Aussi surprenant que cela puisse paraitre, aucune instance ou organe international représentatif n’existe actuellement pour régler spécifiquement les questions relatives aux règlements des dettes souveraines, tant intérieures qu’extérieures. A ce jour, bien qu’ils n’en ont ni spécifiquement le mandat et/ou la légitimité pour le faire, la délicate question de la restructuration des dettes souveraines est confiée à des espaces ô combien discutables représentés par le G7, le G20, le couple Fonds monétaire international/Banque mondiale, et les Clubs informels dit de Paris et de Londres. Lorsqu’un un État rencontre des difficultés à procéder au remboursement de sa dette, bien souvent, il s’adresse à un ou plusieurs de ces acteurs pour y remédier.
Dans cette nouvelle série intitulée « Les limites d’un mécanisme international de restructuration des dettes souveraines et les alternatives possibles », nous dresserons tout d’abord l’état des lieux historique et actuel. Les trois prochaines parties à paraître traiteront quant à elle de la gestion de crise Covid-19 par les créanciers, des principes et limites d’un mécanisme international de restructuration des dettes souveraines et des alternatives à celui-ci.
Aussi surprenant que cela puisse paraitre, aucune instance ou organe international représentatif n’existe actuellement pour régler spécifiquement les questions relatives aux règlements des dettes souveraines, tant intérieures qu’extérieures. A ce jour, bien qu’ils n’en ont ni spécifiquement le mandat et/ou la légitimité pour le faire, la délicate question de la restructuration des dettes souveraines est confiée à des espaces ô combien discutables représentés par le G7, le G20, le couple Fonds monétaire international/Banque mondiale, et les Clubs informels dit de Paris et de Londres. Lorsqu’un un État rencontre des difficultés à procéder au remboursement de sa dette, bien souvent, il s’adresse à un ou plusieurs de ces acteurs pour y remédier.
A ce jour, bien qu’ils n’en ont ni spécifiquement le mandat et/ou la légitimité pour le faire, la délicate question de la restructuration des dettes souveraines est confiée à des espaces ô combien discutables représentés par le G7, le G20, le couple Fonds monétaire international/Banque mondiale, et les Clubs informels dit de Paris et de Londres
Avec la crise de la dette qui impacte nombre de pays du Sud depuis 2015, son accélération spectaculaire consécutive aux effets collatéraux de la pandémie de Covid-19, et le poids toujours plus important de « nouveaux » créanciers (Chine, pays du Golfe, créanciers privés), le débat pour la création d’un mécanisme international de restructuration des dettes souveraines sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) a ressurgi. En 2014, au cours d’une déclaration intitulée « Vers un nouvel ordre mondial pour bien vivre », le G77 s’est positionné en faveur de l’instauration d’un mécanisme international onusien de résolution des dettes. Constitué de 134 pays du Sud Global représenté au sein de l’ONU, le G77 a rappelé la nécessité de créer un espace à la fois équitable et indépendant. Il a également soulevé l’inadéquation des cadres d’analyse de viabilité de la dette définis par le Fonds monétaire international (FMI) et soutenu par le Club de Paris, tout en rappelant que ces dernières sont tenues de prendre en compte les objectifs de développement. En arguant l’importance de la coordination des créanciers et de l’impartialité, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) s’est prononcée en faveur d’un tel mécanisme dès les années 1980. Elle a réitéré cette volonté en publiant en 2015 un guide sur la gestion des dettes souveraines intitulé « Sovereign Debt Workouts : Going Forward - Roadmap and Guide ». Depuis deux décennies, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) travaillant sur la dette des pays du Sud Global comme Eurodad, Afrodad, Oxfam ou Jubilee Debt Campaign, se sont également positionnées en ce sens.
