrent à la formulation d’une idée consistant à créer une institution affiliée à la Banque mondiale, pour éviter à cette dernière de prêter directement ses ressources au secteur privé. Cette idée a été reprise, pour la première fois de manière officielle, dans le rapport publié en mars 1951 par un conseil consultatif sur la politique de développement des États-Unis présidé par Nelson Rockefeller. Le conseil y proposait en effet un ensemble de mesures qui devaient considérablement renforcer l’action de la Banque en favorisant l’expansion d’entreprises privées.
La SFI s’efforce de promouvoir l’investissement du secteur privé notamment :
a. en finançant la réalisation de projets du secteur privé dans des pays en développement ;
b. en aidant des sociétés privées de pays en développement à mobiliser des fonds sur les marchés des capitaux internationaux ;
c. en fournissant des conseils et une assistance techniques aux entreprises et aux gouvernements.
d) Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)
Crée en 1966, l’objet du CIRDI - Article 1 (2) - est d’offrir des moyens de conciliation et d’arbitrage pour régler les différends relatifs aux investissements opposant des Etats contractants à des ressortissants d’autres Etats contractants. En termes plus simples, il s’agit d’un Tribunal arbitral international agissant en cas de différend entre un investisseur privé d’un Etat partie et l’Etat du siège dudit investissement. La compétence du Centre (article 25) s’étend aux différends d’ordre juridique entre un Etat contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu’il désigne au Centre) et le ressortissant d’un autre Etat contractant qui sont en relation directe avec un investissement.
Le Centre est en général désigné comme étant compétent en matière des différends dans le cadre des accords bilatéraux sur les investissements. C’est ainsi que presque 900 traités bilatéraux sur la promotion et la protection des investissements nomment explicitement le Centre comme instance de règlement des différends entre un investisseur privé d’une partie contractante, d’une part, et l’Etat du siège des investissements en question, d’autre part.
La sentence arbitrale du Centre est obligatoire et ne peut être l’objet d’aucun appel ou autre recours (article 53).
Le CIRDI est membre du Groupe de la Banque mondiale, mais en tant qu’institution il est une organisation internationale autonome dont l’action est de compléter le cadre de la Banque. Tous les membres du CIRDI sont également membres de la Banque. Le Président de la BIRD participe de plein droit au conseil d’administration du CIRDI.
Le recours au CIRDI pour une conciliation ou un arbitrage est totalement volontaire. Mais une fois les parties engagées, aucune ne peut renoncer unilatéralement à l’arbitrage du CIRDI. A partir du moment où le CIRDI a pris une décision, tous les pays signataires de la convention, même s’ils ne sont pas en cause dans le différend, doivent reconnaître et appliquer la décision. Depuis 1978, le champ des compétences du CIRDI s’est élargi : un ensemble de règles lui permet d’intervenir dans des cas qui ne relèvent pas du champ de la convention. Il peut ainsi intervenir dans des procédures d’arbitrage lors de différends mettant en cause un Etat ou un investisseur d’un Etat non signataire de la convention ; il peut aussi être sollicité pour réaliser des constats.
Jusqu’au milieu des années 1980, les différends traités par le CIRDI provenaient d’accords conclus lors de contrats d’investissement. Depuis lors, il s’agit de plus en plus d’accords conclus lors de traités bilatéraux (ABI - accords bilatéraux d’investissements) ou multilatéraux. On constate une forte progression de ces traités depuis une dizaine d’années (de l’ordre de 1.300). De ce fait, les cas soumis au CIRDI concernent maintenant davantage des événements comme des guerres civiles et des problèmes d’expropriation que des contrats d’investissement.
En complément du règlement des différends, le CIRDI mène une activité de recherche, de conseil et de diffusion des informations concernant l’arbitrage international.
Hormis le CIRDI, les principaux acteurs dans l’arbitrage international sont la Commission des Nations unies pour le droit du commerce international (CNUDCI), la Chambre de commerce international (CCI), l’American Arbitration Association (AAA) et l’International Bar Association (IBA).
e) L’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI)
Elle a été créée en 1988 en tant que membre du Groupe de la Banque mondiale. Sa mission est de promouvoir l’investissement étranger direct en offrant, en tant qu’institution internationale, des garanties aux investisseurs privés et aux bailleurs de fonds, également privés. Elle vise également à ce que les PED réalisent des réformes en vue d’attirer l’investissement privé, tout en agissant en faveur du développement économique.
IV. Relations FMI - Banque mondiale
Il y a une différence importante entre le FMI et la Banque mondiale dans la manière de financer leurs activités. Le Fonds est une institution coopérative, pourvue d’un fonds commun de devises dans lequel il peut puiser pour octroyer des aides temporaires au titre de la balance des paiements, à l’appui de règles mutuellement acceptées. Au contraire, la Banque est un intermédiaire financier, elle lève des emprunts sur les marchés des capitaux pour financer des projets d’investissement sur le long terme. Malgré qu’elles soient nées en même temps et qu’elles professent grosso modo une même idéologie et une même ligne de conduite, les conditions qui régissent la coopération du FMI et de la Banque ont dû être définies dans un « concordat » [21] en 1989 afin d’assurer une coopération plus efficace dans les domaines où leurs responsabilités se recoupent. Pour limiter les contradictions entre leurs recommandations (comme ce fut le cas en Argentine en 1988, la Banque ayant accordé son soutien à des conditions que le Fonds ne jugeait pas satisfaisantes), un partage général des responsabilités a été défini en 1989. Le terme « concordat » n’est pas anodin : il indique que les tensions et contradictions entre elles étaient de taille. Il a été convenu que le Fonds examinerait prioritairement les aspects globaux des politiques macroéconomiques, notamment en ce qui concerne le budget, les prix, la monnaie, le crédit, les taux d’intérêt et les taux de change. La Banque en revanche se concentrerait sur les stratégies de développement, les projets et les aspects sectoriels. Cette répartition nécessite une collaboration qui revêt diverses formes mais la concurrence entre les deux administrations reste intense. Cette concurrence institutionnelle se double de différences de culture d’entreprise.
