Suite à la préoccupation soulevée par le haut niveau d’endettement du pays, le gouvernement équatorien demandait, en 2006, la mise en place d’une commission spéciale d’investigation avec le mandat de vérifier la légitimité de la dette extérieure, d’analyser l’impact socio-économique des renégociations, de vérifier la réalisation des projets et leurs objectifs et d’émettre des recommandations pour la définition de politiques d’endettement responsables. Le rapport final de cette commission a été rendu public en février 2007. Dans le document on retrouve des éléments révélateurs qui expliquent le pourquoi et le comment de l’endettement actuel de l’Équateur qui, avec en moyenne 22 % de son budget national consacré au service de la dette extérieure, se trouve parmi les plus élevées de l’Amérique latine.
Du boom pétrolier des années 70 et l’expansion de l’endettement qui en découle au refinancement de la dette publique par l’État dans les années 90, en passant par les politiques d’ajustement structurel promues par les Institutions financières internationales depuis les années 80 le rapport passe en revue l’évolution de l’endettement de l’Équateur. Une des principales raisons de l’accumulation de dette vient du démantèlement progressif, depuis les années 80, du rôle de l’État en tant que planificateur du financement du développement du pays et l’éclatement de celui-ci en une multitude d’unités d’exécution opérant en totale désarticulation. Cette absence de régulation a permis, par ailleurs, la prolifération d’opérations spéculatives qui ont contribué à augmenter le niveau d’endettement. Le rapport recommande dés lors la mise en place urgente d’une instance unique qui centralise le traitement des questions liées à l’endettement du pays ainsi qu’un audit sur la dette équatorienne.
Cela afin de récupérer une politique souveraine d’endettement après trente ans d’absence. On peut espérer qu’avec le gouvernement de Rafael Correa, proactif dans ce domaine, une impulsion soit donnée dans ce sens. Voici un aperçu général du rapport.
Depuis les années 70, avec la flambée des revenus du pétrole, on assiste en Équateur à une politique favorable à l’endettement extérieur pour le financement public et privé. Cette situation va se rendre, quelques années pus tard, insoutenable.
En 1978, une modification dans la Constitution équatorienne va marquer un tournant définitif dans la politique d’endettement du pays. A partir de ce moment-là, le Parlement est dépourvu de son rôle dans la politique d’endettement du pays laissant la voie libre aux pratiques de corruption et clientélisme de la part des hommes politiques qui étaient, à la fois, responsables financiers.
Dans la même période, d’autres changements au niveau de la politique monétaire et dans la législation nationale se sont opérés rendant de plus en plus facile l’endettement irresponsable du secteur privé, à des fins notamment spéculatifs. Ainsi, au début des années 80, suite aux successives dévaluations du sucre se produit une importante crise financière dans le secteur privé. Pour y faire face l’on assiste au sauvetage connu comme « sucrétisation » de l’État équatorien au secteur bancaire qui détenait les dettes des entreprises nationales. Ce processus a consisté, en définitive, à la transformation d’une dette privée en dette publique et a, par ailleurs, engendré une multiplication de la dette par six, passant de 1650 millions $ à 7500 millions après la « sucrétisation ».
Une bonne partie des reformes légales se sont produites sous l’influence des IFIs afin de garantir le remboursement de la dette. Il s’agit, entre autres du décret reconnaissant les dettes impayables ou l’émission de bons de l’État en devises pour couvrir une partie de la dette privée. Enfin, la loi générale d’institutions du secteur financier, approuvée en 1994, visait à assouplir les contraintes légales et, par là, à promouvoir la création d’entités financières.
Avec l’assouplissement du cadre légal et constitutionnel, l’Équateur a continué à augmenter son endettement durant les années 90 en émettant des nouveaux bons d’État dont les Bond Brady. En 1993 l’État émet des bons à la hauteur du solde de la dette publique externe, soit 909 millions $. Il s’agit donc bien d’un financement de la dette externe qui avait, à son tour, servi à financer une dette des années 1983 à 1985. En 1994, un nouveau décret permet l’émission de nouveaux bons et des accords avec des banques étrangères.
Suite à la crise financière de 1999, une nouvelle opération de sauvetage est menée consistant à l’échange de bons « Brady » et « Eurobonds » par des bons « Global » à des taux d’intérêt d’entre 10 et 12%. Cette restructuration s’est opérée sous un nouveau décret en 2000. Deux ans plus tard, une nouvelle loi de responsabilisation et de transparence fiscale voit le jour, garantissant le remboursement de la dette publique avec les ressources du pétrole. On pérennise ainsi les dettes contractées pendant les années 80, dont une bonne partie avait été émise à des fins spéculatives.
Dans ce contexte de dérégulation et de flexibilisation du cadre légal rythmé par les organisations multilatérales, l’Équateur assiste à une prolifération d’unités chargées de gérer les projets financés par des crédits extérieurs mais agissant sans aucune articulation entre elles et en coordination déficiente avec le gouvernement. D’une part la mauvaise gestion et les dysfonctionnements du système (qui en absence d’organe de planification et de contrôle efficace subordonnait les normes nationales à celles des IFIs) et d’autre part les conditions onéreuses de remboursement imposées au pays (qui n’était pas considéré comme suffisamment pauvre pour bénéficiaire de conditions plus favorables) ont encore alourdi le poids de la dette du pays.
Entre 1976 et 2006, la dette extérieure accumulée de l’Équateur est de 29 976 millions $, dont la plupart envers les institutions multilatérales et les banques étrangères. En moyenne, 388.6 millions $ sont consacrés annuellement au remboursement de la dette extérieure équatorienne (hors dettes multilatérales). Sur les trente années analysées, cela représente une moyenne de 22 % du budget national consacré à la dette, l’un des pourcentages les plus élevés de la région. C’est surtout à partir des années 80, sous les ajustements structurels, que l’on observe une augmentation du budget consacré au remboursement de la dette, passant de 11.4 % en 1981 à 21.17 % en 1982 pour atteindre des pics de jusqu’à 37 % en 1995 ou 31 % en 2001. Ces chiffres sont à mettre en lien avec les dépenses sociales, qui souffrent d’un sous financement chronique dans le budget de l’État. Ainsi, malgré l’exigence constitutionnelle de consacrer 30 % du budget aux dépenses d’éducation, ce chiffre a été atteint seulement en 1980, tournant, en général, autour de 10 %. Les dépenses en santé, quant à elles, n’arrivent qu’à environ 5 % du budget.
Depuis 1976 l’Équateur a payé plus de 35 000 millions $ en service de la dette (dont près de la moitié corresponde aux intérêts) et doit encore rembourser plus de 10 000 millions en concept de capital.
En conclusion, et conséquence directe de la mauvaise gestion de l’État durant cette période, la commission a dû faire face à des chiffres contradictoires et à des informations peu fiables. Afin de garantir une gestion cohérente et à long terme de la dette du pays, la commission demande, comme premier pas, la mise en place d’une entité centrale de contrôle et de gestion, claire et transparente, de la dette ainsi que des renégociations dans le cadre d’une planification nationale. Enfin, le rapport demande la création d’une commission spéciale pour l’investigation et l’audit de tous les prêts contractés par l’État équatorien afin d’identifier les responsables nationaux et internationaux des irrégularités. Dans une perspective plus large, la commission demande la mise en place d’un Tribunal international d’arbitrage de la dette souveraine sur base d’un code financier international.
Source : Infodette n° 36, 17 avril 2007 publié par Eurodad.