Le débat n’a d’ailleurs rien de nouveau. Dès 1933 lors de la conférence panaméricaine de Montevideo, une première proposition pour la création d’un mécanisme de restructuration des dettes souveraines est faite. 6 ans plus tard, la proposition émane cette fois-ci de la Société des Nations (SDN). Elle a même fait l’objet de nombreux débats lors de la création des institutions de Bretton Woods en 1944. En 2003, Anne Krueger alors directrice adjointe du FMI plaide en ce sens également. En vain, toujours. A chaque fois les créanciers présentent les mêmes arguments : une diminution de leur pouvoir d’influence, atteinte à leur droit de propriété et au secret des affaires.
Mais au-delà de la réticence des créanciers et des nombreux autres obstacles à franchir, la création d’un tel mécanisme sous l’égide de l’ONU répondrait-elle réellement aux besoins des pays et des populations du Sud global ? Ceux qui plaident pour sa création défendent avant tout la nécessité pour les pays du Sud de pouvoir bénéficier d’un cadre institutionnel démocratique indépendant des créanciers et des débiteurs. Malgré l’utilité reconnue de son action, l’ONU reste-t-elle pour autant exempt de toutes tentatives d’influences ou de corruption, est-elle véritablement indépendante et impartiale ? Sans oublier que Banque mondiale et FMI font également parties de l’ONU. Parmi les autres arguments avancés, la nécessité de faire la transparence sur la dette, tant au niveau de sa composition qu’au niveau des négociations entre le pays débiteur et les différents créanciers. Mais un tel mécanisme permettrait-il de contraindre les créanciers privés à participer ? Enfin, malgré le poids de la dette intérieure due notamment aux transferts illégitimes de dettes privées, le mécanisme ne s’intéresserait qu’à la dette extérieure publique.
Si un mécanisme de restructuration des dettes souveraines sous l’égide de l’ONU pourrait constituer une réelle avancée en comparaison des espaces actuels, il reste très hypothétique
Si un mécanisme de restructuration des dettes souveraines sous l’égide de l’ONU pourrait constituer une réelle avancée en comparaison des espaces actuels, il reste très hypothétique, tant par ses limites que par la complexité du processus à engager en vue de l’adoption d’un Traité international avalisant sa création. Surtout, il fait fi de la souveraineté des États et du droit à l’autodétermination des peuples. D’autres solutions existent, moins compliquées, moins onéreuses, et non moins légitimes, parmi lesquelles l’instauration d’un moratoire avec gel des intérêts et la création d’un comité d’audit avec participation citoyenne visant à annuler ou répudier les dettes illégitimes au regard du droit international et des dispositions légales nationales.
La restructuration des dettes souveraines n’est pas un phénomène nouveau. Entre 1800 et 1945, l’histoire internationale relève 127 cessations de paiement [1] tandis que l’Amérique latine traverse trois crises de la dette [2]. En l’absence de mécanisme institutionnel international de restructuration, les dettes étaient alors exclusivement renégociées au niveau bilatéral selon des conditions rarement favorables aux débiteurs sur le plan économique ou politique (traités commerciaux, concessions portuaires ou territoriales) [3]. A une période où les grandes puissances de l’époque étaient engagées dans leur politique impérialiste [4], ils n’étaient alors pas rare que ces pays recourent à la force pour obliger les débiteurs à honorer leur dette dans ce que l’on appelait alors la « politique de la canonnière » [5].
A une période où les grandes puissances de l’époque étaient engagées dans leur politique impérialiste, ils n’étaient alors pas rare que ces pays recourent à la force pour obliger les débiteurs à honorer leur dette dans ce que l’on appelait alors la politique de la canonnière
Pour mettre fin à de tels actes de barbarie en matière de recouvrement des dettes, la convention Drago-Porter fut signée en 1907 lors de la Conférence de La Haye. Elle introduit pour la première fois la nécessité de procéder à un arbitrage pour résoudre ce type de conflit financier [6]. Dès lors, la question de la création d’une instance internationale prévue à cet effet fut plusieurs fois soulevée. En 1939, la Société des Nations (SDN), ancêtre des Nations unies, tenta de mettre en place un Tribunal international des Emprunts. Lors des discussions qui précédèrent la création du FMI en 1944, plusieurs portèrent sur l’opportunité d’intégrer la gestion des restructurations de dettes souveraines dans les missions du Fonds [7]. Ces deux options furent toutefois écartées par les principaux États créanciers, au motif qu’une institution multilatérale aurait entravé leur capacité de renégocier librement et informellement [8]. Nous touchons là à un point central de la dette. Pour les créanciers la dette est un puissant outil de domination politique et économique.
