Ce jeudi 25 mai 2023, une quinzaine de femmes sans papiers, en lutte pour leur régularisation, ont participé avec entrain à la nouvelle journée de formation de l’École des Solidarités.
L’objectif de ce cycle d’ateliers est de créer une synergie, conviviale et solidaire, entre le mouvement des sans-papiers pour la régularisation et différentes organisations encourageant les luttes sociales telles que le syndicat FGTB, le CEPAG et des associations comme le CADTM ( le Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes).
« Savoir, c’est pouvoir ». En partageant des connaissances et expériences sur nos réalités socio-économiques, en soulignant nos interdépendances, en découvrant comment les populations se sont battues à différentes époques et dans de nombreux endroits pour obtenir des droits et des victoires pour plus de justice sociale, nous comprenons mieux que nous devons continuer à les revendiquer et à les défendre ensemble, que nous pouvons réfléchir collectivement à comment coconstruire une société plus ouverte, humaine et juste.
Au programme : un aperçu du CADTM , une vidéo du discours de Sankara, 1000 ans d’histoire de Liège, un repas convivial et une visite guidée dans la ville.
D’où proviennent les participantes ? D’Albanie, de la RDC, de l’Angola, du Maroc et du Rwanda. Depuis combien de temps résident-elles en Belgique ? Depuis 2 ans à 13 ans et la plupart depuis plus de 6 ans.
Notre formation commence dans les locaux de la FGTB, place Saint Paul à Liège. Éric Toussaint présente brièvement le réseau international du CADTM. Ensuite Pierre-François Grenson, animateur au CADTM, introduit la journée en explicitant les thématiques abordées par le CADTM.
Rappelons que le CADTM a été fondé en Belgique en 1990. La crise de la dette du Sud était particulièrement exacerbée depuis que le Mexique avait failli entrer en cessation de paiement de sa dette en 1982. En Belgique, des militant-es, qui allaient constituer le CADTM, font le rapprochement entre les Plans d’ajustement structurel au Sud et les Plans d’austérité imposés au Nord, notamment à Liège et à Anvers. Ils ont constaté le lien entre l’imposition de ces réformes impopulaires et l’exigence du remboursement des dettes et de leurs intérêts par la Banque mondiale et le Front monétaire international. Stimulés par les luttes sociales internationales de leur époque, par les expériences à Cuba avec Fidel Castro, et au Nicaragua avec les sandinistes, inspirés par Thomas Sankara dont nous parlerons plus bas, des personnes engagées dans la réflexion et l’action en Belgique lancent le projet d’un front commun pour le non remboursement des dettes et, progressivement au cours des années 1990 et au début des années 2000, des groupes intéressés de multiples régions d’Europe, d’Amérique latine, d’Afrique, et d’Asie manifestent leur envie de rejoindre cette dynamique… Depuis le réseau international du CADTM s’est développé et structuré.
En effet, en 2003 a lieu la première assemblée mondiale du CADTM à Genève contre le G7 en présence de délégués européens mais aussi de nouveaux membres d’Afrique, d’Amérique latine (Venezuela, Colombie) et d’Asie (Inde). En 2008, lors de l’assemblée générale à Liège, ATTAC CATDM Maroc s’est porté candidat pour reprendre le secrétariat international puis en 2013 l’idée d’un secrétariat international partagé entre le CADTM du Maroc et celui de la Belgique est acceptée. En 2013, le Conseil International du CADTM comportant des coordinations d’Amérique latine et des Caraïbes, d’Afrique, d’Asie et des associations d’Europe est élu. Toutes ces structures adoptent une charte reprenant des principes fondateurs qui évoluent dans le temps. Aujourd’hui, le réseau fonctionne de manière horizontale, avec 39 organisations dans 33 pays. Certains pays peuvent être représentés par plusieurs associations. Par exemple, en RDC, comme les distances sont importantes et les routes difficiles, plusieurs antennes sont actives : dans le Bas Congo, à Kinshasa, à Lubumbashi et dans le Kasaï. La coordination africaine est l’une des plus larges et dynamiques : en Afrique, elle est constituée de 16 organisations principalement de la région sub-saharienne et d’ Afrique Nord.
Le Secrétariat international partagé est chargé d’alimenter le site principal et de publier régulièrement des analyses en cinq langues : français, anglais, espagnol, portugais ainsi qu’en arabe. Il est visité plus de 200 000 fois par mois, jusqu’à 13000 fois par jour ! ATTAC-CADTM Maroc se charge du site et de la communication en arabe.
Spécialisé sur la question de la dette du Nord et du Sud, sur la critique du néo-libéralisme, de la politique de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne, le CADTM soutient aussi activement de nombreuses luttes sociales populaires et des mouvements sociaux et citoyens dont il partage les valeurs. Notamment les groupes organisés de paysan-nes et de femmes sont de plus en plus représentés dans ses structures (surtout depuis la marche mondiale des femmes en 2000).
Parmi ses importantes mobilisations, citons, tout d’abord, la campagne « Ça suffat comme ci ! » autour de la date du 14 juillet 1989 en France. En 1987, le président français Mitterrand convoque le G7 en faisant référence à l’anniversaire de la Révolution française de 1789 qui symbolise la fin de la monarchie absolue et de l’oppression du peuple. Cela provoque des protestations de la part de différents mouvements et d’artistes comme le chanteur Renaud et l’écrivain Gilles Perrault qui estiment que les populations sont toujours opprimées, par la dette entre autre, et organise des manifestations et actions symboliques contre les nouveaux « Seigneurs- Saigneurs » que représentent les puissants du G7 (USA, Canada, Allemagne, Royaume-Uni , France, Italie, Japon).
