Après des mois de batailles et de débats parlementaires, et grâce à la pression des organisations sociales et de santé, une étape importante a été franchie le 20 mai dans la lutte mondiale pour lever les barrières des brevets et faire des vaccins un bien commun, universellement accessible. Le Parlement européen a adopté une résolution visant à « accélérer les progrès et à lutter contre les inégalités pour mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030 », qui comprenait un amendement visant à soutenir « l’initiative de l’Inde et de l’Afrique du Sud auprès de l’Organisation mondiale du commerce en vue d’une exemption temporaire des droits de propriété intellectuelle pour les vaccins, les équipements et les traitements Covid-19, et exhortant les sociétés pharmaceutiques à partager leurs connaissances et leurs données par le biais du pool d’accès aux technologies Covid-19 (C-TAPS) de l’Organisation mondiale de la santé ».
Malgré la pression des lobbies pharmaceutiques, l’amendement est passé avec 293 voix pour et 284 contre. Pour la première fois, un texte approuvé par la plénière du Parlement européen demande officiellement au Conseil et à la Commission de cesser de défendre les profits des grandes entreprises pharmaceutiques au détriment de la vie des gens.
Il faut dénoncer le fait que, trois semaines plus tard, la Commission européenne a décidé de ne pas tenir compte du vote et a, au sein de l’OMC qui se réunissait les 8 et 9 juin 2021, bloqué une fois de plus la suspension des brevets. Elle a suivi en cela les pressions de l’industrie pharmaceutiques qui constitue un groupe de pression très puissant.
Nous avons interviewé Miguel Urbán, député européen d’Anticapitalistas (État espagnol) et membre du groupe parlementaire La Gauche au Parlement européen, qui a mené l’inclusion de cet amendement en tant que coordinateur du groupe La Gauche au sein de la Commission parlementaire du développement -DEV-.
Qu’a apporté l’adoption de ce texte ?
Pour la première fois, un texte adopté par le Parlement en séance plénière demande à l’UE de soutenir, dans le cadre de l’OMC, la proposition de l’Inde, de l’Afrique du Sud et de 100 autres pays du Sud de suspendre temporairement les brevets privés sur les vaccins, traitements et médicaments nécessaires à la lutte contre la pandémie de coronavirus.
Qu’est-ce que cela signifie pour le Conseil et la Commission que le Parlement européen ait approuvé cet amendement pour la suspension des brevets sur les vaccins et les médicaments Covid-9 ? Comment cela peut-il influencer le débat mondial sur la suspension des brevets ?
Comme on le sait, le Parlement européen (PE) n’a pas de pouvoir d’initiative législative propre. Sa capacité est limitée à l’approbation ou au rejet des propositions émanant du Conseil ou de la Commission. Les résolutions du PE sont des avis non contraignants que les autres institutions sont censées prendre en compte. Cela en dit long sur la nature démocratique limitée de l’UE. Cependant, le fait qu’il existe pour la première fois un texte qui fait référence à une suspension des brevets met la pression sur l’UE, même si elle n’est ni contraignante ni obligatoire. Par exemple, le lendemain de l’adoption de ce texte, le président du PE, M. Sassoli, a lui-même évoqué la question des brevets lors du dernier sommet de haut niveau sur la santé à Rome. Évidemment pas avec l’approche que nous souhaiterions, mais c’est un premier pas qui n’est possible que grâce au fait qu’il existe un texte qui inclut l’amendement que nous avons déposé.
Quels ont été les principaux obstacles et le soutien que vous avez rencontrés pour faire passer cet amendement ?
Nous avions déjà essayé de présenter le même amendement à des occasions précédentes et la grande coalition néolibérale et les groupes de droite ont été responsables de son rejet. À cette occasion, deux éléments ont été réunis. Tout d’abord, la récente annonce de l’administration Biden allant dans le même sens, qui a été discutée au Parlement la même semaine et qui a créé un cadre géopolitique favorable. Deuxièmement, il s’agissait d’un rapport sur les inégalités causées par le SIDA, qui est un autre sujet sensible auquel il est difficile de s’opposer. Tout cela a entraîné un nombre exceptionnel d’abstentions, ce qui a permis d’obtenir une majorité avec moins de voix que d’habitude. Tant la droite que les lobbies pharmaceutiques ont essayé jusqu’au dernier moment de renverser d’abord l’amendement, puis le texte final qui l’intégrait une fois approuvé. Mais heureusement, ils n’ont pas réussi.
Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans l’ensemble du mouvement populaire organisé par et depuis les pays du Sud qui, depuis des mois, parient sur l’avancée du droit universel à la santé. Il n’y a pas de gouvernements ou de députés courageux, ce qui existe ce sont des pôles organisés qui luttent et poussent au progrès pour les majorités sociales. La clé est de savoir articuler ces sphères, sociales et institutionnelles, en ayant un pied dans les institutions et des milliers dans la rue.
Traduit par Eric Toussaint
Député européen pour Anticapitalistas et membre du groupe parlementaire The Left au Parlement européen.
Permanente au CADTM Belgique