Depuis, d’autres propositions ont surgi. Le G77 s’est prononcé par deux fois en faveur de la création d’une Commission internationale de la dette en 1979, puis en 2014 pour un Mécanisme international onusien de résolution des dettes. Du côté de la société civile et des intellectuels les suggestions sont toutes aussi nombreuses, création d’une Chambre d’arbitrage des dettes souveraines à la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, d’un Tribunal international d’arbitrage de la dette, d’un Tribunal ad hoc [9] et plus précisément encore en 2019 via le réseau Eurodad toujours en faveur d’un mécanisme international [10]. En 2015, l’ONU elle-même a argué en ce sens [11], proposition appuyée quelques mois plus tard par la CNUCED dans un document intitulé « Sovereign Debt Workouts : Going Forward – Roadmap and Guide” [12]. Faute de volonté politique de la part des grands créanciers, ces demandes sont restées lettre morte.
En 2001, la proposition la plus étonnante, par sa provenance, est faite par Anne Krueger, alors directrice générale adjointe du FMI, en faveur d’un mécanisme de restructuration des dettes souveraines
En 2001, la proposition la plus étonnante, par sa provenance, est faite par Anne Krueger, alors directrice générale adjointe du FMI, en faveur d’un mécanisme de restructuration des dettes souveraines (Sovereign Debt Restructuring Mechanism - SDRM). Plus habitués à être renfloués par les créanciers officiels (bilatéraux et multilatéraux) lorsqu’un ou plusieurs pays rencontrent des difficultés à rembourser leur dette souveraine, les créanciers privés ont rapidement signifié leur désapprobation auprès de John Taylor, sous-secrétaire international du Ministère de l’Économie étasunien. Convaincu qu’ils avaient plus à gagner à élargir les Clauses d’action collective (CAC) [13], le Trésor s’est opposé en interne à la création d’un SDRM. Toujours aussi perméable aux intérêts des États-Unis [14], le FMI a alors tué la proposition dans l’œuf, promettant que l’on ne l’y reprendrait plus.
3.1 Le Fonds monétaire international
Créé en 1944 en parallèle de la Banque mondiale, le FMI a pour mission première d’assurer la stabilité financière mondiale en réglementant la circulation des capitaux. Il a également pour fonction de prévenir et d’assurer la gestion des crises monétaires et financières. Il fournit ainsi des crédits aux pays qui sont confrontés à une crise de balance des paiements en leur octroyant des prêts conditionnés à l’application d’un ensemble de mesures économiques. En 2021, 190 pays en étaient membre. Chaque membre détient une quote-part qui détermine ses droits de vote au sein du FMI. Les pays du G7 en détiennent à eux seuls 43,29 % dont 16,50 % pour les États-Unis, lui octroyant par la même un droit de veto sur toutes les grandes décisions prises au sein du Fonds [15]. En parallèle les pays du Sud pâtissent d’une sous-représentation structurelle [16].