Le CADTM a également fait partie de la campagne du Jubilée de 1985 à 1990. À l’occasion de l’an 2000 - que les Églises consacraient comme une année « jubilaire », c’est-à- dire, selon la tradition biblique, une année de remise des dettes comme il en faut tous les cinquante ans - les appels à une annulation de la dette publique des quarante et un pays les plus pauvres du monde (un milliard de personnes) ont été soutenus par des associations chrétiennes (notamment Christian Aid au Royaume-Uni, le CCFD en France, Entraide et Fraternité en Belgique) mais aussi une plus large coalition qui a intégré des organisations laïques comme le CADTM. Elle culmine lors du sommet du G7, le 19 juin 1999, à Cologne, avec un rassemblement de 100 000 personnes et la remise d’une pétition de plus de vingt millions de signatures.
Un autre moment fort pour le CADTM correspond à l’ouverture du premier Forum social mondial à Porto Alegre en janvier 2001 comme une alternative altermondialiste au Forum économique de Davos. Le CADTM et la problématique de la dette y occupent une place centrale. Cet engouement durera plusieurs années.
Lors de la crise des subprimes aux USA, à partir de 2008-2009, alors que les faillites bancaires et les récessions économiques frappent de plein fouet la zone euro et affaiblissent en particulier les pays méditerranéens à partir de 2010 ( la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, Chypre…), la question de la dette se trouve à nouveau au centre de l’actualité. Les populations contestent les plans d’austérité qui y sont rattachés. Elles sont révoltées contre l’idée que l’État, et donc l’argent des contribuables, servent à rembourser les faillites bancaires alors que les banques sont en grande partie responsables de cet effondrement en raison de leur logique spéculative de plus en plus risquée pour accroître les profits. L’endettement résultant des sauvetages des banques entraîne des coupes drastiques dans les dépenses publiques. À partir de février 2015, le CADTM fera partie de la Commission pour la Vérité de la dette grecque, un audit citoyen au parlement grec, jusqu’à la capitulation du gouvernement grec de Tsipras en 2015. Il réfléchira aussi avec le parti politique Podemos, découlant partiellement du mouvement de protestation en Espagne. La population espagnole, touchée par les expulsions forcées de leur logement, participe à des audits citoyens de dettes comme le préconise le CADTM.
Dans les pays du SUD, le CADTM a analysé la possibilité d’un non remboursement des dettes en Afrique du Sud, au Brésil, au Paraguay et surtout en Équateur où, en 2008, le président Rafael Correa décide de suspendre les remboursements ce qui lui fera économiser plus de 7 milliards de dollars qui seront investis dans l’éducation, l’action sociale, la santé, le transport et les communications. Par ailleurs, il impulsera la modification démocratique de la constitution équatorienne afin de mieux encadrer les mécanismes d’endettement et leurs impacts toxiques sur la société.
Aujourd’hui, une importante organisation portoricaine vient d’adhérer au mouvement. Puerto-Rico est en difficulté de paiement depuis 2017 tout comme l’Argentine depuis 2018. Quant au Sri Lanka, il a connu aussi une importante mobilisation populaire en 2022 débouchant sur la chute du gouvernement. Le nouveau gouvernement, qui ressemble comme deux gouttes d’eau au précédent, a passé un accord néfaste avec le FMI.
Le CADTM reste donc attentif et investi dans des luttes citoyennes locales et internationales qui émergent, en fonction de l’actualité, pour toujours plus de justice sociale et de droits humains. La situation des sans-papiers et leur combat pour la régularisation fait partie de ses domaines de préoccupation prioritaire.
C’est l’occasion de rappeler que les migrant-es qui quittent leur pays, même depuis longtemps, ne sont pas pour autant coupé-es de leur région d’origine et que non seulement ils et elles peuvent avoir la volonté d’expliquer les causes de leur départ mais aussi de contribuer à une meilleure connaissance des régions de provenance. Souvent, ils et elles désirent réfléchir et agir pour le développement, un développement basé sur des relations internationales plus saines et équilibrées. Car clairement pour les intervenant-es comme pour le public, les mécanismes de la dette, les politiques néo-libérales prônées par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, en imposant des plans d’ajustements structurels draconiens en compensation à l’octroi de prêts supplémentaires qui accroissent sans cesse la dette, ont appauvri les populations du monde, accentué leur dépendance. Ces conséquences catastrophiques sont souvent à l’origine des grandes migrations et des conditions de vie difficiles des personnes sans-papiers présentes dans la salle. C’est pourquoi un exemplaire du trimestriel « Les Autres Voix de la planète » sur « les Dettes Coloniales et Réparations » ainsi qu’une brochure sur « La Généalogie et des Luttes contre les dettes illégitimes » publiés par le CADTM intéressent les femmes réunies aujourd’hui. Tout comme la présentation de Pierre François Grenson, chargé au CADTM de l’éducation permanente, qui précise sur base d’un power-point détaillé, les objectifs, la mission principale du CADTM, ses acteurs, les résultats de ses actions, les outils utilisés.