Dans l’ajustement structurel qui les rapproche, la répartition des rôles ne se fait pas sans heurts. Les deux institutions n’ont pas la même approche de leurs relations avec les pays. La Banque mondiale considère qu’elle est plus proche du terrain que le FMI. La Banque a de nombreuses représentations permanentes sur les différents continents tandis que le FMI en a très peu. Avec un personnel nettement moins nombreux, il préfère envoyer des missions de courte durée dans les pays qui font appel à ses services.
Genèse de l’ajustement structurel et du Consensus de Washington
Le FMI a fait appliquer dès les années 1960 les éléments clé de ce qu’on appellera plus tard, l’ajustement structurel et, trente ans plus tard, le Consensus de Washington.
La Banque est intervenue dans le même sens surtout à partir de 1979, année où pour la première fois, un président de la Banque initie les prêts d’ajustement structurel.
Avec l’explosion de la crise de la dette, les deux institutions de Bretton Woods font appliquer ce qu’on appellera dorénavant les plans d’ajustement structurel. Néanmoins, elles le font sans se concerter systématiquement. A plusieurs reprises, elles se mettent mutuellement des bâtons dans les roues.
Le Consensus de Washington naît en 1990 dans le prolongement du concordat de 1989 quand, sous la conduite du Trésor américain, les deux institutions de Bretton Woods se mettent d’accord sur une même définition de l’ajustement structurel et sur un modus operandi pour éviter les contradictions entre elles. Bien que cet accord n’ait pas supprimé totalement leurs désaccords ponctuels et leur compétition traditionnelle, cela a indubitablement renforcé les moyens d’imposer des politiques conformes aux intérêts des créanciers en général, des Etats-Unis en particulier.
V. La Banque mondiale, le FMI et le respect des droits humains ?
La Charte des Nations unies et les institutions spécialisées
Selon l’article 57 paragraphe 1 de la Charte des Nations unies, les diverses institutions spécialisées créées par accords intergouvernementaux et pourvues, aux termes de leurs statuts, d’attributions internationales étendues dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique et autres domaines connexes, sont reliées à l’Organisation à travers le Conseil économique et social de l’ONU (CES, mieux connu sous l’abréviation anglaise ECOSOC). L’article 62 paragraphe 1 dispose ce qui suit : « Le Conseil économique et social peut faire ou provoquer des études et des rapports sur des questions internationales dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique et autres domaines connexes et peut adresser des recommandations sur toutes ces questions à l’Assemblée générale, aux Membres de l’Organisation et aux institutions spécialisées intéressées ».
C’est l’ONU qui, par le biais des organes compétents, en ce cas, le CES (article 60), fait des recommandations en vue de coordonner les programmes et activités des institutions spécialisées (article 58). A cet effet, le CES dispose des pouvoirs qui lui sont attribués aux termes du Chapitre X de la Charte. C’est cependant l’Assemblée générale qui dispose des pouvoirs nécessaires, le CES agissant sous son autorité.
Nous allons voir que, d’un point de vue historique et contrairement à ce qu’ils affirment, le FMI et la Banque sont des institutions spécialisées des Nations unies. En tant qu’institutions spécialisées, elles sont liées par la Charte des Nations unies. Le système onusien est basé sur la coopération internationale, et notamment sur la coopération économique et sociale internationale.
Selon l’article 55, en vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations unies agiront notamment en faveur :
a. du relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social ;
b. de la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation ;
c. du respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.
En outre, les Nations unies poursuivent certains buts qui peuvent être résumés comme suit :
Tout le système des Nations unies est fondé sur les principes suivants :
Il est donc inévitable de se poser la question suivante : la Banque et le FMI sont-ils tenus de respecter les obligations énoncées dans la Charte des Nations unies, incluant l’obligation de respecter les droits humains ?
Malgré l’évolution qualitative du droit international dans ce dernier domaine, il a été souligné dans un rapport récent présenté à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, que le FMI « ...considère toujours que son mandat ne comprend pas le respect des droits de l’homme... » [22]. Cela impliquerait que selon son droit positif (les statuts du FMI), dans la mise en œuvre des politiques économiques et financières, les responsables, en tant que fonctionnaires internationaux, ne sont pas tenus de prendre en compte le respect des droits humains.
A cela s’ajoute le fait que, traditionnellement, ces institutions, en particulier la Banque, utilisent l’argument de « non politisation » de leurs activités. Cela signifie-t-il que les règles régissant la protection des droits de l’homme ne leur sont pas applicables ou que leur inclusion dans leurs politiques n’est qu’un acte de bonne volonté, c’est-à-dire, non contraignant ? La réponse est négative. En tant qu’institution spécialisée des Nations unies, la Banque mondiale est soumise, d’une part, aux règles qui y sont énoncées et d’autre part, au droit coutumier, dont les droits humains font indiscutablement partie.
La Cour internationale de justice l’a bien rappelé dans l’affaire de Barcelone Traction et dans celle du Timor Oriental [23] : les statuts de la Banque mondiale sont entièrement traversés par les obligations découlant du droit coutumier, en particulier par les obligations de respecter les règles dites erga omnes et jus cogens. Plus encore, en tant qu’organisation internationale, elle est entièrement soumise au droit international. En tant que sujet de droit, elle a des droits et des obligations. S’il est exact qu’en tant qu’institutions spécialisées de l’ONU, la Banque et le FMI en sont fonctionnellement indépendants, il leur appartient cependant de respecter les droits humains et le droit coutumier en général. Cette obligation ne s’applique pas uniquement aux Etats, mais encore à tous les sujets et organes de la société internationale.
Les Institutions financières internationales (IFI) sont donc tenues de respecter les droits de l’Homme dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques : aucun sujet de droit international ne peut se soustraire à ces obligations en invoquant l’absence de mandat explicite ou l’argument de la « non politisation », ou encore moins une interprétation restrictive des droits économiques, sociaux et culturels comme étant des éléments moins contraignants que les droits civils et politiques.
Ce dernier aspect a été bien souligné par Eric David qui affirme, en ce qui concerne le droit applicable aux IFI, ce qui suit : « ...les droits plus spécifiquement concernés par une situation de dégradation économique et sociale sont les droits économiques, sociaux et culturels. Une telle situation menace en effet la jouissance de ces droits par des catégories plus ou moins larges de la population. Il n’est d’ailleurs pas exagéré de dire que les situations d’extrême pauvreté aboutissent à une violation d’à peu près tous les droits économiques, sociaux et culturels... » [24]. L’auteur précité continue « ... si les droits affectés par les PAS sont a priori les droits économiques et sociaux, il peut arriver que par ricochet, l’atteinte à ces droits entraîne aussi une violation des droits civils et politiques des personnes concernées » [25].
