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La campagne Feminist Asylum : « Changer ce système d’asile qui oblige les femmes à risquer leur vie »
par Anaïs Carton , Camille Wernaers
1er juin 2022

« J’ai été déboutée. Les autorités ne doutent pas que j’ai subi un avortement illégal, je suis allée voir un gynécologue dès mon arrivée en Belgique, j’étais dans un sale état, j’avais très mal au ventre. Il y a donc des preuves que j’ai avorté. Ils doutent par contre que la police soit au courant. Pourquoi est-ce que j’aurais quitté mon travail et ma famille sinon ? Je vivais bien là-bas, ici ce ne sont pas des vacances. J’ai dormi à la rue », témoignait aux Grenades en 2019 Ndeye Khady Gueye, demandeuse d’asile qui avait dû quitter le Sénégal parce que son avortement avait été dénoncé aux autorités du pays.


Elle expliquait rencontrer des problèmes pour faire reconnaître les violences basées sur le genre comme un motif « valable » d’asile. Le Sénégal fait partie des pays les plus restrictifs au monde en matière d’avortement. Les IVG y sont interdites sans aucune exception, preuve pour Ndeye Khady Gueye du danger qu’elle court dans son pays d’origine.

Briser le silence sur ces réalités et obtenir l’application des Conventions internationales de protection des droits humains – ratifiées par la majorité des États de l’espace Schengen -, ce sont les objectifs de la pétition pour une reconnaissance effective des motifs d’asile propres aux femmes, aux filles et aux personnes LGBTQIA +, qui a été déposée le 18 mai auprès de la Commission des pétitions du Parlement européen, à Bruxelles, par Feminist Asylum.

Il s’agit d’une campagne qui rassemble 261 organisations de 18 pays européens et une centaine de personnalités du monde culturel, sportif et politique. En Belgique, Vie Féminine, Le Monde selon les femmes ou encore le CIRE et le GAMS en font partie.

« Les frontières ont des conséquences dramatiques »

« Cela a commencé lors des trois jours de rassemblement féministe contre les frontières, à Nice, en juin dernier. Des féministes de tout le continent européen se sont rassemblées. Il y a eu des prises de parole et des performances. Des choses se sont liées. Des Suissesses étaient présentes et ont eu l’idée de cette pétition car, en Suisse, il y a cette culture d’interpellation citoyenne », raconte Anaïs Carton. Elle est chargée de campagne et de plaidoyer au sein du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) qui fait partie de la campagne.

« D’un point de vue féministe, les frontières, en tant que système, ont des conséquences dramatiques. Les femmes vivent des violences sexistes et machistes qui les poussent à quitter leur pays, à passer les frontières. Pendant leur parcours migratoire, elles vont vivre des violences genrées également, et puis quand elles arrivent dans les pays d’Europe, ce n’est pas la fin des violences. Les structures et les institutions ne sont pas toutes adaptées à écouter et à entendre ce qu’elles ont vécu. Et une partie de ces violences est due au fait qu’il n’existe pas de voie d’accès légal pour arriver jusqu’en Europe. Des trafiquants d’êtres humains, notamment, en profitent ! », poursuit-elle.

En Belgique, explique-t-elle, des femmes qui ont subi des mutilations génitales féminines se voient demander pourquoi elles demandent l’asile : « Le mal est déjà fait, non ? C’est ce qu’on entend. Pourtant, elles sont en danger si on les renvoie d’où elles viennent. La jurisprudence avance petit à petit à ce sujet, récemment un tribunal a reconnu que les filles de ces femmes étaient en danger de subir elles-mêmes des mutilations génitales si on les expulsait dans leur pays d’origine », précise Anaïs Carton.