« Qu’entendez-vous par dettes illégitimes, ce terme n’est pas clair pour moi ? »
Cette question émane d’une participante qui met le doigt sur un concept-clé qui justifie pour le CADTM que les pays puissent refuser de rembourser ces sommes empruntées et leurs intérêts, dettes prétextes à des réformes sociales qui font souffrir et mourir des populations dans le monde. Très vite les participantes approuvent : oui pourquoi devrions-nous rembourser un prêt pour construire un barrage hydro-électrique comme Inga alors que celui-ci a été contracté par des présidents-dictateurs que nous n’avons pas voulu, qui ne nous ont pas consulté, qui se sont enrichis avec ces investissements ainsi d’ailleurs que les compagnies étrangères qui ont participé à la construction ? Pourquoi devrions-nous accepter de rembourser cet emprunt qui implique la réduction des dépenses publiques de l’éducation, de la santé, alors que l’électricité produite par le barrage en question ne bénéficie pas à la majorité de la population ? Les participantes partagent leurs constats : il est vrai qu’en dehors des grandes villes, des sites de production pour les exportations, la plupart des ménages n’ont toujours pas l’électricité promise chez eux dans une large partie de leur pays. L’eau a été contaminée, des habitants expropriés aux abords de la construction, la nature ravagée, tous ces dégâts dans quel objectif ? L’accès à l’électricité n’est resté le privilège que de quelques-un-es qui, en plus, ont placé leur argent là où il ne peut être investi dans leur pays d’origine.
C’est pourquoi le CADTM préconise un audit des dettes pour déterminer la part d’entre elles qui semble illégitime, non démocratique, non voulue, non utile aux populations et donc rejetable. La persistance de cette imposition de dettes illégitimes entretient des rapports colonialistes dominateurs et exploitateurs auxquels les indépendances nationales étaient supposées mettre un terme. Mais ce n’est toujours pas le cas.
Thomas Sankara l’avait très bien compris et dénoncé publiquement dans un discours mémorable et émouvant, tenu le 29 juillet 1987 lors de la 25e conférence du sommet des pays membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, l’ancienne Union Africaine.
Éric Toussaint tient à nous partager et commenter cette vidéo d’archive de Sankara, alors que celui-ci était le président du Conseil national révolutionnaire du Burkina Faso. Thomas Sankara affiche une position ouvertement panafricaniste et tiers-mondiste audacieuse qui a inspiré de nombreux membres du CADTM et qui touche aussi notre public aujourd’hui.
Pour en savoir plus, voir aussi : Discours de Thomas Sankara à l’ONU le 4 octobre 1984 (inédit) : https://www.youtube.com/watch?v=Dt7QqBJVQFo Eric Toussaint parle de Thomas Sankara par Eric Toussaint, Eric De Ruest, Jean-Pierre Carlon, Olaf Gustavson : Eric Toussaint parle de Thomas Sankara 35 ans après son assassinat, Thomas Sankara reste une source d’inspiration par Eric Toussaint , Chris Den Hond , Anna Katumwa : 35 ans après son assassinat, Thomas Sankara reste une source d’inspiration |
Comment Sankara ose démontrer et affirmer que la dette est imposée injustement aux États africains, en continuité avec l’esprit de domination colonialiste ? L’Afrique a été manipulée, les prêts vivement recommandés sont les armes cachées d’une « reconquête savamment organisée », une manière pour que « la croissance économique de l’Afrique obéisse à des normes étrangères ». Les gouvernements, corrompus et instrumentalisés par les bailleurs de fonds « ont compromis leurs peuples pour 50 ans, 60 ans ». Ces derniers ne sont pas responsables. Ils ont été trompés. Il n’y a donc aucune obligation morale à rembourser et aucune perte de dignité à refuser de le faire. Ceux qui ont prêté « ont joué comme au casino. Ils ont perdu, c’est le jeu ». L’Afrique spoliée, n’a plus les moyens de payer. Si elle le fait, sa population mourra.
Sankara affirme même que ce sont les nations européennes qui ont « une dette de sang » envers les africains, que les puissances européennes ne pourront jamais rembourser. Il rappelle ces anciens combattants africains qui ont sacrifié leurs vies pour délivrer l’Europe du nazisme. Pourtant l’Afrique n’a pas pu bénéficier d’un Plan Marshall, de l’équivalent de ce dispositif financier avantageux qui a permis à l’Europe de se reconstruire après la guerre. Les taux d’intérêt exigés aux pays du Sud étaient beaucoup plus élevés et n’ont cessé d’augmenter. Aujourd’hui, les pays remboursent deux à trois fois plus que ce qu’ils ont emprunté.
Il rappelle que les crises ne viennent pas de nulle part et que les révoltes des masses populaires qui inquiètent les financiers sont légitimes si elles refusent que tout l’argent, toutes les richesses, soient concentrées dans des mains étrangères ou dans celles de quelques dirigeants africains dont les profits démesurés sont placés et consommés ailleurs, condamnant les pauvres gens à vivre repliés dans des bas quartiers ou des ghettos misérables. « Nous ne pouvons pas accompagner ceux qui sucent le sang de nos peuples dans leurs démarches assassinent ». La morale des riches, n’est pas la même que celle des pauvres. Pour Sankara, ce n’est pas immoral mais « normal » qu’un exploité misérable, par nécessité, pour survivre, ne rembourse pas un dominant ultra riche bien plus corrompu et voleur que lui.
Sankara invite les États africains à s’unir en un Club des Etats Africains comme il existe un Club de Paris, un G5 ou G7, non pas dans une démarche belliqueuse car il sait bien que « ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les même qui exploitent les peuples d’Europe ». Mais il propose de constituer un front commun de non remboursement des dettes. Ce n’est pas la proposition d’un jeune révolutionnaire immature car il sait que si les chefs d’États refusent individuellement de payer les dettes - comme en vérité ils souhaiteraient tous le faire, sinon qu’ils se lèvent, prennent l’avion et aillent payer directement la Banque Mondiale !- ils risquent d’être assassinés. Mais par une décision commune, ils pourront mieux agir sans représailles et réserver leur argent pour le développement de l’Afrique.
Sankara renchérit sur l’importance du désarmement : « chaque arme achetée, c’est contre un africain, pas contre un européen ou un asiatique ». « Si je suis militaire, je porte une arme unique alors que les autres ont camouflé les armes qu’ils ont ». « Faisons la paix chez nous ».