La question des « droits humains » n’a jamais fait partie des priorités de la Banque mondiale. Invariablement dans les conditionnalités qu’elle fixe, un droit passe avant tout : le droit individuel de propriété privée qui, en pratique, favorise les grands propriétaires qu’ils soient des individus riches ou des sociétés nationales et transnationales. Dans les conditionnalités soutenues par la Banque mondiale, on ne trouve pas de référence aux droits collectifs des populations et des individus. S’il est question de droits humains à la Banque mondiale, ce n’est pas dans le sens progressiste retenu par les grands textes des Nations unies. Les idéologies ont leur lecture spécifique du droit. Jean-Philippe Peemans rappelle avec justesse : « De toute manière, dans l’optique occidentale prédominante aujourd’hui, les droits humains sont conçus avant tout comme concernant la liberté d’action individuelle, la non-interférence dans le monde privé des affaires économiques, le droit de disposer librement de la propriété, et surtout l’abstention de l’État de tout acte qui violente la liberté individuelle d’investir du temps, du capital et des ressources dans la production et l’échange... Pour les néo-libéraux, les revendications sociales et culturelles peuvent être des aspirations légitimes, mais jamais des droits... la vision néo-libérale refuse toute approche collective des droits. L’individu est le seul objet pouvant réclamer des droits, et de même les seuls violateurs du droit ne peuvent être que des individus qui doivent en prendre la pleine responsabilité. On ne peut attribuer des violations de droits ni à des organisations, ni à des structures » [26]. La Banque mondiale, comme le FMI, s’appuie sur ce postulat pour se dédouaner de toute responsabilité en termes de non-respect des droits sociaux économiques et culturels. Pourtant, les droits civils et politiques sont indissociables des droits sociaux économiques et culturels. Il est impossible de respecter les droits individuels si les droits collectifs ne sont pas pris en compte. En tant qu’institutions multilatérales, la Banque mondiale et le FMI sont soumis à l’application des traités internationaux et aux droits tant individuels que collectifs qui y sont affirmés.
L’exigence de transparence et de bonne gouvernance vaut pour tout le monde. Les IFI les exigent de la part des gouvernements des pays endettés, mais elles se permettent de l’ignorer pour elles-mêmes. L’exigence d’évaluer et de rendre compte des activités réalisées ne doit pas se limiter aux États mais elle soit s’étendre aussi au secteur privé et, avec une intensité particulière, à la sphère des organisations internationales, étant donné que leurs activités, leurs politiques et leurs programmes ont un impact très important sur l’effectivité des droits humains [27]. Les plans d’ajustement structurel ont des conséquences tellement négatives en termes de dégradation des droits économiques, sociaux et culturels (particulièrement sur les plus vulnérables), un impact si négatif en termes environnementaux que l’on doit exiger de ces institutions qu’elles répondent de leurs actes.
L’ajustement structurel ne respecte pas les droits humains
Malgré les textes internationaux constituant le cadre juridique de protection des droits humains, le FMI et la Banque mondiale « fonctionnent selon la logique des entreprises financières privées et du capitalisme mondial, sans grande considération des résultats sociaux et politiques de leurs actions » [28].
« Pendant près de 20 ans, les institutions financières internationales et les gouvernements des pays créanciers ont joué à un jeu ambigu et destructeur consistant à télécommander les économies du tiers monde et à imposer à des pays impuissants des politiques économiques impopulaires, prétendant que la pilule amère de l’ajustement macroéconomique finirait par permettre à ces pays de trouver le chemin de la prospérité et du désendettement. Après deux décennies, dans de nombreux pays la situation est pire que lorsqu’ils ont commencé à mettre en œuvre les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale. Ces programmes d’austérité rigoureux ont eu un coût social et écologique considérable et dans beaucoup de pays l’indice du développement humain a dramatiquement chuté », affirme le Rapport commun présenté à la Commission des Droits de l’homme de l’ONU par le Rapporteur spécial et l’Expert indépendant [29].
De manière ferme, il rappelle que « l’exercice des droits fondamentaux de la population des pays débiteurs à l’alimentation, au logement, à l’habillement, à l’emploi, à l’éducation, aux services de santé et à un environnement salubre ne peut pas être subordonné à l’application de politiques d’ajustement structurel et de réformes économiques liées à la dette... » [30].
Or les politiques imposées par les IFI subordonnent l’obligation du respect des droits humains, y compris la légitimité des gouvernements, à l’application dogmatique de leurs programmes [31]. En réalité, les programmes d’ajustement structurel vont au-delà « de la simple imposition d’un ensemble de mesures macroéconomiques au niveau interne. Ils [sont] l’expression d’un projet politique, d’une stratégie délibérée de transformation sociale à l’échelle mondiale, dont l’objectif principal est de faire de la planète un champ d’action où les sociétés transnationales pourront opérer en toute sécurité. Bref, les programmes d’ajustement structurel (PAS) jouent un rôle de « courroie de transmission » pour faciliter le processus de mondialisation qui passe par la libéralisation, la déréglementation et la réduction du rôle de l’État dans le développement national » [32].
La Commission des Droits de l’Homme de l’ONU a également souligné que les politiques d’ajustement structurel ont de graves répercussions sur la capacité des PED de mettre en place des politiques nationales de développement dont l’objectif premier est de respecter les droits humains, spécialement les droits économiques sociaux et culturels à travers l’amélioration des conditions de vie des populations locales [33].
Selon le Rapport de Bernard Muhdo, expert indépendant, les politiques d’ajustement structurel, fruit d’une politique consciemment élaborée et appliquée par les responsables du FMI et de la Banque, ont eu des conséquences extrêmement négatives sur les droits économiques sociaux et culturels, spécialement [34] en ce qui concerne la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable, la sécurité alimentaire, etc. [35] Le même expert constate que les politiques menées par les IFI ont été contestées par les citoyens par le biais de mouvements de protestations, violemment réprimés par les gouvernements et les pouvoirs publics, afin de garantir que les plans imposés par ces institutions (privatisations de l’eau, privatisation de l’électricité, privatisation des transports publics, privatisation des hôpitaux, libéralisation des prix de médicaments, du pain et d’autres biens de première nécessité, protection des intérêts des transnationales en matière d’investissements et appropriation des ressources naturelles communes, etc.). Il y a en conséquence un lien étroit entre la violation massive des droits économiques, sociaux et culturels et la violation massive des droits civils et politiques.