Si le FMI ne représente pas à lui seul un organe de restructuration des dettes, il n’en reste pas moins un acteur incontournable dans tous les espaces traitant ces questions
Et si le FMI ne représente pas à lui seul un organe de restructuration des dettes, il n’en reste pas moins un acteur incontournable dans tous les espaces traitant ces questions. Club de Paris, Club de Londres, IIF, G7 ou G20 (voir 3.2 et 3.3), tous confèrent au FMI un rôle d’intermédiaire entre créanciers et débiteur. Il réalise les évaluations financières des pays en difficulté. Il juge de la soutenabilité de la dette du pays dans un cadre restrictif, évaluant uniquement la capacité à rembourser auprès des créanciers la dette à court terme. Il a un rôle clé à chaque étape des négociations et la signature d’un accord avec le FMI est en règle générale un préalable à toute négociation. C’est enfin lui qui garantit le suivi des conditionnalités adossées à la restructuration accordée.
Contrairement à ses obligations en tant qu’institution spécialisée officiellement liée à la Charte des Nations unies [17], le FMI a toujours pris de sérieuses distances avec le strict respect les droits humains. L’institution de Bretton Woods justifie cette posture par la « non-politisation » de ses activités et sa prétendue « neutralité » [18].
3.2 Le Club de Paris
Sans organe international représentatif de restructuration des dettes souveraines, et sans volonté politique qu’il y en ait du point de vue des grands créanciers, les dettes furent donc exclusivement « renégociées » dans des cadres bilatéraux entre pays créancier et pays débiteur, entre pays impérialiste et pays colonisé jusqu’à la moitié du XXe siècle. Il va sans dire qu’au travers des pressions économiques, politiques et militaires exercées par les créanciers, la possibilité de renégocier sa dette et de parvenir à un accord équitable, ou même acceptable, était loin d’être garantie pour le pays débiteur. Seule exception à la règle, lorsque les créanciers rencontrèrent un intérêt géopolitique majeur, à l’image de l’accord de Londres de 1953 obtenu par l’Allemagne défaite lors de la Seconde Guerre mondiale [19].
C’est à partir de 1956 que l’on voit naître, presque par hasard, un véritable premier espace multipartite de restructuration des dettes souveraines. Après le renversement du président argentin Juan Domingo Perón (1946-1955) par un coup d’État militaire, l’État argentin souhaite s’intégrer dans les grandes instances internationales et désire rejoindre les rangs de la Banque mondiale et du FMI. Comme il est de coutume avec ces deux institutions, l’exigence sera de régler au préalable le contentieux autour du remboursement de sa dette extérieure. Sur invitation du ministre français de l’Économie, l’Argentine et les représentants de ses onze créanciers bilatéraux [20] se réunissent à Paris le 16 mai 1956. Satisfaits du cadre offert pour procéder à la renégociation, État français et créanciers réitèrent l’opération dans les années qui suivirent. Le Club de Paris était né.
Revendiquant son statut de « non-institution », le Club de Paris se définit comme un groupe informel de créanciers officiels. Son rôle est « d’assurer le recouvrement des créances officielles et la coordination des créanciers publics lors des restructurations de dettes ». Par sa qualité, il offre aux créanciers un espace leur permettant de se concerter afin de réfléchir à la meilleure stratégie à adopter pour éviter tout défaut de paiement du pays débiteur, et ce, selon une logique exclusivement financière. Pour cela, le Club peut compter sur la force dissuasive de ses membres, au nombre de 22 en 2021. Depuis sa création, il a toujours été composé des pays considérés comme étant les plus grandes puissances. G5, G6, G7 ou G8, tous sont membres du Club. Les liens entre ces deux groupes informels dépassent leur simple composition, puisque les différentes directives sur la thématique de la dette adoptées lors des sommets annuels du G7 ou du G20 sont directement suivies d’effets au sein du Club.
Concrètement, un pays endetté souhaitant renégocier sa dette publique se verra contraint d’en discuter avec le Club de Paris. Dans une position des plus inconfortables, le pays débiteur se retrouve face à une vingtaine des plus gros créanciers. A cela s’y ajoute la présence centrale du FMI. Toute demande est assujettie à la signature préalable d’un « accord » avec le Fonds. L’évaluation financière du débiteur est également réalisée par le FMI avec le concours des créanciers bilatéraux. Pour finir, la restructuration de la dette sera soumise à l’application stricte d’un plan d’ajustement structurel du FMI, bien connu des populations pour accroître pauvreté et inégalités au mépris des droits humains fondamentaux.