Enfin il encourage l’autonomisation économique de l’Afrique, riches en ressources naturelles et en potentialités intellectuelles. Que les africains consomment ce qu’ils produisent eux-mêmes au lieu de dépendre des exportations de leurs matières premières et de l’importation des biens de consommation fabriqués à l’extérieur ! Que le marché des africains soit africain ! Lui, il porte fièrement des vêtements tissés par des artisans burkinabés, avec des produits de là-bas. Pour lui « vivre africain est la seule façon de vivre digne et libre ».
Ce qui est poignant, c’est que Sankara savait qu’en tenant de tels propos, il risquait de ne plus pouvoir assister au prochain sommet de l’OUA. Et en effet, cette crainte qu’il exprimait se révéla exacte puisqu’il fut assassiné en 1987 sous l’influence des grandes puissances. La France a reconnu fort tardivement son implication dans ce meurtre.
Une participante réagit « On dirait que l’assemblée africaine n’a rien compris à ce discours ! »
« Rien compris ou qu’elle n’a pas voulu le comprendre » car de nombreux dirigeants présents profitaient de ce système de corruption et d’exploitation par la dette et considéraient les propos de Sankara comme menaçants pour leurs intérêts personnels. Éric Toussaint explique qu’encore aujourd’hui, le discours de non remboursement de la dette ne passe pas facilement devant l’assemblée de l’Union Africaine. Il l’a bien senti les rares fois où, invité par la Commission des affaires économiques de l’Union Africaine , il a pu développer son argumentaire contre les dettes illégitimes à Addis Abeba. Là encore son auditoire ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre. Il en va de même lorsqu’il s’exprime devant des décideurs européens. Beaucoup ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre. En Europe aussi, il a fait l’objet de pressions, de tentatives de corruption de la part de ministres connus.
Thomas Sankara n’est pas le seul leader panafricain et tiers-mondiste dérangeant, mystérieusement éliminé, avec le soutien des anciennes puissances coloniales. Le sujet est encore sensible de nos jours. Nous nous rappelons d’autres leaders africains, engagés auprès de la libération des peuples, qui ont perdu la vie parce que leurs idées dérangeaient.
Patrice Lumumba, le 1er ministre élu démocratiquement par le peuple congolais qui lors de son discours d’indépendance le 30 juin 1960 avait osé exprimer la souffrance du peuple congolais massacré, opprimé, exploité, arbitrairement discriminé et arrêté, pendant la colonisation belge. Il avait aussi montré comment l’indépendance avait été gagnée par le sacrifice de congolais combattants pour la liberté et non pas concédée généreusement par la Belgique. Il rêvait d’un Congo uni aux autres nations africaines indépendantes, marchant vers le progrès et la paix, en collaborant, d’égal à égal, avec les autres gouvernements internationaux. Ses vérités allaient à l’encontre des déclarations du Roi Baudouin qui exaltaient les apports civilisationnels de la Belgique au Congo. Ses paroles assurées tranchaient avec l’attitude condescendante et paternaliste des dirigeants belges à l’égard de leur ancienne colonie. Lumumba savait ce qu’il risquait en disant tout haut ce que le peuple congolais avait enduré et pensait tout bas. Il fut assassiné en 1961 au Katanga avec la complicité des dirigeants belges, français et américains qui ont d’ailleurs soutenu la prise de pouvoir de son successeur, le général Mobutu, à la mort de Lumumba, complicité qui commence à peine à être reconnue aujourd’hui.
De la même manière, Sylvanus Olympio fut le premier président de la République togolaise du 15 avril 1961 au 13 janvier 1963, date de son assassinat devant l’ambassade américaine de Lomé lors du coup d’État de 1963, fomenté par Gnassingbé. Avec le soutien de l’Allemagne fédérale, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, il avait voulu lancer sa monnaie nationale et se dégager du franc CFA. Ce fut perçu comme une déclaration de guerre. S’il avait réussi, son choix de politique monétaire nationale aurait pu convaincre d’autres pays africains.
Rosario Marmol Perez du CEPAG et de la FGTB, coordinatrice de l’Ecole des solidarités, a rappelé des mobilisations du CADTM ainsi que cet enregistrement du discours de Sankara, nous montrent que de nombreux résistants se mobilisent pour dénoncer les injustices et réfléchir à de nouvelles solutions malgré les obstacles et les risques.
Les mouvements des sans-papiers pour la régularisation font partie de ces engagements nécessaires et dangereux parce qu’ils impliquent parfois de sortir de l’ombre, de la clandestinité anonyme pour obtenir des droits, ce qui est parfois très risqué, surtout lorsqu’ils sont isolés. En front commun, les sans-papiers sont plus protégés et efficaces dans leurs actions. De plus, les sans-papiers sont parfois victimes d’exploitation au marché noir, par des marchands de sommeil, des trafics d’êtres humains. Lorsqu’ils dénoncent ses malversations pour défendre leurs droits, ils apparaissent comme menaçants pour ceux qui profitent de leur vulnérabilité. Parfois ces derniers n’hésitent pas alors à dénoncer leur séjour illégal auprès des autorités pour les faire arrêter et expulser. On comprend dès lors que pour ces femmes, dont certaines appartiennent aux occupations à Liège et qui donc ont fait le pari risqué de militer plus ouvertement pour la régularisation, ces exemples sont inspirants.
Dans la partie suivante, Éric Toussaint entreprend de faire un récapitulatif de 1000 ans d’histoire de Liège.