Face à ce type de violation des obligations internationales de la part des pouvoirs publics de l’Etat concerné, le FMI et la Banque mondiale auraient dû rappeler aux gouvernements leurs obligations internationales en matière de protection des droits civils et politiques et des droits humains en général [36]. Au lieu de les stopper ou les suspendre, ces institutions ont poursuivi et intensifié leur application.
A priori, c’est un fait extrêmement grave : ces institutions agissent comme si elles n’étaient redevables d’aucune obligation internationale. Bien sûr, elles suivent en cela un but bien précis. En 1999, l’Expert indépendant désigné par la Commission des droits de l’homme a identifié, avec justesse, le processus de mondialisation et le rôle des institutions financières comme faisant partie de la « contre-révolution néolibérale » [37].
Selon le droit international, tant conventionnel que coutumier, il existe des principes et des règles juridiques de base ou fondamentaux qui ont trait à la protection internationale des droits humains dont la portée s’étend à tous les sujets de droit international.
Etats, institutions financières internationales et intérêts privés
La Banque mondiale comme le FMI ne sont pas des abstractions : les décisions en leur sein sont prises par des hommes et aussi quelques femmes qui agissent au nom de leurs États ou de groupes d’États. Or, les États sont eux-mêmes incontestablement liés par les documents des Nations unies. Les États membres de la Banque mondiale et du FMI sont donc dans l’obligation de tenir compte du respect obligatoire des droits de l’homme dans les décisions qu’ils prennent au sein de ces institutions.
Il faut même aller plus loin. Dans le processus de mondialisation, suite à l’action des sociétés transnationales, du G8 et des institutions financières internationales [38], les pouvoirs publics nationaux et locaux ont été délibérément dépossédés de leurs pouvoirs en matière économique et sociale. Les Etats interviennent de plus en plus pour assurer l’exécution des intérêts privés [39] au lieu d’assurer la pleine jouissance des droits humains.
La responsabilité de ces groupements de facto et celle des institutions internationales a été bien soulignée dans le rapport soumis par le Secrétaire général à l’Assemblée générale de l’ONU, lorsqu’il affirme : « aujourd’hui, on tend généralement à demander aux gouvernements d’assumer trop de responsabilités, oubliant que l’ancienne conception du rôle de l’État dans le développement n’a plus cours...Et alors que rien n’est dit des responsabilités internationales ou du rôle de l’économie mondiale et de ses mécanismes et instruments, ou encore de leur contribution au système politique actuel et au régime de gouvernement du monde moderne - responsabilités qui incombent à ces systèmes -, l’on impute aux gouvernements des maux, des difficultés et des problèmes qui trouvent essentiellement leur origine sur la scène internationale. Or, ce type de démarche n’est ni objectif, ni juste, en particulier à l’égard des pays en développement qui n’ont guère leur mot à dire dans les décisions fondamentales prises à l’échelle internationale et qui, pourtant, sont accusés d’entraver le développement, tandis que les causes profondes des inégalités sur le plan international sont passées sous silence... » [40] (Souligné par moi).
C’est donc une erreur de fond de considérer les Etats comme les seuls responsables de la violation des droits de l’homme lors de l’application des règles commerciales multilatérales ou à la suite de l’application des mesures imposées par le FMI et la Banque mondiale [41].
Cette thèse est très répandue au sein du FMI et de la Banque : les responsables des violations des droits de l’homme seraient en fait les Etats membres, pris individuellement car ce sont eux qui décident finalement les politiques que ces institutions doivent appliquer.
Cette prétention de dé-responsabilisation est irrecevable en droit international.
Tant le FMI, la Banque que l’OMC sont avant tout des Organisations internationales [42] dans le sens strict du terme. En tant que telles, elles possèdent une personnalité juridique internationale [43], elles ont leurs propres organes [44], elles sont dotées des compétences par le traité ou accord de base (compétences d’attribution) [45]. Et surtout, en tant qu’organisations internationales, elles ont des droits et des obligations.
En règle générale, il va donc de soi qu’aucune entité sérieuse, aucune organisation internationale qui prétend agir comme sujet de droit international, aucune organisation internationale qui entend exercer ses compétences et qui prétend avoir une personnalité juridique internationale ne peut sérieusement argumenter qu’elle est exemptée de respecter les obligations internationales, spécialement les règles de protection des droits humains [46]. En tant que sujet de droit international, toute organisation internationale est soumise au droit international, incluant la soumission aux règles de protection des droits humains [47].
La Déclaration universelle des Droits de l’homme
Comme son nom l’indique, la Déclaration universelle des Droits de l’homme est universelle, elle lie donc les États qui l’ont ratifiée dans leurs actions spécifiques et dans leurs responsabilités. Aucun organisme international ne peut s’abriter derrière son règlement intérieur pour se considérer affranchi du respect des accords internationaux ratifiés par ses membres [48].
Les institutions internationales ont donc obligation de créer les conditions pour la pleine jouissance de tous les droits humains, le respect, la protection et la promotion de ces droits. Or les programmes d’ajustement structurel s’en différencient nettement. Aujourd’hui rebaptisés « stratégies de lutte contre la pauvreté », ils postulent que la simple croissance économique apportera d’elle-même le développement, ce qui est démenti, entre autres, par les rapports annuels du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD). La dite croissance économique telle qu’elle est proposée par les institutions financières internationales, bénéficie surtout aux couches les plus privilégiées de la société et augmente toujours plus la dépendance des pays du Tiers Monde [49]. De plus, la croissance économique réellement existante est fondamentalement incompatible avec la préservation de l’environnement.
La Déclaration du Droit au Développement
Cette vision du développement, défendue avec acharnement par la Banque mondiale malgré ses échecs patents, n’est pas compatible avec un texte aussi abouti et éminemment social qu’est la Déclaration du Droit au Développement des Nations unies adoptée en 1986 dont voici quelques extraits :
Article premier : 1. Le droit au développement est un droit inaliénable de l’homme...
