printer printer Cliquer sur l'icône verte à droite
Audit de la Rép. Démocratique du Congo (RDC) au sénat belge
par Pierre Galand
20 décembre 2006

Introduction de Pierre Galand, sénateur, à l’occasion d’une journée consacrée à l’audit de la dette de la République Démocratique du Congo (RDC) au sénat belge.

Chers ami(e)s, chers collègues,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui dans cette Salle des Congrès du Sénat pour ce colloque consacré à l’audit de la dette de la République démocratique du Congo (RDC).

Ce colloque tombe à point nommé puisque, comme vous le savez, notre Premier ministre Guy Verhofstadt, dans sa déclaration de politique fédérale devant le parlement ce mardi, a annoncé son intention de remettre la dette bilatérale du Congo vis-à-vis de la Belgique.

A première vue, on ne peut que se réjouir d’une telle décision dont le principal mérite est de rappeler qu’il n’y a qu’une seule issue au problème de la dette du Tiers-monde, à savoir : donner la priorité à son annulation.

Cela étant, au-delà de l’aspect essentiellement symbolique de cette suppression de dette, il faut bien reconnaître qu’elle ne pèsera pas beaucoup sur le budget de l’État belge. Comme l’a souligné récemment Eric Toussaint, président du CADTM et intervenant aujourd’hui dans ce colloque, « le secteur du Trésor belge qui gère les créances sur les pays en développement considérait, il y a cinq ans, que la valeur réelle de la dette congolaise devait subir une décote de 96 % » ! Autrement dit, l’annulation annoncée est donc surtout un assainissement des livres de comptes de la Belgique.

A côté de cette première remarque qui relativise fortement l’effort consenti par notre pays, j’aimerais également faire deux autres commentaires à propos de cette décision gouvernementale.

Tout d’abord, dans l’immédiat, il faudra s’assurer que l’annulation annoncée ne constitue pas en elle-même l’accroissement de 4,5 % à 5,5 % de notre coopération au développement dont a parlé M. Verhofstadt. En effet, si c’était le cas, cette hausse serait sans effet positif pour les Congolais.

Deuxièmement, il va de soi que cette annulation effectuée par la Belgique ne met pas un terme au problème de la dette extérieure congolaise. C’est ici d’ailleurs que réside tout l’intérêt du colloque qui nous réuni aujourd’hui.

Mon objectif dans cette introduction n’est certainement pas de procéder à une anatomie détaillée de la dette extérieure de la RDC - je laisse en effet aux différents intervenants qui se succèderont aujourd’hui le soin de remplir cette tâche, MAIS, j’aimerais simplement rappeler pour mon propos que les créances belges en voie d’annulation ne constituent qu’une infime partie de la dette extérieure de ce pays, dont le stock total s’élevait encore en mars 2005 à plus de 10 milliards de dollars US.

Autrement dit, il est plus que jamais nécessaire de poursuivre le combat politique en faveur de l’annulation de la dette extérieure de la RDC, et plus largement de l’ensemble des pays du Tiers-monde, afin que ces derniers puissent enfin s’affranchir de ce poids insupportable qui entrave leur développement.

Permettez-moi à présent d’aborder brièvement les raisons qui expliquent notre choix de consacrer une journée d’étude à la dette de la RDC. Au-delà des liens historiques étroits qui unissent notre pays au Congo-Kinshasa et qui expliquent l’intérêt tout particulier que nous portons en Belgique pour les affaires politiques et économiques de cet État africain, je pense que le problème de la dette extérieure congolaise constitue un cas d’école à plus d’un titre et qu’en cela, il permet de mieux comprendre les motivations qui animent les associations tels que le CADTM et le CNCD qui militent pour l’annulation de la dette du Tiers-monde.

1) Tout d’abord, la dette du Congo constitue un archétype de la doctrine de la « dette odieuse ». D’autres intervenants aborderont certainement plus en détail cette question mais je soulignerai simplement ici qu’il n’est plus un secret pour personne que la dette extérieure de la RDC a été contractée par le régime dictatorial et corrompu du Maréchal Mobutu. Cet endettement n’a en effet aucunement profité à la population congolaise : quand l’argent emprunté n’a pas été purement et simplement détourné au profit du clan Mobutu, il a été investi dans des projets industriels ou d’infrastructure coûteux et démesurés qui n’ont apporté aucune conséquence positive pour le peuple congolais (pensons par ex. à la construction du barrage d’Inga alors que la grande majorité des foyers congolais n’ont pas d’électricité, ou encore à la GECAMINES etc.).

2) Le cas de la dette congolaise constitue également un exemple parfait du caractère inopérant des initiatives menées par les grands bailleurs de fonds internationaux tels que la Banque mondiale et le FMI et qui visent à « alléger » la dette extérieure des pays du Tiers-monde. En effet, l’opération de restructuration de la dette de la RDC, qui a eu lieu dans le courant de l’année 2002, a principalement consisté dans le remplacement de dettes impayables par un stock plus modeste de dettes « payables », pour reprendre les termes d’Arnaud Zacharie, secrétaire politique au CNCD, qui nous parlera plus longuement de ce sujet cet après-midi. Le résultat en tout cas d’une telle opération d’allègement, c’est qu’aujourd’hui, les remboursements des intérêts de la dette reprennent et pèsent lourdement sur le budget de l’État congolais (29 % du budget en 2004 selon les estimations du FMI).

Il est également important de préciser que de cette opération de restructuration a permis à l’État congolais d’intégrer l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) qui, à l’époque, était présentée par la Banque mondiale et le FMI comme la solution au problème de l’endettement des pays en développement. Néanmoins, comme il a été souligné dans une résolution récente du Sénat sur la problématique de la dette, le mécanisme PPTE est un échec dans la mesure où la dette de la plupart des pays bénéficiaires a continué d’augmenter malgré l’initiative d’allègement ! (Voir p. 4 de la résolution pour données chiffrées). Pour assombrir encore un peu plus le tableau, il faut ajouter que des conditionnalités d’inspiration néo-libérale ont été accolées au « paquet » PPTE, avec toutes les conséquences économiques et sociales que l’on connaît.

La dette est l’un des instruments les plus violents de féodalisation des économies du Sud et dont les conséquences en terme d’aliénation sociale sont purement criminelles.

Je conclurai cette introduction en disant que l’exemple congolais met en lumière la double responsabilité qui incombe aux pays occidentaux vis-à-vis du Tiers-monde. La première est d’ordre historique et met en évidence le rôle joué par nos pays dans la constitution de la dette coloniale et post-coloniale. La seconde responsabilité met plutôt en cause la façon dont nous avons instrumentalisé, par l’intermédiaire des institutions financières internationales, cette dette historique.

Il est donc plus que jamais temps de rectifier le tir et d’aborder la dette des pays pauvres non plus en termes de réduction mais en termes d’annulation. Je vous remercie.

Pierre Galand - 20 octobre 2006


Pierre Galand