Pourquoi ? À part une participante venant de La Louvière, toutes les autres vivent depuis plusieurs années dans cette ville sans nécessairement avoir eu l’occasion d’en connaître son passé si riche en combats populaires. Ce sont grâce à eux, que certaines avancées décisives ont pu être gagnées. Les citoyens en bénéficient aujourd’hui mais il est bon de leur rappeler que ces acquis sociaux ne sont pas venus tout seuls et qu’ils peuvent les perdre demain s’ils ne bougent pas pour les défendre. Il est pertinent de préciser également que dans ces luttes majeures souvent des ressortissants étrangers se sont alliés aux liégeois pour refuser les exploitations économiques, les oppressions politiques internes comme pour repousser les envahisseurs extérieurs et leurs idéologies totalitaires.
Rosario, de la FGTB, fait un lien avec la manifestation générale organisée par les syndicats pour défendre les droits des travailleurs des magasins alimentaires Delhaize.
Ces entreprises sont franchisées, entraînant le licenciement de plus de 9000 salariés et une détérioration importante de leurs conditions de salaires (baisse salariale de 25%, instabilité des contrats devenus des flexi-jobs). Le personnel a mené des grèves pour protester or récemment les tribunaux ont pris des décisions qui menacent ce droit de grève. Il s’agit pourtant d’un droit essentiel pour pouvoir rétablir un rapport de force équilibré avec le patronat. Cette action concerne donc tous les travailleurs qui doivent rejeter ensemble le dumping social et les atteintes à leur droit de grève. Il est important de manifester en solidarité comme nombreux l’on fait ce lundi 22 mai. Des mouvements sans papiers ont rejoint le cortège syndical ce jour-là.
La convergence des luttes pour le maintien ou l’acquisition des droits est essentielle
En écoutant le récapitulatif historique de la ville de Liège puis lors de la visite guidée et commentée de la ville, les participantes plaisantent entre elles : « bientôt nous connaîtrons mieux Liège que les Belges. Nous pourrons à notre tour leur raconter ! »
Elles n’ont pas tort. Mais revenons à ce que nous avons appris de l’exposé historique d’Éric Toussaint.
Nous commençons par la période de la révolution liégeoise, qui débute le 18 août 1789 et se poursuit jusqu’en 1795.
Influencé par la révolution française de 1789,
le 18 août 1789 le peuple liégeois, en proie à une situation économique dramatique, s’empare de l’Hôtel de ville et de la Citadelle. Ecrasé par des taxes, des impôts qui finançaient les fastes superflus de la noblesse, les classes populaires souffraient de la faim, de la cherté du pain. La monarchie absolue était en crise. Les dettes accumulées par le souverain, le Prince-Évêque qui gouvernait Liège, grevait le budget de l’Etat. Or le clergé et la noblesse ne payaient pas d’impôts mais en prélevaient à ceux qui vivaient sur leurs terres.
Situation qui fait échos aux revendications actuelles des gilets jaunes en France, furieux de la diminution des impôts sur les grosses fortunes alors que l’inflation du prix du pétrole, des charges énergétiques, des produits de premières nécessités et la flambée du prix des loyers réduisent drastiquement leur pouvoir d’achat. Les classes modestes et moyennes ont de plus en plus de mal à nouer les deux bouts.
En 1789, à Liège, les classes populaires des villes et campagnes, ainsi que la bourgeoisie (le juriste Fabry, l’armurier Gossuin ) et quelques nobles (dont le baron Chestret) mènent des actions pour réclamer que le clergé et la noblesse contribuent aussi financièrement au budget de l’Etat. Ils veulent obtenir davantage de démocratie politique et mettre fin aux injustices arbitraires de l’Ancien Régime.
Poussés par les classes populaires en colère, Fabry et Chestret sont nommés bourgmestres et des insurgés parviennent à chasser les militaires de la Citadelle sans effusion de sang. Le baron Chestret va chercher le Prince-Évêque dans son château de Seraing pour qu’il signe un acte de reconnaissance des nouvelles autorités communales. La révolution se répand dans les 22 autres villes qui composent la principauté de Liège et les magistrats de l’Anciens Régime sont progressivement remplacés.
« Mais qu’est-ce que c’est que pour un statut Prince -Évêque » questionne une participante.
Politiquement, le monarque liégeois était un noble étranger issu soit de la noblesse du Saint Empire germanique soit de la noblesse française. Il était choisi par le haut clergé puis le Pape lui donnait le titre d’évêque tandis que l’empereur germanique lui accordait le titre de prince. Ceci montre bien qu’à cette époque, l’église n’était pas séparée de l’État et se trouvait au sommet de la pyramide hiérarchique du pouvoir.
De nos jours, de nombreux gouvernements connaissent encore des états officiellement théocratiques, comme la république islamique des Mollahs en Iran ou le régime des Talibans en Afghanistan.
La suprématie critiquée du clergé
L’église détenait des domaines agricoles importants où elle faisait travailler des paysan-nes qui lui remettaient la dime (impôt). Le Prince Évêque devait en principe diriger en accord avec les trois états constitués : le haut clergé, les quinze familles nobles des campagnes, et le tiers état composé de la bourgeoisie et d’artisans organisés en corporations ( les 32 métiers). Cependant, depuis 1684, le pouvoir était principalement concentré dans les mains du Prince Évêque et du haut clergé. En effet, à partir de cette date-là, ces derniers avaient supprimé le suffrage universel qui caractérisait les élections des représentants du tiers- état pour le remplacer par un système où seuls 567 électeurs choisissaient les bourgmestres des 23 « bonnes villes ». Depuis ce moment-là, les bourgmestres élus se montraient beaucoup plus dociles et obéissaient au Prince Évêque.