2. Le droit de l’homme au développement suppose la pleine réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui comprend (...) l’exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles.
Article 3 : 2. La réalisation du droit au développement suppose le plein respect des principes de droit international...
Article 8 : 1. Les États doivent prendre sur le plan national toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au développement... Il faut procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d’éliminer toutes les injustices sociales.
C’est en mars 1981 que la Commission des droits de l’homme des Nations unies a proposé au Conseil économique et social l’établissement du premier groupe de travail sur le droit au développement. Ce groupe s’est réuni une douzaine de fois au cours des années 1980 [50] et a abouti à l’adoption de la Résolution 41/128 de l’Assemblée générale de l’ONU, le 4 décembre 1986, connue sous le nom de Déclaration du Droit au Développement. « Un seul pays osa voter contre : les Etats-Unis, sous prétexte que cette Déclaration était confuse et imprécise, refusant le lien entre développement et désarmement, tout comme l’idée même d’un transfert de ressources du Nord développé vers le Sud sous-développé. Huit pays s’abstinrent : Danemark, Finlande, Allemagne fédérale, Islande, Israël, Japon, Suède et Grande-Bretagne, insistant quant à eux sur la priorité des droits individuels sur les droits des peuples et refusant de considérer que l’aide au développement constitue une obligation de droit international » [51].
La Charte des Nations unies et les institutions spécialisées
Bien que résolution de l’Assemblée générale des nations unies comme la Déclaration universelle des Droits de l’homme, la Déclaration du Droit au Développement n’a pas en pratique le caractère contraignant des traités internationaux. Mais d’autres textes peuvent jouer ce rôle : la Charte des Nations unies (préambule, paragraphe 3 de l’article 1 et articles 55 et 56) est non seulement le document constitutif des Nations unies, mais également un traité international qui codifie les principes fondamentaux des relations internationales. Les deux pactes sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels sont aussi des textes normatifs liés au droit au développement : tous les droits énoncés dans ces pactes font partie du contenu du droit au développement [52].
Les textes principaux des Nations unies visent aussi bien les droits individuels que les droits collectifs, le droit au développement que le droit à la souveraineté politique et économique des États. En fait, la Banque mondiale, mais aussi le FMI, l’OMC, les sociétés transnationales, n’ont jamais accepté d’y être soumis.
Ces institutions ont pu jouir d’une terrifiante impunité jusqu’ici car malgré quelques avancées intéressantes, le droit actuel est loin d’être parfait. Bien sûr, une série d’instruments et de juridictions en matière de crimes contre les droits humains individuels et de crimes contre l’humanité existe, mais les crimes qui font le plus de victimes à travers le monde - les crimes économiques - ne font encore l’objet d’aucune juridiction internationale, d’aucune convention, d’aucune définition internationale à ce jour.
VI.Traduire la Banque mondiale en justice ?
Contrairement à une idée répandue, la Banque mondiale ne bénéficie pas en tant qu’institution, en tant que personne morale, d’une immunité. La section 3 de l’article VII de sa charte (articles of agreement) prévoit explicitement que la Banque peut être traduite en justice sous certaines conditions. La Banque peut être jugée notamment devant une instance de justice nationale dans les pays où elle dispose d’une représentation et/ou dans un pays où elle a émis des titres [53].
Cette possibilité de poursuivre la Banque en justice a été prévue dès la fondation de la Banque en 1944 et cela n’a pas été modifié jusqu’à présent pour la simple et bonne raison que la Banque finance les prêts qu’elle accorde à ses membres (pays-membres) en recourant à des emprunts (via l’émission de titres -bonds-) sur les marchés financiers. A l’origine, ces titres étaient acquis par des grandes banques privées principalement nord-américaines. Maintenant, d’autres institutions, y compris des fonds de pension et des syndicats, en font aussi l’acquisition.
Les pays qui ont fondé la Banque mondiale ont considéré qu’ils n’arriveraient pas à vendre des titres de la Banque s’ils ne garantissaient pas aux acheteurs qu’ils pourraient se retourner contre elle en cas de défaut de paiement. C’est pour cela qu’il y a une différence fondamentale entre le statut de la Banque et celui du FMI du point de vue de l’immunité. La Banque n’en bénéficie pas car elle recourt aux services des banquiers et des marchés financiers en général. Aucun banquier ne ferait crédit à la Banque mondiale si elle bénéficiait de l’immunité. Par contre, le FMI peut disposer de l’immunité car il finance lui-même ses prêts à partir des quotes-parts versées par ses membres. Si l’immunité n’est pas accordée à la Banque mondiale, ce n’est pas pour des raisons humanitaires, c’est pour offrir des garanties aux bailleurs de fonds.
Il est donc parfaitement possible de porter plainte contre la Banque dans les nombreux pays (près de 100) où elle dispose de bureaux. C’est possible à Djakarta ou à Dili, capitale du Timor oriental, tout comme à Kinshasa, à Bruxelles, à Moscou ou à Washington car la Banque dispose d’une représentation dans ces pays et dans bien d’autres.
Une précision importante : aucune institution, aucun sujet de droit international et aucun individu ne bénéficie d’immunité s’il est impliqué dans des crimes contre l’humanité. En plus, dans ce cas, il n’y a pas de prescription. Au motif de crimes contre l’humanité, le FMI, la Banque mondiale sont justiciables.
Pourquoi porter plainte ?
Depuis que la Banque mondiale octroie des prêts [54], une très grande quantité d’entre eux a servi à mener des politiques qui ont porté préjudice à des centaines de millions de citoyens. Qu’entend-t-on par là ? La Banque a systématiquement privilégié les prêts pour de grandes infrastructures telles les grands barrages [55], les investissements dans les industries extractives de matières premières (par exemple, les mines à ciel ouvert, la construction de nombreux pipe-lines - derniers en date : Tchad-Cameroun et Bakou-Tbilissi-Ceyhan [56]), des politiques agricoles favorisant le « tout à l’exportation » au prix de l’abandon de la sécurité et de la souveraineté alimentaires, la construction de centrales thermiques, grandes consommatrices de forêts tropicales.