Des violences extrêmes

Ce 18 mai, lors du dépôt de la pétition, Parvin et Nahid ont partagé leur témoignage. « Je m’appelle Parvin, j’ai 30 ans. Je suis née en Iran et je suis féministe. […] Il y a 5 ans, j’ai quitté l’Iran. En tant que femme, toutes les lois en Iran étaient contre moi. Ma vie était en danger et j’ai dû partir. Je suis d’abord allée en Turquie, mais c’était dangereux pour moi là-bas, en tant que femme seule sans soutien, dans un pays qui en réalité ne reconnaît pas la violence sexiste comme motif d’asile. […] En Europe, j’espérais enfin être traitée comme un être humain. Mais l’Europe a fait tout ce qui était en son pouvoir pour me refuser sa protection. C’est pourquoi la pétition de Feminist Aslyum est si importante. Avec cette pétition, je demande aux États de l’Union Européenne de reconnaître les violences sexistes subies et d’accorder une véritable protection aux personnes qui en ont souffert. Car, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Nous avons besoin d’un véritable accès à l’asile. Au contraire, ce ne sont que des cas exceptionnels qui sont acceptés. »

Parvin a porté plainte contre la Grèce. « Nous devons changer ce système d’asile européen qui oblige les femmes à risquer leur vie en recherchant la sécurité. Trop d’entre elles sont mortes en chemin. Je sais de quoi je parle, car j’ai dû le vivre aussi. J’ai voyagé d’Iran en Europe, seule. C’était vraiment dur. J’ai souvent craint pour ma vie. J’ai fait l’expérience d’une violence extrême, particulièrement en Grèce, où j’ai été détenue secrètement, attachée et battue par la police des frontières. J’ai été repoussée 6 fois en essayant de trouver une protection en Europe. À la frontière de l’UE, personne ne voulait savoir qui j’étais, ni entendre mes demandes d’asile. Ils veulent que nous nous taisions. Ils veulent nous faire disparaître. Mais comment le pouvons-nous ? […] Les réfugiées et les migrantes sont souvent silencieuses. Et ce n’est pas parce que nous ne comprenons pas. Mais parce que si nous arrivons en Europe, le cauchemar ne s’arrête pas là. Cette douloureuse procédure d’asile nous oblige à faire profil bas. Mais je ne resterai pas silencieuse. Maintenant que j’ai déposé une plainte contre la Grèce, je veux que justice soit faite – pour moi et pour tous les autres qui ne peuvent pas s’exprimer. »

« Élever ma voix »

Nahid a 15 ans. Elle vient d’Afghanistan. « J’ai quitté mon pays en 2018 avec ma famille composée de ma mère, mon père et mes deux frères plus jeunes. Je suis très heureuse de participer à cette pétition de Feminist Aslyum parce que je la trouve importante, en tant que personne qui demande l’asile et qui a été victime de violences aux frontières. Je pense qu’il est très important de parler des femmes et des enfants en exil et des expériences qu’ils/elles vivent. Une frontière peut vraiment vous briser et quand vous êtes une femme tout est plus difficile. Vous vous voyez comme dans une cage, une cage de pensées, de coups mentaux, en insécurité et loin du monde », explique-t-elle.

« Une autre raison pour laquelle je trouve cette pétition importante est, qu’en tant que fille, je peux élever ma voix, parler pour les autres filles et raconter les problèmes que nous rencontrons et c’est une chance pour moi de parler de mon histoire et de la réalité de ce que ma famille et moi-même avons vécu. Désormais je suis en Allemagne. J’ai traversé 10 pays pour arriver ici, mais je ne sais toujours pas si mon voyage est fini ou non. »

Elle témoigne de ce qu’elle a vécu en Croatie : « Je n’aurais jamais cru qu’un jour en Europe j’aurais à affronter toute cette expérience si dure. La violence la plus extrême que j’ai vécue a eu lieu de la part de policiers croates. Nous avons tenté plus de 25 fois de franchir la frontière et chaque fois nous avons fait face à beaucoup de violence. Je vais partager avec vous une expérience, mais elle ne représente qu’une petite partie de toute la violence que nous avons subie. Une fois, ils m’ont refoulée avec un petit groupe d’enfants plus jeunes que moi sans nos parents, sans aucune nourriture ni eau et ils nous ont abandonnés dans la forêt en Bosnie. Toutes les familles étaient dispersées. Nous ne savions pas où étaient nos parents ni nos frères et sœurs. […] Aujourd’hui, la chose qui me blesse le plus est que l’Allemagne veut me renvoyer en Croatie après toute la violence que nous y avons subie. Cela ne devrait pas pouvoir arriver. La Croatie est l’endroit où j’ai vécu la pire expérience. »