En effet, lorsque le suffrage universel était encore d’application au sein du tiers-état, du XIVe au XVIIe siècle, l’autorité du clergé et de la noblesse était fréquemment remise en cause au cours d’affrontements parfois violents avec la bourgeoisie et les corps de métiers qui ne se laissaient pas faire. L’église avait donc essayé de museler les récalcitrants en limitant leur droit de vote.
La montée en force de la bourgeoisie capitaliste
La principauté de Liège comporte alors 600 000 personnes et sa capitale 60 000 personnes. Elle s’étend sur un large territoire. Elle apparaît comme une région économique des plus avancées dans le capitalisme manufacturier européen. Certes, seulement un cinquième de sa population vit dans les villes mais tous sont liés au développement industriel et à des rapports capitalistes de production que ce soit dans des petites manufactures bourgeoises dans les campagnes ou parce que des travailleurs ruraux était embauchés à domicile. On trouve des travailleurs ouvriers-paysans, au sein des familles rurales, consacrés aux activités agricoles semi-industrielles semi-prolétarisée ( pas encore complètement salariées).
On peut noter dès à présent que le modèle des corporations s’oppose à celui des manufactures capitalistes que la bourgeoisie préfère car au départ, elle y trouve moins de résistance et de revendications.
Verviers comportait 10 000 habitants et représentait la plus évoluée des villes industrielles avec des rapports capitalistes de production. Ses manufactures et son industrie de la laine étaient particulièrement florissantes. Néanmoins, au début, les ouvriers n’y avaient pas autant de droits et de libertés que ce que l’on pouvait trouver dans les corporations d’artisans organisées et plus revendicatives (ferronneries, clouteries, houillères, draperies…). Cependant, peu à peu les ouvriers verviétois deviendront des pionniers en créant une première caisse de solidarité en 1759, un premier syndicat ouvrier en 1759 et en menant des grèves.
En 1787, Fabry s’oppose au fait que le clergé et la noblesse - qui sont vues comme des parasites - ne paient pas d’impôts mais en perçoivent. Fabry propose la suppression des impôts indirects qui pesaient sur la bourgeoisie et sur les pauvres (artisans, bras nus). Il propose un impôt unique sur la fortune foncière, critique la gestion de la ville où un quart des recettes sert à rembourser la dette. « Elle est effrayante l’administration qui depuis 25 ans de paix et de tranquillité a laissé croître notre dette nationale de plusieurs millions ! »
Enfin, il refuse que le tiers-état se soumette encore au Prince Evêque.
Il revendique une monarchie constitutionnelle : « Liégeois, vous être un peuple libre qui n’obéit qu’aux lois qu’il se donne lui-même par le consentement de ceux qui le composent ou ses représentants nommés ou autorisés par eux … » ; « Le premier commis de la nation est l’organe et non l’interprète de de la volonté nationale… » ; « C’est de la constitution nationale qu’il s’agit, c’est à rendre à la nation une représentation juste et légale qu’il faut porter tous ses soins ». « On voudrait qu’ecclésiastiques et séculiers, nobles et bourgeois se réunissent, qu’ils fassent tous une seule famille…une caisse publique et que tous y contribuassent en proportion de leurs biens et facultés »
La trahison de l’idéal révolutionnaire par l’alliance entre la noblesse et la bourgeoisie.
Cependant, comme la noblesse aussi entre en conflit avec le Prince Evêque et le clergé qui lui accordent de moins en moins de pouvoir, la bourgeoisie essaie d’entrer en négociation avec elle pour écarter le haut clergé, le Prince Évêque et le tiers-état du pouvoir !
La révolte des masses populaires
La population augmente de 60 % entre 1700 et 1785. L’inflation des prix des aliments de premières nécessités comme le pain touche les villes comme les campagnes. Le chômage de masse dans les villes augmente la pauvreté qui concerne 1 habitant sur 4 à Verviers. Des procès sont enclenchés contre le clergé qui perçoit les dimes mais en échange n’entretient pas les églises, les écoles, les cimetières. Des recours sont lancés contre la noblesse qui maintient les corvées. La bourgeoisie est également accusée de s’accaparer les terres communales, les biens, communaux, dont profitaient jusque-là les communautés rurales avec leurs traditions collectives de coupe gratuite du bois, de droit de paître le bétail ou de cultiver des clairières. Les gens expriment aussi leur colère quand leur blé est exporté à l’étranger. Ils écrivent des textes revendicatifs en 1987 : contre l’esclavage, contre des impôts en absence de représentants, et sans savoir à quoi ils sont affectés, contre des impôts pour des fainéants, pour des lois bonnes, simples et sans déguisement, pour la suppression des membres du clergé inutiles et la confiscation de leurs biens, pour la confiscation des terres des despotes, pour le retour à une certaine moralité ou les vertus et la dignité valent plus que l’argent, où les pervers sont punis indistinctement et les abus détruits…
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée par la région liégeoise au Congrès de Polleur en septembre 1789 affirme les mêmes droits des citoyens que celle de Paris. Elle est en faveur de l’audit citoyen des dépenses publiques et de la dette, d’une politique fiscale juste et transparente. Cependant notons que les femmes sont exclues de l’exercice de ces droits dans la version française aussi bien de que dans la version liégeoise. Articles 13, 14, 15 Pour l’entretien de la force publique et des frais d’administration une contribution commune est indispensable et la répartition doit être rigoureusement proportionnelle entre tous les citoyens à raison de leurs facultés Chaque citoyen a le droit, par lui-même ou par les représentants, de constater la nécessité de la contribution publique, de la continuer librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la qualité, l’assiette, le mouvement et la durée. La société à le droit de demander compte à tout agent public, de son administration. |
Les deux nouveaux bourgmestres de Liège, Fabry et Chestret, semblent disposés aux compromis mais sous la pression populaire ils suppriment tous les impôts et le 27 août 1789 le Prince-Évêque est contraint de se réfugier à Trêve où il sera rétabli dans ses droits dans le Saint Empire germanique. Sous la pression du colonel Ransonnet, les bourgmestres sont poussés à des changements plus radicaux que ceux qu’ils avaient prévus au fur et à mesure que la fièvre révolutionnaire gagne les campagnes. Des cahiers de doléances écrits par des communautés villageoises en assemblées générales rapportent des revendications intéressantes telles que la gratuité de l’instruction. Finalement, en 1990, l’élection se réalise. Tous les chefs de ménage peuvent y participer, des hommes mais parfois aussi des femmes !