Par ailleurs, la Banque mondiale est venue en aide en de très nombreuses occasions à des régimes dictatoriaux, responsables avérés de crimes contre l’humanité : les dictatures du Cône Sud de l’Amérique latine des années 60 aux années 80, de nombreuses dictatures en Afrique (Mobutu de 1965 à sa chute en 1997, le régime d’apartheid en Afrique du Sud), des régimes de l’ancien bloc soviétique tels la dictature de Ceaucescu en Roumanie, les dictatures d’Asie du Sud-Est et d’Extrême-Orient telles celle de Marcos de 1972 à 1986 aux Philippines, de Suharto de 1965 à 1998 en Indonésie, des régimes dictatoriaux de Corée du Sud (1961-1981), de Thaïlande (1966-1988), jusqu’à la dictature chinoise aujourd’hui.
Complémentairement, la Banque a contribué avec d’autres acteurs à déstabiliser systématiquement des gouvernements progressistes et démocratiques en leur supprimant toute aide : le gouvernement de Soekarno en Indonésie jusqu’à son renversement en 1965, le gouvernement de Jocelino Kubitchek (1956-1960) puis celui de Joao Goulart (1961-1964) au Brésil finalement renversé par un coup d’état militaire, le gouvernement de Salvador Allende (1970-1973) au Chili...
N’oublions pas les prêts que la Banque a octroyés aux métropoles coloniales (Belgique, Grande-Bretagne, France...) pour l’exploitation des ressources naturelles des pays qu’elles dominaient jusqu’aux années 1960 et qui se sont ajoutés ensuite à la dette extérieure des États dès leur indépendance. Par exemple, la fin des remboursements de la dette contractée par la Belgique au nom du Congo belge a dû être assumée par le Congo indépendant. Il en va de même pour le Kenya, l’Ouganda, le Nigeria, le Gabon, la Mauritanie, l’Algérie, la Somalie pour des dettes contractées par les gouvernants des puissances coloniales.
Il faut encore mentionner les prêts d’ajustement structurel octroyés par la Banque depuis les années 1980. Ces prêts ne sont pas destinés à des projets économiques précis : ils visent à permettre la réalisation des politiques globales dont la finalité est l’ouverture totale des économies des pays « bénéficiaires » aux investissements et aux importations en provenance principalement des principaux actionnaires de la Banque. La Banque soutient ainsi une politique de dénationalisation des pays assistés au bénéfice des intérêts d‘une partie de ses membres, une poignée de puissances industrielles dont les choix s’imposent à la majorité des habitants et des pays de la planète. Le caractère nocif, tant des remèdes structurels que des remèdes de choc, a été démontré dans les multiples crises qui se sont succédées à partir de la crise « tequila » qui a frappé le Mexique en 1994. Les nouvelles priorités de la Banque telles la privatisation de l’eau, de la terre, combinées à son refus récent de mettre en application les recommandations de la commission indépendante des industries extractives, montrent clairement que l’orientation de la Banque ne s’améliore pas et que de nouvelles catastrophes sociales sont en cours et en préparation. Bref, de puissants tsunamis provoqués par l’intervention cataclysmique de la Banque mondiale !
Qui peut porter plainte ?
On peut imaginer que des associations représentant les intérêts des personnes affectées par les prêts de la Banque mondiale et/ou par le soutien de celle-ci à des régimes dictatoriaux se constituent partie civile et portent plainte devant des tribunaux nationaux contre la Banque. On peut imaginer aussi que des détenteurs de titres de la Banque - il n’y a pas que des banquiers, il y a aussi des syndicats - portent plainte contre celle-ci pour l’usage qu’elle fait de l’argent qu’ils lui ont prêté. Le résultat positif des poursuites n’est pas garanti mais on ne voit pas pourquoi des associations de citoyens n’utiliseraient pas leur droit pour obtenir que la Banque rende compte de ses actes. Il est inconcevable que le caractère néfaste d’une institution comme la Banque ne soit pas un jour sanctionné par des décisions de justice.
Pourquoi de telles procédures n’ont elles encore jamais été entamées ?
La disposition de la charte de la Banque mondiale (article VII section 8) qui octroie l’immunité aux dirigeants et aux fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction a occulté la possibilité de porté plainte contre la Banque en tant que personne morale (article VII section 3, voir note 1 du présent texte). Or, il est plus important de pouvoir exiger des comptes de la Banque en tant qu’institution que de s’en prendre uniquement à des exécutants. On peut également ajouter que selon la même disposition (article VII section 8), la Banque peut de son propre chef lever l’immunité dont bénéficient ses dirigeants et ses fonctionnaires. On peut également imaginer porter plainte contre des hauts dirigeants de la banque une fois qu’ils ont quitté leur fonction.
Un autre élément pour expliquer l’absence de poursuites à l’égard de la Banque réside dans le fait qu’on a mis beaucoup trop de temps à se rendre compte du caractère systématique et généralisé des pratiques répréhensibles de la Banque. Souvent, elle n’apparaît pas au tout premier plan car ce sont les gouvernements nationaux qui assument aux yeux de leurs citoyens les politiques exigées par la Banque mondiale.
La Convention des Nations unies de 1947 n’accorde-t-elle pas l’entière immunité aux agences spécialisées de l’ONU dont la Banque mondiale fait partie ?
Une convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des nations unies [57] a été approuvée par l’Assemblée générale le 21 novembre 1947. L’article 10 de la Convention, section 37, qui concerne les annexes et l’application de la Convention à chaque institution spécialisée, précise que la Convention « deviendra applicable à une institution spécialisée lorsque celle-ci aura transmis au secrétaire général des Nations unies le texte final de l’annexe qui la concerne et lui aura notifié son acceptation des clauses standard modifiées par l’annexe... ». La Banque a renvoyé sa copie.
L’annexe VI concerne la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (la Banque mondiale donc). Et que voit-on ? La Banque a en fait introduit à cet endroit la partie de ses statuts qui précise dans quelles circonstances elle perd son immunité ! La Banque préfère donc au sein des Nations unies rester en concordance avec son statut de Banque plutôt que de profiter de l’immunité des agences onusiennes. Voici le texte en question : « La convention (y compris la présente Annexe) s’appliquera à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (ci-après désignée sous le nom de « la Banque »), sous réserve des dispositions suivantes : 1. Le texte suivant remplacera celui de la section 4 : « La Banque ne peut être poursuivie que devant un tribunal ayant juridiction sur les territoires d’un Etat membre où la Banque possède une succursale, où elle a nommé un agent en vue d’accepter des sommations ou avis de sommations, ou bien où elle a émis ou garanti des valeurs mobilières. » Etc.