Plutôt méconnu, on doit au Club de Paris « l’initiative pays pauvre très endettée » (dite « Initiative PPTE ») préalablement présentée au sommet du G8 de Lyon et ensuite approuvée par le couple Banque mondiale/FMI en 1996. En 2020, c’est le quatuor Banque mondiale/FMI/G20/Club de Paris qui a mis sur pied « l’Initiative de suspension du service de la dette » (dite « ISSD »).
Les liens entre le Club de Paris et le G7 dépassent leur simple composition, puisque les différentes directives sur la thématique de la dette adoptées lors des sommets annuels du G7 ou du G20 sont directement suivies d’effets au sein du Club
Les critiques à l’encontre du Club de Paris sont nombreuses [21]. Sans existence légale, il n’a ni charte, ni personnalité juridique [22]. A l’image du G7 ou du G20, il s’agit d’un espace de régulation s’appuyant sur des accords de principes entre États plutôt que sur des règles de droit. Il n’a à ce titre « aucune légitimité » [23]. En plus des 22 États membres permanents, Banque mondiale, FMI et principaux créanciers (bilatéraux et multilatéraux) participent aux réunions de restructuration. Son fonctionnement ressemble à s’y méprendre à un cartel de créanciers. A la fois juges et parties, les créanciers brillent par une analyse exclusivement financière, par une aveuglante opacité dans leur délibération, par une partialité certaine dans les allègements de dette accordés [24] et par l’inefficacité de leur mesure (voir partie 2). Autre limite, les décisions du Club de Paris ne s’appliquent qu’aux créanciers bilatéraux. Se protégeant derrière un statut de « créancier privilégié », les créanciers multilatéraux ne participent pas à l’effort de restructuration. Au contraire, les rembourser est un préalable pour s’adresser au Club de Paris [25]. Quant aux créanciers privés, c’est aux pays endettés que revient la responsabilité de leur faire appliquer la « clause de comparabilité de traitement » (voir 3.3) [26].
Le Club de Paris n’en reste pas moins un acteur incontournable. Depuis sa création, il revendique pas moins de 477 renégociations, auprès de 101 pays différents pour un montant dépassant les 600 milliards de $US [27]. Largement décrié par les pays du Sud et les mouvements sociaux suite à sa gestion catastrophique de la crise de la dette des années 1980, le Club de Paris a été très largement boudé de 2000 à 2020. Mais fort du soutien constant de la Banque mondiale, du FMI du G7 et du G20, le Club a su saisir l’opportunité de la pandémie de Covid-19 pour revenir au premier plan…
3.3 Le Club de Londres et l’IIF
Sans les inclure directement, le Club de Paris n’en reste pas moins proche des créanciers privés et de leurs intérêts, créanciers réunis au sein du Club de Londres. Créé en 1976, cet autre Club rassemble les banques privées détenant des créances sur des États [28]. Défini également comme une non-institution, son rôle et son fonctionnement sont analogue à celui du Club de Paris [29]. Dans les années 1970, les banques de dépôt étaient devenues la principale source de crédit des pays en difficulté. Dès la fin de cette décennie, elles allouaient plus de 50 % du total des crédits accordés, tous prêteurs confondus. A compter du défaut de paiement du Mexique en 1982 et de la crise de la dette du Tiers monde, le Club de Londres se tourna vers le FMI pour trouver un soutien. Les contacts informels entre Club de Londres, Club de Paris et le FMI deviennent alors fréquents.