Mais dans la partie de la principauté du côté de Verviers, région la plus avancée dans le capitalisme, les contradictions capital-travail, bourgeoisie-ouvrier et paysans se font plus intenses. C’est sous la pulsion de cette classe ouvrière et paysanne opprimée que la révolution prendra un tournant plus radical. Une Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen plus radicale fut proclamée par l’Assemblée du Marquisat de Franchimont en 1789. Elle supprime l’ART 17 de la déclaration française « la propriété est un droit inviolable et sacré » ., change l’ART 3 « Toute souveraineté réside essentiellement dans le peuple (au lieu de la Nation) » et l’ ART 10 « Tout citoyen est libre de ses pensées et opinions » ( sans allusion à « qui ne perturbe pas l’ordre public établi par la loi »). |
Une série de batailles et d’occupations
En 1789 à 1795 des batailles militaires importantes ont lieu entre d’une part la France républicaine, révolutionnaire, et d’autre part la Prusse et l’Autriche réunies au sein du Saint-Empire germanique ainsi qu’avec le Cercle de Westphalie qui veulent le retour de la monarchie absolue. Liège se trouve au milieu de cette effusion. L’Empire germanique met fin à la révolution liégeoise en 1790 et beaucoup de liégeois se réfugient en France. À Liège, une armée composée de paysan-nes, ouvrier-ières, prolétaires, brandissant des fourches et des couteaux, conduite par le colonel Jean Pierre Ransonnet, un des révolutionnaires les plus radicaux, résiste aux agresseurs. Elle l’emporte sur les autrichiens qui reprennent cependant le dessus en 1791 et de nombreux révolutionnaires liégeois sont obligés de s’exiler encore en France ou sont emprisonnés, exécutés.
Enfin le 28 novembre 1792, les français républicains entrent en libérateurs à Liège et occupent la principauté sous le commandement du franchimontois Jean-Joseph de Fyon. L’occupation française dure jusqu’en 1795. La dynamique révolutionnaire est relancée, les prisonniers politiques libérés. Des Municipalités révolutionnaires sont instaurées et elles sont particulièrement progressistes : le vote est permis dès 18 ans à tous les citoyens sans devoir payer une somme ; c’est le suffrage universel ; de plus, les étrangers de plus de 5ans de résidence peuvent être assimilés. |
Malgré ces avancées, une polarisation s’accentue parmi les révolutionnaires entre les modérés de la Société des Amis de La Liberté et de l’Égalité qui estiment comme Bassenge qu’il ne faut pas se livrer à des pillages, à l’anarchie et les sans-culottes plus radicaux qui veulent se constituer en corps de police, puis en armée élisant leurs officiers, afin de propager la révolution. Les sans-culottes instaurent des tribunaux révolutionnaires, écartent les représentants de l’Ancien Régime, vendent les terres du clergé et des étrangers, utilisent la guillotine et renforcent la militarisation notamment en misant sur l’armement qui est déjà fort développé à Liège. Encore aujourd’hui, hélas, Liège est reconnue pour son entreprise Herstal qui vend des fusils et armes légères internationalement réputée.
Une Convention nationale liégeoise est élue au suffrage universel. Enfin, un référendum populaire est organisé pour décider du rattachement de Liège à la France. Ce sera le seul et dernier référendum dans l´histoire de Liège. Il commence le 20 janvier jusqu’ au 3 mai 1793 et le rattachement est approuvé. Seuls 92 sont négatifs sur 1519 votes. |
Mais deux jours plus tard, les Autrichiens reprennent la ville.
La contre révolution en France était encore récente, lorsque les français réoccupent la Belgique le 27 juillet 1794. Les sans-culottes voulaient prélever des impôts aux riches mais leur comité est supprimé remplacé par la municipalité des modérés, au pouvoir très limité. Les Pays Bas autrichiens et la Principauté de lièges se retrouvent sous la coupe française cette fois comme des territoires conquis. En 1795, la principauté de Liège est tout bonnement annexée à la France et disparaît.
Nous abordons maintenant les luttes principales du 19e siècle à Liège.
Après la défaite de Napoléon à Waterloo, Liège et tout le territoire de la Belgique actuelle fait partie du Royaume des Pays Bas. Sous Guillaume d’Orange, le peuple se soulève et l’on assiste à l’indépendance de l’État Belge en 1830, qui est créé comme une zone tampon entre la France, les Pays-Bas, et l’Allemagne et qui prend la forme d’une monarchie constitutionnelle.
Au dix-neuvième siècle, la Belgique et tout particulièrement Liège connaît une importante industrialisation. Le mouvement ouvrier porté par des idées socialistes, marxistes et anarchistes, mènera des luttes sociales importantes mais fortement réprimées. Le Parti Communiste Belge est constitué mais vite divisé entre trotskistes et staliniens.
À partir des années trente, les grèves des mineurs, en particulier celles de 1932 et de 1936, essaient de changer les conditions de travail et de vie dramatique des nombreux travailleurs dans les mines de charbons et le secteur des industries métallurgiques, important à Liège.