Il est donc possible de traduire la Banque mondiale en justice en vertu de la Convention des Nations unies de 1947 et de ses annexes.
[1] La localité de Bretton Woods est située dans les montagnes du New Hampshire. La conférence internationale dura trois semaines. Cette rencontre internationale mise sur pied par le Président Franklin D. Roosevelt avait pour objectif d’établir les règles d’un nouvel ordre économique international pour l’après-guerre.
[2] Cité par Rich, Bruce. 1994. Mortgaging the Earth, Earthscan, Londres, p.54-55.
[3] Cité par George, Susan et Sabelli, Fabrizio. 1994. Crédits sans Frontières, p.31.
[4] Harry White avait rédigé dès 1942 à la demande du Trésor des Etats-Unis une proposition de nouvelle architecture financière et monétaire internationale (voir Aglietta et Moatti, Le FMI. De l’ordre monétaire aux désordres financiers, Ed. Economica, Paris, 2000, p.10 à 24).
[5] Cité par George Susan et Sabelli Fabrizio, Idem, p.39.
[6] Cité par George Susan et Sabelli Fabrizio, Ibid., p.40.
[7] Souligné par l’auteur. Ce point est très important pour l’analyse du rôle du FMI, tant officiel qu’officieux.
[8] L’assistance technique, elle porte sur les finances publiques, la politique monétaire et les statistiques.
[9] Rien qu’aux Etats-Unis, parmi les économistes très critiques à l’égard du FMI, on peut citer : J. Stiglitz, J. Sachs, Allan Meltzer, Jeremy Bullow, la commission Meltzer en tant que telle, Paul Krugman... En France : l’ex-député Yves Tavernier, rapporteur de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale française sur les activités et le contrôle du FMI et de la Banque mondiale en 2000 et 2001. Sans parler des experts de l’ONU chargés d’analyser les politiques du FMI pour la sous-commission des droits de l’homme (voir plus loin les chapitres sur l’ajustement structurel).
[10] A noter que les droits de vote de la Chine ont diminué par rapport au moment de la création du FMI. Cela confirme l’importance du facteur politique et géostratégique. A l’issue de la seconde guerre mondiale, la Chine était alliée aux Etats-Unis et occupait une place géostratégique entre le Japon (puissance de l’axe et à la tête d’un empire) et l’Union soviétique (allié dont les Etats-Unis et la Grande Bretagne se méfiaient). Le changement de régime en Chine en 1949 l’a placé dans le camp des ennemis dans le cadre de la guerre froide.
[11] Le poids de l’Inde a également diminué. A la conférence de Bretton Woods, elle faisait partie de l’Empire britannique. L’orientation prise par Nehru (et Gandhi) avec l’indépendance de l’Inde à partir de 1947 a modifié les données.
[12] Aglietta, Michel, et Moatti, Sandra. 2000. Le FMI. De l’ordre monétaire aux désordres financiers, Ed. Economica, Paris, 255 p.
[13] Aglietta, Michel, et Moatti, Sandra. 2000. Idem, p.46-47
[14] Aglietta et Moatti, Ibid., p.26
[15] Aglietta et Moatti, Ibid., p.188
[16] Aglietta et Moatti, Ibid., p.67-68
[17] Aglietta et Moatti, Ibid., p.69
[18] Aglietta et Moatti, Ibid., p.63-64
[19] Aglietta et Moatti, Ibid., p.66
[20] La définition de la majorité requise a été modifiée dans les années 1980 à cause de l’évolution du nombre et du poids des nouveaux membres, de façon à garantir aux Etats-Unis un droit de veto quelle que soit l’évolution de l’institution. Lors de la fondation de la Banque mondiale, la majorité requise était de 80%, les Etats-Unis disposaient de 37,20 % des voix. A partir de 1989, lorsque le quota des Etats-Unis est passé en dessous de 20%, la majorité a été portée à 85%.
[21] Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p. 503-510
[22] ONU-CDH, Droits économiques, sociaux et culturels, Droits de l’homme et extrême pauvreté, Rapport établi par l’experte indépendante Anne-Marie Lizin, E/CN.4/2004/43, 23 février 2004, § 48.
[23] CIJ, Recueil, 1970 et CIJ, Recueil, 1996
[24] David E, « Conclusions de l’atelier juridique : les institutions financières internationales et le droit international », Les institutions financières internationales et le droit international, ULB, Bruylant, Bruxelles, 1999, § 2.
[25] Idem, § 4.
[26] PEEMANS, Jean-Philippe (2002). Le développement des peuples face à la modernisation du monde, Louvain-la-Neuve/Paris, Academia Bruylant/L’Harmattan, 2002, p. 349
[27] Angulo Sanchez, Nicolas. 2005. El Derecho Humano al Desarollo frente a la mundialización del Mercado, p. 145
[28] Benchikh M, Charvin R., Demichel F., Introduction critique au Droit international public, Collection Critique du droit, Presse Universitaires de Lyon, 1986, p. 12
[29] ONU-CDH, Allègement de la dette et investissement local : coordination entre l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés ( PPTE), Rapport commun de Ronaldo Figueredo (Rapporteur spécial) et de Fantu Cheru, (Expert indépendant), 14 janvier 2000, E/CN.4/2000/51, paragraphe 1.
[30] Idem., paragraphe 5.
[31] Notamment, l’appauvrissement massif de couches entières des populations des pays du Tiers Monde. Rappelons que la pauvreté est considérée « ... comme étant un état de déni, voire de violation, des droits de l’homme ». Cf., ONU-CDH, Mise en œuvre du droit au développement dans le contexte mondial actuel. Examen du sixième rapport de l’Expert indépendant sur le Droit au développement, E/CN.4/2004.18/4, 17 février 2004, paragraphe 12.
[32] ONU-CDH, Effets des politiques d’ajustement structurel sur la jouissance effective des droits de l’homme, Rapport de l’Expert indépendant Fantu Cheru, E/CN.4/1999/50, paragraphe 31.