Avec le soutien du G20 et des institutions de Bretton Woods , la collaboration entre le Club de Paris et l’IIF s’est mise en place progressivement. Mais les bénéfices de cette collaboration profitent bien davantage aux créanciers privés qu’aux débiteurs
Avec la hausse du recours aux emprunts obligataires [30] consécutive à la progression du capitalisme financier, l’importance du Club de Londres a progressivement diminué, sans pour autant disparaître, au profit de l’Institute of International Finance (IIF). Créée en 1982, l’IIF revendique l’adhésion de près de 500 établissements financiers (banques, gestionnaires d’actifs, compagnies d’assurance, fonds souverains et des fonds spéculatifs) [31]. Avec le soutien du G20 et des institutions de Bretton Woods [32], la collaboration entre le Club de Paris et l’IIF s’est mise en place progressivement. Mais les bénéfices de cette collaboration profitent bien davantage aux créanciers privés qu’aux débiteurs.
Lorsqu’un ou plusieurs États se retrouvent en situation de défaut de paiement, s’opère alors une coordination entre les différents créanciers visant avant tout à transférer les créances détenues par les opérateurs privés vers les créanciers bilatéraux et multilatéraux.
Dans les années 1980, FMI, Banque mondiale et trésor étasunien sont ainsi venus en aide aux créanciers privés très largement exposés à la crise de la dette traversée par une série de pays du Sud, principalement en Amérique latine (Argentine, Brésil, Costa Rica, Équateur, Mexique, Uruguay et Venezuela). Ils mettent alors en place le plan Brady [33], qui consistait à un échange des créances bancaires contre des titres garantis par le Trésor étasunien. Alors que les créanciers privés détenaient 53 % de la dette extérieure publique des pays du Sud en 1980, cette part était retombée à 40 % en 2000 (voir partie 2).
Lorsqu’éclate ladite « crise des dettes souveraines » en Europe en 2010, un procédé similaire au plan Brady est appliqué pour Chypre, la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Aux côtés du FMI et de l’IIF, on retrouve cette fois-ci la Commission européenne et la Banque centrale européenne avec la création du Mécanisme européen de stabilité (MES).
[1] Reinhart Carmen M. et Rogoff Kenneth S., Cette fois, c’est différent : Huit siècles de folie financière, Les temps changent, p.112, 116-117, 2010.
[2] Éric Toussaint, Le Système dette, Histoire des répudiations de dette souveraine, Les Liens qui libèrent, 2017, p.21.
[3] Ibid.
[4] Voir notamment pour les États-Unis la doctrine Monroe ou plus largement la Conférence de Berlin relative au « partage de l’Afrique ».
[5] Dominique Carreau, « Le rééchelonnement de la dette extérieure des États », Journal de Droit international, Paris, 1985, p.8, in David Lawson, Le Club de Paris, Sortir de l’engrenage de la dette, L’Harmattan, octobre 2004, p.22.
[6] Éric Helleiner, “The mystery of the missing sovereign debt restructuring mechanism”, Contributions to Political Economy, 2008, 1-23, p.6.
[7] Ibid, p.9 et Oliver, Robert W., International Economic Co-operation and the World Bank, MacMillan Press, London, 1975, p. 157-159.
[8] Ibid.