Pendant la deuxième guerre mondiale, la résistance armée contre l’occupation nazie est admirable.
À la libération, en 1945, la guerre des partis PS-PC-Libéraux et Catholiques provoque de nombreux remous et conflits sociaux et une grève générale en 1950 aboutit à l’abdication du Roi.
Les immigrés italiens entament la bataille du Charbon, pour protester contre leur exploitation dans les mines et réclamer des droits.
La catastrophe de Marcinelle est la plus importante survenue en Belgique dans une mine de charbonnage du Bois du Cazier le 8 août 1956. Elle cause la mort de 262 mineurs. Ce terrible accident entraîne l’arrêt des accords de coopération économiques entre la Belgique et l’Italie au travers desquels l’Italie envoyait de la main- d’œuvre bon marché dans les mines et industries lourdes de Belgique en échange d’une quantité de charbon.
Dans les années 60, les mineurs font grève pour obtenir un 13 ème mois puis par rapport à la nationalisation des mines. En 1960, lors du vote de la Loi unique et de la grande grève, André Renard, ancien résistant liégeois, est la figure vedette du Mouvement syndical unifié. Il devient président du Comité de Coordination des Régionales FGTB de Wallonie durant les cinq semaines de la grève. Il se rend compte assez vite que ce n’est pas par l’action syndicale qu’il pourra voir la Belgique basculer vers un État fédéral et non plus unitaire. Il décide dès lors de démissionner et fonde le Mouvement Populaire Wallon (MPW) en 1961 jusqu’à sa mort prématurée en 1962.
Mai 68 vit également de grands bouleversements à Liège. Un grand mouvement lycéen apparaît un peu plus tard.
Des aménagements de la Place Saint Lambert suscitent aussi des protestations importantes.
Dans les années 80, des protestations d’enseignants s’ajoutent à de nouvelles grèves du secteur de la métallurgie en crise.
Enfin entre 1983 et 1989, les travailleurs-euses de la Ville de Liège se mobilisent massivement contre les réductions de salaires et les privatisations. La revendication de l’annulation de la dette de la Ville de Liège est notamment avancée par des militant-es qui vont contribuer à créer le CADTM en 1990.
Après un bon sandwich et une pause conviviale bien méritée, le petit groupe est invité à visiter la ville et à y retrouver concrètement les traces de ce passé mouvementé et vindicatif.
Au cours de ce parcours guidé, nous nous arrêtons devant la fameuse Citadelle qui a connu tant d’occupations et qui a servi tout autant à combattre les ennemis extérieurs qu’à contrôler les révoltes intérieures.
En profitant de la vue, Éric Toussaint nous montre en quoi la localisation de Liège est intéressante avec ses terres riches en charbon, ses ressources naturelles, ses cours d’eau et explique qu’il n’est pas étonnant qu’elle ait été le siège d’un développement industriel précoce.
Le terril au loin, lui rappelle son enfance et la pauvreté des baraquements des ouvriers, leurs dures conditions de vie. Pas étonnant que les Liégeois ne voulaient plus travailler dans les mines. Il fallait donc importer une main d’œuvre moins exigeante. La Belgique a fait venir massivement des travailleurs italiens jusqu’à la catastrophe de Marcinelle, puis des espagnols, des marocains, des turcs… Ils ont dû se battre pour s’intégrer, faire reconnaître leurs droits, vivre plus décemment et ensuite pour ne pas que leur activité économique ne cesse. Lors de la crise pétrolière et du début des fermetures des usines métallurgiques, dans les années 70, le chômage augmentant, la Belgique a décidé de fermer les frontières.
Ensuite, nous avons visité l’enclos des résistant-es fusillé-es par les nazis. Une stèle représente un poteau d’exécution ; plus loin un espace avec des tombes, côtes à côtes, d’inconnus russes, polonais ou d’autres pays de l’Est. Au fond, un bâtiment avec des cellules où les résistants étaient enfermés et une cour qui servaient au peloton d’exécution. On peut encore y trouver des marques de balles sur les murs. Nous respectons le souvenir de ces personnes, parfois venues d’ailleurs, qui ont fait le sacrifice de leurs vies pour délivrer Liège du nazisme et nous permettre aujourd’hui de vivre libres.
Pour détendre l’atmosphère, notre guide nous raconte une anecdote amusante sur l’appellation de la glace « café liégeois » qui est en fait identique au « café viennois » mais dont on a changé le nom pour ne pas faire référence aux ennemis autrichiens de l’époque.
Pour descendre, nous empruntons alors la Montagne de Bueren qui est un escalier de 374 marches reliant le quartier Féronstrée à la Citadelle en traversant les Coteaux. Cet escalier en pente raide perpétue le souvenir du noble Vincent de Bueren qui au 15e siècle, à la tête de Six cents Franchimontois, fut un des plus acharnés défenseurs de Liège contre le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire.
Nous arrivons au centre historique, sur la place du marché devant le Perron symbole des libertés communales
C’est une croix de marché devant laquelle, justice était rendue, les règlements, mandements et édits promulgués, les prix rendus publics, et les bannissements proclamés. En Principauté de Liège, il était le symbole de l’autorité et de l’autonomie, d’abord du Prince Évêque puis de la ville. Au XIVe siècle les « bonnes villes », celles qui possédaient une charte communale pouvait ériger leur propre perron. Progressivement, ce monument est devenu le symbole de la Justice et des Libertés.
Notre journée de formation s’achève ainsi dans la bonne humeur, chacun et chacune ravi-e de ce qu’on a découvert ensemble et d’avoir partagé ces souvenirs, ces réflexions, ces connaissances, un lunch et un bout de chemin paisible et ensoleillé, avant d’affronter avec fougue les grands défis dès demain.
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