[33] Consecuencias de las políticas de ajuste económico originadas por la deuda externa en el goce efectivo de los derechos humanos y, especialmente, en la aplicación de la Declaración sobre el derecho al desarrollo, Resolución de la Comisión de Derechos Humanos 1999/22.
[34] La violation massive et constante des droits économiques, sociaux et culturels est indissociable de l’ensemble des droits humains parce que leur violation est accompagnée normalement par les violations graves des droits civils et politiques. Cf. Fierens, Jacques, « La violation des droits civils et politiques comme conséquence de la violation des droits économiques, sociaux et culturels », Institutions financières, l’exception aux droits humains, Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles, décembre 1998, Revue belge de droit international, 1991-1.
[35] ONU-CDH, Effets des politiques d’ajustement structurel et de la dette extérieure sur la jouissance effective de tous les droits humains, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, E/CN.4/2003/10, par., 42.
[36] L’indifférence et même le cynisme sont bien exprimés dans cette phrase prononcée durant la réunion de l’expert indépendant avec des responsables du FMI : « ...pour le FMI, bloquer un programme en raison de violations des droits de l’homme n’était pas judicieux ». ONU-CDH, Quatrième Rapport de l’Expert indépendant Arjun Sengupta, E/CN.4/2002/WG.18/2/Add. 1, 5 mars 2002, par.21
[37] ONU-CDH, Effets des politiques d’ajustement structurel sur la jouissance effective des droits de l’homme, Rapport de l’Expert indépendant Fantu Cheru, E/CN.4/1999/50, par. 28-30
[38] Teitelbaum les qualifie d’ « instruments et mandataires des grandes puissances et du grand capital... ». Voir Teitelbaum A., El Papel de las sociedades transnacionales en el mundo contemporàneo, AAJ, Producciones Gràficas, Buenos Aires, 2003, p. 104
[39] Pour la Banque mondiale, tout le problème du sous-développement et de la pauvreté se réduit pratiquement au fait que les pouvoirs publics interviennent trop dans le social et dans l’économie, entravant souvent l’action et les activités du secteur privé. Ainsi, le Président de la Banque mondiale, dans un document portant le titre de Développement du secteur privé, confirme qu’« une croissance entraînée par le secteur privé est essentielle à un développement durable et à la réduction de la pauvreté ». Sans commentaires. Note du Président de la Banque mondiale, 28 septembre 2004. Non souligné dans le document.
[40] AG/ONU, Questions relatives aux droits de l’homme : questions relatives aux droits de l’homme, y compris les divers moyens de mieux assurer l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La mondialisation et son incidence sur le plein exercice des droits de l’homme, Rapport du Secrétaire général, 7.08.2003, par. 16-17
[41] Responsabiliser les seuls Etats revient dans la pratique « ... à tenir pour responsables des entités d’exécution tandis que les principales institutions qui président à l’adoption de ces politiques jouissent de l’impunité... ». Cf. ONU-CDH, La mondialisation et ses effets sur la pleine jouissance des droits de l’homme, E/CN.4/Su.2/2003/14, par. 37. Non souligné dans le document.
[42] Voir, Ridruejo, J.A.P., Cours général de Droit international public, Recueil des Cours de l’Académie de Droit international (RCADI), 1998, tome 274, p. 193-198
[43] Cf. CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies (Affaire Bernadotte), Recueil, 1949, p. 174
[44] Verhoeven J., Droit international public, Précis de la Faculté de Droit de l’UCL, Larcier, Bruxelles, 2000, p. 205
[45] Combacau J., Sur S., Droit international public, Montchrestien, Paris, 1995, deuxième édit., p. 731-732
[46] E/CN.4/Su.2/2003/14,par. 37
[47] Dupuy, P.M., Droit international public, Dalloz, Paris, 1995, troisième édit., p. 115
[48] Massiah, Gustave in Cetim. 2005. ONU. Droits pour tous ou loi du plus fort ?, p. 404-405
[49] Idem, p. 16
[50] La décennie des années 1980 est vraiment paradoxale car elle voit naître un merveilleux instrument potentiel de droit au niveau planétaire avec l’adoption de cette déclaration sur le Droit au Développement. Elle est aussi une des décennies les plus négatives du point de vue des droits humains et du développement en conséquence de l’explosion de la crise de la dette, de la détérioration des termes de l’échange commercial, de la montée des inégalités entre les pays du Centre et ceux de la Périphérie, et à l’intérieur de chaque pays.
[51] Angulo Sanchez, Nicolas. 2005. El Derecho Humano al Desarollo frente a la mundialización del Mercado, p. 36-37
[52] Angulo Sanchez, Nicolas. 2005. El Derecho Humano al Desarollo frente a la mundialización del Mercado, p. 288
[53] Section 3 de l’article VII : « La Banque ne peut être poursuivie que devant un tribunal ayant juridiction d’un état membre où elle possède un bureau, a désigné un agent chargé de recevoir les significations ou notification de sommations ou a émis ou garanti des titres ».
”Actions may be brought against the Bank only in a court of competent jurisdiction in the territories of a member in which the Bank has an office, has appointed an agent for the purpose of accepting service or notice of process, or has issued or guaranteed securities.”
[54] Le premier prêt remonte à 1947.
[55] Selon, le rapport de la Commission sur les grands barrages, 60 à 80 millions de personnes ont été déplacées suite à la construction des grands barrages. Dans un grand nombre de cas, les droits de ces personnes en termes d’indemnisation et de réinstallation n’ont pas été respectés.
[56] Selon le rapport de la Commission sur les industries extractives rendu public en décembre 2003, une grande partie des projets financés par la Banque mondiale ont eu des effets négatifs pour les populations et les pays concernés.
[57] Dans l’Article 1er de la Convention intitulé « Définitions et champ d’application », Section 1, les institutions spécialisées qui sont nommément citées sont les suivantes : l’Organisation internationale du travail ; l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ; l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ; l’Organisation de l’aviation civile internationale ; le Fonds monétaire international ; la Banque internationale pour la reconstruction et la mise en valeur ; l’Organisation mondiale de la santé ; l’Union postale universelle ; l’Union internationale des télécommunications.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Avocat, chercheur au CADTM, Licence Spéciale en Droit International et Droit Européen, Maîtrise en Droit International et Droit Européen, Doctorat en Droit International (Droit des Relations économiques et commerciales internationales).