[9] Jurgen Kaiser, « Resolving Sovereign Debt Crises, Towards a Fair and Transparent International Insolvency Framework”, Friedrich Ebert Stiftung, Octobre 2013, p.17-19. Disponible à : https://library.fes.de/pdf-files/iez/10263.pdf
[10] Eurodad, « Nous pouvons y arriver – Les principes de la société civile pour résoudre la question de la dette souveraine », septembre 2019. Disponible à : https://dette-developpement.org/IMG/pdf/debt_resolution_report_french_oct08.pdf
[11] Juan Pablo Bohoslavsky, “Towards a multilateral legal framework for debt restructuring : Six human rights benchmarks States should consider”, United Nations Human Rights, 26 janvier 2015. Disponible à : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Development/IEDebt/DebtRestructuring.pdf
[12] UNCTAD, “Sovereign Debt Workouts : Going Forward – Roadmap and Guide”, avril 2015. Disponible à : https://unctad.org/system/files/official-document/gdsddf2015misc1_en.pdf
[13] Recommandée par le G20 et le FMI pour résoudre le problème des fonds vautours, les CAC prévoient que l’État en difficulté financière soumet au vote de ses créanciers une proposition de restructuration de sa dette qui, si elle est acceptée par une majorité des créanciers, s’impose à l’ensemble des détenteurs des titres de la dette. Parmi les nombreuses limites des CAC, notons qu’elles ne s’appliquent qu’aux créanciers privés sans parvenir à contrer efficacement l’action des Fonds vautours. Voir notamment : « Fonds vautours : Limites et effets des clauses d’action collective », CADTM, 5 avril 2018. Disponible à : https://cadtm.org/Fonds-vautours-Limites-et-effets
[14] L’ABC du Fonds monétaire international (FMI), CADTM, 13 février 2020. Disponible à : https://www.cadtm.org/L-ABC-du-Fonds-monetaire-international-FMI
[15] Toutes les grandes décisions soumises à un vote nécessitent de rassembler au moins 85 % des quote-part. De fait, sans accord des États-Unis, aucun changement ne peut avoir lieu.
[16] « What are the main criticisms of the World Bank and the IMF ? », Bretton Woods Project, 4 juin 2019. Disponible à : https://www.brettonwoodsproject.org/2019/06/what-are-the-main-criticisms-of-the-world-bank-and-the-imf/
[17] « Le Comité [des droits économiques, sociaux et culturels] est pleinement conscient du fait que, dans le cas du FMI ou de la BIRD, les statuts établissant les organisations ont parfois été interprétés par ces dernières comme n’exigeant pas d’elles qu’elles tiennent compte des considérations relatives aux droits de l’homme dans leurs décisions. Le Comité ne souscrit pas à cette interprétation. […] En outre, en tant qu’institutions spécialisées des Nations Unies, le FMI et la BIRD sont tenus d’agir conformément aux principes énoncés dans la Charte des Nations Unies ». Nations unies, « La dette publique et les mesures d’austérité sous l’angle du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ». (PIDESC), Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/2016/1, 22 juillet 2016, p.4. Disponible à : https://undocs.org/fr/E/C.12/2016/1
[18] Éric Toussaint, « La Banque mondiale, le FMI et les droits humains », 25 octobre 2020. Disponible à : https://cadtm.org/La-Banque-mondiale-le-FMI-et-les-droits-humains
[19] Éric Toussaint, Hervé Nathan, « Le 27 février 1953 : les alliés désendettent l’Allemagne », 20 février 2015. Disponible à : https://www.cadtm.org/Le-27-fevrier-1953-les-allies-desendettent-l-Allemagne
[20] Les pays créanciers étaient l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. Voir site du Club de Paris. Disponible à : http://www.clubdeparis.org/fr/traitements/argentine-16-05-1956/fr
[21] Pour un détail complet du fonctionnement du Club de Paris, voir « Club de Paris. Comment sont restructurées les dettes souveraines et pourquoi une alternative et nécessaire », PFDD, mars 2020. Disponible à : https://dette-developpement.org/IMG/pdf/club_de_paris.pdf
[22] Odette Lienau, “Legitimacy and Impartiality in a Sovereign Debt Workout Mechanism”, Cornell Law Faculty Publications, Paper 1110, 2014, p.18. Disponible à : https://debt-and-finance.unctad.org/Documents/Legitimacy_and_Impartiality_in_a_Sovereign_Debt_Workout_Mechanism.pdf