Halyna Skipalska, directrice nationale de HealthRight International en Ukraine (une organisation internationale de santé et de droits humains) et directrice exécutive de la Fondation Ukrainienne pour la Santé Publique, a également pris la parole : « Aujourd’hui, nous mettons en place un système d’identification et d’orientation afin que les femmes et les enfants qui ont subi des violences et des tortures puissent recevoir des soins médicaux et des soutiens psychologiques. Nos psychologues ont pris en charge 10 cas d’agressions sexuelles violentes contre des femmes et des filles ukrainiennes des régions de Kiev, Kharkiv et Mykolaiv, y compris une fille âgée de 14 ans. »

« Malheureusement les soldats russes utilisent le viol comme arme de guerre pour exterminer les femmes et les hommes d’Ukraine. Nous ne parlons pas de crimes isolés. De plus, les auteurs russes de ces crimes restent impunis tandis que leurs chefs les encouragent et les soutiennent. Nous avons besoin d’une victoire, de corridors humanitaires pour évacuer les femmes et les enfants et de l’appui de la communauté internationale pour la reconnaissance de ces crimes et pour en faire répondre leurs auteurs », continue-t-elle. Depuis le début de l’invasion en Ukraine, plus de 5,9 millions de personnes ont fui le pays, dont une majorité de femmes et d’enfants.

Des dizaines de milliers de signatures

La pétition a été signée par 39.063 personnes et est soutenue par trois euro-député·es : Diana Riba I Giner (Groupe des Verts/Alliance libre européenne), Malin Björk (Groupe de la gauche au Parlement européen) et M. Miguel Urbán Crespo (Groupe de la gauche au Parlement européen).

« Nous avons signé le manifeste de Feminist Asylum et soutenons la pétition pour exiger une véritable politique d’asile qui prenne en compte la situation des femmes, des filles et des personnes LGBTIQA +. Nous défendons une politique migratoire européenne qui prenne en compte la perspective de genre, parce que ne pas le faire c’est négliger toutes les discriminations induites par le système patriarcal. Une conscience féministe en matière d’asile et de migration signifie qu’il faut garder à l’esprit pourquoi les femmes migrent, comment elles le font et dans quelles conditions. Une véritable perspective féministe doit dénoncer le sexisme intrinsèque des politiques migratoires. Sinon, c’est inutile », a souligné ce dernier.
La Convention d’Istanbul, ratifiée par la plupart des pays de l’espace Schengen (dont la Belgique en 2016), reconnaît pourtant dans ses articles 60 et 61 les violences fondées sur le genre comme des motifs de persécution donnant droit à une protection internationale, au sens de la Convention de Genève adoptée en 1951.

« Mais il ne suffit pas de ratifier des conventions : il s’agit de les appliquer ! », alerte la campagne Feminist Asylum. « Sur le terrain effectivement, nous nous rendons compte que cela ne fonctionne pas. La pétition recommande la création d’une instance européenne chargée de surveiller l’application de ces articles. L’Union européenne devrait jouer son rôle et ratifier la Convention d’Istanbul en tant qu’institution. Nous recommandons également la mise en place de structures et procédures adéquates dans les pays d’accueil pour que les femmes osent parler des violences de genre qu’elles ont subies. Enfin, nous recommandons la création d’une procédure simplifiée qui permette de demander l’asile dans les ambassades des pays d’origine, pour ne pas pousser les femmes, et toutes les autres personnes qui migrent, dans des trajets dangereux », résume Anaïs Carton.

La pétition en est maintenant au stade du contrôle de sa fiabilité au regard des textes de droit par les instances européennes. Un rassemblement est déjà prévu à Bruxelles à l’automne 2023 « pour savoir de quelle manière la pétition a été suivie ».


Source : RTBF

Anaïs Carton

Permanente au CADTM Belgique

Camille Wernaers