[23] Déclaration de Cephas Lumina, ex-rapporteur indépendant auprès du Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies, et spécialiste de l’impact des dettes extérieures sur l’exercice des droits humains, lors de la séance du 1er mars 2016 au Parlement européen « Restructuration de la dette – Reconstruction de la démocratie ». Disponible à : https://www.guengl.eu/events/restructuring-debt-rebuilding-democracy/ et https://www.cadtm.org/Video-Cephas-Lumina-The-Paris-Club
[24] En 1991, après le démantèlement du Pacte de Varsovie et son ralliement au camp occidental à la fin de la guerre froide, la Pologne obtient le rééchelonnement intégral de sa dette détenue par les membres du Club de Paris, soit près de 30 milliards $US. La même année, la dette bilatérale de l’Égypte est rééchelonnée (21 milliards $US) après s’être ralliée à la coalition internationale anti-irakienne menée par les États-Unis durant la première guerre du Golfe. En 2001, l’importante restructuration de la dette du Pakistan à l’égard du Club de Paris a pu être perçue comme un geste de remerciement suite à leur collaboration avec les États-Unis pour intervenir en Afghanistan après les attentats des Twin Towers à Manhattan. Le cas de l’Irak est probablement le plus emblématique. Suite à l’invasion du pays et l’instauration d’un gouvernement militaire provisoire, les États-Unis et leurs alliés ont réclamé une annulation de 95 % de la dette détenue par le Club envers l’Irak. Les créanciers membres du Club et non-favorable à la guerre d’Irak (France, Russie et Allemagne) ne souhaitaient eux pas aller au-delà de 50 %. Après d’âpres discussions, l’annulation porta finalement sur 30 milliards $US, soit 80 % des créances du Club. Pour tous les pays précités, les restructurations ont été opérées dans un cadre ad hoc, en dehors des termes ordinairement applicables dans le cadre des règles définies par le Club de Paris.
[25] A ce jour, la seule exception concerne l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM), extension de l’initiative PPTE à destination des créanciers multilatéraux, créée en 2005. Voir : https://www.imf.org/external/np/exr/mdri/fra/index.htm.
[26] La « clause de comparabilité de traitement » est un des six principes de fonctionnement du Club de Paris. Elle invite le pays débiteur à conclure auprès de ses créanciers publics non-membres du Club et de ses créanciers privés des accords de restructurations similaires à ceux conclus avec le Club. Censée assurer un traitement équitable entre les différents créanciers d’un même pays débiteur, le pays débiteur n’a pourtant aucun moyen d’exiger son application, rendant la clause purement théorique et inopérante.
[27] Voir la page d’accueil du site du Club de Paris. Consultée le 2 décembre 2021. Disponible à : https://clubdeparis.org/fr
[28] Voir « La logique de l’allègement de la dette des pays les plus pauvres », FMI, septembre 2000. Disponible à : https://www.imf.org/external/np/exr/ib/2000/fra/092300f.htm
[29] Sophie Béranger-Lachand et Christian Eugène, « Le Club de Paris : instrument stratégique au sein de la communauté internationale », Bulletin de la Banque de France n°81, septembre 2000, p.75-76. Disponible à : https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/archipel/publications/bdf_bm/etudes_bdf_bm/bdf_bm_81_etu_2.pdf
[30] Bodo Ellmers, « La nature évolutive de la dette des pays en développement et solutions pour le changement », Eurodad, juillet 2016. Disponible à : http://dette-developpement.org/La-nature-evolutive-de-la-dette-des-pays-en-developpement-et-solutions-pour-le
[31] Voir page « About us » de l’IIF. Consultée le 2 décembre 2021. Disponible à : https://www.iif.com/about-us
[32] Voir rapport annuel 2010 du Club de Paris, p.41. Disponible à : http://www.clubdeparis.org/fr/communications/press-release/publication-du-rapport-annuel-2010-du-club-paris-04-07-2011
[33] Instauré en 1989, le Plan Brady concernait une vingtaine de pays du Sud. Le mécanisme de ce plan de restructuration consistait à un échange des créances bancaires contre des titres garantis par le Trésor étasunien. Si le volume de la dette a été réduit de 30 % dans certains cas, les nouveaux titres, les bons Brady, ont garanti un taux d’intérêt fixe d’environ 6 % très favorable aux banquiers.
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